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De l’espace conçu à l’espace vécu : à qui profite la « transition » des territoires touristiques pyrénéens ? Le cas des vallées d’Ax en Haute-Ariège

Emma Bardou et Jérôme Pelenc
Traduction(s) :
From the Conceived Space to the Lived Space: Who Actually Benefits from the “Transition” of Pyrenean Tourism Areas? The Case of the Ax Valleys in Haute-Ariège [en]

Résumé

Cet article analyse les recompositions socio-spatiales d’un territoire touristique pyrénéen, les vallées d’Ax en Haute-Ariège, dans un contexte de « transition » d’un modèle économique à bout de souffle, celui des stations de ski. Au prisme de la géographie radicale, en mobilisant notamment les travaux d’Henri Lefebvre et de David Harvey, il interroge l’opportunité que peut représenter ce moment charnière pour une restructuration géographique du capital qui tend à (re)produire un espace qui lui est propre. À partir des résultats d’une enquête de terrain réalisée auprès d’habitant·es du territoire des vallées d’Ax et des acteurs et actrices de l’aménagement touristique du massif pyrénéen, cet article met en lumière le décalage existant entre l’espace conçu par les acteurices de l’aménagement et l’espace vécu par ses habitant·es. D’un côté, l’espace conçu s’apparente à une entreprise de loisirs dans laquelle le public et le privé s’associent pour réaliser les investissements nécessaires à son fonctionnement et qui tend à absorber chaque ressource pour en tirer profit. C’est aussi l’image du territoire, son « capital symbolique collectif » lié aux imaginaires touristiques, qui est exploité pour renforcer son attractivité et faire venir de nouveaux et nouvelles touristes, résident·es et entreprises des métropoles. Nous montrons ainsi comment ce territoire acquiert une certaine centralité, représentant une réserve, à la fois foncière et symbolique, de l’urbain. D’un autre côté, l’espace conçu écrase l’espace vécu en limitant les possibilités pour les habitant·es, et en particulier pour les moins favorisé·es, de s’approprier leur territoire. L’habitabilité du territoire est remise en cause par les logiques de développement touristique, notamment au regard des difficultés d’accès au logement qu’elles induisent, mais aussi du fait de l’absence de lieux permettant la création de lien social et l’organisation collective des habitant·es.

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Texte intégral

Introduction

1Construit depuis les années 1950 autour de « l’exploitation intensive et mono-spécialisée du produit neige » (Vlès, 2021, p. 2), le modèle touristique montagnard centré sur le développement des stations de ski connaît une crise profonde. En effet, la hausse des températures hivernales et le manque d’enneigement croissant (Spandre et al., 2019) impactent son bon fonctionnement et renforcent les contradictions plus structurelles de ce modèle économique, aujourd’hui à bout de souffle (Bourdeau, 2021 ; Cour des comptes, 2024). Ce constat est particulièrement vrai dans les Pyrénées, où nombre de stations sont aujourd’hui dans des situations financières délicates (Cour des comptes, 2015), alors même que le tourisme hivernal est un moteur économique essentiel à l’échelle du massif (OPCC, 2018). De plus, le poids du tourisme dans ces territoires peut remettre en question les conditions de leur habitabilité, notamment au regard des difficultés d’accès au logement qu’il engendre pour une partie de la population, et en particulier pour les travailleurs et travailleuses du secteur touristique (Barrioz, 2020 ; 2022). Les territoires touristiques pyrénéens doivent aussi faire face à d’autres défis (Bardou, 2023) tels que le manque de jeunes actifs et actives, le vieillissement de leur population ou le déclin du secteur agricole (INSEE, 2021), qui contribuent au manque de diversification économique (Vlès, 2021).

2Dans ce contexte, la rhétorique de la transition est de plus en plus plébiscitée dans les plans stratégiques et les politiques publiques concernant l’aménagement des territoires touristiques pyrénéens. Cependant, certaines transformations à l’œuvre posent question quant à leur adéquation avec les enjeux actuels et les besoins des habitant·es de ces territoires. Cet article propose d’analyser les recompositions en cours dans le territoire des vallées d’Ax en Haute-Ariège, en mobilisant le cadre de la géographie radicale (entre autres Lefebvre, 1974 et Harvey, 2018) pour penser le décalage entre l’espace conçu des stratégies de transition et l’espace vécu des habitantes. Nous montrons que ces stratégies, mises en œuvre à différentes échelles, loin de remettre en question le modèle actuel, tendent à servir un renouvellement de certaines formes d’appropriation de l’espace, reproduisant le modèle dominant, vecteur d’exclusion et de dépossession d’une partie de la population locale, tant sur le plan symbolique que matériel.

3Nous présentons d’abord notre cadre théorique, la méthodologie employée et le cas d’étude, puis nous exposons les principaux résultats.

Les vallées d’Ax au prisme de la géographie radicale

La production de l’espace touristique pyrénéen : transition ou restructuration capitaliste ?

4Notre réflexion s’inscrit dans l’héritage de la pensée d’Henri Lefebvre, notamment celle développée dans La production de l’espace (1974). Pour lui, le mode de production capitaliste ne s’arrête pas aux murs de l’usine, à la seule production de marchandises, mais s’empare du processus de production de l’espace de la vie quotidienne dans son ensemble. Il engendre et conditionne les rapports de force entre les actrices et acteurs sociaux, notamment entre les classes sociales, la classe dominante s’appropriant l’espace pour faire valoir ses intérêts au détriment des autres. Par conséquent, l’espace tel qu’il est produit limite grandement les possibilités pour les classes dominées de s’approprier et de maîtriser leur espace de vie (Ripoll et Veschambre, 2005).

