- 1 Système national d’observation de la sécurité en montagne : le SNOSM a été créé en 1996 sous l’impu (...)
- 2 Voir https://www.camptocamp.org/serac.
- 3 Description de l’événement, lieu, étude préalable de l’itinéraire, conditions, préparation physique (...)
1La fréquentation récréative des espaces de montagne est à l’origine d’accidents fréquents, aux conséquences parfois très graves. Leur quantification et leur explication constituent à la fois des enjeux de connaissances majeurs et des questions sensibles (Soulé, 2018). Depuis 2015, le Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport (L-VIS) est partie prenante d’une recherche-action collaborative (RAC) (Boutroy & Soulé, 2018) impliquant des acteurs relevant de plusieurs « mondes » : la Fondation Petzl, la communauté de pratique en ligne Camptocamp (C2C), des acteurs publics (corps de secours en montagne, SNOSM1), associatifs (fédérations sportives) et professionnels (syndicats de guides). Celle-ci a notamment abouti, fin 2015, à la mise en place d’un système participatif de recueil de témoignages sur les accidents et les incidents survenus lors de la pratique de sports de montagne : la base SERAC2. Cette plateforme en ligne relève d’une démarche open source via le partage volontaire de mésaventures vécues en montagne, en partant du postulat que la réflexivité des amateurs et pratiquants « ordinaires » constitue une source de connaissances féconde pour faire progresser la prévention des risques. À condition toutefois que la contextualisation et le niveau de détail de ces témoignages soient suffisants, ce que vise la structuration du formulaire de dépôt en plusieurs rubriques visant à accompagner l’approfondissement des récits3. Le développement de la base SERAC s’inscrit dans une dynamique élargie d’optimisation de l’étude des données procédant des interventions des secouristes spécialisés, aboutissant au constat d’un nécessaire intéressement d’acteurs multiples autour de la question de l’accidentologie des pratiques sportives de montagne. En la matière, la dynamique contemporaine tourne autour de la mise en place de systèmes de retour d’expériences (Rex), dont SERAC constitue un exemple.
2L’objectif de l’article est de décrire les trois grandes phases de ce processus d’innovation sociale in the making (Hoholm & Araujo, 2011). Inscrit dans les process studies, ce courant invite à prêter attention aux trajectoires d’innovation en cours de stabilisation, plutôt qu’aux produits déjà aboutis et aux collectifs formalisés qui les sous-tendent. Nous entendons ainsi montrer comment l’attachement d’un nombre croissant d’acteurs et de soutiens transforme les pratiques de recherche autant que la nature des connaissances produites sur les risques liés aux pratiques de montagne, en particulier en évoluant vers un modèle « libre ».
3Notre analyse est ancrée dans la sociologie des sciences et des techniques (SST) (Latour, 1989) qui a montré que les connaissances scientifiques sont modelées et solidifiées par l’attachement de nombreuses ressources sociales, financières, temporelles et matérielles. Elles ne deviennent « vraies » que lorsqu’elles sont, au gré de controverses à dépasser, diffusées et appropriées dans des réseaux de plus en plus larges et hétérogènes (Latour & Callon, 1990). La production de connaissances accidentologiques sur les pratiques sportives de montagne n’est donc pas qu’une pratique réflexive et théorique ; elle passe par la mise en œuvre de dispositifs techniques et le recrutement de nombreuses entités non matérielles (Vinck, 2006), dont l’agentivité peut cadrer et reconfigurer les actions humaines (Latour, 2003). Elle est aussi façonnée par un environnement montagnard spécifique constitué de l’interaction d’éléments humains et non humains profondément imbriqués et interdépendants. Dans notre cas, il peut par exemple s’agir d’éléments liés aux environnements de pratique, aux évolutions du matériel technique, mais aussi de logiciels, du formulaire de recueil des récits, d’inscriptions (témoignages, schémas, graphes) et de supports de diffusion. L’architecture du site internet camptocamp.org, plateforme d’accueil du système SERAC, ses exigences et les habitudes de fonctionnement de ses membres ont par exemple contribué à façonner le formulaire de recueil de témoignages ainsi que le périmètre de sa diffusion. En termes de spécificité de l’accidentologie, les environnements haut-montagnards de pratique — considérés comme un système émergeant de l’interaction entre éléments humains et non humains — ont des propriétés particulières telles que l’incertitude (liée à l’immense diversité et labilité des éléments) et l’irréductibilité du risque. Les possibilités d’aménagement et de domestication sont faibles, voire nulles (Salim et al., 2019). Les conditions météorologiques et de terrain (qualité et stabilité du support neigeux, glaciaire ou rocheux, enneigement) sont fluctuantes. Ces environnements constituent des éléments non humains, en interaction avec des pratiquant·e·s — eux aussi empreints de subjectivité, de variabilité et d’ancrages symboliques et culturels pluriels — formant des situations complexes, évolutives et peu standardisées.
