Navigation – Plan du site

AccueilNuméros59VariaAmbivalences libérales : l’Anti-C...

Varia

Ambivalences libérales : l’Anti-Corn Law League et la « democracy », 1838-1848

Liberal Ambivalences: The Anti-Corn Law League and “Democracy”, 1838-1848
Liberale Ambivalenzen: die Anti-Corn Law League und die „Demokratie“ 1838-1848
Hugo Bonin
p. 167-183

Résumés

Afin d’éviter une lecture anachronique de l’émergence des démocraties libérales, il est nécessaire d’étudier l’histoire spécifique du mot « democracy ». Si certain.e.s se sont penché.e.s sur le cas britannique, peu ont porté une attention spécifique au mouvement libre-échangiste des années 1840 et à l’Anti-Corn Law League (ACLL). À travers une analyse des journaux, pamphlets et discours de la Ligue, nous examinons son double positionnement à la fois antiaristocratique et anti-démocratique. Bien qu’originale sur certains points, la critique du caractère élitiste des Corn Laws n’implique pas une valorisation de la « democracy » chez les libre-échangistes. Ce n’est que dans le contexte électoral que l’ACLL s’approprie positivement le terme. Mais, loin d’une affinité particulière entre libéralisme et démocratie, il ressort de cette étude le portrait d’une organisation aux positions équivoques, et en cela représentative de l’imaginaire politique victorien et ses rapports avec la démocratie.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Matt Cole, Democracy in Britain, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2006, p. 46-74 ; Bernard Cr (...)
  • 2 Paul Foot, The Vote: How it Was Won, and How it Was Undermined, Londres, Viking, 2005 ; Elizabeth W (...)

1L’histoire de la démocratie en Grande-Bretagne s’écrit souvent à partir de quelques grands documents, tels que la Magna Carta (1215), le Bill of Rights (1689), le First et Second Reform Act de 1832 et 1867, considérés comme les jalons d’une irrésistible marche vers la démocratie parlementaire1. Or, dans les débats menant à l’adoption de ces textes, le terme « democracy » était généralement absent. En fait, des mesures explicitement adoptées dans une perspective antidémocratique, tels que les Reform Acts susmentionnés, sont aujourd’hui présentées comme menant nécessairement à la démocratie libérale2. Ce décalage, entre les discours des acteurs historiques et l’application rétrospective du qualificatif de démocratique par certain.e.s historien.ne.s, illustre le fait que l’histoire de la « democracy » ne peut faire l’économie d’une analyse des différents usages et transformations sémantiques du mot en lui-même.

  • 3 Robert R. Palmer, “Notes on the Use of the Word ‘Democracy’ 1789-1799”, Political Science Quarterly(...)
  • 4 Francis Dupuis-Déri, Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, Montréal, (...)
  • 5 Joanna Innes et Mark Philp (eds.), Re-Imagining Democracy in the Mediterranean, 1780-1860, Oxford, (...)
  • 6 Pasi Ihalainen, Agents of the People: Democracy and Popular Sovereignty in British and Swedish Parl (...)

2Depuis l’article fondateur de Robert Palmer3, Notes on the Uses of the Word “Democracy”, plusieurs chercheur.euse.s se sont penché.e.s sur la trajectoire particulière de ce terme. Dans les cas français et états-unien, il a été démontré que les révolutionnaires républicains du xviiie siècle font un usage négatif du terme démocratie, qu’ils associent au désordre politique. Ce n’est qu’au tournant des années 1830 qu’il devient synonyme de république et acquiert ainsi une connotation positive4. Dans l’Europe méditerranéenne, les trajectoires variées du terme ont été récemment analysées dans l’ouvrage dirigé par Joanna Innes et Mark Philp5. Dans le cas britannique, plusieurs études ont examiné le parcours complexe de « democracy » : vilipendé au début du xixe siècle, le mot ne devient inséparable du parlementarisme qu’à partir de la Première Guerre mondiale6. Durant cette période, le terme sera utilisé à la fois pour désigner un régime politique populaire, un type de société égalitaire et les classes ouvrières. Sa connotation, généralement négative, deviendra progressivement positive pour certains acteurs politiques – mais restera problématique pour d’autres jusqu’en 1920. C’est notamment cette appropriation différenciée du mot « democracy » qui est l’objet de cet article.

  • 7 Malcolm Chase, Chartism: A New History, Manchester, Manchester University Press, 2007 ; Gareth Sted (...)
  • 8 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, Londre (...)
  • 9 Lucy Brown, “The Chartists and the Anti-Corn Law League”, in Asa Briggs (eds.), Chartist Studies, L (...)

3En Grande-Bretagne, les années 1838-1848 sont marquées par deux mouvements politiques d’envergure : le chartisme et le libre-échangisme. Le premier fait référence à ceux et celles qui réclament l’adoption d’une People’s Charter composée de six points : suffrage masculin adulte ; vote par bulletin secret ; abolition du cens d’éligibilité pour les députés et leur rémunération ; circonscriptions de taille égale ; élections parlementaires annuelles7. Le mouvement libre-échangiste se concentre pour sa part sur l’abrogation des Corn Laws, un ensemble de mesures protectionnistes considérées comme favorisant l’aristocratie terrienne britannique8. Le mouvement obtient gain de cause en 1846, avec l’abrogation des lois par le gouvernement conservateur de Robert Peel et plus largement l’adoption du credo libre-échangiste par l’élite politique britannique. Les chartistes, pour leur part, se dissolvent en 1858, sans voir aucune de leurs revendications satisfaites. Ces deux mouvements sont donc souvent comparés, tant dans leurs stratégies politiques (pétitions, rassemblements, campagnes électorales), que dans leurs origines sociales et leurs revendications (politiques ou économiques9).

  • 10 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, Journal o (...)
  • 11 Maartje Janse et Henk te Velde, « Introduction: Perspectives on Political Organizing », in Maartje (...)
  • 12 Roland Quinault, “Cobden and Democracy”, in Simon Morgan et Anthony Howe (eds.), Rethinking Ninetee (...)
  • 13 Robert Saunders, Democracy and the Vote in British Politics, 1848-1867: The Making of the Second Re (...)
  • 14 Asa Briggs, Victorian People: A Reassessment of Persons and Themes 1851-1867, Londres, Penguin Book (...)