5Nous nous appuyons ici plus particulièrement sur la triade conceptuelle « espace perçu, conçu et vécu » qui permet à Lefebvre d’analyser le processus de production de l’espace dans sa complexité. L’espace conçu renvoie aux représentations dominantes de l’espace et de la société « […] liées aux rapports de production et à “l’ordre” qu’ils imposent [...] » (Martin, 2006, p. 4), qui justifient l’action des pouvoirs publics ou privés. C’est « […] l’espace des savants : des planificateurs, des urbanistes, des technocrates “découpeurs” et “agenceurs” […] » (p. 4). L’espace vécu est « l’espace des représentations », celui des habitant·es et des usagèr·es (Lefebvre, 1974, p. 49.) : « c’est l’espace dominé et subi, que l’imagination tente de s’approprier et de modifier » (Martin, 2006, p. 5). Enfin, l’espace perçu est, selon la définition proposée par Lariagon, « l’espace socialement hérité, le contexte social-matériel, infrastructurel à partir duquel le conçu est élaboré et auquel s’adapte le vécu » (Lariagon, 2020, p. 6). Si ces trois niveaux sont indissociables dans la réalité (Lefebvre, 1974, p. 49), nous nous focalisons ici, dans un souci de clarté, sur les rapports contradictoires existants entre l’espace conçu et l’espace vécu. Leur analyse permet de mettre en lumière la concrétisation matérielle des représentations dominantes de l’espace (modification sensible de l’espace et des pratiques sociales) qui correspond en grande partie à l’espace perçu.

6David Harvey (2018), dans la continuité des travaux d’Henri Lefebvre, montrera que l’une des conditions essentielles à la résolution des crises structurelles du capitalisme est l’expansion géographique du capital. Cette expansion spatiale se fait historiquement vers des espaces « non-capitalistes » et de nouveaux marchés, mais elle peut également se faire sur des espaces déjà produits, dans une logique de « recyclage » de l’espace (Gintrac, 2018, p. 14). C’est particulièrement le cas dans les villes, « espaces privilégiés de la valorisation du capital » (p. 14). Nous souhaitons ici appliquer cette grille d’analyse au territoire des vallées d’Ax, qui peut aussi, sous certains aspects, être considéré comme un espace stratégique pour la restructuration géographique du capital.

7Dans son article « L’art de la rente », Harvey (2018) montre que l’espace, s’il a des qualités particulières, peut produire des rentes de monopole à travers ce qu’il appelle le « capital symbolique collectif » (Harvey, 2018, p. 47). Dans le cas des vallées d’Ax, la rente de monopole est indirecte, elle est « une variante situationnelle (locational) » de la rente de monopole classique (p. 33). En effet, ici ce n’est pas directement la ressource — le territoire — qui est commercialisée pour ses qualités uniques, mais « la marchandise ou le service produit grâce à son usage » (p. 33).

Les vallées d’Ax : un territoire touristique entre centralité et fragilités

8Nous nous intéressons ici au territoire des vallées d’Ax, zone géographique centrale de la Communauté de communes de la Haute-Ariège (CCHA), desservie par la ligne SNCF Paris/Toulouse/Latour-de-Carol ainsi que par la route nationale 20 reliant Toulouse, l’Espagne et la Principauté d’Andorre. Au-delà de sa centralité géographique, le territoire des vallées d’Ax concentre également la majorité de la population de la CCHA, de l’emploi et des services du territoire (PLUIh Haute-Ariège, 2022). Ax-les-Thermes est la commune la plus peuplée avec 1285 habitant·es en 2021 (INSEE, 2024). Elle est également la plus dotée en infrastructures touristiques. Le territoire des vallées d’Ax compte deux stations de ski alpin : Ax-3-Domaines, la plus grande station du département et troisième domaine skiable des Pyrénées françaises, ainsi que la petite station d’Ascou. On trouve également deux domaines nordiques : le plateau de Beille et le Chioula. Outre les stations de ski, on retrouve d’autres sites touristiques tels qu’un centre thermoludique, un casino ainsi qu’un centre thermal qui attire chaque année plusieurs milliers de curistes.

Figure 1 : les vallées d’Ax en Haute-Ariège

Figure 1 : les vallées d’Ax en Haute-Ariège

Réalisation : Emma Bardou

  • 1 Selon le concept développé par Laurent Davezies, l’économie présentielle est une économie basée sur (...)

9La CCHA compte 7116 habitant·es en 2021, sa population est vieillissante et marquée par un net déclin (INSEE, 2024). La catégorie des retraité·es représente 38,7 % des ménages (INSEE, 2024). En 2021, selon l’INSEE, 79,6 % des emplois relèvent de la sphère présentielle1 et sont essentiellement concentrés dans le secteur des vallées d’Ax (PLUIh Haute-Ariège, 2022). La majorité des emplois de cette dernière catégorie est liée à l’activité touristique, en particulier hivernale. Cet emploi se caractérise par « […] des contrats de travail atypiques axés sur la flexibilité et la mobilité des travailleureuses » (Demeyère, 2020, p. 4) avec beaucoup de contrats saisonniers. Il est marqué par une précarité importante, impliquant de grands volumes horaires et souvent du travail non déclaré ainsi qu’une « […] faiblesse et surtout [une] variabilité et [une] incertitude de la rémunération […] » (p. 4). Les catégories des employé·es et des ouvrièr·es sont les catégories socioprofessionnelles les plus importantes à l’échelle de la CCHA, représentant 49,9 % des actifs et actives ayant un emploi (INSEE, 2024). Enfin, le taux de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté dans le territoire est de 16,8 % contre 14,5 % à l’échelle nationale.