4Par ailleurs, les cultures sportives dans lesquelles s’inscrivent les activités de montagne sont singulières : le risque en est indissociable et les enjeux sont très forts en matière d’impacts et de létalité. L’engagement corporel figure au cœur de la pratique, à la fois corollaire indissociable de celle-ci, et minimisé par une gestion des dangers de tous les instants. La logique des pratiques de montagne naît du paradoxe entre l’exposition consciente au risque et sa gestion minutieuse pour atteindre l’objectif fixé de la manière la plus sécurisée possible. Le milieu de la montagne est un espace à la fois social et physique de confrontation tolérée voire revendiquée au risque, qui nécessite une gestion des menaces (individuelle, collective, communautaire, institutionnelle). « Faire connaissance » au sein de ce milieu amène à intégrer ces particularités dans le dispositif et à en tenir compte tant dans les méthodes de recherche utilisées que dans les recommandations préventives formulées.
5Enfin, le milieu montagnard est un micro-monde (au sens de Strauss, 1992) qui possède, outre ses codes, des institutions expertes sur le plan des formations techniques, de l’analyse et de la prévention des risques, ou encore du secours aux victimes d’accidents. Traversés par des rivalités et tensions historiques (entre fédérations sportives, entre syndicats professionnels, entre corps de secouristes, etc.), ces acteurs jouent avec « des intérêts différentiels, s’engagent dans des contestations et font ou défont des alliances pour faire les choses qu’ils souhaitent » (op. cit., p. 277). Cet état de fait, combiné à des enjeux territoriaux, socio-économiques, judiciaires et corporatistes, génère une certaine « politique du secret », ainsi que des formes de conservatisme et des luttes de légitimité entre territoires professionnels. C’est pourquoi susciter le dialogue autour du thème sensible de la sécurité, puis faire coopérer ces différentes parties prenantes représente une difficulté notoire.
- 4 Ce texte ne vise pas à rendre compte des connaissances et résultats qui ont été construits. Sur ces (...)
6En définitive, la spécificité des environnements de pratique, en relation avec des cultures sportives et des institutions sécuritaires singulières, sera justement au cœur de notre analyse d’une manière originale de « faire connaissance accidentologique en montagne »4. La création puis la socialisation du dispositif SERAC sont ainsi appréhendées comme une innovation, entendue comme processus de construction d’un réseau sociotechnique (Akrich et al., 1988) visant pour les innovateurs à s’attacher d’autres acteurs (humains et non humains) par différentes opérations : problématisation, intéressement, traduction et enrôlement (Callon, 1986). Dans ce cadre, la genèse de la plateforme SERAC, inscrite dans le projet élargi d’une accidentologie plus poussée, peut être repensée comme l’essor d’une « recherche de plein air » (Callon et al., 2001) coportée par des non-scientifiques, et en cela bien différente de la science restreinte au périmètre habituel des laboratoires académiques et industriels. Faire ce récit, c’est « rendre compte de l’écologie des conditions de production des connaissances » (Vinck, 2006), autant que de la transformation/appropriation de ces dernières.
- 5 La pluralité des profils et des engagements dans le processus (qui seront décrits dans l’article) s (...)
7Le récit retracé ici consiste en un retour réflexif et collectif5 de quatre chercheur·ses engagé·e·s depuis 2012 dans la construction de SERAC et la production exploratoire de connaissances par le biais de cet outil de recueil de récits d’incidents. Les problèmes à résoudre ont été co-identifiés avec d’autres parties prenantes, nous plaçant dans une perspective de RAC puisque le questionnement revêt cette double pertinence pratique et scientifique (Lefrançois, 1997). Une telle démarche implique une recherche permanente d’intéressements croisés et mutuels. De la genèse du formulaire de recueil de témoignages à la rédaction régulière de rapports d’analyse, des « corrections mutuelles » se sont produites entre parties prenantes (Gonzalez-Laporte, 2014).
8Réalisée en situation de participation observante ex post, cette analyse rétrospective est fondée sur le répertoire descriptif de la SST. Elle rend compte de l’élaboration laborieuse des réseaux d’acteurs qui ont consolidé, modifié et parfois fragilisé SERAC. Cette histoire située d’une accidentologie « en train de se faire » est facilitée par le fait qu’elle n’est pas terminée, les pratiques scientifiques et les connaissances produites étant encore largement instables. Non idéalisée, elle repose sur les multiples échanges (lors de réunions, tables rondes, séminaires, entretiens) et activités (recueil et traitement de données) auxquels nous avons participé, sur la durée. Centrée sur les attachements et enrôlements progressifs, elle n’occulte ni les controverses ou les résistances de certains acteurs, ni les bifurcations ou transformations d’un projet (encore inachevé) qui n’a rien de linéaire. Les compromis, mises à l’épreuve et transformations du projet sont abordés afin de faire état de la manière dont des éléments disparates ont été associés en réseau, ainsi que des connaissances qui ressortent de cet assemblage.
