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Mountain Futures : des géographies en débat dans le contexte de la crise sociale et écoclimatique

Andrea Zinzani, Matteo Proto et Marco Immovilli

Introduction

Au cours des deux dernières décennies, les recherches en géographie critique et en écologie politique ont approfondi l’analyse de la dimension politique de la crise socio-économique et climatique mondiale contemporaine. Le caractère technocratique de la gouvernance environnementale mondiale, ainsi que sa logique d’accumulation du capital par l’exploitation de la nature ont également été remis en question. Les spécialistes ont effectivement mis en évidence la dimension controversée et conflictuelle des processus de production de la nature (Smith, 1984). Ils ont fait valoir la nécessité de réorganiser de manière radicale les politiques socio-environnementales afin de garantir un avenir plus juste et progressiste (Castree, 2003 ; Perreault et al., 2015 ; Bryant, 2017 ; Kothari et al., 2021). En s’inspirant d’un contexte épistémologique néomarxiste, post-structuraliste et postcolonial, ils ont insisté sur l’importance de mettre en lumière la politique, les relations de pouvoir et les conflits dans la production sociale de l’environnement. L’analyse de ces processus est aujourd’hui d’autant plus stratégique, aussi bien pour faire avancer la réflexion sur l’avenir et l’imaginaire environnemental dans le contexte de la crise contemporaine, mais aussi encourager un changement structurel souhaitable pour des relations socio-environnementales plus justes. En effet, la notion de la crise pourrait être définie comme une temporalité qui implique une reconfiguration radicale des idées, des changements structurels dans les visions et les politiques, une possible instabilité sociale, ainsi que l’émergence de conflits socio-environnementaux, comme l’ont notamment évoqué Martinez-Alier (2002), Le Billon (2015) et Bryant (2017). Ces auteurs soulignent le rôle crucial des conflits dans l’émergence d’espaces politiques, l’émancipation sociale et la reconfiguration radicale de la politique et des négociations de pouvoir.

Par conséquent, pour sortir de cette crise, il est nécessaire d’élaborer des visions et des scénarios d’après-crise et d’imaginer différents futurs environnementaux. Au cours des dernières années, les Futures Studies ont cherché à explorer et à anticiper, dans une perspective interdisciplinaire, les avancées sociales et technologiques, ainsi que les scénarios environnementaux, afin de comprendre comment les sociétés vivront à l’avenir (Gidley, 2017). En effet, selon cette approche, l’avenir n’est pas prédéterminé, mais façonné par de multiples perspectives possibles ou souhaitables, ainsi que par divers imaginaires. Ces imaginaires peuvent être rattachés à une dimension conflictuelle, car ils trouvent leur origine dans des visions et des discours conservateurs ou, à l’inverse, dans l’aspiration à une transformation des relations socio-environnementales. De plus, les visions et discours peuvent provenir de débats scientifiques, de discours politiques gouvernementaux intégrant divers acteurs et intérêts, ou encore de propositions et revendications populaires, témoignant ainsi de la diversité des perspectives au sein de la société.

Les régions de montagne sont aujourd’hui considérablement touchées par la crise écoclimatique, comme l’ont officialisé les récents rapports du GIEC et les climatologues (GIEC, 2022 ; Huss, 2024). Ces dynamiques impliquent des questions significatives sur la production sociale des régions de montagne : d’une part, sur les imaginaires de l’avenir des montagnes, et d’autre part, sur les relations de pouvoir, les intérêts et les conflits qui établissent les configurations produites. Les approches de la géographie critique offrent des perspectives analytiques pertinentes, car les régions de montagne représentent un espace central pour étudier les nouveaux types de conflits liés aux ressources et aux imaginaires, ainsi que les dynamiques de gouvernance et d’équité en contexte de transition ou de tension. Les régions de montagne contemporaines sont en effet caractérisées par des dynamiques socio-environnementales complexes, hétérogènes et controversées : d’une part, par des politiques transcalaires de développement des infrastructures, de valorisation et de marchandisation de la nature (Perlik, 2019), d’autre part, ces dynamiques sont influencées par divers processus de marginalisation sociale, d’abandon, d’exode et de renaturalisation (Varotto, 2020). Nous affirmons donc qu’il est essentiel d’analyser ces processus et tensions liés aux changements socio-environnementaux en montagne à travers une réflexion sur la conceptualisation des avenirs et des imaginaires de la montagne. Cela pourrait contribuer à surmonter non seulement les dichotomies récurrentes entre la société et l’environnement, mais aussi la séparation entre la montagne, les communautés et les milieux urbains, qui caractérise depuis longtemps les analyses spatiales. Si l’on considère les perspectives qui envisagent l’environnement comme un produit sociopolitique, la recherche sur la montagne pourrait permettre de mieux comprendre la nature complexe et sociopolitique qui caractérise la montagne, surtout dans un contexte de crise contemporaine profonde. Ces réflexions pourraient avoir un double objectif. Dans un premier temps, elles pourraient fournir une meilleure compréhension des politiques et des projets de transformation promus à une variété d’échelles géographiques, en mettant l’accent sur leur nature politique et leurs répercussions conflictuelles en termes de relations de pouvoir. Dans un deuxième temps, elles pourraient renforcer le cadre théorétique et méthodologique afin de soutenir des avenirs alternatifs pour les montagnes dans divers imaginaires qui visent à promouvoir la justice socio-environnementale.