10Le tourisme exerce une forte pression foncière, le taux de résidences secondaires étant de 65,9 % en moyenne à l’échelle de la CCHA, allant jusqu’à plus de 80 % du parc de logements dans plusieurs communes des vallées d’Ax en 2021 (INSEE, 2024). À cela s’ajoute un nombre important de logements touristiques (meublés de tourisme, gîtes, etc.), ce qui limite considérablement le nombre de logements disponibles pour habiter ce territoire à l’année (ou à la saison), en vente comme en location (PLUIh Haute-Ariège, 2022). De plus, le tourisme peut aussi entraîner une augmentation des prix de l’immobilier voire une spéculation sur ces derniers, ce qui rend le foncier difficile d’accès pour une grande partie de la population. Le marché est largement dominé par les transactions de résidences secondaires et on observe, ces dernières années, une hausse des prix .

Une méthodologie pour saisir le décalage entre l’espace conçu et l’espace vécu

11Premièrement, afin d’analyser l’espace conçu, nous avons étudié les principaux documents et plans stratégiques fixant les grandes orientations en termes d’aménagement et de développement pour les années à venir. Ceux-ci intègrent un volet « transition » concernant les territoires touristiques pyrénéens et en particulier les vallées d’Ax2. Deuxièmement, cette approche a été complétée par dix mois d’observation participante au sein de l’Agence des Pyrénées, structure interrégionale dédiée à l’aménagement et au développement du massif3. Dans le cadre d’un contrat en alternance réalisé par un des auteurs entre octobre 2022 et juillet 2023, nous avons participé à un grand nombre de rencontres et d’événements officiels sur le terrain, notamment autour du sujet de la transition de l’économie des territoires touristiques pyrénéens. Nous avons ainsi pu échanger de manière formelle et informelle avec différent·es acteurices de l’aménagement du massif. Toutes nos observations ont été consignées dans un journal de terrain. Troisièmement, au cours des mois de mars et avril 2023, 21 entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès d’élus·es et d’habitant·es permanent·es du territoire des vallées d’Ax aux profils différents (cf. figure 2) avec un focus particulier sur les ouvrièr·es et les employé·es, catégories les plus à même de subir des inégalités socio-économiques et les plus représentées chez les actifs et actives du territoire étudié (cf. supra). Afin de tenter d’appréhender l’espace vécu, toutes les personnes que nous avons interrogées dans le cadre de cette enquête habitent le territoire des vallées d’Ax à l’année et y travaillent. Les enquêté·es ont été rencontré·es au cours de plusieurs périodes d’observation directe, une première du 9 février 2023 au 26 avril 2023 et une seconde entre le 4 mars 2024 et le 30 avril 2024. Les entretiens ont été réalisés soit chez les enquêté·es, soit dans des lieux publics (mairie, cafés, parcs) et sont d’une durée allant de 45 minutes à 1h15.

Figure 2 : Entretiens réalisés, selon la catégorie socio-professionnelle des enquêté·es

Catégories d’acteurs

Catégories socio-professionnelles

Nombre d’entretiens réalisés

Habitantes et habitants permanents du territoire

Agriculteurs et agricultrices

2

Artisan·es, Commercant·es et chef·fes d’entreprise

2

Cadres et Professions intellectuelles supérieures

1

Professions intermédiaires

3

Employé·es

4

Ouvrièr·es (Toutes et tous travailleur·euses saisonnier.ères)

6

Élu·es de communes des vallées d’Ax

3

De l’espace conçu à l’espace vécu : habiter un territoire de marge qui devient stratégique

L’espace conçu : entre réserve foncière et réserve symbolique

12Les différentes stratégies mises en œuvre dans une logique de transition de l’économie touristique à l’échelle des vallées d’Ax mais aussi, bien souvent, des autres territoires touristiques pyrénéens, donnent à voir un espace conçu comme une véritable entreprise de loisirs.

13Le regroupement sous forme de partenariats public-privé à travers des Sociétés d’économie mixte (Cour des comptes, 2024) est l’une des stratégies observées pour faire face aux difficultés des stations. La station de ski d’Ax 3 Domaines illustre cette tendance, puisqu’elle est gérée, depuis 2004, par la société d’économie mixte SAVA.SEM, qui exploite également les stations de ski ariégeoises de Guzet et des Monts-d’Olmes. Outre les communes locales et le département pour la partie « secteur public », SAVA.SEM comprend trois entreprises privées : le Crédit Mutuel, la SOREPAR (filiale de la Caisse d’Épargne) et la PGI, une entreprise internationale basée en Andorre, qui se présente comme le leader mondial du développement du tourisme en montagne. Ce genre de gouvernance public-privé vise à se développer puisque, d’ici un an, les huit stations de l’Ariège seront regroupées dans un seul et même syndicat de gestion pour favoriser les investissements à venir. Un plan de 78 millions d’euros aurait été bouclé entre les différentes collectivités et la région Occitanie pour les 15 prochaines années4, dont 45 millions d’euros pour la seule station d’Ax. Cette dernière envisage, pour faire face au manque de neige récurrent, de remonter son domaine skiable à 2000 m d’altitude (Cours des comptes, 2024). Or, comme nous l’explique le maire de la commune : « il s’agit uniquement d’investissements défensifs, pour essayer de tenir le plus longtemps possible » (Maire d’Ax-les-Thermes, 22 mars 2024).