4Sans se prononcer sur la valeur de telles comparaisons, le contraste entre chartistes et libres-échangistes permet de mettre en lumière les aléas du mot « democracy » en Grande-Bretagne. Si l’utilisation du vocabulaire démocratique par les chartistes a déjà été analysée, notamment par l’historien Peter J. Gurney10, ce n’est pas le cas de l’Anti-Corn Law League (ACLL), principale organisation libre-échangiste de l’époque. En fait, alors que la Ligue est souvent présentée comme une source d’inspiration des partis politiques modernes, voire comme étant prodémocratique elle-même11, l’usage du terme « democracy » par l’organisation ou ses leaders (tels que Richard Cobden et John Bright) n’a pas attiré l’attention des historien.ne.s – ou alors de manière inadéquate. Ainsi, Roland Quinault confond réforme parlementaire et « democracy », affirmant que le soutien de Cobden pour la première implique une défense de la seconde12. Or, durant une bonne partie du xixe siècle, les partisans d’une réforme parlementaire prennent soin de se distancier du mot « democracy13 ». Cette critique peut aussi s’appliquer au traitement réservé à Bright, présenté comme « père » de la démocratie britannique14 – alors que son rapport au terme est beaucoup plus nuancé, particulièrement durant les années 1840.

  • 15 Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La F (...)
  • 16 Mark Philp et Eduardo Posada-Carbó, “Liberalism and Democracy”, in Joanna Innes et Mark Philp (eds. (...)

5À l’heure où la démocratie libérale semble entrer en crise, il apparaît urgent de revisiter la question du rapport entre démocratie et libéralisme. Si plusieurs travaux de généalogie philosophique ont mis en exergue le caractère autoritaire du libéralisme politique15, peu d’études de cas historiques existent. Or, comme Mark Philp et Eduardo Posada-Carbó ont récemment pu le démontrer, c’est une certaine ambiguïté qui caractérise les rapports entre libéraux et démocratie dans l’Europe méditerranéenne16. De plus, l’importance, tant historique que conceptuelle, du libéralisme britannique mérite que l’on s’y attarde plus longuement. Par ailleurs, une étude attentive des usages du vocabulaire démocratique du mouvement libre-échangiste permet de sortir des textes canoniques pour analyser un discours, celui du Free Trade, qui sera dominant dans l’imaginaire britannique jusqu’à la fin du xixe siècle. En analysant les publications officielles de l’ACLL (journaux, tracts, etc.) et les discours des libres-échangistes à travers ce prisme démocratique, c’est en fin de compte tout un pan oublié de l’histoire intellectuelle britannique qui est reconstituée.

  • 17 Francis Dupuis-Déri, Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, op. cit., (...)
  • 18 Robert Saunders, Democracy and the Vote in British politics, 1848-1867, op. cit.

6Cet exercice permet de saisir toute l’ambivalence du libéralisme britannique dans ses rapports avec la démocratie. Loin d’une affinité particulière entre libéraux et « democracy », il ressort des discours de l’Anti-Corn Law League une volonté de ménager la chèvre aristocratique et le chou démocratique. Professant une virulente critique anti-aristocratique des propriétaires terriens, la Ligue prend néanmoins ses distances avec les « democrats » chartistes. Plus précisément, c’est particulièrement durant les périodes d’agitation populaire que l’ACLL se fait la plus antidémocratique. À l’inverse, dans certains contextes, notamment lorsqu’elle s’oriente vers une stratégie électoraliste, la « democracy » devient alors un objectif légitime. Ce processus d’appropriation positive dans un contexte électoral évoque les démarches électoralistes des républicains français et des démocrates jacksoniens qui ont lieu à la même époque17. Malgré ces quelques rapprochements timides entre libres-échangistes et rhétorique démocratique, la tendance est plus à une divergence entre « liberals » et « democrats », ce qui sera confirmé dans les décennies suivantes18.

Brève histoire des Corn Laws

  • 19 Boyd Hilton, A Mad, Bad, and Dangerous People? England 1783-1846, Oxford, Oxford University Press, (...)
  • 20 Anon., Observations on the Corn Laws, Addressed to W. Whitmore, Londres, Longman, Rees, Orme, Brown (...)
  • 21 Hansard, Communes, 16 mars 1837, vol. 37, c587. Toutes les traductions sont de l’auteur.
  • 22 Roger Swift et Charles Pelham Villiers, Aristocratic Victorian Radical, Londres, Routledge, 2017.
  • 23 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)

7Les Corn Laws font référence à un ensemble de lois dont l’objet était d’encourager la production agricole britannique en taxant les importations et en subventionnant les exportations de grains (corn). Modifiées à plusieurs reprises au cours du xviiie siècle, elles sont de nouveau amendées en 1815, par le gouvernement de Lord Liverpool, anxieux de s’assurer une certaine autonomie alimentaire19. À partir de cette date, l’importation de grains étrangers est interdite, à moins que le coût du blé ne dépasse un certain seuil fixe. Cette nouvelle mouture des Corn Laws fait l’objet de débats dès son adoption et dans les années qui suivent20. Ce n’est cependant qu’à partir de 1837 que la mobilisation libre-échangiste prend réellement son envol. En mars de cette année, une motion visant à révoquer une grande partie des Corn Laws est appuyée par Charles Pelham Villiers, qui dénonce l’aristocratie terrienne comme une « classe improductive » nuisant au fonctionnement du « gouvernement représentatif » britannique21. Villiers devient rapidement le premier porte-parole parlementaire des libres-échangistes, déposant chaque année une motion Anti-Corn Laws22. Mais c’est surtout à l’extérieur de l’enceinte parlementaire que le mouvement Free Trade va se développer, avec l’émergence, en mars 1839, d’une organisation libre-échangiste nationale : l’Anti-Corn Law League23.

