Isolés en altitude, les refuges alpins sont des infrastructures particulières, caractérisées par leur frugalité, et adaptés à leur fonction principale : l’accueil de public. Néanmoins, leur ancienneté les rend parfois vétustes, et les effets du dérèglement climatique menacent certains bâtiments. Toutefois, la fréquentation de la montagne est en pleine reconfiguration, à la fois en termes de diversité de pratiques, mais également de répartition sur les territoires de montagne. Ainsi certains refuges deviennent aujourd’hui extrêmement attractifs, quand d’autres semblent se vider.
Depuis le xixe siècle, les refuges de montagne ont radicalement évolué. De simples abris avec trois murs et un toit adossé à une pierre, conçus pour offrir un refuge minimaliste aux rares alpinistes de passage, ils se sont transformés pour répondre à un public diversifié aux pratiques variées (Gibello, 2014). Des structures plus confortables et plus vastes, mais aussi plus consommatrices d’énergie, ont été construites pour s’adapter aux différents usages des visiteurices et pour réduire leur impact environnemental. Ces transformations ne sont pas sans conséquence et suscitent des tensions parmi leurs usagers et usagères qui se manifestent autour des représentations, des fonctions et du futur des refuges (Défayes, 2012).
Aujourd’hui, les refuges jouent un rôle central dans la fréquentation de la montagne peu aménagée. Alors que leur attractivité semble s’accroître, ils sont paradoxalement confrontés à de multiples facteurs de vulnérabilité : changement climatique (Mourey, 2019) ; risques naturels sur les accès et les bâtiments (Duvillard et al., 2018) ; décalages saisonniers ou renouvellement d’activités (Mourey et al., 2023) ; injonctions adaptatives contradictoires (ex. montée en confort versus sobriété) (Defayes, 2012 ; Lépine, 2016) ; évolutions des pratiques sociales de la montagne (Tuppen et Langenbach 2021 ; Datchary et al. 2021) ; complexification des missions de gardiennage ; contraintes et incertitudes d’accès aux ressources en eau et énergie (Nicoud, 2008) ; poids des normes d’exploitation et des réglementations ; inflation des coûts de construction, de rénovation et d’entretien ; difficulté à faire baisser l’empreinte environnementale des rénovations et des bâtiments vieillissants (Beltramo, 2012) ; modèle économique fragilisé ; etc.
Dans ce contexte, nous proposons de réfléchir sur les refuges de montagne à l’ère de l’anthropocène, en mettant ainsi l’accent sur les évolutions susmentionnées. L’idée de cet appel est d’engager des réflexions sur le refuge et la cabane (gardée ou non), son architecture, ses fonctions et ses publics qui se transforment, dans lesquels les questions d’abri, de mise en sécurité et de qualité d’accueil et de qualité environnementale se conjuguent désormais avec des enjeux d’initiation, d’expérience, de transmission, de sobriété énergétique et d’observation de la relation à la montagne. D’où l’enjeu de repenser l’espace-temps des cabanes et de leurs abords, de leurs liens entre eux et avec les vallées dans lesquels ils sont situés, en réinterrogeant les rythmes sociaux, temporels et spatiaux dont ils font l’objet.
Nous proposons d’axer les contributions autour de quatre thématiques, non exhaustives.
Les notions de sur-tourisme et de surfréquentation de la montagne sont largement présentes dans les discours médiatiques et des acteurices du terrain. Elles se traduisent souvent par l’idée qu’un nombre important de néopratiquant·es fréquentent ces espaces, sans en connaître forcément les réglementations et les comportements adéquats. Qualifier et quantifier la fréquentation des espaces de montagne peu aménagée est méthodologiquement difficile à mettre en place, du fait entre autres de son caractère diffus. Dans ce contexte, les refuges de montagne constituent des lieux nodaux pour observer et analyser les évolutions des pratiques récréatives et professionnelles (Hoibian 2020 ; Datchary et al, 2021; Tuppen et Langenbach, 2021). Ces transformations peuvent être influencées par les enjeux environnementaux, tels que l’écologisation des pratiques (Magnin, 2024), par des changements sociaux, comme la diversification des clientèles et l’accueil de groupes marginalisés, ou encore par l’évolution des interactions entre professionnel·les (alpagistes, gardien·nes de refuge) et publics.
Les articles peuvent porter sur : l’usage des outils numériques, la diversification des pratiques autour des refuges, les interactions entre les professionnel·les et les nouveaux publics, les rapports de genre dans les pratiques récréatives et professionnelles en montagne, l’accueil de nouvelles clientèles dans un contexte de changement social, ou encore les adaptations aux enjeux environnementaux.
Suivant J.-P. Bozonnet, pour qui l’imaginaire est « une clé essentielle pour comprendre les attitudes vis-à-vis de la montagne » (Bozonnet, 1992), nous pouvons appréhender les refuges et l’évolution des pratiques par le prisme de leurs représentations sociales. En effet, les refuges de montagne sont issus de l’évolution du regard porté sur les espaces de montagne, et les pratiques qui en découlent. Ainsi, le développement des expéditions alpinistes et scientifiques en montagne ont transformé peu à peu les représentations et imaginaires socialement construits de ces espaces, les rendant de plus en plus attrayants (Bozonnet, 1992 ; Moraldo, 2021). Les approches scientifiques de la construction et la fabrique des imaginaires de la montagne s’inscrivent souvent dans la dialectique entre l’ici et l’ailleurs (Bourdeau, 2003), montrant comment les représentations de « l’ailleurs » sont façonnées par des structures sociales. Dans cette dynamique, les imaginaires portés sur les refuges de montagne évoluent en fonction du contexte social. Ainsi, alors que la plupart de la surface terrestre est connue et que la société évolue dans un contexte de surmodernité, le rapport à l’espace et aux lieux, y compris celui avec la montagne, s’est reconfiguré (Tiberghien, 2020 ; Augé, 2015).