14Ces regroupements de stations visent également à favoriser la diversification des activités touristiques, comme l’explique, lors d’un entretien dans la presse régionale, le président de la CCHA :

  • 5 Dis-leurs.fr, 25 mars 2024, « Économie : L’Ariège veut transformer ses huit stations de ski en “sta (...)

[…] nous voulons faire de toutes les stations des stations de montagne. On n’est plus dans le tout-ski mais sans le ski, tout est fini… on va continuer à développer là où l’on peut, à créer des remontées mécaniques. […] Ou proposer des activités qui peuvent se dérouler en hiver comme en été5.

15Pour le président de la CCHA, les « stations de montagne » semblent ainsi désigner des stations proposant des activités sur les quatre saisons. Dans cette perspective, la station d’Ax développe ces dernières années son offre estivale avec l’ouverture de son domaine, des remontées mécaniques et des infrastructures hôtelières de fin juin à début septembre6. Les activités proposées sont nombreuses : VTT, bike park, randonnées, dévalkart, géocaching, piscine, tyrolienne, etc., mais ce modèle reste fragile (Chambre régionale des comptes, 2023, Cour des comptes, 2024). Cette logique de diversification reproduit in fine le même modèle économique que le ski, axé sur l’investissement dans les infrastructures. Elle tend également à faire rentrer des activités jusqu’alors gratuites (la randonnée, l’escalade, etc.) dans un rapport marchand tout en intensifiant la fréquentation des sites. Cette marchandisation de l’accès à la nature représente ainsi une menace des « biens communs » de montagne qui deviennent une ressource à exploiter (Vlès, 2023).

16Une autre tendance en matière de stratégies d’adaptation mises en place à l’échelle des territoires touristiques pyrénéens est celle de la montée en gamme de l’offre touristique. À Ax-les-Thermes, par exemple, un nouveau complexe hôtelier de luxe devrait ouvrir ses portes d’ici avril 2025. Ce complexe hôtelier, qui sera franchisé « Mercure Hôtel » et exploité par le groupe privé Cité Hôtels, accueillera notamment deux suites cinq étoiles, un restaurant gastronomique et un hôtel quatre étoiles de 51 chambres. Avec un budget total de 16 millions d’euros7, on retrouve dans ce projet des acteurs publics (cf. figure 5) et notamment, pour l’acquisition du foncier, la Foncière des Pyrénées8, qui poursuit l’objectif de « […] contribuer à la densification et à la montée en gamme de l’offre d’hébergement des stations de montagne des Pyrénées9 ».

17Parallèlement à ce projet, d’importants travaux ont été amorcés dans le centre-ville de la commune au début de l’année 2024 dans le cadre d’un projet d’envergure de réhabilitation du cœur de ville10. Si le lien entre les deux opérations n’est pas explicitement formulé par les porteurs de ces projets, on peut y voir une relation de cause à effet, avec une volonté de mettre le territoire « aux normes » des attentes de la future clientèle de l’hôtel.

Figure 3 : Construction du nouveau complexe hôtelier à Ax-les-Thermes

Figure 3 : Construction du nouveau complexe hôtelier à Ax-les-Thermes

Source : Emma Bardou (22/03/2023)

Figure 4 : Rénovation des allées Paul Salette, centre-ville d’Ax-les-Thermes

Figure 4 : Rénovation des allées Paul Salette, centre-ville d’Ax-les-Thermes

Source : Emma Bardou (22/03/2023)

18Comme le montre le tableau ci-dessous (cf. figure 5), outre les investissements touristiques, les infrastructures routières sont aussi en plein développement dans la zone, notamment avec le projet de création d’une voie rapide, voire d’une autoroute reliant Toulouse, la Principauté d’Andorre et Barcelone en passant par les vallées d’Ax (Gatineau, 2020). Ces projets mettent en avant le rôle essentiel des collectivités territoriales pour mettre en œuvre les conditions favorables à la circulation des personnes, des marchandises et du capital. Ceci nous amène logiquement à poser la question de savoir comment un si petit territoire attire autant d’investissements (près de 75 millions d’euros ces 20 dernières années seulement pour les infrastructures touristiques, 238 millions de plus pour les infrastructures routières. Cf. figure 5.) et si ces derniers bénéficient aux habitant·es permanent·es.

Figure 5 : Tableau récapitulatif des principaux investissements des vingt dernières années dans le territoire des vallées d’Ax

Projets

Dates

Montants

Principaux financeurs

Déviation de la RN20 à Ax-les-Thermes

Inaugurée en décembre 2016

69M€

État, Région Occitanie, Département de l’Ariège, Fonds européens

Rénovation du bâtiment de la station de Beille

Bâtiment inauguré en février 2023

8,5M€

État (France Relance), Région Occitanie, Département de l’Ariège, CCHA

Création d’un complexe hôtelier « haut de gamme »

Début des travaux : mai 2022.

