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Ce que la montagne apprend du vieillissement et ce que le vieillissement apprend de la montagne

Marion Repetti et Thibauld Moulaert
Traduction(s) :
What The Mountain Learns from Aging and What Aging Learns from the Mountain [en]

Texte intégral

Un sujet original

1Alors que le vieillissement démographique constitue « l’une des transformations sociales les plus significatives du 21e siècle » (ONU, 2024), les conditions de vie et le bien-être des personnes âgées constituent une priorité pour le maintien de la cohésion sociale. En tant que « milieux » ruraux particuliers (Gucher, 2018 ; Walsh et al., 2020), les territoires de montagne sont clés pour relever ces grands défis, touchés par des configurations socio-économiques qui ont directement trait au fait que le vieillissement démographique y est plus important que dans les régions de plaines (Glasgow et Brown, 2012). Si ce phénomène résulte de plusieurs facteurs, les travaux sur le sujet sont jusqu’à présent relativement rares.

2Premièrement, le vieillissement démographique dans de nombreux territoires de montagne s’accompagne d’un phénomène de dépeuplement lié à l’affaiblissement des économies locales (notamment la paysannerie) face aux marchés globalisés (voir par exemple, Jackson et al., 2015). Les personnes jeunes issues de certaines régions montagnardes ont alors tendance à les quitter pour rejoindre des lieux de vie offrant davantage d’opportunités professionnelles (Russell, 2024 ; Walsh et al., 2020). « Ceux qui restent » (Coquart, 2019) sont souvent les plus jeunes qui n’ont pas trouvé d’emploi ailleurs, et les personnes âgées. D’autres régions se gentrifient, ou se repeuplent en saison d’hiver et d’été, faisant l’objet de nouveaux investissements financiers et sociaux, mêlant une population de plus en plus mixte et globalisée (locaux, touristes, expatrié·es, nomades, etc.) (Friedli, 2020).

3Deuxièmement, si certaines personnes âgées restent vivre dans des régions de montagne, d’autres y « reviennent » à la retraite après une vie professionnelle passée ailleurs ; d’autres encore s’y installent sur le tard (Gucher, 2020), car elles y trouvent une qualité et des coûts de vie souvent plus bas (Bender et Kanitscheider, 2012). Ces mouvements façonnent tant la démographie des territoires de montagne, que leurs économies locales.

4En même temps, vieillir dans un territoire de montagne peut procurer le sentiment de vivre dans un lieu particulièrement beau, ou ayant su garder des traditions disparues ailleurs. Cela peut également représenter un espace propice à de nombreuses activités culturelles et sportives prisées par certain·es adultes âgé·es qui y trouvent un moyen de s’engager dans des nouvelles activités à la retraite, ou de poursuivre des pratiques engagées plus tôt dans la vie. Par ailleurs, l’environnement social des adultes âgé·es –– par exemple les solidarités de voisinage et des espaces de socialisation –– peut se recomposer au-delà des liens familiaux, et assurer aux individus un sentiment d’intégration sociale et une lutte contre l’isolement (Mallon, 2013).

5Mais vieillir en montagne présente aussi d’importantes contraintes. Certaines zones particulièrement reculées peuvent être éloignées des services sociaux et de santé, ainsi que des commerces (Cholat, 2016 ; Roberto et al. 2022). La vie à la montagne nécessite alors le recours à une voiture, ou l’usage des transports publics lorsque les régions sont bien desservies, ce qui implique une mobilité physique qui peut se retreindre avec le vieillissement, voire en appeler à des logiques de « mobilité inversée », soit l’idée que ce ne seraient pas les personnes qui vont vers les services, mais les services qui viennent aux personnes (Cholat et Daconto, 2021). Pourtant, les services aux personnes restent encore souvent indispensables pour permettre aux résident·es de connaître leurs droits, et de les exercer. C’est le cas tout particulièrement chez les adultes ayant moins accès aux outils digitaux, dont certaines personnes âgées (Vatron-Steiner et al., 2022). Dès lors, les territoires de montagne peuvent devenir des lieux d’exclusion numérique, sociale, économique et de faible recours aux prestations (Fischl et al., 2020; Russell, 2024; Walsh et al., 2020).