9En 2012, nos premiers travaux, soutenus par la fondation d’entreprise Petzl, consistaient à recueillir (parfois difficilement), questionner et synthétiser l’ensemble des connaissances quantitatives existantes sur la « factualité » des accidents en montagne. Pour fiabiliser cette accidentologie (notamment en optimisant l’exploitation des données des services publics sur les opérations de secours en montagne), il a fallu cadrer, négocier et adapter les demandes aux enjeux institutionnels. Cette phase initiale, matérialisée dans un rapport accessible en ligne6, a permis d’associer en un réseau encore fragile les principaux acteurs de la sécurité en montagne sur un sujet sensible, et de faire émerger la publicisation et le partage des statistiques comme enjeu commun en matière de prévention. Cette réussite relative a permis d’obtenir des soutiens financiers et sociaux pour s’engager dans un nouveau programme : développer des connaissances primaires et plus qualitatives sur les dynamiques et les scénarios des événements accidentels. La fin de cette phase de problématisation (Callon, 1986) a abouti à identifier les actants pertinents à associer à un projet de recueil d’incidents : modèles préexistants (dispositif de recueil nord-américain Alpine Near-Miss Survey, démarches qualitatives de Rex au sein d’institutions de montagne, ainsi que dans d’autres secteurs), outils (formulaires, logiciels), organisations (C2C, fédérations, syndicats), ressources (financement, projet de recherche doctorale), pratiquants…
- 7 Nettoyage, retraitement, comparaison, rapprochement…
10La posture de recherche-action adoptée à cette étape se voulait résolument participative, questionnant différents acteurs pour tenter de leur fournir une valeur ajoutée prenant la forme de restitution de connaissances (rapports, conférences, articles de presse spécialisée). Pour autant, elle n’a pas permis de franchir le pas d’une réelle intégration de ces parties prenantes pour une co-construction du savoir. Face à la dualité entre production de connaissances scientifiques et perspective de changement délibéré (Lewin, 1947 cité par Liu, 1992), aux réticences de certaines institutions et à un manque d’expérience de la RAC, le collectif de chercheur·ses est resté inscrit dans une posture classique de recherche, néanmoins nuancée par l’intérêt des acteurs de terrain et leur besoin de connaissances pratiques. La démarche reste assez conventionnelle : collecte de « faits » préexistants sur l’accidentalité, travail académique de « purification7 » produisant de nouvelles inscriptions, restitution de ces « résultats » consolidés pour appuyer des pistes préventives. On se situe encore dans une démarche participative balbutiante, où la conduite de la recherche demeure « extérieure » à l’univers social de réception. L’intérêt pour le projet de plusieurs institutions importantes du micro-monde (pouvoirs publics, fédérations sportives, syndicats professionnels, fondations, communauté de pratique C2C, etc.) va néanmoins grandissant. Si l’implication des acteurs de terrain dans le choix des méthodes de collecte et d’analyse des données reste à ce stade limitée, elle augmente lentement au fur et à mesure que la recherche est relancée (Gonzalez-Laporte, 2014).
11Intéresser, c’est pour le collectif de recherche essayer de définir une relation exclusive avec, et entre, ces acteurs de la montagne ; depuis la (re)définition conjointe de la problématique, à partir d’une intention commune, jusqu’à la mise en place de modalités de collaboration autour de l’objet d’étude. Le réseau s’est cristallisé autour d’un collectif doté de compétences complémentaires (chercheur·ses — dont une doctorante dédiée — voir encadré, Fondation Petzl, C2C) qui, en s’inspirant et détournant des dispositifs antérieurs, a négocié et lentement prototypé un outil de recueil : formulaire, items, ergonomie, hébergement, emplacement. L’écriture, la proposition et l’acceptation d’un projet de doctorat en CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) autour de la problématique plus large de l’accidentologie des sports de montagne sont également le fruit de cet enrôlement progressif autour d’une problématique commune.
12Pour s’attacher de nouveaux acteurs, il convient d’opérer des traductions (Akrich et al. 2006), via des transformations successives du dispositif SERAC, afin de relier des enjeux hétérogènes. Il s’agit par exemple de permettre à SERAC d’être décliné en service pour une fédération sportive (pour ses propres activités et réflexions sécuritaires), moyen de muer cette dernière en porte-parole de l’innovation auprès de ses licenciés et cadres. De telles opérations impliquent des compromis, voire des controverses. Ainsi, les chercheur·ses ont progressivement accepté des concessions vis-à-vis de leurs pratiques conventionnelles autour de l’outil SERAC : renoncer à une valorisation académique directe, abandonner l’exclusivité d’exploitation des données, élaguer le formulaire de recueil de récits (quitte à se priver de données contextuelles ou sociodémographiques plus précises), ou encore accorder la primauté à des rapports vulgarisés diffusés en libre accès en ligne. Il y a notamment eu de longs débats avant d’accepter la possibilité, conforme à la conception communautaire de C2C, de commenter publiquement les récits déposés sur SERAC. L’enjeu était aussi de se différencier d’alternatives concurrentes développées au même moment (comme la mise en place d’une plateforme de Rex par la FFME en 2015). Il a aussi fallu susciter l’adhésion de pratiquants autonomes afin de faire émerger des témoignages et de développer l’habitude de partager en ligne les mésaventures et presqu’accidents vécus en montagne : renforcement de la visibilité du formulaire sur le site de C2C (bandeau promotionnel, présence dans le menu principal) ; intervention des modérateurs pour promouvoir l’outil et encourager son usage sur le forum. Pour amorcer l’existence de la plateforme SERAC, un travail de traduction dans la nouvelle base de récits d’accidents a été fait à partir de témoignages préalablement déposés sur C2C.