  • 24 Dans le contexte britannique des années 1830-1840, l’étiquette désigne « cette partie de la société (...)
  • 25 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846”, The English Historical Review, vo (...)
  • 26 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)
  • 27 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838 (...)
  • 28 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846”, art. cit.
  • 29 Michael J. Turner, “The ‘Bonaparte of Free Trade’ and the Anti-Corn Law League”, The Historical Jou (...)
  • 30 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838 (...)
  • 31 Hugh Cunningham, The Challenge of Democracy: Britain, 1832-1918, Harlow, Longman, 2001, p. 45.

8Fortement implantée dans les villes industrielles du nord et de l’est de la Grande-Bretagne, la Ligue est une organisation issue des classes moyennes24 et se revendique comme telle25. Fortement centralisée l’ACLL se veut une organisation à visée unique : elle ne prend position que sur la question des Corn Laws. Par exemple, même lorsque plusieurs de ses membres se disent favorables au suffrage universel, la Ligue elle-même reste neutre sur la question26. Elle s’inspire notamment de la lutte abolitionniste, dont elle va reprendre plusieurs de moyens d’action (pétitions, tournées de conférences), tout en innovant en matière de financement et de stratégies électorales27. Elle publie et distribue un nombre impressionnant de pamphlets et de journaux (The Anti-Corn Law Circular, The Anti-Bread Tax Circular, The League), cherchant à convaincre l’opinion publique. En complément, elle organise annuellement, entre 1839 et 1843, une campagne massive de pétitions, visant à démontrer à Westminster qu’elle possède l’appui de la population28. La Ligue commandite aussi des tournées de conférences publiques à grande échelle à travers le pays, où s’expriment des individus tels que William Cooke Taylor ou le colonel Thomas Perronet Thompson. Ce dernier, le « Bonaparte du libre-échange29 », s’impose notamment comme vulgarisateur clef des notions d’économie politique libérale. C’est dans ce contexte que Bright, un industriel Quaker, émerge comme un orateur de talent, inscrivant la lutte libre-échangiste dans le sillage des grands combats moraux du siècle, comme la liberté religieuse et l’abolition de l’esclavage30. Ce double discours, à la fois économique et moral, typique de la classe moyenne victorienne, sera constant tout au long de l’existence de la Ligue31.

  • 32 Anthony Howe, “Les Hungry Forties”, Revue d’histoire du xixe siècle, n° 52, 2016, p. 47-64.
  • 33 Hansard, Communes, 24 février 1842, vol. 60, cc1018-82 ; Hansard, Communes, 10 juin 1845, vol. 81, (...)

9Au cours des années 1840, des conditions économiques difficiles favorisent le message libre-échangiste. En effet, les « hungry forties » comme on les appellera à partir du xxe siècle32 voient l’agitation chartiste se combiner avec de mauvaises récoltes, et, à partir de 1845, avec la famine en Irlande, gérée de manière catastrophique par les autorités britanniques. Dans ce contexte, le discours de l’Anti-Corn Law League, qui insiste sur la baisse du prix du pain qu’entraînerait la révocation des lois sur le grain, rencontre un succès grandissant auprès de la population et des parlementaires. En témoigne le soutien croissant pour les motions libres-échangistes de Villiers : alors que la majorité protectionniste était de 300 voix sur 658 en février 1842, elle n’est plus que de 132 en juin 184533. Entre-temps, Villiers a notamment été rejoint à Westminster par Cobden (1841) et Bright (1843).

  • 34 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)

10Ces succès parlementaires encouragent un changement de stratégie. À partir de 1844, l’ACLL adopte une optique électoraliste. Plus particulièrement, elle se penche sur l’inscription des électeurs avant les élections partielles : son but est de rayer certains votants protectionnistes des listes, pour en inscrire d’autres, favorables au libre-échange. En effet, suite au Reform Act de 1832, des registres électoraux ont été établis, pour prendre en compte les nouveaux électeurs. Selon la législation britannique de l’époque, on peut contester le droit de vote d’un citoyen, notamment en affirmant que celui-ci n’atteint pas le seuil de propriété requis. L’accusé doit alors se présenter au tribunal sous peine de perdre automatiquement son statut d’électeur. À l’inverse, à travers l’achat de propriété foncière et sa subdivision en terrains en pleine propriété rapportant 40 shillings par an, il est possible d’acquérir le droit de vote, ce que fit la Ligue via différentes sociétés avec plus ou moins de succès34.

  • 35 Michael Lusztig, “Solving Peel’s Puzzle: Repeal of the Corn Laws and Institutional Preservation”, C (...)
  • 36 Boyd Hilton, A Mad, Bad, and Dangerous People? England 1783-1846, op. cit., p. 508-513.
  • 37 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)

11Si l’ACLL ne réussit pas à créer un raz-de-marée électoral en faveur du libre-échange, elle parvient à faire tourner le vent. Après maintes tergiversations, Peel, Premier Ministre conservateur et protectionniste, au pouvoir depuis 1841, prend position en faveur de l’abolition des Corn Laws en novembre 1845. Selon Michael Lusztig, ce revirement n’est pas seulement dû au contexte économique, mais à une volonté « de préserver les principes fondamentaux de la constitution britannique, à savoir un gouvernement aristocratique et un droit de vote limité35 ». En d’autres mots, ce serait face à la « menace démocratique » de l’ACLL que Peel aurait fait volte-face – d’où l’importance d’étudier le vocabulaire politique de la Ligue. Après 32 nuits de débats, l’alliance précaire des Peelites, whigs et radicaux parvient à faire adopter le projet de loi avec une majorité de 98 voix36. L’Anti-Corn Law League, son objectif atteint, se dissout dans les jours qui suivent – bien qu’elle ne disparaisse complètement qu’au tournant de 1852, avec l’adoption des principes libres-échangistes par les conservateurs37.

Une Ligue contre l’aristocratie…

  • 38 Corinne Comstock Weston, English Constitutional Theory and the House of Lords, 1556-1832, Londres, (...)
  • 39 Henk te Velde, “Democracy and the Strange Death of Mixed Government in the Nineteenth Century: Grea (...)
  • 40 James A. Epstein, “The Constitutional Idiom: Radical Reasoning, Rhetoric and Action in Early Ninete (...)