Des regards internationaux

6Trois axes structurent les différents articles de ce numéro. Le premier vise les transformations que font subir le vieillissement des populations aux territoires de montagne ; le deuxième explore les interactions entre l’avancée en âge et la vie en montagne ; le dernier axe ouvre la porte aux dimensions expérientielles qui soulignent la part éminemment subjective des pratiques sociales montagnardes.

7Le texte d’Olivier Chavanon explore le rôle des habitant·es agé·es de régions de montagnes de France –– les Alpes et le Massif Central –– dans la gestion des communs, c’est-à-dire dans l’organisation commune de ressources centrales pour la cohésion sociale dans ces territoires. Dans son article, Chavanon rend visible une caractéristique invisible et non discutée des représentant·es des communs, soit le fait qu’ils et elles sont en majorité âgé·es de 60 ans et plus. L’auteur souligne ainsi l’intérêt de questionner les travaux sur la montagne par le prisme de l’âge. Ici c’est donc bien la montagne comme ressource qui est au centre de l’analyse en termes de gestion des espaces et du territoire.

8La montagne comme ressource faisant l’objet d’une mobilisation collective est également au cœur de l’article de Roberta Clara Zanini, Amalia Campagna et Matteo Volta, qui s’intéressent aux formes de care comme ressource pour les habitant·es des Alpes piémontaises, en Italie. Si les aîné·es semblent les premiers et premières destinataires de l’aide, cet article rappelle combien la prise en charge des personnes âgées nécessite l’appui des familles, de la communauté et des bénévoles pour qu’elles puissent vivre leur vieillesse et leur vulnérabilité dans un territoire de montagne où les services, notamment sanitaires, sont éloignés. Si la tendance de l’implication des familles et bénévoles à s’investir dans le care a fait l’objet de travaux classiques tant sur le plan comparatif à l’échelle européenne (Martin, 2003) qu’historique (Capuano, 2018), la spécificité du croisement entre la montagne et le vieillissement consiste à souligner des vulnérabilités particulièrement marquées par des dynamiques collective locales, voire communautaires, qui pour autant et de manière quelquefois paradoxale assurent un attachement certain à ces lieux pour y vivre, y vieillir et, si possible, y mourir.

9Ces deux premiers articles mettent en avant les particularités de la montagne comme espace social influencé par les effets du vieillissement démographique, et l’apport pour le champ des études alpines de la problématiser par ce prisme. À l’inverse, le travail de Clothilde Palazzo-Crettol, Bénédicte Seifert, Audrey Rosset, Lorry Bruttin et Pauline Mesnard démontre l’intérêt pour les spécialistes du vieillissement de mieux situer leurs travaux dans des contextes spatiaux/territoriaux. Ainsi, si la question des inégalités de genre et de l’hégémonie masculine est bien documentée et a été intégrée au champ du vieillissement (Fassa et al., 2022), la force du texte de Palazzo-Crettol et collègues est d’ancrer ces formes structurelles d’inégalités dans un territoire spécifique, soit une région de montagne dans les Alpes suisses. Ainsi, et par extension, leur article invite à penser les vieillesses non seulement au prisme des effets de genre sur le parcours de vie, mais aussi dans leurs articulations avec des territoires aux configurations sociales, culturelles, économiques et politiques variées.