13Au stade de la conception de SERAC et des premières analyses, le projet est fortement influencé par des acteurs non humains, comme les modèles analytiques de Rex utilisés dans le secteur industriel (recherche de défaillances et d’écarts à des procédures établies, logique d’arbre des causes à travers le logiciel Storybuilder8, par exemple). C’est un indicateur du fait que le programme scientifique entourant SERAC demeure alors inscrit dans une recherche d’objectivation de la réalité, de production de connaissances fondamentales visant à épurer, modéliser et concaténer les incidents pour identifier des facteurs de risque et des enchaînements récurrents. Dans une certaine mesure, cette volonté de gagner en légitimité scientifique est congruente avec les attentes des institutions et du commanditaire visant à asseoir des recommandations préventives concrètes sur une démarche d’objectivation. Cette étape s’est traduite par la publication d’un second rapport en 2017, à partir des 184 premiers récits issus de SERAC9. Ce premier traitement dans une démarche de quantification du matériau qualitatif semblait donner le ton pour les analyses futures et n’attendre que l’accumulation de nouveaux récits pour produire des avancées quantitatives sur l’accidentologie. En cela, le réseau et la recherche-action penchent alors, principalement sous l’effet du collectif de chercheur·ses, vers une forme de positivisme (Gonzalez-Laporte, 2014). La nécessité de déployer SERAC, d’approfondir l’analyse des incidents et de mieux exploiter, par ailleurs, l’existant en matière de données émanant des services publics de secours en montagne, oriente l’élaboration du projet de doctorat qui débutera fin 2018. Ce dernier est à ce stade tiraillé par une dualité épistémologique entre l’attente de connaissances fondamentales et la volonté d’une construction collective et pragmatique de savoirs. Bien que se voulant in vivo et collaboratif, le projet doctoral peine à se détacher d’une posture de recherche conforme à la méthode scientifique classique : collecte de données via un processus participatif, analyse externalisée de celles-ci, production de connaissances finalement restituées au milieu social dans l’espoir qu’elles soient appropriées et traduites en mesures préventives.
14L’écriture de ce projet doctoral a nécessité des compromis. La recherche entreprise supposait l’accès aux données issues des services de secours, centralisées par le SNOSM, à des fins d’analyse statistique affinée. Or le SNOSM, au-delà des campagnes de préventions et des sollicitations des médias, était jusqu’alors peu enclin à la diffusion d’informations brutes en direction des pratiquants. Il s’est ainsi longtemps tenu à une politique de confidentialité, tiraillé par le double objectif ayant présidé à sa mise en place : progresser en matière d’accidentologie des sports de montagne afin d’adosser les campagnes de prévention, mais aussi éviter les interprétations alarmistes de la part des médias et du grand public (Soulé et al., 2015). Dans les faits, les connaissances construites par le SNOSM sont restées peu ou pas publiées au-delà d’un cercle restreint d’institutions. Donner accès à ces données, et par là même rendre le projet de thèse réalisable, a donc constitué un gage d’ouverture à propos de ces données sensibles, rendant possible la collaboration avec de nouveaux acteurs. À travers le SNOSM, c’est aussi le soutien de l’ENSM (et de son comité de direction) et des corps de secouristes qu’il a fallu obtenir. À ce stade de l’innovation, la question de la confiance est essentielle, facilitée par des proximités sociales et cognitives (un chercheur est par ailleurs guide de haute-montagne, la doctorante devient elle-même aspirante guide de haute-montagne — voir encadré). Du côté de l’institution, la perspective d’une exploitation statistique et scientifique ambitieuse s’est avérée convaincante dans un contexte global d’injonction à tirer le meilleur des dépenses consenties par les pouvoirs publics.
15D’abord spectatrices curieuses, dubitatives, voire critiques d’un projet de recherche consistant à « observer » leurs pratiques, les institutions de la montagne font désormais partie intégrante du projet, ou sont a minima enclines à collaborer. Cette fabrique de l’attachement a été un processus laborieux mais qui a bénéficié d’un contexte favorable de remise en question du risque en montagne, notamment par un questionnement récurrent sur ses impacts financiers et sociaux. Après avoir identifié les parties prenantes et pris connaissance de leurs démarches en matière d’accidentologie, il a fallu problématiser le changement afin de le rendre pertinent, voire nécessaire au regard de leurs objectifs et inclinations respectives. La démarche a consisté à mettre en avant l’expertise partagée au sein du réseau, en soulignant une double nécessité :
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fiabiliser, mieux exploiter et faire davantage circuler les informations quantitatives sur les opérations de secours ;
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tirer des enseignements des incidents sans conséquences physiques notables, échappant souvent à toute forme d’analyse, et les réinterpréter pour en faire une source d’apprentissage collectif.
Une actrice « intermédiaire », guide et doctorante
Dans le milieu de la montagne, l’expertise technique, le vécu et les diplômes (sportifs, professionnels) revêtent une place centrale en termes de crédibilité (Boutroy & Soulé, 2018). Le caractère sensible de l’accidentologie, combiné aux enjeux institutionnels, symboliques et de légitimité propre au micro-monde de la montagne en font un sujet où l’acceptation en tant que chercheur·se est délicate. Dans ce cadre, le parcours de la doctorante de l’équipe souligne l’importance des « intermédiaires » (au sens de Hennion, 2013) dans la production de connaissances et d’outils innovants tant la RAC nécessite une culture commune entre chercheur·ses et acteurs, favorisant l’intercompréhension (Narcy, 1998).