Ouverture de l’hôtel prévue pour avril 2025

16M€

Caisse des dépôts, Région Occitanie, Département de l’Ariège, CCHA, Ax-les-Thermes

Réhabilitation du cœur de ville

Début des travaux fin 2023, fin des travaux prévue pour 2025

3,7M€

Ax-les-Thermes, État, Région Occitanie et Département de l’Ariège

Création d’une déviation de la RN20 à Tarscon-sur-Ariège

Début des travaux prévu en 2024

169,5M€

État, Région Occitanie et Département de l’Ariège

Modernisation et restructuration domaine skiable d’Ax 3 Domaines

Investissements sur les 15 prochaines années

45M€

Région Occitanie, Département de l’Ariège, CCHA, Ax-les-Thermes

19Par ailleurs, ce territoire, à l’image des autres destinations touristiques pyrénéennes, est aussi un espace conçu comme une réserve symbolique de l’urbain. En effet, construire des infrastructures ne suffit pas, il faut également attirer une nouvelle clientèle touristique, mais aussi de nouvelles entreprises et résident·es, et ceci hiver comme été. Il s’agit en particulier d’attirer une population venant des métropoles, comme en témoigne les différentes campagnes de communication et de marketing territorial donnant à voir un espace conçu en opposition avec l’espace urbain et ses caractéristiques.

20Concernant la saison estivale par exemple, la station d’Ax 3 Domaines promeut depuis peu son domaine sous le concept de « bulle de fraîcheur » : « […] au départ d’Ax-les-Thermes, accédez facilement à 2000 mètres d’altitude grâce à sa télécabine et son télésiège. […] De quoi se ressourcer un maximum en plein air, loin du tumulte de la ville11! ». Plus largement, l’Agence de développement touristique de l’Ariège a lancé en 2019 une campagne de communication intitulée « Libres comme l’air » (cf. figure 6), qui donne à voir le territoire comme « vierge », « sauvage » ou « non-habité ». Un territoire isolé du reste du monde dans lequel on peut être « libre », « injoignable ».

Figure 6 : Visuels de la campagne de communication « Libres comme l’air »

Figure 6 : Visuels de la campagne de communication « Libres comme l’air »

Source : https://www.pro-ariegepyrenees.com/​, consulté le 28 novembre 2024.

  • 12 Voir par exemple la récente marque territoriale Pyrénées qui se veut porter une vision des Pyrénées (...)

21Dans ces campagnes de marketing territorial et dans les représentations du territoire qu’elles véhiculent, les habitant·es sont absent·es ou alors iels sont mis·es en scène pour représenter une supposée authenticité préservée des montagnard·es, comme garant·es d’un « capital sympathie pour la montagne » (Contrat de plan interrégional État-Région 2021-2027, p. 66) et de « l’hospitalité » du territoire12. Ces campagnes participent ainsi à reproduire les imaginaires dominants construits par et pour le tourisme depuis la fin du xviiie siècle (Hagimont, 2017, 2022). Elles véhiculent avant tout les représentations de celles et ceux qui les fabriquent et celles du public ciblé (Beuze Edragas et Bouron, 2019), ici de celles et ceux qui n’habitent pas (encore) le territoire et plus particulièrement une population urbaine aisée.

22Au-delà des diverses campagnes de promotion touristique du territoire, on observe différentes tentatives pour attirer de nouveaux habitant·es et entreprises en provenance des métropoles voisines, comme la création, en 2021 par l’Agence Ariège Attractivité, d’une plateforme dédiée : « Vous venez quand13 ? ». Afin de développer le télétravail, des partenariats ont d’ailleurs été créés entre des agences immobilières, des entreprises toulousaines et l’Agence Ariège Attractivité, qui poursuit l’objectif « […] de convaincre les entreprises toulousaines et franciliennes des atouts de l’Ariège pour organiser, avec leurs salariés, un télétravail pendulaire en s’installant sur un territoire rural, connecté et proche de l’agglomération toulousaine »14.

23Pour conclure, l’espace conçu se rapproche de plus en plus d’un territoire fonctionnant sur le mode de l’entreprise, rassemblant des actionnaires publics et privés pour garantir son développement (et sa rentabilité), notamment grâce au marketing territorial. C’est un espace qui tend à être toujours plus dédié au tourisme et aux loisirs, où chaque portion de territoire et chaque activité est potentiellement une ressource exploitable. Dans cette perspective, nous pourrions dire, avec Brenner et Katsikis (2020), que même si ces territoires sont considérés comme des communes « hors influence des pôles15 », ils n’en constituent pas moins les hinterlands des métropoles et notamment de Toulouse. Ils constituent ainsi des réserves de valeur à exploiter plus efficacement : valeur foncière mais aussi symbolique.

24Quelle est alors la place des habitant·es au sein de ce territoire-entreprise ? Comment cet espace conçu se répercute-t-il dans leur vie quotidienne ?

L’espace (mal) vécu des vallées d’Ax

25Alors que des investissements conséquents sont réalisés dans les vallées d’Ax pour « sauver » les stations, les habitant·es du territoire les moins favorisé·es rencontrent de grandes difficultés pour se loger de façon pérenne. Le témoignage de Daniel (38 ans, travailleur saisonnier dans le secteur touristique), est particulièrement éclairant à ce sujet :

Je connais beaucoup de gens qui travaillent ici qui cherchent à acheter et même à louer, et qui ne trouvent pas. […] Des fois il y a carrément des échecs, des gens qui trouvent un boulot mais qui ne trouvent pas du tout de logement et qui sont obligés de partir. J’ai des amis qui sont obligés de quitter aujourd’hui le territoire alors qu’ils y vivent depuis plusieurs années, mais suite à la vente de la maison qu’ils louaient, ils n’ont pas retrouvé de logement. (Daniel, 9 mars 2023)

