Ce travail a été réalisé avec le soutien financier du MTEECPR et du MASAF. Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des contributeurs à la BD-RTM, incluant les personnels techniques RTM qui assurent la saisie, l’administratrice de la BD-RTM depuis les années 2000 et le prestataire de sa maintenance, et, plus largement, toutes les personnes/services/institutions ayant contribué à la collecte des données sur le terrain mais également à leur archivage. Le développement de la BD-RTM et la saisie des données sont financées par le MASAF et par le MTEECPR. Aujourd’hui, la BD-RTM est accessible aux externes par le lien suivant : https://geo-onf.opendata.arcgis.com/maps/760c436f2736431fb0cae21c14c7414b/about. Cette plateforme est amenée à évoluer, pour plus de renseignements : admin.bdrtm[at]onf.fr. Les auteurs tiennent à remercier également les relecteurs pour leurs remarques constructives. F. Giacona et N. Eckert sont membres du Grenoble Risk Institute https://risk.univ-grenoble-alpes.fr/fr. IGE est membre de l’OSUG.
- 1 Cet article emploie la terminologie spécifique au service de Restauration des terrains de montagne (...)
1Dans les territoires de montagne, du fait de conditions topographiques et climatiques favorables, les avalanches, les glissements de terrain, les crues torrentielles ou encore les chutes de blocs peuvent être à l’origine de nombreux dégâts matériels et causer parfois des pertes humaines (Ancey, 1996 ; Dussauge-Peisser et al., 2002 ; Chambon et al., 2013 ; Cerema, 2014). La mise en place d’une gestion des risques associés adaptée et efficace nécessite la caractérisation dans l’espace et dans le temps (1) de l’aléa naturel, exprimé par la recherche d’un trio magnitude/intensité/fréquence (Thouret et D’Ercole, 1996) et (2) de la vulnérabilité, exprimée notamment par le potentiel de dommages sur les enjeux exposés (Leone et al., 2011 ; Favier et al., 2014), de même que par l’analyse de l’ensemble des dynamiques spatio-temporelles complexes à l’origine des risques : représentations des risques, rapports aux risques, etc. La documentation des risques et de leurs composantes naturelles et sociales à l’échelle du territoire considéré sur une période suffisamment longue est ainsi incontournable. Pour cela, la compilation de séries de données sur les phénomènes observés et leurs impacts issues d’approches géohistoriques apparaît comme un instrument indispensable (Giacona et al., 2019a). Ces séries sont souvent issues de recherches en archives pouvant être d’origines différentes (archives administratives, privées, religieuses, etc.) et de formats variés (numériques, écrits, photographies, etc.) qui renseignent sur des « événements1 » au sens de phénomènes naturels et/ou climatiques ayant été relatés et dont on a conservé la trace (Giacona et al., 2019a).
2Afin de capitaliser ces données d’événements dans un cadre organisé et de pouvoir les exploiter du mieux possible, différentes bases de données ont été créées. Par exemple, la base de données mondiale DesInventar, initiée par le réseau de l’information sur les catastrophes pour l’Amérique latine et les Caraïbes (LA RED), compile des renseignements sur les aléas naturels (crues, glissements de terrain mais aussi cyclones, tsunamis, etc.). Pour différents pays, cette base de données recense les pertes humaines et/ou matérielles causées par les événements (UNDRR, 2019). De même, la base de données italienne SICI (Information System on Hydrological and Geomorphological Catastrophes) créée en 1999, rassemble différents inventaires notamment AVI (Damaged Urban Areas) regroupant les événements de glissements de terrain et d’inondations pour l’ensemble du territoire italien de 1900 à aujourd’hui (Guzzetti et al., 1994 ; Guzzetti et Tonelli, 2004). La base de données chutes de blocs du Parc national de Yosemite, aux États-Unis, initiée par l’USGS (U.S. Geological Survey) et NPS (National Park Service), offre un inventaire historique des événements s’étant produits au sein du parc national. Cette base de données résulte d’une compilation de sources historiques publiées ou non publiées (archives, témoignages, photographies), d’observations et d’entretiens retraçant les événements de 1857 à aujourd’hui (Guzzetti et al., 2003 ; Stock et al., 2013). La base de données WISL (Würzburg Information System on Landslides) recense les glissements de terrain couvrant les principaux territoires allemands sujets à cet aléa (Damm et Klose, 2015 ; Kreuzer et al., 2017 ; Jäger et al., 2018). Citons également la base de données « Swiss Flood and Landslide damage database » du « Swiss Federal Institute for Forest, Snow and Landscape Research » (Hilker et al., 2009), la base de données autrichienne « Austrian Service for Torrent and Avalanche Control » (Perzl et al., 2019) ou encore la « National Landslide Database of Great Britain » développée par le BGS (British Geological Survey) (Foster et al., 2012 ; Pennington et al., 2015). Bien d’autres bases de données de ce type existent qu’elles soient administrées et maintenues en continu ou seulement le résultat de travaux de recherche conduits pour un temps donné.