- 10 Un article dans la presse spécialisée la décrit significativement comme une actrice-réseau : « Aspi (...)
- 11 Fédération française des club alpins de montagne.
Entre 2012 et 2014, la future doctorante est intégrée au projet en tant que stagiaire. Nourrie d’une pratique amateure déjà importante, elle a un premier rôle de porte-parole (Akrich et al., 1988) des sportifs et des situations. De 2015 à 2018, pendant la recherche d’un financement de thèse, son engagement s’intensifie, et avec lui l’intégration au « milieu montagne » : entrée en 2016 dans l’Équipe nationale d’alpinisme féminin (ENAF) de la FFME ; obtention en 2017 de l’examen probatoire d’entrée en formation de guide de haute-montagne. L’ENSM et le SNGM (Syndicat national des guides de montagne) accordent leur confiance à cette montagnarde marginale sécante qui entre en 2018 dans la profession en tant qu’aspirante-guide. Les espaces informels d’échanges stimulés par des pratiques communes (en refuge, lors de stages de formation) amorcent des intéressements et collaborations. La doctorante est associée à SERAC10, sollicitée à plusieurs reprises pour son expertise en matière de Rex : Assises de la sécurité en montagne du SNGM, groupe de formation du recyclage des guides à l’ENSM, assemblée générale de la FFCAM11, etc. Autant d’opportunités pour promouvoir l’innovation et souligner les enjeux en termes de connaissance.
Mais « l’intermédiaire » n’est pas qu’un facilitateur de liens au sein d’un réseau d’acteurs, ou « l’interface de deux mondes connus : il est celui qui construit des mondes en essayant de les mettre en rapport » (Hennion, 2013, p.47). Reconnue par les autres acteurs, la doctorante s’est muée en représentante de chacun : être leur porte-parole (des alpinistes, des chercheur·ses, des professionnel·les, des fédérations, des situations accidentogènes), ce n’est pas les représenter fidèlement, mais « empêcher de faire comme s’il[s] n’étai[en]t pas là » (ibid., p. 53). De fait, la question de la proximité du chercheur avec l’objet d’étude ou les pratiquants ne se pose pas en termes de neutralité scientifique et/ou axiologique, mais de conscience des acteurs que l’on représente et que l’on introduit dans la production d’un dispositif de recherche.
16Le réseau peu à peu construit autour de SERAC et du projet doctoral est entré récemment dans une phase d’attraction qui reste néanmoins fragile. De nouveaux acteurs (SNGM, FFCAM) se sont emparés du modèle proposé de Rex pour l’adapter et le diffuser. Certains enrôlements sont institutionnalisés, cadrés par des inscriptions (courriers d’engagement, conventions, etc.) ; d’autres sont basés sur une logique collaborative proche du don. Ils n’en restent pas moins réversibles, nécessitant un travail soutenu (notamment par la doctorante) pour maintenir le réseau constitué. L’adhésion des pratiquants eux-mêmes reste inachevée, tout comme la formalisation des connaissances émergentes et de ses « publics ».
- 12 29 retours au lancement en 2015, puis un rythme décroissant (entre 4 et 14 récits par an) https://w (...)
17Le principe même du Rex, et plus largement la dynamique faisant de l’accidentologie un enjeu de connaissance, gagne peu à peu en popularité au sein des institutions. Dans le sillage de SERAC, celles-ci sont désormais nombreuses à susciter et chercher à valoriser les récits d’incidents émanant de leurs membres (syndicats professionnels, fédérations, etc.). Ainsi, la « fabrique de la sécurité » évolue en montagne, et ces initiatives font bouger les lignes. Les outils produits ne sont pas toujours convaincants et/ou adoptés, faute de compétences et de temps consacrés à la mise en place de ces systèmes et/ou à l’analyse et diffusion des données recueillies par ce biais. Ces systèmes de retour d’expériences parallèles fragilisent le réseau constitué autour de SERAC, tout en témoignant de l’engouement pour la démarche de retour d’expérience à partir d’incidents (qui constitue en soi une innovation, au-delà de SERAC). Ainsi, comme évoqué précédemment, la FFME lance-t-elle son propre outil de Rex en 2015, mais sans dynamique durable12. En contraste, un partenariat est initié avec la FFCAM en 2019 pour adapter SERAC aux attentes et besoins fédéraux. En 2018, le SNGM organise les premières Assises de la sécurité en montagne, avec la volonté de « prendre en main » l’accidentalité et l’exposition particulièrement fortes au sein de la profession. Ce syndicat crée son propre Rex, très largement inspiré de l’argumentaire et de l’architecture de SERAC, mais reste associé au réseau : de moins en moins défiant à l’égard des collaborations avec des amateurs (en particulier C2C), le SNGM associe la doctorante aux deuxièmes Assises de la sécurité en montagne en 2019 (co-organisées avec la FFCAM) et à son Groupe de traitement des Rex (GREX). L’imitation, généralement connotée péjorativement et considérée comme antithétique de l’innovation, constitue en fait un levier essentiel de bien des processus innovants (Godin, 2017).