26Ces difficultés empêchent les habitant·es interrogé·es de se projeter dans ce territoire sur le long terme, contribuant à créer un sentiment de dépossession, voire d’exclusion de leur espace de vie. Les enquêté·es sont tous et toutes conscient·es du lien existant entre la problématique du logement sur le territoire et l’importance du tourisme. Certain·es nous partagent leur sentiment d’une appropriation croissante de l’espace par le tourisme au détriment de l’habiter ou d’autres usages du territoire, comme l’agriculture. Thomas (40 ans, éleveur) nous témoigne de différents conflits d’usages de plus en plus contraignants pour son activité et celle des autres éleveureuses :

Les terrains qu’on a pour les brebis, ils ont été mis à disposition par les propriétaires, mais là on est en conflit avec certains, parce que, justement, ils veulent les récupérer pour faire des maisons et se faire de l’argent, c’est des familles qui spéculent. Il y a des procès en cours justement sur une autre commune à propos de ça, des gens qui veulent sortir leurs terrains de l’AFP [Association foncière pastorale] pour faire de la spéculation. (Thomas, 10 mars 2023)

27Au travers des différents témoignages recueillis transparaît également la conscience d’un rapport de pouvoir entre classes sociales qui se traduit dans l’inégal accès au foncier sur le territoire. Thomas, par exemple, nous explique :

Pour acheter ici c’est toujours la bagarre, je connais pas mal de gens qui cherchent à acheter, mais bon c’est toujours au plus offrant et le problème c’est que nous, on n’est pas du tout les plus offrants. Les personnes qui viennent acheter ici, elles n’ont pas du tout les mêmes moyens que nous, donc ça fait monter les prix. (Thomas, 10 mars 2023)

28Pour un élu des vallées d’Ax interrogé, en effet :

Il y a comme un “choc des populations”, une concurrence qui se fait entre une population riche, qui a des moyens, qui voit souvent la montagne comme un espace d’attraction, et la population qui y habite réellement et qui n’a plus les moyens de vivre ici. (Maire de l’Hospitalet-près-l’Andorre, 22 mars 2023)

29Il est intéressant de remarquer que les communes situées à plus haute altitude (à partir de 900 mètres), les plus ensoleillées et qui proposent une vue « panoramique » sur la vallée, ont souvent une proportion de résidences secondaires plus importante que les autres et affichent un prix de l’immobilier au mètre carré relativement élevé. Cela laisse supposer l’existence de logiques d’« étagement » et témoigne d’un inégal accès à l’espace entre les différentes catégories de populations.

30Par ailleurs, les transformations en cours sur le territoire et les nouveaux projets de développement, comme le complexe hôtelier de luxe à Ax-les-Thermes, renforcent chez les habitant·es interrogé·es le sentiment de dépossession-exclusion de leur territoire. Marine (30 ans, employée dans le secteur social), de manière emblématique, se pose ainsi les questions suivantes :

Je ne sais pas ce qu’ils veulent faire d’Ax-les-Thermes en y mettant un hôtel de luxe. Quelle population on va attirer ? On se demande quelle population ils veulent mettre ici. (Marine, 11 mars 2023)

31Quant à Marc (48 ans, travailleur saisonnier dans le secteur touristique et agricole), il pense qu’un passage à un tourisme plus « haut de gamme » va entraîner une évolution des qualifications :

Nos dirigeants politiques, je pense qu’ils préfèrent, entre guillemets, ‘tirer vers le haut’. Ils préfèrent avoir une clientèle d’un certain standing, et comme ça, aussi des emplois d’un certain standing, ce ne sera plus le travailleur saisonnier de base, sans formation. (Marc, 10 avril 2023)

32L’évolution de la clientèle touristique liée à la création de ce nouveau complexe hôtelier donne le sentiment aux habitant·es qu’une certaine maîtrise du tourisme est aussi en train de leur échapper, ce qui les conduirait à défendre le tourisme actuel. En effet, pour Martin (33 ans, travailleur saisonnier dans le secteur touristique) :

L’investissement est massif et il ne s’adresse finalement même pas à la population touristique qu’on a ici. Nous, c’est plutôt les Toulousains, les familles, ça reste encore un peu populaire presque. (Martin, 23 avril 2024)

33On peut également noter comment l’emploi régulier par les habitant·es du pronom « ils » peut s’interpréter comme une forme d’auto-exclusion du discours du développement territorial et de la transition, qui se traduit matériellement dans leur expérience vécue du territoire.

34La production de l’espace centrée sur le tourisme peut aussi être un frein à l’organisation collective des habitant·es, dans le sens où elle rend difficile la création d’espaces de socialisation. Par « organisation collective », nous entendons ici la perspective d’un droit à la ville tel que proposé par Lefebvre (1968) puis Harvey (2011) et qui vise une (ré)appropriation par les habitant·es de leurs conditions matérielles d’existence dans l’espace où iels vivent.

35Les entretiens effectués au cours de cette recherche montrent que les lieux pour se rencontrer, et qui permettent la création de lien social, font défaut. Julie (35 ans, travailleuse saisonnière dans le secteur touristique) explique ainsi ce phénomène : « ici, si tu ne vas pas au bar le soir, il n’y a pas d’autres endroits pour se rencontrer » (Julie, 12 mars 2023). En effet, si les bars, cafés et restaurants du territoire constituent les principaux lieux de rencontre, ils sont cependant principalement destinés à une clientèle touristique (prix élevés, ambiance after-ski, etc.), ce qui fait que beaucoup d’habitant·es ne les fréquentent que peu voire pas du tout.