10Enfin, avec un article centré sur les Appalaches Centrales aux États-Unis d’Amérique, Brandy Renee McCann montre précisément comment le croisement des regards entre un espace de montagne spécifiquement dénigré (les Appalaches) et une population particulière –– les habitant·es plus âgé·es « qui restent » –– permet d’ouvrir des pistes originales de réflexion et d’action en proposant un rôle aux adultes ainé·es en tant qu’acteurs et actrices d’un renouveau culturel et de la résilience intergénérationnelle. Ainsi, au-delà de leur seule prise en compte en tant que « bénéficiaire de soins » comme chez Zanini ou dans les rares travaux reliant montagne et vieillissement (Cholat, 2016), McCann rappelle combien la vieillesse ne se réduit pas à des questions de dépendance (ou, à l’inverse, de promotion de l’autonomie) et de déficit, mais également au fait que les personnes âgées peuvent constituer des ressources d’expérience et de savoir qui enrichissent le renouveau des cultures locales.

11C’est une problématique que l’on retrouve également dans l’article de Mathilde Morin, même si de manière légèrement décalée : traitant de la vallée de la Soule dans les Pyrénées basques, son travail ethnographique met en avant des récits pleins de nostalgie chez les personnes âgées, d’une nostalgie qui se lit en contre-point d’un monde qui s’accélère sous les traits de la Modernité. Pour autant, le travail de l’auteure consiste à mettre ces discours en parallèle d’une population jeune qui, cherchant un lieu où « atterrir », au sens de Bruno Latour (2017), en vient à faire en sorte qu’ « une vallée de montagne humide, isolée, aux reliefs timides par rapport à ses voisines béarnaises devient le seul havre où un futur heureux peut être imaginé ».

La montagne : une géographie à la fois belle et contraignante

12Qu’ils soient plutôt ruraux ou plutôt urbanisés, les territoires de montagne peuvent être perçus comme des lieux où il fait bon vivre, du fait des opportunités qu’ils offrent en termes d’activités, mais aussi plus simplement, du fait de la beauté des paysages (Cretton, 2018). Tout comme prendre sa retraite à la mer pour profiter des promenades balnéaires (Bigo et Depeau, 2014), vivre à la retraite à la montagne peut assurer certaines ressources voire représenter un certain luxe. En même temps, la géographie de montagne peut s’avérer exigeante, en particulier pour les personnes qui perdent une certaine mobilité physique. Certains villages d’altitude sont marqués par la raideur des pentes, des chemins et des routes peu favorables à la mobilité (par exemple des pierres et des pavés irréguliers), l’enneigement et le verglas en hiver, ou encore de longues distances à parcourir pour atteindre des centres urbains, soit autant de facteurs pouvant devenir problématiques avec l’avancée en âge (Palazzo-Crettol et al., 2024).

13Deux aspects n’ont pas été abordés dans ce numéro et mériteraient pourtant de recevoir une attention particulière. D’un côté, en lien avec la prise en compte de la diversité des expériences du vieillissement et au-delà du prisme du genre, la question des classes sociales, largement traitée dans un numéro récent de cette revue (Oiry Varacca et Sallenave, 2024), reste une clé de compréhension utile (Hummel et Burnay, 2017 ; Gilleard et Higgs, 2000). L’on pourrait par exemple faire l’hypothèse que « l’effet de milieu » (Gucher, 2020) qui serait particulièrement développé en ruralité de montagne repose sur des ressources en partie socio-économiques inégalement distribuées.

14De l’autre, la prise en compte du caractère spécifique de la montagne en tant que territoire offrirait au champ du vieillissement l’opportunité de s’inspirer davantage des travaux sur l’impact du changement climatique qui affecte particulièrement les régions de montagne. Penser ensemble « vieillissement et changement climatique1 » permettrait par exemple de rappeler que les personnes âgées peuvent devenir plus vulnérables face aux risques climatiques, mais qu’elles peuvent aussi servir de ressources pour adresser ces challenges majeurs.

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Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Repetti et Thibauld Moulaert, « Ce que la montagne apprend du vieillissement et ce que le vieillissement apprend de la montagne »Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine [En ligne], 113-1 | 2025, mis en ligne le 30 avril 2025, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rga/14467 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13wot

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