18Sur le plan des contributeurs, l’enrôlement reste insuffisant, avec un rythme de dépôt de récits stable mais à renforcer. À la mi-2020, la base SERAC avait ainsi recueilli près de 400 récits. 72 % concernent l’alpinisme, au sens de fréquentation récréative de la montagne non aménagée : 162 en ski-alpinisme et de randonnée, 53 en rocher montagne ou terrain d’aventure, 59 en neige, glace et mixte et 7 en cascade de glace. Les autres récits concernent surtout l’escalade équipée d’une ou plusieurs longueurs (n=88), et dans une mesure bien moindre la randonnée pédestre (n=16). L’enjeu du niveau de détail des récits se combine à celui de leur nombre : au sein du corpus des récits d’alpinisme, par exemple, 45 % s’avèrent trop allusifs pour faire l’objet d’une exploitation secondaire (évocation d’un seul facteur contributif de l’événement).
- 13 Les travaux sur les collectifs en ligne ont bien montré que seule une minorité de membres produisen (...)
19Il faut par conséquent amener une partie des dizaines de milliers de membres de C2C à devenir des informateurs-témoins, acceptant non seulement de partager leurs incidents vécus en montagne, mais aussi d’« épaissir » leurs descriptions. Au-delà de la limite du faible nombre de contributeurs vraiment actifs dans les forums13, cet enrôlement implique un renversement du regard à propos de mésaventures souvent sensibles et parfois teintées d’un sentiment de culpabilité : il s’agit de les exposer publiquement pour mieux les comprendre, plutôt que de s’en détourner, de les taire ou de les occulter. Les échanges d’expériences étant souvent, jusque-là, l’apanage des seuls pratiquants expérimentés (professionnels ou non), et/ou circonscrits à des cercles restreints à la sociabilité amicale. À partir de l’hypothèse que les contributeurs manquent de retours au regard du « don » fait à la communauté en partageant un témoignage, et pour convaincre de l’intérêt concret des contributions, le choix est fait de multiplier les valorisations, y compris avec des connaissances « intermédiaires » encore non finalisées (en détournant la notion de Vinck, 1999). Ce travail de médiation des Rex SERAC auprès des publics s’est accéléré depuis 2019.
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Une médiation protéiforme vers les pratiquants et les professionnels
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Média
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Année
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Titre
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Site de la Fondation Petzl & Camptocamp14
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2019-2020
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Analyse des récits SERAC : rocher montagne et terrain d’aventure
Analyse des récits SERAC : alpinisme en neige, glace, mixte et cascade de glace
Analyse des récits SERAC : ski de randonnée
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Vertical
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2020
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L’accidentologie des pratiques de montagne (no 77)
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Montagnes Magazine
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2020
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Accidentologie : une première analyse pour l’alpinisme en rocher et le terrain d’aventure15
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2020
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Accidentologie : une première analyse pour l’alpinisme en neige, glace, mixte et la cascade de glace16
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2020
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Accidentologie : une première analyse pour le ski de randonnée17
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AlpineMag
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2020
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Accidents en alpinisme neige et glace - L’analyse des récits SERAC18
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La Montagne et Alpinisme (FFCAM)
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2021
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À quoi sert le Retour d’expériences (Rex) en ski de randonnée ? Éclairages et résultats tirés de la base SERAC19
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Neige & Avalanche (ANENA)
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2021
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Ski de randonnée : la chute, risque oublié de la prévention ? Analyse croisée des données des secours en montagne (PGHM) et des retours d’expérience SERAC
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20D’autres médiations sont amorcées, comme l’intégration de résultats et des interventions invitées dans le cadre de la formation initiale et continue des guides de haute-montagne.