3En France, des inventaires sur les phénomènes naturels potentiellement dommageables pour la société existent également. Parmi eux, la BDHI, créée en 2013 et financée par le ministère de l’Environnement, recense les grandes inondations à l’échelle nationale, métropolitaine et outre-mer (Lang et al., 2016). La base de données ORRION résulte d’un observatoire régional participatif du risque d’inondation dans la région alsacienne (Giacona et al., 2019b). La base de données HistRhone, débutée en 2011, propose un inventaire historique des événements hydrologiques dans la vallée du Rhône (CEREGE-SIGéo, 2018). Les risques hydrologiques sont ainsi bien documentés. Toutefois, c’est surtout le cas sur les grands cours d’eau, beaucoup moins sur les torrents de montagne plus modestes, pourtant eux aussi souvent destructeurs, comme en témoignent les conséquences récentes de la tempête Alex dans l’arrière-pays niçois (Liébault et al., 2024). Les événements d’avalanches sont répertoriés au sein de l’Enquête permanente des avalanches (EPA-INRAE, aidée par les services RTM) sur un ensemble de couloirs pré-identifiés et retenus (Bourova et al., 2016). Initiée à la fin du xixe siècle en Savoie par l’administration des Eaux et Forêts avec le système général d’observation des avalanches, sa longue série temporelle d’observations, ses mises à jour régulières et son environnement informatique avancé sont des atouts forts. Pour les aléas gravitaires, la base de données Mouvements de terrain (BDMvT-BRGM) a vocation à recenser les phénomènes naturels tels que les glissements de terrain, les chutes de blocs et éboulements, les coulées de boue, les effondrements et affaissements ou encore les érosions de berges (Rivera et al., 2021), et cela à l’échelle nationale (Métropole et Outre-Mer). Enfin, la base de données C2ROP_INRAE constituée dans le cadre du Projet national C2ROP rassemble les événements liés aux risques rocheux à l’échelle des six départements des Alpes françaises (Eckert et al., 2020). L’inventaire a été constitué à partir de la compilation et de l’homogénéisation des inventaires préexistants (Conseils Départementaux, SNCF, BD-RTM, BDMvT-BRGM, sources plus ponctuelles) dont elle reste ainsi dépendante.
4La quasi-totalité des bases de données précitées sont mono-phénomène, ce qui limite leur potentiel pour la gestion territoriale des risques. En outre, elles sont pour la plupart non spécifiques aux territoires de montagne. Enfin, elles peuvent être décrites comme « aléa-centrées », au sens où elles fournissent peu d’informations précises sur les impacts des événements, et encore moins sur les composantes de vulnérabilité et d’exposition du risque et leurs ressorts sous-jacents. Face à ce constat, l’État français a confié dans les années 1980 une mission originale de recensement et de mise à disposition des informations liées aux événements de risques naturels en montagne au service de Restauration des Terrains de Montagne de l’Office National des Forêts (ONF-RTM). Par son histoire et ses autres missions d’appui à la prévention des risques naturels en montagne, ce service constitue un observateur privilégié de l’occurrence et de l’évolution des risques naturels dans ces territoires depuis la fin du xixe siècle. La BD-RTM est ainsi une base de données spécifique, dont les caractéristiques principales sont :
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La distinction entre zone d’occurrence des phénomènes (sites) et événements ;
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La caractérisation de chaque événement par une date, une localisation et une description des impacts ;
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La couverture d’une échelle temporelle aussi longue que possible par le recensement « systématique » des nouveaux événements et des travaux d’archives réalisés ponctuellement pour documenter les plus anciens ;
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La couverture de l’ensemble des phénomènes naturels potentiellement dommageables spécifiques aux territoires de montagne : principalement avalanches, crues torrentielles, chutes de blocs, glissements de terrain, ravinement et affaissement.
5Depuis le début des années 2000, un cadre formalisé de saisie de ces données vise à garantir l’uniformisation de l’information ainsi que sa mise à disposition au niveau national. En pratique, les phénomènes naturels sont recensés par département par les agents de l’ONF-RTM et décrits selon des caractéristiques qualitatives et quantitatives préalablement structurées. Cependant, la mise en place de cet inventaire s’inscrit dans un cadre spatial et temporel évolutif (un moment, un lieu et une personne donnée) à l’origine de certaines disparités sur son contenu selon les époques et les territoires. L’actualisation de cette base reste donc imparfaite et certaines limites ont déjà été identifiées comme l’étendue temporelle limitée de certaines séries ou l’incertitude dans la localisation de certains événements (Malet et al., 2009 ; Fressard et al., 2013 ; Malet et al., 2013). Ces limites doivent être connues lorsqu’on utilise la donnée. L’analyse de la géochronologie, partie intégrante de la géohistoire, fournit alors un cadre rigoureux d’analyse pour donner du sens à la distribution spatiale et temporelle des événements (Giacona et al., 2019a).
6L’Isère (38) est le département qui recense à ce jour le plus d’événements parmi les 12 couverts par la BD-RTM. À partir de cet exemple, l’objectif de cet article est de présenter les caractéristiques de cette source d’information originale et d’illustrer ainsi ses atouts et ses limites par rapport aux autres inventaires existants pour la documentation et la compréhension des risques en montagne. L’article présente tout d’abord (1) la structure et les informations contenues dans la BD-RTM, puis (2) le contexte historique du recensement des événements par le service ONF-RTM, depuis sa création. (3) Des exemples des informations contenues dans la BD-RTM sont ensuite présentés à l’échelle du département de l’Isère. Enfin, (4) les avantages et les limites de la BD-RTM ainsi que les résultats concernant le département de l’Isère sont discutés.
7L’échelle géographique du département est considérée ici, car il s’agit de l’échelle administrative, historique et actuelle, à laquelle chaque service ONF-RTM est rattaché. Cette échelle est par ailleurs partagée avec d’autres institutions et collectivités restées stables depuis la Révolution française dans leurs limites géographiques : Conseils Départementaux, services déconcentrés de l’État, etc. Parmi les 12 départements des Alpes et des Pyrénées concernés (Alpes : 74, 73, 38, 05, 04, 06 ; Pyrénées : 66, 11, 09, 31, 65, 64), le département de l’Isère (38) a été retenu car il s’agit de celui avec le plus d’événements recensés à ce jour. L’Isère fournit ainsi un échantillon représentatif de 14 % de l’inventaire national des événements, au sein duquel les différents types de phénomènes sont représentés.
