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Les territoires de montagne : entre extraction, extractivisme et protection

Marie Forget et Alberto Valz-Gris

Indispensable dans les dynamiques de transitions énergétiques, les minéraux critiques connaissent une demande en croissance exponentielle sur les marchés mondiaux. Il en résulte des dynamiques d’extraction — processus qui consiste à extraire les ressources des milieux où elles se trouvent — dans une perspective durable et la plus respectueuse possible de l’environnement et des populations ou d’extractivisme (Duarte et al., 2021 ; Chagnon et al., 2022), relevant de l’exploitation industrielle intensive et massive de la « nature ». Les territoires de montagne sont largement enrôlés dans ces dynamiques. Parallèlement ou de concert, ces territoires sont également concernés par de vives dynamiques de protection et de mise en patrimoine. Ainsi, cet appel à articles entend croiser des aspects de la recherche qui ne dialoguent pas nécessairement.

De fait, la littérature fait largement état de l’augmentation exponentielle de la production de matières premières minérales de +3 % à +6 % par an selon le métal depuis le début du xxe siècle, avec une demande estimée croissante jusqu’en 2050 et probablement au-delà (IEA, 2025 ; Vidal, 2018 ; Vidal et al., 2022), s’expliquant par la croissance économique mondiale, l’augmentation des populations urbaines, l’expansion rapide de la classe moyenne et les besoins induits par la transition énergétique. L’exploitation minière et la recherche de nouveaux gisements s’érigent en nécessité dans la configuration actuelle de (sur)consommation et de faible taux de recyclage. Or, les activités minières, au niveau de l’extraction mais également du traitement des minerais, ont des impacts importants sur l’environnement : arasement de la couche arable dans les mines à ciel ouvert, modification des usages du sol, excavations sur les versants et dépôts de résidus miniers transforment significativement les paysages. Le lessivage des éléments chimiques peut provoquer des drainages acides et une pollution des écosystèmes (sols, eaux et organismes vivants) en aval des sites miniers. L’activité minière induit également des émissions de poussières et une augmentation du bruit (Dehkordi et al., 2024 ; Kolie et al., 2024 ; Xu et al., 2025). Les activités extractives ont de plus un impact significatif sur les structures sociales et culturelles : elles accroissent les inégalités économiques, entraînent des conflits liés à l’utilisation des terres et des ressources, et modifient en profondeur l’identité de communautés (Horowitz et al., 2024 ; Babidge, 2019 ; Arboleda, 2020). Elles ont enfin des impacts importants sur la santé des populations locales (Brown et al., 2024).

Dans le même temps, de nombreux travaux relaient des injonctions de plus en plus marquées de préservation et de mise en patrimoine des territoires (Gravari Barbas et al., 2016). En 2020, d’après les chiffres de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 15 % de la surface terrestre étaient protégées, soit 5 points de pourcentage en dessous de l’objectif annoncé par la Convention sur la diversité biologique dans le cadre des Objectifs d’Aichi pour la biodiversité en 2011. Cette tendance est encore appelée à se développer avec un objectif de 25 % affiché pour 2030. En écho, le nombre de sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO ne cesse de croître (1199 biens inscrits en 2023) avec des engagements de plus en plus marqués des États pour les enjeux de conservation et de valorisation des richesses patrimoniales naturelles et culturelles. À titre d’exemple, la France a adopté en janvier 2021 la « Stratégie nationale pour les aires protégées 2023 », laquelle ambitionne de protéger 30 % du territoire national et des eaux maritimes d’ici 2030, dont 10 % en protection renforcée. En 2021, seulement 1,8 % de ces espaces étaient sous protection forte. Il est à noter que les territoires de protection de la nature se sont historiquement développés plus particulièrement dans les montagnes (Laslaz et al., 2023).