21Si l’attachement de certains acteurs reste insuffisant ou fragile, le réseau d’acteurs qui se construit autour du principe de Rex s’élargit et se consolide. Il est socialisé vers des publics qui se diversifient : contributeurs de C2C, lecteurs de la presse montagne, licenciés, professionnels, formateurs… La nature des connaissances elles-mêmes change et le projet évolue sur le plan épistémologique. La philosophie open source incarnée par C2C et le libre accès à l’outil et aux données SERAC ont notamment contribué à reconfigurer la production des connaissances vers des formes collaboratives et plus horizontales. Après un temps d’hésitation, les analyses se sont détachées de leurs fondements initiaux, qui visaient l’identification de trajectoires accidentelles type. La pluralité des activités, leur caractère peu protocolaire nécessitant des adaptations constantes des savoir-faire, la variabilité et l’incertitude des environnements d’évolution, autant que les informations détaillées mais peu standardisées recueillies via SERAC ne sauraient en effet déboucher sur des généralisations explicatives. Il s’agit avant tout de promouvoir une culture du partage d’expérience, puis d’en tirer éventuellement parti pour progresser en termes de prévention. Le premier effet induit est d’ordre réflexif : structurer et rédiger un récit fournit l’occasion de prendre du recul quant à ses comportements et décisions ; dit autrement, cela rend possible une auto-analyse plus ou moins poussée de la situation et de ses choix. L’agrégation de ces témoignages est constitutive d’une banque de récits consultable, permettant à chacun de prendre connaissance des difficultés rencontrées et surmontées par d’autres, ce qui s’avère propice à engager une réflexion sur sa propre pratique. Le Rex SERAC devient avant tout un outil visant à « fournir les moyens d’une réflexion sur l’expérience acquise […] pour en tirer les conséquences, la mémoriser et la réutiliser » (Weill-Fassina & Pastré, 2004). Wallace et Ross (2016) montrent que cette pratique réflexive permet une baisse du taux d’accidents en entreprise. Pour les chercheur·ses, le programme devient plus descriptif et compréhensif : synthèses et analyses prudentes visent la valorisation de cette banque d’expériences et sa traduction pour favoriser son appropriation par les pratiquants. En regroupant les scénarios ayant un air de famille, en faisant émerger, grâce à une analyse résolument accessible, certains éléments d’interprétation récurrents, l’enjeu est de susciter, sans réductionnisme, une réflexion sur quelques enjeux sécuritaires. Pour Wallace et Ross (2016), il s’agit de raisonner en termes de « cas concrets », où l’expert devient non plus celui ayant connaissance des lois abstraites mais au contraire celui ayant l’expérience de cas spécifiques (Schön, 1983, dans Wallace & Ross, 2016). L’accent préventif est mis en premier lieu sur l’intérêt des témoignages en première personne de pratiquants « experts », et sur le pouvoir de transposition, voire d’identification des autres pratiquants à ces récits détaillés de situations réelles. L’appui sur des exemples concrets tend à donner de l’épaisseur aux recommandations préventives, dans une démarche écologique (Hage & Reynaud, 2014 ; Wallace & Ross, 2016) visant à contextualiser les actions humaines dans le système d’interactions qu’elles forment avec leur environnement naturel, matériel, culturel et social (Barbier et al., 2013 ; Le Moigne, 1977). Dans un deuxième temps, il s’agit d’identifier des scénarios marquants (et non plus récurrents) ainsi que des dynamiques situationnelles conduisant à un engagement corporel porteur de dangers, en connaissance de cause, auquel le pratiquant pourra s’auto-confronter20. In fine, les chercheur·ses ne sont pas seulement engagé.e.s dans le « faire savoir », mais aussi dans la promotion du dépôt de Rex et d’une posture de réflexivité-partage, destiné à « faire faire » connaissances aux autres.
22En écho à la dualité épistémologique initiale, le projet s’adapte, sans abandonner toute ambition de générer des connaissances fondamentales, mais en tentant de faire cohabiter RAC et savoirs scientifiques pluriels. Alors que la ligne directrice de SERAC priorise la valorisation de la connaissance produite, destinée à faire vivre l’innovation, les deux autres axes du projet doctoral s’inscrivent dans une démarche plus conventionnelle. L’analyse quantitative des données du SNOSM porte déjà ses fruits en termes d’identification de « points noirs » en matière d’accidentalité : profils de pratiquants particulièrement à risque, principaux massifs montagneux théâtres d’accidents, influence de la saisonnalité et des types de terrain (Vanpoulle et al., 2021). La dernière partie du doctorat vise l’approfondissement de la question des rapports au risque et de l’engagement en connaissance de cause. Elle est orientée tant par l’analyse quantitative des données du SNOSM que par les premières conclusions procédant des Rex SERAC. L’ensemble du projet revêt donc une double ambition : celle de la RAC et de l’accompagnement d’une innovation sociale ; et ce faisant, la production de connaissances situées, traduisibles en recommandations préventives ou promouvant une approche plus réflexive de la pratique pour les sportifs. Le type de traductions, la forme des savoirs et connaissances ainsi impulsés restent encore instables, et leur temporalité dépassera certainement celle du travail doctoral. Le format idéal tend à s’adapter aux évolutions sociales et matérielles même de l’environnement montagnard. L’innovation sociale, le type de connaissance qui en découle, et le projet doctoral qui l’entoure sont décrits ici chemin-faisant et les formes qu’ils prendront restent à définir.
23Afin d’éviter un résumé simpliste d’un processus déjà cloisonné en trois phases distinctes, nous insistons dans la présente synthèse sur les principales transformations du projet et de ses parties prenantes.
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Étape 1 : état des lieux & problématisation
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Étape 2 : exploration, intéressement & prototypage
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Étape 3 : exploitation & enrôlements réversibles
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Objectifs & programme
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Suite à l’exploitation 2aire de données tierces, émergence d’un programme de production de connaissances qualitatives (scénarios d’accidents)
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À partir des compétences et ressources plurielles de l’acteur-réseau, élaborer et intéresser à SERAC
Susciter l’adhésion, faire émerger des récits (accident, incident)
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Socialisation de l’innovation, promotion de la culture du partage d’expérience
Constitution d’une banque de récits consultable, exploitation préventive
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Dimension épistémologique
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Manque d’expérience de la RAC : parties prenantes peu intégrées et co-construction ténue
Centralité de la démarche scientifique classique
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Dualité épistémique au sein du réseau : attente de connaissances fondamentales versus volonté de construction collective et pragmatique de savoirs applicables
Modèle analytique surtout inscrit dans l’objectivation : production de connaissances par concaténation d’incidents pour identifier des facteurs de risque et enchaînements récurrents
Perspectives de quantification partielle du matériau qualitatif
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Normalisation de la démarche de Rex au sein du milieu montagne
Réflexivité et auto-analyse suscitées : détachement vis-à-vis des fondements analytiques initiaux (généralisation à partir de trajectoires type) et prise en compte accrue des perceptions et de la subjectivité (démarche écologique)
Transpositions encouragées à partir de « cas concrets » et de situations marquantes
Posture de réflexivité-partage pour « faire faire » connaissance aux autres
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Principaux compromis
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Efforts de traduction/vulgarisation (rapports en ligne)
Partage de mieux en mieux accepté des statistiques de chaque institution
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Redéfinition de la problématique
Transformations du dispositif pour faire tenir ensemble des enjeux pluriels
Concessions progressives vis-à-vis des pratiques conventionnelles de recherche : renoncements à l’exclusivité des données, aux publications académiques, etc.