8Le département de l’Isère se situe dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, au sud-est de la France (Fig. 1). Celui-ci se compose aujourd’hui de 512 communes, et sa préfecture est Grenoble. Deux zones se distinguent selon la topographie du département. Au nord, le domaine périalpin se caractérise par un relief aux altitudes modestes (200 à 900 m Auteur0000-00-00T00:00:00AAuteur0000-00-00T00:00:00Aa.s.l), constitué géologiquement de molasse tertiaire (poudingues, grès, sables, argiles) et de calcaires jurassiques. Au sud, la zone alpine est, à l’inverse, marquée par des reliefs élevés (500 à 4000 m a.s.l) constitués de massifs cristallins (Belledonne, Grandes Rousses, Écrins) et sédimentaires (Vercors, Chartreuse : calcaires et marnes). Cette différence topographique au sein du département génère une différence dans les phénomènes naturels relevés (Fig. 8). Le service ONF-RTM intervient sur l’ensemble du département bien que les problématiques et les réponses à apporter soient différentes en fonction des secteurs concernés.
Figure 1. Représentation géographique du département de l’Isère (38), indiquant les massifs montagneux en orange
Source : IGN
9Le département de l’Isère est soumis à plusieurs influences climatiques : majoritairement océanique (flux d’Ouest) avec des incursions méditerranéennes pour la partie centre-ouest du territoire et montagnardes pour la partie alpine, avec une tendance nivale marquée pour les hauts massifs. De fortes variations de température sont notables entre les saisons et à l’échelle locale du fait des reliefs marqués. Le département de l’Isère est notamment caractérisé par des précipitations moyennes importantes (1000 mm/an) manifestées par des chutes de neige dans les zones montagneuses durant une large partie de l’année. Par son orographie ainsi que son climat, le département rassemble des critères propices aux déclenchement de phénomènes tels que les avalanches, les chutes de blocs, les crues torrentielles, les glissements de terrain ou encore les ruissellements de versant.
10La BD-RTM est une base de données événementielle. Elle a été développée dans un environnement libre, sous le système de gestion « PostgreSQL » et est hébergée sur un serveur du Data Center de l’ONF à Toulouse. Au sein de la BD-RTM, un événement est défini comme étant la manifestation d’un phénomène naturel, à une date et à un endroit donné et dont l’information a été recensée dans la base de données. Chaque événement est doté d’un code phénomène déterminant la nature physique du phénomène naturel. La BD-RTM recense six principaux types de phénomènes naturels : les avalanches (A), les ravinements (E), les affaissements (F), les glissements de terrain (G), les chutes de blocs (P) et les crues torrentielles (T). Toutefois, la base de données offre également la possibilité d’inventorier d’autres types de phénomènes tels que des séismes, des incendies ou encore des inondations.
11Un événement est obligatoirement rattaché à un site, c’est-à-dire une entité géographique choisie librement par l’opérateur du service ONF-RTM concerné. Chaque site est identifié par un nom, un identifiant et un code phénomène. Un site correspond à un seul type de phénomène naturel. Chaque événement est relié à un unique site, mais également à une commune et à un département (Fig. 2).
12Pour chaque événement, les impacts sont systématiquement recensés selon différents indicateurs permettant leur description, tels que les victimes (nombre de morts et/ou de blessés), les dégâts (endommagements directs sur les biens : habitations, routes, ponts, végétation, etc.) et les perturbations (endommagements indirects : coupures des réseaux, fermetures temporaires et/ou définitives d’établissements économiques, scolaires, récréatifs, etc.). Au sein de la structure de la BD-RTM, les impacts sont rattachés à un événement, aux communes et aux zones d’enjeux qui ont été impactées. Il n’y a donc pas de lien direct entre les impacts et les sites, sauf en passant par les zones d’enjeux (Fig. 2).
13L’alimentation et la saisie des événements reposent aujourd’hui sur les agents de l’ONF-RTM ainsi que sur un réseau d’administrateurs départementaux et nationaux. Dans chaque service, un gestionnaire de la base de données ainsi qu’un référent thématique événement sont nommés, permettant d’assurer la cohérence et la diffusion des données (Tab. 1).
14Plus particulièrement, au sein du service ONF-RTM de l’Isère, les événements peuvent être relevés par n’importe quel agent du service présent sur le terrain ou responsable d’un secteur donné. Les événements sont soumis à la validation du référent thématique départemental, en charge du passage au statut « validé et diffusé » dans la base de données.
Tableau 1. Répartition des différents rôles concernant la gestion et les droits liés à la BD-RTM au sein des services départementaux RTM, regroupés en trois Agences : l’Agence Alpes du Nord pour les départements 73, 74 et 38 ; l’Agence Alpes du Sud pour les départements 04, 05, 06 et l’Agence Pyrénées pour les départements 09, 11, 31, 64, 65 et 66
Figure 2.
a) Structure de la BD-RTM. Chaque variable a un sens de dépendance directe envers une autre. Ainsi, un événement est toujours rattaché à un site au sein de la BD-RTM. Toutefois, la variable « Impact » est liée à plusieurs entités ; elle dépend directement d’un événement, mais également d’une zone d’enjeux ainsi que d’une commune.
b) Interface de la BD-RTM : à droite, la fiche événement d’une crue torrentielle à Claix le 31/07/2021 et à gauche, une carte interactive montrant le site (en jaune) et le tracé de l’événement (en rouge)
15Afin d’illustrer l’origine de la donnée dans le temps, un état de l’art a été élaboré, notamment à travers une recherche bibliographique, la consultation d’archives du service ONF-RTM 38 et la réalisation d’entretiens auprès de personnes ressources ayant participé à la création de la BD-RTM et/ou contribuant à son alimentation. L’ensemble de ces ressources concerne à la fois l’échelle nationale et départementale. En effet, le contexte national doit être abordé pour comprendre les évolutions au sein du service ONF-RTM de l’Isère. Cet état de l’art a permis de mettre en avant des indicateurs pertinents pour représenter l’évolution de la prise en compte de la connaissance du risque dans le temps et la manière de structurer cette connaissance. Parmi les indicateurs étudiés se trouvent notamment l’évolution de la réglementation des risques naturels en France et les évolutions structurelles depuis la fin du xixe siècle au sein de ce qu’est aujourd’hui le service ONF-RTM : création, différentes périodes d’activités, rattachement à différentes structures, missions et moyens mis à disposition (outils et personnels). Cet état de l’art et les indicateurs ont été synthétisés au sein d’une frise chronologique (Fig. 3).