36Pour certain·es, ce manque d’occasion de créer du lien social entre habitant·es est aussi dû à la disparition progressive d’événements qui pouvaient jouer ce rôle, comme les marchés de producteurices ou les différentes fêtes locales, qui sont aujourd’hui aussi souvent orientés vers la clientèle touristique. Dans le Plan local d’urbanisme intercommunal intégrant un volet Habitat (PLUIh), la CCHA souligne d’ailleurs la vocation touristique des offres culturelles, sportives et de loisirs, qui ne sont que peu ou pas adaptées aux habitant·es (PLUIh Haute-Ariège, 2022, p. 33). On voit bien comment l’espace produit par et pour le tourisme laisse peu de place à d’autres formes d’appropriations.

37Au-delà de l’espace, le rythme et les conditions du travail dans le secteur touristique, et plus généralement des emplois saisonniers du territoire, auxquels est confrontée une grande majorité des personnes interrogées, sont aussi présentés comme un frein à la mise en œuvre de projets collectifs, pouvant être un support d’organisation politique entre habitant·es. Ces emplois (conducteurice des remontées mécaniques, serveur ou cuisinier en restauration, accompagnateurice en montagne, etc.) nécessitent souvent un travail particulièrement physique et intense sur certaines périodes, ce qui laisse peu de temps libre aux travailleureuses. À cela s’ajoutent les temps de trajets quotidiens souvent importants entre les communes de résidence et les lieux de travail. Comme nous l’explique plusieurs enquêté·es ayant participé à un projet de maraîchage collectif dans la vallée : lorsque ces conditions ne freinent pas directement la mise en œuvre de telle initiatives, elles ne leur permettent pas de perdurer. En effet, pour Julien (43 ans, travailleur saisonnier dans le secteur touristique) :

Je pense que l’envie, elle y est […], [mais] il n’y a rien qui tient, il y a beaucoup d’essoufflement, du fait aussi de ces boulots saisonniers. Tu ne peux rien faire quand t’es en saison, pour peu que t’aies des gamins… Je pense que c’est un frein pour s’organiser collectivement […]. (Julien, 12 avril 2023)

  • 16 Un exemple intéressant, qui ne concerne pas directement le secteur touristique mais les travailleur (...)

38Un autre point intéressant est la faiblesse de l’organisation collective entre les travailleureuses au sein même des emplois du secteur touristique, notamment saisonniers. En effet, « la fragmentation des statuts nourrit la précarité en rendant difficile une organisation collective […] » (Demeyère, 2020, p. 5). Celle-ci pourrait pourtant être un levier pour une amélioration des conditions de travail dans le secteur ainsi que pour la création de lien social et d’initiatives entre habitant·es travailleureuses du territoire, bien souvent confronté·es aux mêmes difficultés. S’il existe plusieurs organisations syndicales, celles-ci restent sectorielles16, ce qui peut renforcer la division entre les différents statuts. Daniel (38 ans, travailleur saisonnier dans le secteur touristique) soulève quant à lui la nécessité d’une organisation collective des travailleureuses à l’échelle du territoire :

Il n’y a pas d’organisation collective autour de ça [les conditions de travail des saisonnièr·es du territoire], et ça manque. Je pense qu’il faudrait faire quelque chose pour l’organisation des saisonniers entre eux, même de tous les travailleurs du territoire en général. S’organiser entre travailleurs du territoire ça pourrait être un moyen de fédérer les gens pour commencer à réfléchir ensemble autour de sujets concrets. (Daniel, 9 mars 2023)

39De manière générale, pour les habitant·es interrogé·es, l’organisation et l’action collective, bien qu’elles soient difficiles à mettre en œuvre, représentent une solution possible pour faire face aux difficultés qui sont les leurs, comme l’accès au logement et au foncier. Pour Camille (29 ans, travailleuse saisonnière du secteur touristique) par exemple :

Il y aurait vraiment des choses à faire collectivement pour agir sur le logement et le foncier en général comme monter une association pour recenser et contacter les propriétaires de maisons vides ou de résidences secondaires et leur faire des propositions. (Camille, 23 avril 2023)

40Ces témoignages illustrent bien la façon dont l’espace conçu, très clairement produit en faveur du tourisme, peut se matérialiser dans la vie quotidienne des habitant·es et domine l’espace vécu au sens où il limite leurs possibilités de se (ré)approprier leur espace (et leur temps) et ainsi leurs possibilités de résistance et d’émancipation collective.

Conclusion

41Si la « ruée vers l’or blanc » des années 1950 a conduit Bruno Cognat à penser les territoires montagnards touristiques comme des « usines à ciel ouvert » (Cognat, 1973), aujourd’hui c’est plutôt comme une entreprise de loisirs que le territoire semble être produit, notamment via le développement de sociétés d’économie mixte et de partenariats public-privé. Les acteurices dominant·es de l’aménagement semblent ainsi concevoir la transition comme une opportunité pour mieux inscrire le territoire des vallées d’Ax dans la mondialisation. Comme cette étude de cas le montre, cette transition participe en réalité à une restructuration géographique du capital, où les processus d’urbanisation impulsés depuis les métropoles viennent chercher des réserves foncières et symboliques. Le tourisme apparaît alors comme l’activité la plus à même de venir exploiter cette réserve que représente le territoire des vallées d’Ax, et plus largement les territoires touristiques pyrénéens. Dans cette perspective, l’espace conçu vise au maintien voire au développement de la rente de situation réalisée grâce à l’activité touristique, en tirant profit du capital collectif symbolique lié aux vallées d’Ax, déterminant ainsi la place des habitant·es. Ces dernièr·es sont soit mis·es en scène comme garant·es d’un capital d’authenticité ou bien ils et elles sont purement et simplement invisibilisé·es voire poussé·es à quitter le territoire, celui-ci étant devenu trop cher pour elleux. Cette (non) place des habitant·es dans l’aménagement du territoire montre bien les inégalités entre classes sociales qui se jouent dans la production de cet espace touristique, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres inégalités tels que les rapports de genre, qui n’ont pas été analysés ici.