Ainsi les territoires de montagne émergent depuis les années 2000 comme des espaces clés dans les dynamiques extractives contemporaines, dans un premier temps dans les pays des Suds (Andes, contreforts de l’Himalaya) puis, depuis une dizaine d’années, dans les Nords avec une recrudescence des projets dans les montagnes (Serra de Estrala au Portugal, Massif central en France, vallée du Jadar en Serbie). En effet, la volonté de décarboner et d’électrifier l’industrie et les modes de transport initiée par les Accords de Paris (2015) et la proclamation du Pacte vert européen en 2020 par la Commission européenne a pour effet d’ouvrir de nouveaux fronts énergétiques et miniers pour répondre à la demande exponentielle en matières premières minérales et en foncier disponible pour l’installation de dispositifs énergétiques renouvelables. La dilution progressive des ressources dans les zones traditionnelles d’extraction et la plus faible disponibilité en surfaces, couplées aux objectifs politiques de la transition énergétique, amène à reconsidérer la place de certains territoires de montagne. Ces derniers, dont la formation même implique des richesses géologiques, sont exploités pour certains (comme la célèbre mine de Potosí en Bolivie ou celle de Kiruna en Suède), protégés pour d’autres (comme le cœur du massif de la Vanoise en France ou les montagnes de Patagonie au Chili), ou encore ignorés (comme les territoires de l’Anti-Atlas marocain). Ces potentialités extractives ne vont donc pas de soi, montrant à quel point les ressources sont des constructions sociales. Leur identification et leur mise en valeur induisent, la plupart du temps, des controverses territoriales où s’opposent et s’affrontent différentes visions du monde.

Ainsi, entre ces deux polarités, extraction versus protection, quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les territoires de montagne ? Tel est l’objectif de cet appel à articles : questionner le rôle des territoires de montagne, à la fois comme pourvoyeurs de matières premières, mais également d’espaces à protéger, et ceci à plusieurs titres, aussi bien au Nord qu’au Sud. Il s’agit également de questionner les tensions permanentes entre protection (de l’environnement, de la « culture ») et mise en exploitation. Cet appel vise par ailleurs à dégager les voies possibles de développement territorial en montagne. En effet, les territoires de montagne peuvent être investis par des activités fortement rémunératrices comme le tourisme hivernal dont le modèle économique fonctionnel (parfois en déclin) rend difficile l’atterrissage des activités extractives. En revanche, les espaces en marge, traditionnellement agricoles, sont économiquement et démographiquement plus vulnérables. En effet, les résistances du système économique en place sont faibles et plient plus aisément face aux bénéfices économiques potentiels de l’extraction minière ou à l’opportunité d’une rente énergétique. Parfois ces usages contrastent entre eux, parfois au contraire, ils semblent pouvoir s’accorder sans friction (Eerola, 2022). Les territoires de montagne sont néanmoins porteurs d’imaginaires forts de naturalité, d’espaces en réserve et de biodiversité (Anderson et al., 2023 ; Rahbek et al., 2019), ce qui mobilise leurs défenseurs et cristallise plus encore les controverses.

Cet appel entend susciter des articles issus de différentes disciplines des sciences humaines et sociales : géographie, histoire, sociologie, sciences de l’information et de la communication, sciences politiques, anthropologie, droit, etc. L’ambition est de croiser ces dernières autour des territoires de montagne confrontés à la mise en place de processus extractifs (anciens, actuels et futurs) en tension avec des processus de protection ou de patrimonialisation d’autres ressources.

En définitive, l’objectif est de questionner les dynamiques de développement local, les territorialités, les imaginaires et les attachements aux territoires de montagne aussi bien dans les Nords que dans les Suds. L’analyse des conflits et des controverses s’y déployant est aussi au centre de l’attention, faisant émerger des désaccords sur les valeurs territoriales (Forget et al., 2021). Autrement dit, il s’agit de participer à décloisonner les savoirs en vue d’offrir de nouvelles possibilités de compréhension d’objets communs et de questionnements transversaux autour et à partir de la montagne (Attali et al., 2014). Cela passe notamment par :

  • La confrontation des expériences de territoires de montagne aux Nords et aux Suds dans lesquels les activités extractives ont cessé, sont en activité ou en développement ;

  • Le questionnement du retour des activités extractives dans les territoires de montagne des Nords au regard des logiques de protection ;

  • L’analyse des dialogues entre les territoires de montagne des Suds et des Nords en termes d’imaginaires de mise en valeur et de protection ;

  • L’intégration de la notion de « transition » dans ces territoires, en prenant en compte la question de l’héritage et des trajectoires socio-environnementales des territoires.