16Pour cette étude, une extraction de la BD-RTM a été réalisée au 31/12/2023, à l’échelle du département de l’Isère. Pour les besoins de l’article, différentes variables ont été sélectionnées (Tab. 2).
Tableau 2. Champs renseignés dans la BD-RTM et utilisés dans cette étude. Le descripteur « Impacts » combine différents champs descriptifs des dommages constatés lors de l’événement dont les « Dégâts » correspondant aux endommagements directs de l’événement sur des biens matériels, ainsi que les « Perturbations » traitant des endommagements indirects causés par l’événement (coupures temporaires et/ou définitives des infrastructures et des réseaux)
17Les aléas retenus pour la suite des analyses sont les six principaux de la BD-RTM : avalanches, glissements de terrain, crues torrentielles, chutes de blocs, ravinements et affaissements. Ces aléas représentent ceux pour lesquels le service ONF-RTM est missionné par le ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques (MTEECPR). Pour les inondations, les incendies ou encore les séismes, leur recensement n’étant pas assez exhaustif dans la BD-RTM, ils n’ont pas été pris en compte pour l’ensemble des analyses de cette étude. Également, seuls les événements ayant le statut « validé et diffusé », c’est-à-dire validé par le référent thématique et diffusé au public, ont été retenus.
18La représentation cartographique des événements a été réalisée à l’échelle des sites. Afin de faciliter la visualisation, chaque site est représenté par son centroïde. À partir des dates connues des événements, des chronologies par année (du 01/01 au 31/12) ont été construites. Ces séries temporelles présentées dans l’article débutent en 1860, date de la mise en place des premières politiques relatives à la RTM au sein de l’administration des Eaux et Forêts (loi du 28/07/1860 sur le reboisement des montagnes, abrogée par la loi du 04/04/1882 sur la restauration et la conservation des terrains en montagne). À partir des lois de 1860, les personnels RTM sont de plus en plus présents et entament une période forte en acquisition de terrains, de travaux et d’études (Fig. 3d).
19Le recensement des événements et l’enrichissement de la BD-RTM s’effectuent de deux manières. D’une part, par une alimentation directe des agents RTM (sur le terrain) et d’autre part, par une recherche a posteriori dans les archives, nécessaire à la réalisation de documents et d’études (plan de prévention des risques, carte d’aléas communale, programme d’action de prévention des inondations, étude de bassin de risques, etc.) (Fig. 3e). Ces recherches historiques font l’objet de missions ponctuelles au gré des études.
20En ce qui concerne le département de l’Isère, la très grande majorité des événements anciens répertoriés dans la BD-RTM provient de travaux de recherche réalisés lors d’une mission spécifique dans les archives du service et les archives départementales de l’Isère durant les années 1990 (Fig. 3e). Ce travail de recherche a permis de consulter les principales sources documentaires disponibles :
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Les fonds anciens des Ponts et Chaussées, des services forestiers du xviiie siècle ou encore des services vicinaux (de nombreux témoignages d’événements ayant impacté les routes) des archives départementales de l’Isère ;
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Les ouvrages historiques de référence : Les inondations en France du VIe siècle à nos jours de Maurice Champion (1864), La restauration des Alpes de Paul Mougin (1931), les nombreux articles et comptes-rendus de Maurice Pardé (1925-1968) tels que ceux de 1929, 1937 et 1941.
21Les recherches historiques ont été enrichies, de manière plus sporadique, jusqu’au début des années 2000 au gré des travaux et études qui ont permis de collecter d’anciens événements décrits dans les archives internes du service ONF-RTM de l’Isère, en particulier les dossiers d’acquisition des forêts domaniales (1880-1975) et le fond photographique ancien (1880-1955).
22En parallèle à ce travail interne au service ONF-RTM, et ce depuis le début des années 1970, la politique nationale de prévention des risques a entraîné un programme de réalisation de cartographies des aléas et des risques. C’est à partir de 1980 que se met en place, en Isère, une organisation technique de cartographie, pilotée par le service ONF-RTM, sous l’autorité administrative du Préfet et de ses services (DDE, DDAF). Cette politique a évolué au gré des lois (PER en 1982, PPR en 1995) et des réformes de l’organisation de l’État (DDT en 2009), sans que les objectifs en soient modifiés jusqu’à aujourd’hui. Dans ce cadre, des enquêtes de terrain sont menées afin de collecter les données sur les phénomènes historiques du territoire étudié, en général auprès de la commune et de ses élus, des habitants et des sachants locaux. Ce travail de longue haleine, mené par les personnels de l’ONF-RTM et par des bureaux d’études spécialisés, a permis et permet encore d’enrichir les événements recensés dans la BD-RTM ainsi que la base de données elle-même.
23Enfin, depuis les années 1980, une augmentation de l’effectif national des services de l’ONF-RTM est notable (Fig. 3f). En outre, on remarque un changement dans les métiers qui y prédominent : l’appui technique et administratif a été réduit en passant de 38 employés en 1960 à 17 en 2013, laissant place à plus de spécialistes techniques (ingénieurs, géologues, hydrauliciens), absents en 1960 et au nombre de 49 en 2013. Ces spécialistes apportent aujourd’hui une expertise critique des phénomènes et améliorent la qualité des informations saisies dans la base de données. Le reste du corpus est constitué d’encadrants et de techniciens.