12Tout au long de son existence, l’Anti-Corn Law League utilise une rhétorique critique de l’aristocratie terrienne. Dans ses brochures, conférences et pétitions, les Corn Laws sont présentées comme résultats des intérêts égoïstes et particuliers des fermiers et propriétaires fonciers. À l’inverse, la Ligue présente sa lutte comme désintéressée et surtout bénéficiant à l’intérêt général. Dans le contexte britannique, une telle position marque une rupture partielle avec l’imaginaire politique dominant. En effet, entre la Glorieuse Révolution de 1688 et le milieu du xixe siècle, le régime britannique est considéré comme un régime mixte, dans lequel Kings, Lords & Commons incarnent chacun un principe politique différent : monarchie, aristocratie et démocratie38. Dans une telle conception de l’État, l’enjeu est de conserver un équilibre constitutionnel entre les différentes parties en présence39. Une part importante des réformistes parlementaires des xviiie et xixe siècles vont continuer de s’inscrire dans ce discours constitutionnaliste, cherchant simplement à « restaurer » l’esprit de la constitution britannique, sans remettre en question l’existence de la Couronne et des Lords40.

  • 41 Philip Schofield, Utility and Democracy: The Political Thought of Jeremy Bentham, Oxford, Oxford Un (...)
  • 42 Amanda Goodrich, “Understanding a Language of ‘Aristocracy’, 1700-1850”, The Historical Journal, vo (...)
  • 43 À l’exception d’Alexander McDonnell, Free Trade; Or, an Inquiry into the Expediency of the Present (...)

13Certes, la rupture des Anti-Corn Laws avec la théorie du gouvernement mixte n’est pas originale – on peut considérer que Jeremy Bentham et ses disciples utilitaristes sont les premiers à articuler une critique de l’élément aristocratique41. Par ailleurs, la critique de l’aristocratie par les libres-échangistes est à comprendre dans un mouvement plus vaste de transformation du sens du mot « aristocracy ». Tel que souligné par Amanda Goodrich, celui-ci passe d’un terme signifiant un régime politique où les nobles ont le pouvoir, à une catégorie sociale regroupant à la fois les nobles, la gentry et l’élite sociopolitique, et dont le sens est négativement connoté – particulièrement à partir de la Révolution française42. Certes, certains whigs continueront de défendre le rôle politique d’une aristocratie désintéressée et vertueuse, mais ce genre de positions a peu d’échos dans la littérature libre-échangiste43.

14La critique du caractère aristocratique des Corn Laws précède donc l’ACLL, mais elle est fortement diffusée par celle-ci. Par exemple, en 1827, Thompson publie un Catechism on the Corn Laws, réédité plus de 18 fois par la suite, notamment par la Ligue. Dans celui-ci, il paraphrase un argument protectionniste voulant qu’il soit « nécessaire pour le maintien de la constitution, que l’aristocratie soit soutenue dans toute sa splendeur ». Ce à quoi il rétorque :

  • 44 Thomas Perronet Thompson, Catechism on the Corn Laws: With a List of Fallacies and the Answers, Lon (...)

Le peuple anglais a pris la décision […] de soutenir un roi dans toute sa splendeur, afin qu’il puisse contrôler l’aristocratie. Mais il n’est pas évident qu’il ait décidé de soutenir également l’aristocratie […]. C’est payer des souris et un chat pour les attraper ; et présenter cela comme nécessaire pour maintenir l’heureuse constitution du garde-manger44.

  • 45 Anon., Authorities Against the Corn Laws, Followed by the Anti-Corn-Law League to the Duke of Welli (...)

15En d’autres termes, les Corn Laws sont présentées comme un tribut payé par la population britannique à l’aristocratie. Ou comme l’exprime plus succinctement la Ligue dans son pamphlet Authorities Against the Corn Laws (1842) : « Les Corn Laws sont une extension de la liste civile à l’ensemble de l’aristocratie terrienne de Grande-Bretagne45 ».

  • 46 The League, Manchester, 23 mars 1844, cité in Richard F. Spall, “Landlordism and Liberty: Aristocra (...)
  • 47 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846 ”, art. cit., p. 902.

16Le principal reproche adressé à l’aristocratie par l’ACLL concerne la législation de classe. Les Corn Laws sont considérées comme résultant du pouvoir législatif démesuré de l’intérêt foncier (landed interest). Plus explicitement, l’aristocratie est souvent qualifiée de « landocracy », dont le pouvoir indu vient déséquilibrer la constitution. Ainsi, pour William Griffiths, un pasteur Wesleyen, « la Corn Law est le fruit de la législation de classe ; et la législation de classe est en contradiction avec les principes de la constitution britannique et porte gravement préjudice aux droits du peuple46 ». Une position qui se retrouve dans plusieurs des pétitions déposées à Westminster, qui décrient le « monopole législatif aristocratique » à l’œuvre en Grande-Bretagne47. Face à l’intérêt égoïste de l’aristocratie, qui cherche à préserver sa position économique via son contrôle de l’appareil législatif, l’ACLL se pose en défenseuse de l’intérêt général, librement arbitré par les forces du marché.

  • 48 James Wilson, Influences of the Corn Laws, As Affecting All Classes of the Community, and Particula (...)
  • 49 Cheryl Schonhardt-Bailey, From the Corn Laws to Free Trade, Interests, Ideas, and Institutions in H (...)

17Un des thèmes récurrents du discours de la Ligue est que la révocation des lois protectionnistes bénéficiera à tous, même au secteur agricole. Ainsi, pour James Wilson, écrivant en 1840, les Corn Laws permettent aux propriétaires d’exiger des métayers (tenant farmers) des loyers toujours plus élevés, sans que ces derniers puissent engranger de plus grands bénéfices48. S’inspirant des théories économiques de Thomas Malthus et David Ricardo, cette critique de la propriété foncière permet à l’ACLL de « créer un fossé entre les propriétaires fonciers et les métayers49 ». De façon similaire, la position anti-aristocratique des responsables de la Ligue leur permet de se poser en alliés des classes laborieuses. Bien qu’il soit critique du chartisme, Bright rappellera aux travailleurs de Rochdale en août 1842 que :

  • 50 George Macaulay Trevelyan, The Life of John Bright, Londres, Constable, 1913, p. 82.