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Contre-dons aux contributeurs sous la forme de vulgarisation/médiation
Forme alternative de valorisation scientifique : écrire sur le processus d’innovation SERAC, plutôt que sur ses résultats
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Enrôlements et attachements
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Recensement et valorisation des données existantes à l’origine d’une circulation accrue des informations
Identification des actants pertinents à associer au projet de recueil d’incidents
Attention et curiosité éveillées chez les acteurs du milieu montagne
Amorce partenariat avec plusieurs institutions mais réticences de certains acteurs, systèmes de production de données encore largement concurrents
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Attachements croissants au réseau, de plus en plus formalisés : confiance grandissante liée à des proximités sociales et cognitives
Intermédiaire et collaborations de plus en plus acceptées, voire souhaitées du côté institutionnel
Déclin de systèmes concurrents
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Doctorante devenue porte-parole plurielle, collaboratrice au sein de plusieurs institutions de montagne
Système de Rex banalisé dans la principale communauté (C2C) : incitations à témoigner, renvois à SERAC
Enrôlement des contributeurs initié mais plutôt stagnant
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24Sur le fond comme sur la forme, les principaux outputs de cette innovation n’étaient pas, initialement, envisagés comme des priorités. L’optique consiste désormais moins à réduire qu’à sonder et exploiter la subjectivité des témoignages renvoyant à des situations emblématiques d’exposition au danger en montagne. En d’autres termes, les commentaires d’ordre technique et nivo-météorologique, tout comme la prétention à la modélisation généralisatrice, sont relégués au second plan, au profit de la prise en compte du ressenti des contributeurs et de la réflexivité des lecteurs.
25La manière de considérer la notion de risque atteste de la transformation du projet. Initialement, en référence à la typologie proposée par Soulé et Corneloup (2007), l’optique était processuelle et systémique : il s’agissait d’identifier les événements récurrents, ainsi que, pour chacun d’eux, la structure du danger (scénarios susceptibles de conduire aux événements, enchevêtrement de facteurs se renforçant ou s’atténuant dans le temps). Cette perspective s’est avérée difficilement compatible avec la nature des activités, des environnements de pratique et des récits recueillis. Revêtant de surcroît un caractère potentiellement normatif, ce cadre interprétatif a été écarté au profit d’une approche relativiste (Soulé & Corneloup, 2007). Sans doute démesurée, la volonté modélisatrice a cédé la place à une ambition plus modeste visant à susciter la réflexivité chez les pratiquants. Le risque est alors envisagé comme un complexe de situations vécues et d’expériences individuelles, appréhendé in situ.
26À l’instar d’autres recherches collaboratives en montagnes (Refuges Sentinelles, par exemple, voir Clivaz et al., ce numéro), le dispositif SERAC apparaît comme un laboratoire en plein air dont une partie du travail échappe aux « chercheur·ses académiques ». Faire science de manière collaborative change les manières de produire, mais aussi de rendre utiles les informations co-construites. Influencé notamment par l’enrôlement d’une communauté en ligne, le projet a été transformé par le fait que ce type de collectif est fondé sur « la collecte d’expériences et la construction d’un savoir expérientiel » qui permettent un « travail d’articulation entre connaissances formalisées et expérience personnelle » (Akrich, 2018, p.20) des pratiquants. En ce sens, SERAC, et la démarche de Rex en général, renvoient à ce qu’Akrich appelle justement une « communauté d’expérience ». Cette dernière fait connaissance par une pensée de type « corpus », selon « l’hypothèse que le cumul des témoignages permet d’avoir une vision englobante des questions » (ibid. p.27) suffisamment large et diversifiée pour que l’individu ajuste ses propres choix, sans s’interdire la possibilité de construire une forme de généralisation dépassant les retours individuels. Le réseau de SERAC va-t-il se stabiliser ou s’effilocher ? Les savoirs vont-ils « durcir », sous quelles formes et vers quelles appropriations ? L’intérêt de ce cas est peut-être justement que le destin de SERAC comme de ses outputs reste d’autant plus incertain qu’elle doit être appropriable par le plus grand nombre. Comme dans toute innovation, le succès d’un tel dispositif de recherche sera avéré, ou non, lorsque ses connaissances lui auront pleinement échappé.