24La première base de données RTM, appelée BD Risques, a été créée en 1980 (Fig. 3e). Elle avait pour objectif de rassembler l’information concernant les événements marquants, à l’échelle départementale, permettant ainsi de communiquer sur les risques naturels et de réaliser des documents de prévention. À ce moment-là, la base de données était implémentée sous mini-informatique. La procédure décrivant par qui et comment la BD Risques était renseignée durant cette période (1980-1999) reste à ce jour non documentée : pas d’administrateur attitré, pas de protocole de saisie fixe et une organisation spécifique à chaque service départemental. À cette même époque, les premières fiches événements apparaissent sous forme de fiches papier : en Isère, elles sont aujourd’hui encore conservées dans les archives du service ONF-RTM.
25De 1999 à 2015, la BD-RTM est rendue accessible sous « Access 97 » (Fig. 3e). En 2001, ce développement et ce déploiement sont commandés et financés par les deux ministères de tutelle de l’ONF-RTM avec deux objectifs : le ministère chargé de l’agriculture pour l’inventaire et le suivi des ouvrages domaniaux RTM, le ministère chargé de l’environnement pour poursuivre la saisie des événements liés aux phénomènes naturels en montagne. Depuis cette date, le service ONF-RTM a mis en place des protocoles fixes et normés au niveau national pour la saisie des événements dans la BD-RTM qui est, dans les faits, constituée de 12 BD-RTM départementales établies selon le même modèle. Jusqu’en 2015, des personnels administratifs spécialisés étaient missionnés à temps plein pour saisir les événements dans la base de données, à partir de fiches événements « informatiques » que les responsables techniques de secteurs et spécialistes remplissaient.
26À partir de 2015, l’unification des différentes BD-RTM départementales se met en place. Elle s’appuie sur la modernisation de l’outil de saisie qui est centralisé dans la plateforme web unique introduite précédemment et accessible à l’ensemble des services (Fig. 3e). Dès lors, la saisie par les personnels techniques est directe, sans passer par des personnels administratifs. Cette uniformisation engendre des difficultés dans l’homogénéité des données avec notamment des problèmes de doublons. Par contre, l’outil devient de plus en plus fluide et complet.
Figure 3. Frise synthétique de l’histoire du service RTM depuis 1860, à l’échelle nationale
Cette frise est découpée en six catégories :
a) évolution de la réglementation des risques naturels,
b) histoire de l’Office National des Forêts (ONF),
c) apparition des lois sur la restauration des terrains en montagne,
d) grandes périodes historiques du service de Restauration des Terrains de Montagne (RTM),
e) création et alimentation de la BD-RTM et
f) évolution de l’effectif au sein des services.
Les informations en bleu concernent des éléments distinctifs propres au département de l’Isère. La zone hachurée correspond, quant à elle, à une période pendant laquelle le RTM mène des missions ponctuelles de recherches historiques pour réaliser des Plans de Prévention des Risques (PPR) ou autres études similaires. Les informations sont issues de : Carladous et al., 2016 ; Besson, 1996 ; Brugnot et Cassayre, 2002 ; Métailié, 1988. Autres abréviations utilisées : Enquête permanente sur les Avalanches (EPA), Carte de localisation des phénomènes d’avalanche (CLPA), Plan de zone à risques naturels (PZRN), Plans d’exposition aux risques naturels prévisibles (PER), État de catastrophes naturelles (CATNAT), Plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN).
27Au 31/12/2023, la BD-RTM recense 5888 événements validés et diffusés en Isère pour les phénomènes naturels retenus dans les illustrations suivantes (Tab. 3).
28Pour 98,5 % de ces événements, l’année d’occurrence est connue et inscrite dans la BD-RTM. Une date précise indiquant le jour exact de survenue de l’événement est disponible pour 59 % des événements, et le mois d’occurrence est connu pour 75 % des événements. En Isère, l’événement le plus ancien date de 1132. 13 % des événements sont antérieurs à 1900 et 87 % des événements sont datés entre 1900 et 2023 (Fig. 4). La chronologie par siècle montre que le xixe siècle représente seulement 5,5 % de la chronologie totale. Il se dissocie nettement du xxe siècle, recensant 51 % des événements (3030 événements) et du xxie siècle, dénombrant 36 % des événements.
Figure 4. Répartition chronologique du nombre total d’événements dans la BD-RTM dans le département de l’Isère à partir de 1860, nombres d’événements annuels bruts et moyenne glissante sur 15 ans (en noir). Export du 31/12/2023.
29La chronologie montre ainsi une tendance à l’augmentation du nombre d’événements recensés. En effet, de 1860 à 1999, on recense en moyenne 25 événements chaque année tandis que depuis 2000, près de 85 événements sont répertoriés chaque année (Fig. 4).
30Si l’on s’intéresse à la saisonnalité des événements, les mois de janvier (542 événements), juin (525 événements) et juillet (491 événements) sont les mois où l’occurrence des événements recensés est la plus forte (Fig. 5). Ces trois mois totalisent à eux seuls 35 % des événements pour lesquels le mois d’occurrence est connu.
31Des séries temporelles ont été réalisées indépendamment pour les quatre principaux phénomènes (avalanche, glissement de terrain, chute de blocs et crue torrentielle ; Fig. 6).
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Le phénomène de crue torrentielle est celui pour lequel le plus d’événements sont recensés en Isère, avec un total de 2808 événements : 1195 événements (43 %) entre 1219 et 1980 et 1613 événements (57 %) entre 1980 et 2023 (Fig. 6d). Depuis 1980, en moyenne 35 événements sont recensés chaque année. Les mois de juillet (382 événements), de juin (346 événements), d’août (293 événements) et d’octobre (216 événements) totalisent 44 % des événements de crue torrentielle (Fig. 5).