Les articles attendus devront apporter des éléments de réponses théoriques et/ou empiriques à ces objectifs et peuvent s’inscrire dans l’un des cinq axes suivants, sans pour autant s’y limiter :

Protection et patrimonialisation des sols et des sous-sols en montagne

Dans quelle mesure la mise en tourisme ou la valorisation de patrimoines culturels et environnementaux peut-elle constituer un levier de résistance à l’exploitation extractive, ou au contraire coexister avec elle ? Comment les activités extractives transforment-elles les conditions d’émergence ou de maintien du tourisme, et inversement ? Quels types de configurations territoriales ou de rapports aux lieux rendent plus ou moins favorables l’accueil de projets miniers dans des espaces dépourvus de reconnaissance patrimoniale ou touristique ? Dans quelles conditions patrimoine et extraction peuvent-ils entrer dans des logiques de légitimation réciproque, que ce soit à travers des compensations, des narratifs sur les traditions locales ou des formes hybrides de valorisation des ressources ?

Imaginaires et attachements territoriaux aux sols et sous-sols montagnards

Quelles sont les représentations du sous-sol en milieu de montagne ? Comment se manifeste l’attachement territorial des habitant·es ? Quels imaginaires sont mis en péril par le développement d’activités extractives ? Quels imaginaires naissent des activités extractives et deviennent un élément de l’identité territoriale ? Quels récits structurent la mise en place des activités extractives ?

Conflits et controverses autour de la protection et de l’extraction

Quels conflits d’usages naissent de la superposition des activités en surface et de l’exploitation du sous-sol ? Quels rapports de pouvoirs s’établissent entre les différents acteurs ? Quelles valeurs ou quels objets transversaux sont au centre des controverses ou à même de déclencher des conflits ? Quelles en sont les revendications ? Certains types d’extraction sont-ils plus à même de susciter des consensus ? Quelles pratiques de protection/patrimonialisation/compensation visent à réduire les controverses ?

Entre extraction « traditionnelle » et nouveaux fronts liés à la transition énergétique

Les montagnes, souvent perçues comme des espaces en marge ou des espaces de naturalité, deviennent des cibles de choix pour l’exploitation de métaux rares, de pierres ornementales ou d’énergies renouvelables. Quelle articulation entre transition énergétique, besoins extractifs et transformations des territoires de montagne ? Quelles typologies possibles de développement territorial face à ces dynamiques ? Comment les dynamiques territoriales diffèrent-elles entre les régions de montagne historiquement marquées par les activités extractives et celles récemment intégrées à de nouveaux fronts miniers liés à la transition énergétique ? Quelles mémoires, infrastructures ou rapports au sol hérités influencent les modes d’appropriation, de résistance ou d’adaptation face à ces nouvelles exploitations ? Et comment les territoires jusqu’alors non extractifs négocient-ils l’arrivée de ces projets, en l’absence d’un passé minier structurant ?

Le devenir des anciens espaces extractifs

Les sites désaffectés, tels que les gravières transformées en plans d’eau récréatifs ou les anciennes carrières de pierres, constituent des espaces à forte valeur potentielle. Cet axe interroge les processus de reconversion, les nouvelles territorialités qui en émergent, et leur intégration dans les projets de transition énergétique ou écologique. Des études de cas sur des reconversions réussies ou contestées apporteront un éclairage précieux sur ces dynamiques.

Délais

Les propositions d'articles, d'une longueur d'environ 1 000 mots, doivent être envoyées en français, en anglais, en allemand, en italien ou en espagnol avant le 1er février 2026 aux adresses suivantes : Marie Forget (Université Savoie Mont-Blanc - marie.forget@univ-smb.fr) et Alberto Vals-Gris (alberto.valzgris@polito.it)
ainsi qu’à l’équipe éditoriale du JAR|RGA : Adrien Bayssé-Laine (adrien.baysse-laine@univ-grenoble-alpes.fr) et Maxime Frezat (m.frezat@protonmail.com).

Les articles sont attendus pour le 1er juin 2026. Les articles doivent être soumis dans l'une des langues dans lesquelles la revue est publiée : Langues alpines (français, italien, allemand, slovène), espagnol ou anglais. L'auteur doit veiller à ce que l'article soit traduit dans la deuxième langue après avoir été évalué, une des deux versions du texte final doit être l’anglais.

Consignes : https://journals.openedition.org/rga/10501

La publication des articles est prévue début 2027.

Des contributions sont également les bienvenues pour les rubriques annexes de la revue, dont nous vous invitons à prendre connaissance sur le site de la revue :
Transition https://journals.openedition.org/rga/11018
Lieux-dits https://journals.openedition.org/rga/10516
Montagnes en fiction https://journals.openedition.org/rga/11244

Bibliographie

Anderson, C.B., Dicenta, M., Archibald, J.L., Valenzuela, A.E.J., 2023.– « How Changing Imaginaries of Nature and Tourism Have Shaped National Protected Area Creation in Argentine Patagonia », dans Gale-Detrich, T., Ednie, A., Bosak, K. (dir.), Tourism and Conservation-based Development in the Periphery. Natural and Social Sciences of Patagonia, Springer, Cham. DOI : https://doi.org/10.1007/978-3-031-38048-8_4.