L’aristocratie considère l’Anti-Corn Law League comme son plus grand ennemi. Ce qui est le plus grand ennemi de l’impitoyable aristocratie de la Grande-Bretagne doit nécessairement être votre meilleur ami50.

18Mais cette amitié ne va pas jusqu’à l’adoption du vocabulaire démocratique chartiste.

… et les « democrats » chartistes

  • 51 Anon., A Plea for the Total and Immediate Repeal of the Corn Laws, Londres, Scott, Webster & Geary, (...)
  • 52 Hansard, Communes, 12 mars 1839, vol. 46, cc353 ; Hansard, Communes, 1er février 1844, vol. 72, cc1 (...)
  • 53 Hansard, Communes, 11 juillet 1842, vol. 64, cc1358 ; Hansard, Communes, 22 juillet 1842, vol. 65, (...)
  • 54 Hansard, Communes, 7 mars, 1844 vol. 73, cc664.
  • 55 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, art. cit. (...)

19Il faut noter dès le départ que l’Anti-Corn Law League – et le mouvement libre-échangiste dans son ensemble – n’utilise que très peu le vocabulaire démocratique. Alors que la plupart des pamphlets et tracts de l’association mentionnent au moins une fois « aristocracy » ou « landed interest », nombre d’entre eux n’emploient pas du tout le terme « democracy51 ». Dans l’enceinte parlementaire, les députés libres-échangistes se font tout aussi discrets dans l’utilisation du mot. Ainsi, alors qu’il multiplie les attaques sur l’aristocratie terrienne entre 1839 et 1846, Villiers n’utilise « democratic » qu’une seule fois en août 1848, en référence au vote secret52. Cobden, pour sa part, ne prononce que quelquefois fois le terme pour faire référence aux États-Unis ou pour se moquer de ses adversaires conservateurs53. Bright, avant 1848, ne fait usage du qualificatif démocratique qu’une seule fois en 1844 – et ce de manière sarcastique54. Cette absence est révélatrice en soi, puisqu’elle démontre que la critique anti-aristocratique de la Ligue n’est pas doublée d’une valorisation de la démocratie, comme ce fut le cas chez certains radicaux à la fin du xviiie siècle, ou surtout chez les chartistes55. Quand le terme apparaît dans le discours de la Ligue, il est principalement utilisé pour faire référence à un régime politique républicain ou aux classes populaires – et ses connotations sont fortement négatives.

  • 56 Richard Cobden, England, Ireland, and America, Londres, James Ridgway, 1835, 2e éd.
  • 57 Ibid., p. 137.
  • 58 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838 (...)
  • 59 Robert Saunders, “ ‘Let America Be the Test’: Democracy and Reform in Britain, 1832-1867”, in Ella (...)

20Cette orientation antidémocratique des partisans du libre-échange est visible avant même la fondation de l’ACLL. En 1835, Cobden, alors fabricant inconnu de Manchester, publie un ouvrage sur le libre-échange, England, Ireland and America56. Il y affirme que si le gouvernement républicain peut convenir aux États-Unis, « ceux qui plaident en faveur d’une république, au lieu d’une monarchie mixte pour la Grande-Bretagne […] ignorent le génie de leurs compatriotes. La démocratie ne constitue aucun élément dans les matériaux du caractère anglais57 ». Bien qu’il se distancie par la suite de cette défense du gouvernement mixte, Cobden ne souscrit jamais à l’idée d’une démocratie pure durant ses années à la Ligue. La mention des États-Unis comme régime démocratique est à souligner, puisque selon Simon Morgan, ceux-ci jouent un rôle périphérique dans l’argumentaire des libres-échangistes58. Ceci reflète d’ailleurs la vision négative de la démocratie états-unienne dans l’imaginaire victorien, au moins jusque dans les années 187059.

  • 60 Anti-Corn Law Circular, Manchester, 26 mars 1840 ; Metropolitan Anti-Corn Law Journal, Londres, 23  (...)
  • 61 James Deacon Hume, Letters on the Corn Laws, Londres, Henry Hooper, 1835, p. 43.

21Un an auparavant, en 1834, James Deacon Hume, un des pionniers du mouvement Free Trade, publie une série de lettres sur les Corn Laws, qui seront par la suite republiées sous forme de pamphlets et reprises à de multiples occasions dans les journaux de la Ligue60. Dans ce texte, un propriétaire terrien affirme que « l’appel à l’abrogation des Corn Laws vient du bas esprit démocratique du pays ». Ce à quoi Hume réplique : « Je n’ai pas, dans mes sentiments ou mes inclinations, une particule de cette démocratie que [ce propriétaire] pense être le seul ennemi de son loyer61. » Ce processus, à savoir l’accusation des Anti-Corn Laws d’entretenir des visées démocratiques, et le refus de l’étiquette « democratic » par les partisans du libre-échange, est présent tout au long de la période étudiée.

  • 62 The Mark Lane Express, Londres, 22 janvier 1844.
  • 63 Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra: Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidde (...)

22En effet, avec sa montée en puissance, le mouvement libre-échangiste est qualifié de « democratic » à de multiples reprises par les forces politiques conservatrices. Par exemple, en 1844 lors d’une assemblée de fermiers et propriétaires à Reigate, près de Londres, un dénommé Faskett les félicite de s’opposer à l’Anti-Corn Law League, cette « monstrueuse hydre aux mille têtes de la démocratie62 ». Faskett agite ici une métaphore commune dans l’imaginaire politique britannique moderne, faisant référence à la lutte d’Hercule contre l’hydre de Lerne. Pour l’élite britannique, cette créature est « un symbole de désordre et de résistance, une menace puissante à la construction de l’État, de l’empire et du capitalisme63 ». Son association avec le terme « democracy » dans les années 1840 est donc tout indiquée.