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Le phénomène glissement de terrain est le deuxième le plus représenté en Isère, avec 1239 événements (Tab. 3). 80 % des événements ont été recensés entre 1980 et 2023 (Fig. 6 b). Le mois de janvier est, de manière nette, celui où l’on en recense le plus (17 %) (Fig. 5).
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Le phénomène chute de blocs dénombre quant à lui 853 événements (Tab. 3). Près de 66 % d’entre eux ont été recensés entre 1980 et 2023, avec en moyenne 12 chutes de blocs par an (Fig. 6c). Sur cette même période, aucune tendance ne se dégage en termes de saisonnalité.
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Le phénomène avalanche dénombre un total de 684 événements dont 58 % sont antérieurs à 1980. Ce phénomène est le seul qui présente un nombre d’événements recensés moins important sur la période récente (1980-2023, Fig. 6a). Les avalanches recensées se produisent principalement au mois de janvier et février (45 % des événements) (Fig. 5).
Figure 5. Répartition saisonnière par phénomène naturel des événements recensés dans la BD-RTM dans le département de l’Isère. 25 % des événements présents dans la base de données n’ont pas de renseignements sur le mois de déclenchement de l’événement. Ils ne sont donc pas représentés sur cette figure. Export du 31/12/2023.
Tableau 3. Nombre total et pourcentage des événements dans le département de l’Isère pour les phénomènes recensés dans la BD-RTM. Export du 31/12/2023
Phénomène
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Nombre d’évènements
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Proportion (%)
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Avalanche
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684
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12 %
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Glissement de terrain
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1239
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21 %
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Chute de blocs
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853
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14 %
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Crue torrentielle
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2808
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48 %
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Affaissement
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71
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1 %
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Ravinement
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233
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4 %
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Total
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5888
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100 %
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Figure 6. Répartition chronologique des événements de la BD-RTM dans le département de l’Isère à partir de 1860, pour les quatre principaux phénomènes (Avalanche [a], Glissement de terrain [b], Chute de blocs [c], Crue torrentielle [d]), nombres d’événements annuels bruts et moyenne glissante sur 15 ans (en noir). En bleu, les événements qui ont causé un impact, c’est-à-dire un dégât (endommagement direct), une perturbation (endommagement indirect) ou ayant fait des victimes. En rouge, les événements n’ayant pas causé d’impacts. Export du 31/12/2023
32La BD-RTM renseigne également sur les impacts causés par les événements. En regroupant les dégâts, les perturbations et les victimes, on dénombre 5040 événements ayant eu des impacts (dégâts et/ou perturbations et/ou victimes), soit 85 % de l’ensemble des événements. La chronologie montre des disparités selon les phénomènes (Fig. 6). En effet, les avalanches (508 événements) et les chutes de blocs (697 événements) sont, en proportion, les phénomènes recensant le moins d’événements avec impacts (Fig. 6a.c). Toutefois, si seulement 149 événements au total ont fait au moins une victime, 49 % de ces événements sont des avalanches (Fig. 7). À l’inverse, les glissements de terrain et les crues torrentielles sont les phénomènes comptant le plus d’événements causant des dégâts et des perturbations (Fig. 6b.d, Fig. 7). En effet, le phénomène de crues torrentielles représente 50 % des événements causant des impacts (2542 événements). La moyenne des impacts des événements est en constante augmentation à partir de 1980. L’année 2018 se démarque par un fort pic, où 91 événements ont causé des impacts en Isère (sur 110 événements cette année-là) liés à la tempête Eleanor en janvier 2018 (Fig. 6d). Quant aux glissements de terrain, 1030 événements causant des impacts ont été recensés, représentant 20 % des événements à impact (Fig. 7). La moyenne des impacts liés aux glissements de terrain suit la même tendance que pour les crues torrentielles, avec une forte augmentation à partir de 1980 (Fig. 6 b.).
Figure 7. Distribution des événements selon le type d’impact causé et répartition par phénomènes naturels. 4404 événements ont causé un dégât (75 % des événements totaux), 3082 événements ont causé une perturbation (52 % des événements) et 149 événements ont fait au moins une victime, représentant seulement 2 % de la chronologie globale
33À l’échelle de l’Isère, les événements ont été recensés sur 2082 sites (Fig. 8). On dénombre 259 sites d’avalanche, 268 sites de chute de blocs, 641 sites de crue torrentielle et 473 sites de glissement de terrain. Le site sur lequel le plus d’événements ont été inventoriés correspond au site torrentiel du « Manival Amont » (52 événements) situé sur les communes de Saint-Ismier et Saint-Nazaire-les-Eymes. Trois autres sites ont atteint le seuil de 40 événements et tous correspondent à des sites de crues torrentielles : le site « Merdaret » avec 47 événements (commune de Chantelouve), le site « Pâles » avec 45 événements (commune de Chantelouve) et le site « Romanche Bourg d’Oisans » avec 45 événements (commune du Bourg d’Oisans). Près de 81 % des sites recensent moins de 10 événements ; en outre 867 sites ne recensent qu’un événement. Seulement 3 % des sites recensent entre 10 et 40 événements. Pour 89 % des événements, le site associé est renseigné dans la BD-RTM. Les 10 % d’événements restants (593 événements), n’ayant pas d’informations précises sur leur localisation, n’ont pas été rattachés à un site mais au territoire communal. Ceux-ci correspondent, pour la majorité, à des événements anciens saisis à partir d’une recherche historique.
34La répartition spatiale des événements en Isère montre une concentration des événements dans la partie sud du département, où le relief est important (Fig. 8). Plus précisément, c’est le long des vallées, où les enjeux liés à l’anthropisation sont importants, que les événements sont particulièrement recensés. On distingue notamment la vallée du Drac et la vallée de l’Isère (Fig. 1, Fig. 8).