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Notes

1 Selon le concept développé par Laurent Davezies, l’économie présentielle est une économie basée sur la production de biens et de services pour les personnes présentes dans un territoire donné, incluant les populations temporaires comme les touristes et les résidents secondaires. (Davezies, 2008).

2 Les principaux documents étudiés sont les suivants : le Plan Avenir Montagne 2021, le Schéma interrégional d’aménagement et de développement du massif Pyrénéen, le Contrat de plan interrégional État-Région 2021-2027, le Plan d’adaptation au changement climatique pour le massif des Pyrénées 2024, le Contrat de Destination Pyrénées 2022-2024 et le Plan local d’urbanisme intercommunal et habitat de la Haute-Ariège 2023.

3 https://www.agencedespyrenees.fr/, consulté le 28 novembre 2024.

4 https://ariege.fr/app/uploads/2024/04/2024.03.22-Dossier-de-presse-Departement-Ariege-syndicat-de-montagne.pdf, consulté le 28 novembre 2024.

5 Dis-leurs.fr, 25 mars 2024, « Économie : L’Ariège veut transformer ses huit stations de ski en “stations de montagne” ». En ligne : https://dis-leur.fr/economie-lariege-veut-transformer-ses-huit-stations-de-ski-en-stations-de-montagne/, consulté le 28 novembre 2024.

6 https://ete.ax.ski/fr, consulté le 28 novembre 2024.

7 https://www.mairie-ax.fr/mairie/les-projets/chateau-villemur, consulté le 28 novembre 2024.

8 Créée en 2021 et dédiée au développement de l’immobilier touristique du massif, la Foncière des Pyrénées est une filiale de l’Agence régionale aménagement construction Occitanie et de la Compagnie des Pyrénées qui gère plusieurs stations et sites touristiques pyrénéens.

9 https://www.arac-occitanie.fr/actualites/objectif-pyrenees/, consulté le 28 novembre 2024.

10 http://www.mairie-ax.fr/mairie/les-projets/plans-d-actions-rn20, consulté le 28 novembre 2024.

11 https://ete.ax.ski/fr/, consulté le 28 novembre 2024.

12 Voir par exemple la récente marque territoriale Pyrénées qui se veut porter une vision des Pyrénées comme « […] une alternative aux impasses écologiques, économiques et sociales du monde incarnée par l’hospitalité pyrénéenne ». En ligne : https://marque-pyrenees.fr/, consulté le 28 novembre 2024.

13 https://vous-venez-quand.com/, consulté le 28 novembre 2024.

14 https://www.azinat.com/2020/12/api-et-aaa-un-partenariat-pour-accueillir-de-nouvelles-populations/, consulté le 28 novembre 2024.

15 « Le nouveau zonage en aires d’attraction des villes », INSEE, 2021. En ligne : https://www.insee.fr/fr/information/4808607, consulté le 28 novembre 2024.

16 Un exemple intéressant, qui ne concerne pas directement le secteur touristique mais les travailleureuses saisonniè·res de montagne, est la création récente du Syndicat des gardien·es de troupeaux. Voir à ce propos : https://revuenunatak.noblogs.org/files/2024/02/Nunatak-9-janvier-2024.pdf, consulté le 5 décembre 2024.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : les vallées d’Ax en Haute-Ariège
Crédits Réalisation : Emma Bardou
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/13309/img-1.png
Fichier image/png, 266k
Titre Figure 3 : Construction du nouveau complexe hôtelier à Ax-les-Thermes
Crédits Source : Emma Bardou (22/03/2023)
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/13309/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 273k
Titre Figure 4 : Rénovation des allées Paul Salette, centre-ville d’Ax-les-Thermes
Crédits Source : Emma Bardou (22/03/2023)
URL http://journals.openedition.org/rga/docannexe/image/13309/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 233k
Titre Figure 6 : Visuels de la campagne de communication « Libres comme l’air »
Crédits Source : https://www.pro-ariegepyrenees.com/​, consulté le 28 novembre 2024.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Emma Bardou et Jérôme Pelenc, « De l’espace conçu à l’espace vécu : à qui profite la « transition » des territoires touristiques pyrénéens ? Le cas des vallées d’Ax en Haute-Ariège »Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 112-3 | 2024, mis en ligne le 30 janvier 2025, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/rga/13309 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139to

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Auteurs

Emma Bardou

Doctorante en géographie, Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST) – Dynamiques Rurales, Université Toulouse 2 Jean Jaurès.
emma.bardou@univ-tlse2.fr

Jérôme Pelenc

Maître de conférences au département Sciences économiques et gestion de l’Université Toulouse 2 Jean-Jaurès, docteur en géographie, chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST) - Dynamiques Rurales.
jerome.pelenc@univ-tlse2.fr

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