  • 64 Rapporté dans The League, Manchester, 17 janvier 1846.
  • 65 Michael Lusztig, “Solving Peel’s Puzzle”, art. cit., p. 397.

23Un autre protectionniste notoire, le duc de Richmond, n’hésite pas à qualifier l’ACLL de « democratic », affirmant que les libres-échangistes visent en fait à « créer un ascendant démocratique dans chaque partie de l’Angleterre. […] Ils savent qu’ils doivent détruire l’intérêt foncier avant de renverser la constitution64 ». Encore une fois, la lutte anti-aristocratique de la Ligue est qualifiée de démocratique, en plus du fait de mettre en danger l’équilibre constitutionnel britannique65. Les partisans du libre-échange rejettent cependant explicitement l’étiquette que tentent de leur imposer les protectionnistes. Lors d’une réunion à Manchester en janvier 1846, Cobden, réagissant directement à la déclaration du duc de Richmond, demande ainsi :

  • 66 The League, Manchester, 17 janvier 1846.

Où a-t-il appris que nous avions des points de vue démocratiques ? Ce n’est pas dans nos écrits ou dans nos discours. [Bravo, bravo]. Nous n’avons rien fait qui soit susceptible de se révéler aussi dangereux et désastreux pour l’aristocratie anglaise que ce que l’aristocratie fait elle-même. [Applaudissements]66.

  • 67 Joanna Innes, Mark Philp et Robert Saunders, “The Rise of Democratic Discourse in the Reform Era: B (...)

24L’ACLL tient mordicus à sa position médiane, qui critique l’aristocratie non au pas au nom de principes démocratiques, mais plutôt d’économie politique et de la moralité de sa cause. Il faut souligner que ce type d’échanges n’est pas fondamentalement nouveau. Lors des débats entourant le Reform Act de 1832, plusieurs whigs refusaient eux aussi l’appellation de démocrates qu’essayaient de leur apposer les torys antiréforme67.

25Cette volonté de dissocier le mouvement libre-échangiste des forces politiques qualifiées de démocratiques sera particulièrement visible quand l’agitation chartiste est à son sommet. Par exemple, lors d’un rassemblement œcuménique à Manchester le 19 août 1841, le Révérend F. A. Cox déclare que le but de l’ACLL est de lutter à la fois contre,

  • 68 Committee (eds.), Report of the Conference of Ministers of All Denominations on the Corn Laws, Manc (...)

l’empiètement du pouvoir aristocratique d’une part, et le factionnalisme et la fureur de la foule démocratique de l’autre. Nous disons d’un côté […] que l’aristocratie ne doit pas opprimer le peuple. Nous disons, d’autre part, que le peuple ne doit pas se rebeller contre les autorités constituées ni agir d’une manière incompatible […] avec les grands principes de la constitution68.

26Cette formulation démontre le caractère constitutionnaliste du mouvement Anti-Corn Laws. Anti-aristocratiques, mais pas pour autant républicains, les libres-échangistes sont donc en rupture partielle avec la théorie du gouvernement mixte.

  • 69 Anti-Corn Law Circular, Manchester, 19 février 1842.
  • 70 Edmund Burke, Reflections on the Revolution in France, Londres, J. Dodsley, 1790 ; Alexis de Tocque (...)

27Cette position médiane de l’Anti-Corn Law League, entre aristocratie terrienne et démocratie chartiste, est particulièrement mise en avant en 1842, année de grèves et d’activités politiques intenses. En février 1842, alors que le mouvement chartiste s’apprête à déposer sa seconde pétition au Parlement, une réunion à Birmingham sur la question du Free Trade a lieu. À cette occasion, un ouvrier, John Mason, rappelle à l’assistance que « le monde résiste de manière égale au despotisme d’une démocratie et au despotisme d’une aristocratie 69 ». Cette idée du « despotisme démocratique » trouve son origine dans la lecture platonicienne du régime athénien, mais elle est fortement réactualisée au xixe siècle à la fois par la critique de la Révolution française d’Edmund Burke, mais aussi par la lecture tocquevillienne de la « tyrannie de la majorité » aux États-Unis70. On retrouve donc chez les libres-échangistes une volonté de s’opposer tant à l’intérêt égoïste aristocratique qu’à la domination démocratique des classes populaires, conçue comme un autre type d’intérêt particulier.

  • 71 Anti-Bread Tax Circular, Manchester, 24 août 1842.
  • 72 Ibid., mars 1843.

28Quelques mois plus tard, lors d’un rassemblement à Londres, l’industriel Peter A. Taylor déclare : « Nous ne sommes pas ici en tant que partisans de la violence, et qu’elle provienne de la démocratie ou de l’aristocratie, nous y sommes fermement opposés71. » Une position similaire à celle d’un dénommé Blackburn, qui lors d’une réunion à Liverpool en février 1843, affirme regretter « la disposition croissante à embarquer le navire de l’État sur l’océan sombre, impétueux et sans rivage de la démocratie pure72 ». Toutes ces déclarations, malgré leur diversité, ont en commun de positionner l’ACLL à la fois contre l’aristocratie et la démocratie – associée aux désordres chartistes. Mais avec l’essoufflement du mouvement chartiste à partir de 1842, la Ligue va progressivement changer de stratégie – et en partie de rhétorique.

Vers « une démocratie constitutionnelle » ?

29À partir de 1844, l’Anti-Corn Law League abandonne la pétition comme moyen principal d’action et fait le choix de se concentrer sur les élections, particulièrement sur l’enregistrement des électeurs. Son but est de rayer certains électeurs des listes et d’en inscrire d’autres, libres-échangistes. Avec ce changement de tactique vient une modification du discours de la Ligue quant à la « democracy ». Ainsi, surtout dans les propos de Cobden, la démocratie devient alors un objectif politique légitime – si bien sûr par démocratie on entend le pouvoir de la classe moyenne. Comme il le déclare lors d’un rassemblement à Londres :

  • 73 The League, Manchester, 11 janvier 1845.