35La majorité des événements d’avalanches se situent sur les massifs de l’Oisans et des Grandes-Rousses, tandis que les crues torrentielles, les chutes de blocs et les glissements de terrain sont répartis de manière plus homogène sur l’ensemble du département (Fig. 1, Fig. 8).
Figure 8. Représentation spatiale du nombre d’événements par site, enregistrés dans la BD-RTM pour le département de l’Isère au 31/12/2023. Chaque site est représenté sur la figure par un point matérialisant le centroïde du site. Les événements n’étant pas rattachés à un site précis ont été représentés par un point au centroïde de la commune impactée. Les sites les plus actifs sont identifiés par des flèches noires
36Cet article permet de retracer l’origine de la donnée actuellement consignée dans la BD-RTM de l’Isère et les processus de saisie des événements l’ayant générée. L’évolution des politiques de prévention des risques, et de l’organisation structurelle et du fonctionnement du service ONF-RTM peut être une hypothèse valable pour expliquer en premier lieu la distribution des événements qui a été observée et analysée dans cet article, en particulier du point de vue temporel et spatial. En effet, la chronologie des différents phénomènes montre une forte tendance à l’augmentation dès les années 1980 pour les crues torrentielles, les glissements de terrain, ainsi que les chutes de blocs (Fig. 6). Cette hausse peut s’expliquer avec l’apparition des premières fiches événements manuscrites, mais aussi par le fait que les phénomènes sont recensés lorsqu’il existe un enjeu ou un risque d’impact sur un enjeu. En effet, durant cette période, il y a eu une volonté de perfectionner la connaissance du risque en documentant et en communiquant sur l’existence des phénomènes naturels tout en gardant une trace écrite. Ce type d’évolution, fortement contrainte par les sources, est assez commun dans les bases de données dédiées aux risques naturels, en particulier lorsqu’elles incluent des sources d’origine variée (Giacona et al., 2017 ; 2021).
37Par ailleurs, d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer la distribution spatio-temporelle des événements tels que l’évolution des enjeux et du risque induit. En effet, le département de l’Isère connaît depuis le xixe siècle, une forte évolution des enjeux anthropiques : augmentation de la démographie, mais également accroissement du tissu urbain et développement des axes routiers. Les événements en Isère se concentrent majoritairement dans le sud du département, où le relief est important, mais également dans les vallées où les enjeux anthropiques sont nombreux (Fig. 8). Les zones montagneuses s’anthropisent et accueillent de nouveaux loisirs. Du fait de cette évolution des territoires, la vulnérabilité face aux phénomènes naturels s’amplifie. Aujourd’hui, de nombreux événements sont relevés en raison des risques d’impacts sur un enjeu et des dégâts déclarés, expliquant ainsi que 85 % des événements recensés en Isère dans la BD-RTM ont causé des impacts. Cette relation forte entre bases de données événementielles et enjeux/vulnérabilité est également relativement classique (Favier et Granet-Abisset, 2000 ; Giacona et al., 2019a).
38De même, la localisation et la saisonnalité préférentielle des événements découlent directement de celle des phénomènes (avalanches en zone de relief/altitude et en saison hivernale, par exemple). Toutefois, des modifications de saisonnalité et/ou de localisation préférentielle et de typologie des événements sont de mieux en mieux documentées et/ou attendues avec le changement climatique (p. ex. Eckert et al., 2024 ; Jacquemart et al., 2024). Des événements majeurs causant d’importantes conséquences sur les populations et infrastructures semblent survenir de plus en plus fréquemment, ou en tout cas sur des sites où ils n’étaient pas attendus. Par exemple, un événement majeur a marqué le mois de juin 2024 en Isère : une crue torrentielle au hameau de La Bérarde (Écrins, France) le 21 juin 2024, qui a eu pour conséquence d’importants dégâts, dont la destruction de certaines habitations et l’évacuation de l’ensemble des habitants du village (114 personnes). De tels événements, même s’ils sont difficiles à attribuer formellement au changement climatique et qu’il faut rester très prudent quant à une augmentation généralisée des aléas naturels, viennent alerter sur leurs conséquences croissantes. L’information de la BD-RTM peut à ce titre constituer une information précieuse pour caractériser les évolutions en cours.
39Enfin, l’analyse a été conduite pour un service ONF-RTM spécifique, celui de l’Isère. Certains facteurs et tendances tels que la saisonnalité de certains phénomènes, leur relation à la géologie et à la topographie ou encore l’évolution du nombre d’événements liés à l’histoire nationale du RTM ne sont pas spécifiques au contexte isérois. D’autres éléments sont néanmoins plus spécifiques au contexte local comme la conduite de recherches en archives importantes au cours des années 1990. L’analyse et l’extrapolation des résultats obtenus nécessitent donc de considérer à la fois des facteurs locaux et nationaux, et l’étude mériterait d’être reconduite dans d’autres départements, voire généralisée à l’échelle de l’ensemble de la base.
40Retracer l’origine de la donnée est indispensable pour comprendre les temporalités et les dynamiques des risques et des aléas. Pour approfondir les analyses et employer au mieux la donnée, un travail de contextualisation socio-historique des données événementielles est donc un prérequis. Giacona et al. (2019a) proposent une méthodologie qui se décompose en quatre points : (1) constitution d’un inventaire d’événements (création d’une géochronologie), (2) contextualisation socio-historique et biophysique de l’inventaire d’événements, (3) mise en correspondance avec une analyse de la distribution spatio-temporelle des événements et enfin, (4) hiérarchisation des facteurs de contrôle. Cette démarche devrait à présent être déclinée dans sa totalité sur les événements isérois afin de caractériser et comprendre les évolutions des risques en montagne en Isère.