Le numéro thématique proposé vise à faire progresser cette perspective en réfléchissant à l’avenir et aux visions des montagnes. La notion d’« avenir des montagnes » (Mountain Futures) repose sur la nécessité de réfléchir à la manière dont les idées, les visions, les relations de pouvoir et les conflits peuvent évoluer et constituer des interactions et des scénarios socio-environnementaux pour l’« avenir ». À cet égard, les approches critiques semblent particulièrement prolifiques puisqu’elles abordent spécifiquement les relations de pouvoir et les inégalités, en accordant une attention particulière à la visibilité des groupes de personnes impuissantes et silencieuses. Au cours des dernières années, la perspective de la justice socio-environnementale et climatique a notamment gagné du terrain dans l’imaginaire d’un avenir plus équitable, tout comme la vision d’un rééquilibrage des relations entre les hommes et les animaux grâce à la promotion de la convivialité et de la conservation conviviale (Perreault et al., 2015 ; Buscher et Fletcher, 2020). Dans les traditions académiques européennes, et surtout alpines, les chercheurs ont adopté une approche critique pour débattre du développement durable en montagne, des relations entre les zones urbaines et de montagne, de la dynamique du tourisme et du rôle des communautés locales (Debarbieux et Price, 2008 ; Messerli et Rey, 2012 ; Fonstad, 2017 ; Dematteis, 2018 ; Sarmiento, 2020 ; Zinzani, 2023 ; Salvini et Proto, 2024). Un numéro spécial du Journal of Alpine research|Revue de géographie alpine a récemment proposé une approche radicale pour l’étude de la montagne (Oiry Varracca et Sallenave, 2024).

Cet appel à contributions a pour objectif de faire avancer et de consolider ces perspectives en établissant des liens entre différentes approches contemporaines de la géographie critique et la recherche sur les montagnes, ainsi que de renforcer la réflexion collective sur l’avenir des montagnes dans le contexte de la crise écoclimatique et sur les politiques, les visions et les pratiques controversées. D’un point de vue théorétique, nous invitons les contributions portant sur les futurs controversés des régions de montagne, ainsi que sur les visions, politiques et pratiques qui y sont associées. Ces contributions devraient proposer une réflexion théorétique et conceptuelle sur la production sociale de ces régions et sur les imaginaires alternatifs de la montagne. Nous encourageons donc les contributeurs qui abordent et clarifient la nature politique controversée de l’avenir des montagnes, ses politiques et pratiques transcalaires, ainsi que leurs controverses, contradictions et relations de pouvoir inégales. De plus, à travers une réflexion critique et une déconstruction des récits et discours existant sur l’avenir des montagnes, nous considérons qu’il est impératif de réfléchir à des idées et des visions alternatives concernant les montagnes afin de concevoir un avenir plus juste et convivial.

Nous attendons des articles qui abordent, de manière théorétique et/ou empirique, les enjeux suivants (liste non exhaustive) :

  • Quel avenir dessinent les politiques, discours et pratiques transcalaires actuels « dominants » sur et pour les régions de montagne ? Comment (re)produisent-ils des relations de pouvoir inégales et contribuent-ils à aggraver la crise socioécologique contemporaine ? Au contraire, quels sont les politiques, pratiques et discours « alternatifs » imaginés pour un avenir souhaitable pour les montagnes ? De quelle manière et par quels acteurs sociopolitiques ces scénarios sont-ils imaginés et mis en œuvre ?

  • Quels sont les éléments contradictoires, et donc potentiellement conflictuels, inhérents aux propositions d’« avenir », qu’elles soient promues par des acteurs « dominants » ou « dominés/subalternes » ? Et comment ces contestations et conflits façonnent-ils ces perspectives ? Quelles résolutions des conflits et des crises peut-on envisager ?

  • Que signifie la mise en œuvre de ces alternatives en ce qui concerne les institutions et les régimes de propriété qu’elles remettent en question ? Quelles trajectoires sont élaborées et mises en œuvre pour dépasser la marchandisation et l’abandon des montagnes et rechercher la justice socio-environnementale ?

  • Comment l’« avenir des montagnes » se concrétise-t-il dans les récits, les rapports prospectifs, les documents politiques et de planification à différentes échelles et dans différents contextes montagneux ?