J’ai entendu des gens dire : « C’est un jeu politique très dangereux que vous jouez : vous allez démocratiser les circonscriptions de ce pays. » Eh bien, ma réponse est la suivante : « Si les circonscriptions ont été jusqu’à présent aristocratiques, elles ont fait un très mauvais usage de leur pouvoir [applaudissements] ; et si par démocratie vous entendez cette classe de gens qui peuvent se permettre de payer 50 £ ou 60 £ pour un investissement, je dis qu’ils constituent une classe de personnes que je préférerais de beaucoup voir détenir le pouvoir politique dans ce pays, plutôt que l’aristocratie terrienne qui a tant abusé de son pouvoir73. »

  • 74 The League, Manchester, 18 octobre 1845.

30Cette position sera reprise et développée dans différents articles encourageant les membres de la classe moyenne à porter attention au processus d’inscription électorale74. L’adéquation entre démocratie et classe moyenne est aussi mise en avant à la même époque par John Stuart Mill. Dans sa critique du second volume de Democracy in America (1840), Mill avance que la Grande-Bretagne est passée,

  • 75 John Stuart Mill, « M. Tocqueville et la démocratie en Amérique [vol. 2] », in Patrick Thierry (dir (...)

d’un gouvernement aristocratique qui incorpore un élément populaire à un régime de classe moyenne. Quant à ses buts essentiels le gouvernement d’une importante classe moyenne est, en l’état actuel de la société, une démocratie. Et pas seulement une démocratie, mais encore le seul exemple de démocratie dont nous disposons pour le moment. Le suffrage universel en Amérique n’est ainsi nommé que parce que l’Amérique est une classe moyenne75.

  • 76 Dorothy Thompson, The Dignity of Chartism, op. cit., p. 21-42.
  • 77 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, art. cit.

31Cette tentative des libéraux d’associer « democracy » et classe moyenne, au lieu de « people », qui à l’époque évoque les classes ouvrières76, est toutefois infructueuse. En effet, l’appropriation sans équivoque de « democracy » par un mouvement ouvrier comme le chartisme aura pour effet d’associer plus fortement le terme aux couches populaires plutôt qu’aux classes moyennes77.

  • 78 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)
  • 79 The League, Manchester, 22 février 1845 ; The League, Manchester, 22 novembre 1845.

32En parallèle, dans les comtés ruraux, différents procédés visant à aider des agriculteurs à atteindre le droit de vote via la freehold franchise seront mis en place – avec peu de succès78. Le but de la Ligue semble alors de constituer un « democratic landed interest », en opposition aux forces aristocratiques. Comme l’exprime un article de The League : « Ce doit être le travail de l’ancienne franchise en pleine propriété (freehold franchise) de rétablir les élections de comtés ruraux, en introduisant une démocratie constitutionnelle de petits propriétaires terriens79 […]. » Ces diverses initiatives amèneront l’ACLL à commenter la nature quelque peu contradictoire du système politique britannique post-réforme. Pour The League :

  • 80 The League, Manchester, 21 juin 1845.

Le monde a eu une vaste expérience de toutes les formes de gouvernement – monarchique, aristocratique, démocratique et mixte – celui-là seul fait exception. Un gouvernement qui donne tant à la démocratie et si peu à l’enthousiasme et à l’impulsion démocratique, un gouvernement où la volonté populaire fait presque tout, si elle s’exprime par le biais d’une certaine forme technique complexe […], c’est quelque chose d’assez nouveau80.

33Ce nouveau système de gouvernement n’est pas encore au point puisque selon la Ligue, les classes moyennes n’y sont pas assez représentées. Pour autant, il n’est pas question de revendiquer une « democracy » pure, mais bien l’ajout d’éléments démocratiques.

  • 81 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. ci (...)
  • 82 The Economist, Londres, 9 mars 1844.
  • 83 Lucien Jaume, « Tocqueville face au thème de la “nouvelle aristocratie’’ », Revue française de scie (...)
  • 84 The Economist, Londres, 9 mars 1844.
  • 85 Mark Philp et Eduardo Posada-Carbó, “Liberalism and Democracy”, art. cit., p. 202.

34À partir de 1844, une certaine ambivalence semble donc caractériser les rapports de la Ligue, voire de l’ensemble du mouvement Free Trade, avec le terme « democracy ». Ainsi, The Economist, journal libre-échangiste par excellence, très proche de l’ACLL81, prend lui aussi une position équivoque sur la question de la « democracy ». En mars 1844, il souligne que « la démocratie est déjà reconnue comme souveraine du monde82 », une position aux accents tocquevilliens qui voit la démocratie somme une forme sociale s’imposant face à l’aristocratie avec la modernité83. Cependant, le journal maintient l’importance de distinguer une « démocratie sauvage », souvent décadente, d’une démocratie grandissante graduellement, plus stable et désirable84. Il s’inscrit donc dans la tendance modérée du libéralisme, qui accepte le principe de participation populaire associé à la démocratie, mais cherche à contrôler celle-ci85.

35Ces quelques appropriations positives ne doivent toutefois pas cacher la forêt antidémocratique des libres-échangistes. En juin 1846, juste après que les Communes ont adopté l’abrogation des Corn Laws, The League est on ne peut plus explicite :

  • 86 The League, Manchester, 23 juin 1846. Nous soulignons.

Au cours de notre longue et passionnante campagne, nous avons peut-être été parfois trahis par des expressions amères envers l’aristocratie terrienne, mais nous faisons appel avec confiance au ton général de cet organe de la Ligue […] et aux discours de ses principaux orateurs, comme preuve que nous n’avons pas cherché à convertir notre agitation à des fins démocratiques. À l’époque de nos faiblesses, lorsque les whigs et les torys ont répudié nos principes, nous avons résisté à toute offre d’alliance émanant des partisans du changement organique, que ce soit sous les traits de radicalisme, de suffragisme complet ou du chartisme86.