41À ce stade nous nous sommes contentés d’une partie très restreinte de ce travail, à savoir une description de la donnée et de premières analyses des facteurs à son origine. La perspective devrait à présent être élargie à la documentation systématique des facteurs de contexte et des différentes composantes du risque. En particulier, bien qu’incluant des informations sur les impacts, la BD-RTM reste, de par sa construction et son histoire, principalement construite autour de l’occurrence des aléas. Parvenir à la compréhension des évolutions des risques nécessiterait à présent d’intégrer l’information dans une analyse bien plus systémique incluant notamment l’analyse des rapports au risque, dont les procédures de gestion et les interactions complexes entre risques et gestion des risques, par exemple.
42La BD-RTM est le fruit de l’histoire particulière du service ONF-RTM, expliquant les données que l’on y trouve et ses nombreux avantages. Premièrement, cette base de données est multi-phénomènes : c’est aujourd’hui la seule base de données française recensant les événements pour les différents types de phénomènes naturels spécifiques aux territoires de montagne. Deuxièmement, elle possède une large temporalité : les événements les plus anciens en Isère dans la base de données datent de 1132. Certes, ces événements très anciens sont peu nombreux et ponctuels, mais 13 % des événements recensés sont tout de même antérieurs à 1900. Troisièmement, le recensement des événements dans la BD-RTM se fait à une échelle spatiale fine permettant de les localiser en les associant à des zones à risques : couloir d’avalanche, torrent, bassin versant, etc., ce qui n’est pas toujours le cas des autres bases de données françaises. Quatrièmement, la BD-RTM est constamment mise à jour : il est possible de l’alimenter par des recherches historiques (observation a posteriori) en parallèle de l’observation directe (bancarisation des nouveaux événements). Cinquièmement, la BD-RTM renseigne un grand nombre d’informations pour les événements, incluant les dommages que les phénomènes ont pu causer. Enfin, la BD-RTM a pour avantage de suivre des protocoles de saisies stricts et faiblement modifiés au cours du temps, tout au moins depuis le début des années 2000.
43Néanmoins, le contexte particulier de la BD-RTM conduit aussi à des faiblesses. Premièrement, l’information est issue de sources hétérogènes dans le temps. L’article traite du cas spécifique de l’Isère, mais des disparités dans les informations existent entre les départements jusque dans les années 2000 a minima. Deuxièmement, son objectif d’observatoire des risques naturels en montagne peut être considéré comme non totalement atteint. En effet, d’autres phénomènes peuvent affecter les zones montagneuses (feux de forêt, séismes). Par effet cascade, ces derniers peuvent d’ailleurs être à l’origine d’événements d’avalanches, de chutes de blocs, etc. Par sa structure, la BD-RTM pourrait être élargie pour renforcer son rôle d’observatoire territorial mais les services ONF-RTM ne sont pas missionnés expressément pour cela et d’autres bases de données existent déjà : PROMETHEE pour les feux de forêt, SISFrance pour les séismes. Une réflexion devrait sans doute plutôt être engagée pour faciliter l’interconnexion entre ces bases et en faciliter l’exploitation territoriale croisée. Troisièmement, la BD-RTM est alimentée par des recherches historiques. Toutefois, ces recherches sont menées ponctuellement par le RTM lors des études réalisées par le service. Ces tâches ponctuelles conduisent à une hétérogénéité des collectes d’événements, renforçant l’information disponible mais complexifiant la tâche de contextualisation précédemment évoquée. Par exemple, l’ensemble des communes ne dispose pas de PPR, elles ne bénéficient donc pas d’un travail homogène de dépouillement des archives ou d’une collecte de la mémoire orale, des travaux qu’il serait intéressant de systématiser mais qui nécessitent des ressources importantes.
44À ce stade, l’exploitation de ces données hors prise en compte locale du risque à des fins opérationnelles est restée relativement limitée. En effet, la BD-RTM a été créée dans le but de constituer une connaissance du risque indispensable à une gestion efficace et adaptée de celui-ci. Elle était de ce fait initialement avant tout un outil technique pour les agents du RTM. Elle reste donc relativement peu connue des milieux scientifiques et possède, comme on l’a vu, des spécificités qui rendent l’exploitation directe des séries d’événements difficile. Néanmoins des travaux traitant du comportement et de la fréquence des phénomènes naturels dans les Alpes en lien avec différents facteurs tels que le changement climatique, ont déjà utilisé les données de la BD-RTM (Jomelli et al., 2011 ; Leone et al., 2011 ; Pavlova et al., 2011 ; Leone et al., 2014 ; Einhorn et al., 2015 ; Jomelli et al., 2015 ; Lallias-Tacon et al., 2017 ; Jomelli et al., 2019 ; Creutin et al., 2022 ; Mas et al., 2022). Les résultats conclusifs obtenus, par exemple concernant la réponse des laves torrentielles au réchauffement climatique, montrent l’intérêt et la qualité des données recensées. Plus spécifiquement, il est clair que bien que la distribution spatio-temporelle des événements reflète en premier lieu celle des sources, elle contient également une informatisation riche en termes de connaissance des risques et des aléas. L’effort d’exploitation de l’existant est donc amené à être amplifié pour répondre à un ensemble de problématiques spécifiques : conditions de déclenchement, évolution de l’activité dans le temps, caractéristiques d’endommagement par phénomène, etc.
45Pour encourager de tels développements, des efforts d’amélioration de l’outil et de ses fonctionnalités (accessibilité, requêtage, etc.) sont en cours. Néanmoins, un approfondissement du travail de contextualisation à l’échelle nationale comme locale permettant de prendre en compte l’effet des sources constituera certainement un préalable indispensable à l’obtention de résultats robustes. Il passera sans doute notamment par des relations renforcées entre chercheurs et gestionnaires pour améliorer la qualité des données et leur exploitation. Un tel dialogue contribuerait plus largement à la mise en place de stratégies de prévention plus adaptées face aux menaces climatiques et environnementales, et ainsi, à une gestion durable des aléas naturels plus efficace.