Arboleda, M., 2020.– Planetary mine: Territories of extraction under late capitalism, Verso Books.

Attali, M., Boutroy, É., Dalmasso, A., Favre-Bonté, V., Gardet, É., George-Marcelpoil, E., Vignal, B., 2014.– « Sports de montagne. Innovation: l'effet boule de neige », Jurisport: Revue juridique et économique du sport, no 138, p. 17-33.

Babidge, S. ,2019.– « Sustaining ignorance: the uncertainties of groundwater and its extraction in the Salar de Atacama, northern Chile », Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 25, no 1, p. 83-102. DOI : https://doi.org/ 10.1111/1467-9655.12965.

Brown, C. W., Goldfine, C. E., Allan-Blitz, L. T., & Erickson, T. B., 2024.– « Occupational, environmental, and toxicological health risks of mining metals for lithium-ion batteries: a narrative review of the Pubmed database », Journal of Occupational Medicine and Toxicology, vol. 19, no 1, p. 35. DOI : https://doi.org/10.1186/s12995-024-00433-6.

Chagnon, C. W., Durante, F., Gills, B. K., Hagolani-Albov, S. E., Hokkanen, S., Kangasluoma, S. M. J., Vuola, M. P. S., 2022.– « From extractivism to global extractivism: the evolution of an organizing concept. The Journal of Peasant Studies », vol. 49, no 4, p. 760-792. DOI : https://doi.org/10.1080/03066150.2022.2069015.

Dehkordi M., Nodeh Z., Dehkordi P., Salmanvandi H., Khorjestan R., Ghaffarzadeh M., 2024.– « Soil, air, and water pollution from mining and industrial activities: Sources of pollution, environmental impacts, and prevention and control methods », Results in Engineering, vol. 23. DOI : https://doi.org/10.1016/j.rineng.2024.102729.

Duarte F., Kröger M., LaFleur W., 2021.– « Extraction and Extractivisms », dans Shapiro, J., & McNeish, J.-A. (dir.), Our Extractive Age: Expressions of Violence and Resistance (1re éd.), Routledge. DOI : https://doi.org/10.4324/9781003127611.

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Forget, M., & Rossi, M., 2021.– « Mining region value and vulnerabilities: Evolutions over the mine life cycle », The Extractive Industries and Society, vol. 8, no 1, p. 176-187. DOI : https://doi.org/10.1016/j.exis.2020.07.010.

Gravari-Barbas, M., Bourdeau, L., & Robinson, M., 2016.– World Heritage and tourism: from opposition to co-production. World Heritage, tourism and identity, Routledge, p. 1-24.

Horowitz, L. S., Keeling, A., Lévesque, F., Rodon, T., Schott, S., & Thériault, S., 2024.– « Indigenous peoples’ relationships to large-scale mining in post/colonial contexts: Toward multidisciplinary comparative perspectives », Mining and Indigenous Livelihoods, p. 109-136. DOI : https://doi.org/ 10.4324/9781003406433-8.

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Vidal O., 2018.– « Ressources minérales, progrès technologique et croissance », Temporalités, vol. 28. DOI : https://doi.org/10.4000/temporalites.5677.

Vidal, O., Le Boulzec H., Andrieu B., Verzier F., 2022.– « Modelling the Demand and Access of Mineral Resources in a Changing World », Sustainability, vol. 14, no 1, p. 11. DOI : https://doi.org/10.3390/su14010011.

Rahbek, C., Borregaard M.K., Colwell R.K., Dalsgaard B., Holt B., Morueta-Holme N., Nogues-Bravo D., et al. 2019.– « Humboldt’s Enigma: What Causes Global Patterns of Mountain Biodiversity? », Science 365 (6458), p. 1108-1113. DOI : https://doi.org/10.1126/science.aax0149.

Xu, P., Gao, L., & Zhao, Q., 2025.– « Distribution characteristics, sources and risk assessment of heavy metal (oid) s in road dust from a typical lead–zinc mining area in South China », Environmental Geochemistry and Health, vol. 47, no 1, p. 1-16. DOI : 10.1007/s10653-024-02321-8.

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