Délais

Les propositions d'articles, d'une longueur d'environ 1000 mots, doivent être envoyées en français (si l'auteur est de langue maternelle française) ou en anglais (si l'auteur est de langue maternelle étrangère) avant le 1er novembre 2025 aux adresses suivantes : Andrea Zinzani (Université de Bologne, andrea.zinzani4@unibo.it), Matteo Proto (Université de Bologne, matteo.proto2@unibo.it) et Marco Immovili (Université de Wageningue, marco.immovilli@wur.nl)
ainsi qu’à l’équipe éditoriale du JAR|RGA : Cristina Del Biaggio (cristina.del-biaggio@univ-grenoble-alpes.fr) et Maxime Frezat (m.frezat@protonmail.com).

Les articles sont attendus pour le 1er juin 2026. Les articles doivent être soumis dans l'une des langues dans lesquelles la revue est publiée : Langues alpines (français, italien, allemand, slovène), espagnol ou anglais. L'auteur doit veiller à ce que l’article soit traduit dans la deuxième langue après avoir été évalué.

La publication des articles est prévue pour la fin du premier semestre 2027.

Consignes : https://journals.openedition.org/rga/10501

Les contributions liées au thème de ce numéro spécial sont également les bienvenues pour les sections thématiques de la revue, dont les détails peuvent être consultés sur le site web de la revue :
Transitions : https://journals.openedition.org/rga/11018
Lieux-dits : https://journals.openedition.org/rga/10516
Montagnes en fiction : https://journals.openedition.org/rga/11244

Bibliographie

Bätzing, W. 2005.– Die Alpen: Geschichte und Zukunft einer europaischen Kulturlandschaft, Beck.

Buscher, B., Fletcher R. 2020.– The Conservation Revolution – Radical Ideas for Saving Nature in the Anthropocene, Verso Book.

Bryant, R.L. 2017.– The International Handbook of Political Ecology, Edward Elgar Publishing.

Castree, N. 2003.– « Environmental Issues: Relational Ontologies and Hybrid Politics », Progress in Human Geography, vol. 27, no 2, p. 321-334.

Debarbieux, B. and Price, M. F. 2008.– « Representing Mountains: From Local and National to Global Common Good », Geopolitics, vol. 13, no 1, p. 148-168.

Dematteis, G. 2018.– « La metro-montagna di fronte alle sfide globali. Riflessioni a partire dal caso di Torino », Journal of Alpine Research, vol. 106, no 2, p. 34-44.

Fonstad, M.A. 2017.– « Mountains: A Special Issue », Annals of the American Association of Geographers, vol. 107, no 2, p. 235-237.

Gidley, J.M. 2017.– The Future: a very short introduction, Oxford University Press.

Huss, M. 2024.– « The Alps’ iconic glaciers are melting but there’s still time to save the biggest », Bullettin of the Atomic Scientists, vol. 80, no 4.

IPCC, 2022.– Climate Change Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press.

Ives, J. D. and Messerli, B. 1990.– « Progress in theoretical and applied mountain research 1973–1989, and future needs », Mountain Research and Development, vol. 10, p. 101-127.

Kothari, A. et al. 2019.– Pluriverse: A post-development dictionary, Tulika Books.

Le Billon, P. 2015.– « Environmental Conflict », dans T. Perreault, G. Bridge, and J. McCarthy (dir.), The Routledge Handbook of Political Ecology, Routledge Earthscan.

Martinez-Alier, J. 2002.– The Environmentalism of the poor: A study of ecological conflicts and valuation, Edgar.

Messerli, P. and Rey, L. 2012.– « Integrating physical and human geography in the context of mountain development: the Bernese approach », Geographica Helvetica, vol. 67, nos 1-2.

Oiry Varacca M. and Sallenave L., 2024.– « Négocier sa place en montagne. Faire l’expérience de la domination et de sa contestation: perspectives radicales », Journal of Alpine Research|Revue de géographie alpine, vol. 112, no 3.

Perlik, M. 2019.– The Spatial and Economic Transformation of Mountain Regions – Landscape as Commodity, Routledge.

Perreault, T., Bridge, G. and McCarthy; J. 2015.– The Routledge Handbook of Political Ecology, Routledge Earthscan.

Rudaz, G. 2011.– « The Cause of Mountains: The Politics of Promoting a Global Agenda », Global Environmental Politics, vol. 11, p. 44-63.

Salvini, V., Proto, M. 2024.– « Montagna e comunità: nuovi paradigm per il dibattito geografico e le politiche di rigenerazione », Geotema, vol. 75, p. 70-76.

Sarmiento, F.O. 2020.– « Montology manifesto: echoes towards a transdisciplinary science of mountains », Journal of Mountain Science, vol. 17, no 10, p. 2512-2527.

Smith, N. 1984.– Uneven Development: Nature, Capital and the Production of Space, Basil Blackwell.

Varotto M. 2020.– Montagne di mezzo. Una nuova geografia, Einaudi.

Zinzani A., 2023.– « The Contested Environmental Futures of the Dolomites: a Political Ecology of Mountains », Geographica Helvetica, vol. 78, p. 295-307.

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