Dans cette partie, les contributions pourront aborder la place que tiennent les refuges de montagne dans ce contexte de surmodernité, et à quelles imaginaires répondent les refuges de montagne et les pratiques qui leur sont associées (récréative et professionnelles).
Les refuges se transforment : leur multifonctionnalité en a fait des lieux plus confortables, tandis que la prise en compte de leur impact environnemental, ainsi que des normes de sécurité et d’hygiène, a profondément modifié leur architecture et leurs besoins énergétiques (Lépine, 2016). Le changement climatique et la dégradation du pergélisol représentent autant de défis qui imposent de (re)penser et parfois de reconstruire les refuges, ainsi que leurs lieux d’implantation. Ces enjeux de reconstruction doivent également être envisagés à travers le jeu d’acteurices autour du refuge, qui se complexifie. Les propriétaires ne sont plus les seul·es à décider de l’avenir de ces lieux : ils et elles doivent intégrer les perspectives des autres acteurices locaux et celles de cofinancement, dans un contexte où les coûts de construction ne cessent d’augmenter.
Dans cette section, les contributions pourront explorer l’avenir des refuges, l’évolution de leur architecture, les solutions innovantes pour répondre aux mutations de la montagne et de ses pratiques, la gouvernance de ces rénovations, leur intégration paysagère et territoriale, les valeurs patrimoniales associées, ainsi que la place accordée au confort pour leurs usagèr·ers.
Les refuges de montagne sont intégrés dans un environnement dont ils tirent les ressources nécessaires pour accueillir du public. Dès leur construction, des solutions peuvent être mises en place pour garantir l’efficacité de l’utilisation de ces ressources et ainsi générer des avantages environnementaux et économiques (Beltramo et al, 2012).
L'accueil de touristes dans des refuges de montagne nécessite l’utilisation de ces ressources, transformées grâce aux connaissances et à l'expertise des gestionnaires et de leurs équipes. Ces activités soulèvent des questions environnementales qui doivent être traitées de manière appropriée grâce à des systèmes et procédures opérationnelles spécifiques, afin d'éviter des impacts susceptibles de réduire la qualité de l'environnement entourant le refuge et, en fin de compte, diminuer son attrait. Ces processus doivent tenir compte des contraintes imposées par l'environnement montagneux et organisationnel unique (Nicoud et al., 2008). Les systèmes de gestion environnementale, ainsi que les normes de certification et de qualification, en sont des exemples. Ils favorisent l'adoption d'outils opérationnels permettant d'identifier, de contrôler et d'améliorer les performances environnementales au fil du temps, tout en respectant la vision propre à chaque gestionnaire pour l'établissement qu'il exploite (Beltramo et Cuzzolin, 2002).
De même, les innovations technologiques et numériques offrent des outils d'aide à la gestion dans divers domaines : la réservation d'hébergement, le stockage des aliments, la préparation des repas, le chauffage, la purification de l'eau, le traitement des eaux usées, les paiements, les communications avec les sauveteurices, etc. (Beltramo et Duglio, 2020). L’augmentation de la fréquentation dans certaines zones de montagne accentue la pression exercée sur ces ressources. C'est pourquoi nous pensons qu'il est important de documenter et de partager les stratégies et les actions mises en œuvre ou en cours pour équilibrer les aspects environnementaux, économiques et sociaux.
D’une manière générale, les contributions à ce numéro sont attendues dans les champs suivants, non exclusifs : sciences humaines et sociales (géographie, anthropologie, sociologie, histoire, sciences politiques, etc.), architecture, économie et marketing, ingénierie du bâtiment et gestion des ressources. Nous encourageons des propositions pouvant problématiser la question des refuges situés dans tous les massifs montagneux, dans l’arc alpin et dans des contextes non-Européens. Les perspectives comparatistes sont vivement encouragées. Dans la perspective où elles permettent d’aborder la question des refuges, en particulier celles portant sur des lieux d’accueil permettant le séjour dans un milieu distant, difficilement accessible et nécessitant des mises à l’abri ou un soutien logistique (comme les laboratoires scientifiques en Antarctique, par exemple).
Les contributions liées au thème de ce numéro spécial sont également les bienvenues pour les sections thématiques de la revue, dont les détails peuvent être consultés sur le site web de la revue :
Transitions : https://journals.openedition.org/rga/11018
Lieux-dits : https://journals.openedition.org/rga/10516
Montagnes en fiction : https://journals.openedition.org/rga/11244
Les propositions d'articles, d'une longueur d'environ 1 000 mots, doivent être envoyées en français (si l'auteur est de langue maternelle française) ou en anglais (si l'auteur est de langue maternelle étrangère) avant le 1er novembre 2025 aux adresses suivantes : S. de Rosemont (Université Grenoble Alpes - sophie.de-rosemont@univ-grenoble-alpes.fr), R. Beltramo (Université de Turin - riccardo.beltramo@unito.it) et J. Mickza (jean.miczka@unil.ch)
ainsi qu’à l’équipe éditoriale du JAR|RGA : Cristina Del Biaggio (cristina.del-biaggio@univ-grenoble-alpes.fr) et Maxime Frezat (m.frezat@protonmail.com).
Les articles sont attendus pour le 1er février 2026. Les articles doivent être soumis dans l'une des langues dans lesquelles la revue est publiée : Langues alpines (français, italien, allemand, slovène), espagnol ou anglais. L'auteur doit veiller à ce que l'article soit traduit dans la deuxième langue après avoir été évalué, une des deux versions du texte final doit être l’anglais.
Consignes : https://journals.openedition.org/rga/10501
La publication des articles est prévue pour octobre 2026