36Critique de l’aristocratie, mais refusant d’être identifiés à un mouvement qualifié de démocratique, les libres-échangistes britanniques démontrent que durant les années 1840, le terme « democracy » a mauvaise presse chez la plupart des libéraux. Le caractère « classe-moyenne » de leur mouvement, assumé et revendiqué, est gage de leur respectabilité : ils ne sauraient être associés à la démocratie, tant au sens social (de classes populaires), que politique (de régime donnant le pouvoir absolu au peuple).

Ambiguïtés libérales

  • 87 Dorothy Thompson, The Dignity of Chartism, op. cit., p. 151-165.
  • 88 Roland Quinault, “1848 and Parliamentary Reform”, The Historical Journal, vol. 31, 1988/4, p. 839.
  • 89 Hansard, Communes, 20 juin 1848 vol. 99 cc879.

37Alors que 1846 voit la victoire des forces libres-échangistes, 1848 voit la défaite du mouvement chartiste. Déchirés entre dirigeants et stratégies divergentes, les chartistes s’unissent une dernière fois pour pétitionner le Parlement. Discrédité par un nombre de signatures inférieur à celui annoncé, fortement réprimé, le mouvement s’étiole sans que ses revendications soient satisfaites87. En parallèle, la question de la réforme parlementaire ré-émerge. Ainsi, le 15 avril 1848, une quinzaine de députés libéraux menés par Joseph Hume, Cobden, Bright et d’autres lancent le New Reform Movement. Appelant à une coopération entre classes moyennes et industrielles, leurs demandes visent un « suffrage censitaire, le vote secret, des parlements triennaux et une répartition plus équitable des sièges88 ». Tout comme l’Anti-Corn Law League, ces réformistes n’utilisent pas le terme « democracy ». Ainsi, le 20 juin 1848, quand Hume dépose devant les Communes une motion pour une réforme parlementaire, il la défend au nom d’une meilleure représentativité des Communes : à ses yeux, la Chambre « ne représente pas équitablement la population, la propriété ou l’industrie du Pays89 ». N’utilisant pas de vocabulaire démocratique, il fait plutôt appel à l’adéquation entre taxation et représentation pour justifier son propos : le vote est donc vu comme un privilège associé à la possession de propriété et l’acquittement de taxes.

38Cet épisode renforce l’idée que la position de l’ACLL n’est pas un accident de parcours. Loin d’une affinité particulière entre libéraux et « democracy », c’est le caractère antidémocratique du libéralisme britannique qui se voit confirmé. Ainsi, parler du mouvement Free Trade comme préfigurant la démocratie libérale moderne relève, au mieux, de l’anachronisme flagrant. Alors qu’au même moment existe un puissant mouvement articulant ses demandes dans une optique démocratique – le chartisme –, les libres-échangistes préfèrent généralement éviter un tel vocabulaire et proposent plutôt comme modèle un gouvernement constitutionnel et libéral, mais peu démocratique. Ennemie de l’« aristocracy » autant que de la « democracy », l’Anti-Corn Law League est donc emblématique de la position d’une partie importante de l’élite britannique dans ses rapports à la démocratie durant le xixe siècle.

Haut de page

Notes

1 Matt Cole, Democracy in Britain, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2006, p. 46-74 ; Bernard Crick, Democracy: A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2010 ; Colin Pilkington, Representative Democracy in Britain Today, Manchester, Manchester University Press, 1997, p. 17-40.

2 Paul Foot, The Vote: How it Was Won, and How it Was Undermined, Londres, Viking, 2005 ; Elizabeth Wicks, The Evolution of a Constitution: Eight Key Moments in British Constitutional History, Oxford, Hart Publishing, 2006, p. 65-82.

3 Robert R. Palmer, “Notes on the Use of the Word ‘Democracy’ 1789-1799”, Political Science Quarterly, vol. 68, 1953/2, p. 203-226.

4 Francis Dupuis-Déri, Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, Montréal, Lux, 2013 ; Bertlinde Laniel, Le Mot « démocracy » aux États-Unis de 1780 à 1856, Saint Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1995 ; Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2012, 4e éd. ; Pierre Rosanvallon, “The History of the Word ‘Democracy’ in France”, Journal of Democracy, 1995/4, p. 140-154.

5 Joanna Innes et Mark Philp (eds.), Re-Imagining Democracy in the Mediterranean, 1780-1860, Oxford, Oxford University Press, 2018.

6 Pasi Ihalainen, Agents of the People: Democracy and Popular Sovereignty in British and Swedish Parliamentary and Public Debates 1734-1800, Leiden, Brill, 2010 ; Pasi Ihalainen, The Springs of Democracy: National and Transnational Debates on Constitutional Reform in the British, German, Swedish and Finnish Parliaments, 1917-1919, Helsinki, Finnish Literature Society, 2017 ; Joanna Innes et Mark Philp (eds.), Re-Imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Robert Saunders, “Democracy”, in David Craig et James Thompson (eds.), Languages of Politics in Nineteenth Century Britain, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, p. 142-167.

7 Malcolm Chase, Chartism: A New History, Manchester, Manchester University Press, 2007 ; Gareth Stedman Jones, “Rethinking Chartism”, in Gareth Stedman Jones, Languages of Class: Studies in English Working Class History 1832-1982, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 90-178 ; Dorothy Thompson, The Dignity of Chartism, Londres, Verso, 2015.

8 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, Londres, Leicester University Press, 2000.

9 Lucy Brown, “The Chartists and the Anti-Corn Law League”, in Asa Briggs (eds.), Chartist Studies, Londres, Macmillan, 1959, p. 342-371 ; Peter J. Gurney, Wanting and Having: Popular Politics and Liberal Consumerism in England, 1830-1870, Manchester, Manchester University Press, 2015 ; Henry Miller, “Petition! Petition!! Petition!!!: Petitioning and Political Organization in Britain, 1800-1850”, in Henk te Velde et Maartje Janse (eds.), Organizing Democracy: Reflections on the Rise of Political Organizations in the Nineteenth Century, Londres, Palgrave Macmillan, 2017, p. 43-61 ; Dror Wahrman, Imagining the Middle Class: The Political Representation of Class in Britain, C. 1780-1840, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

10 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, Journal of Modern History, vol. 86, 2014/3, p. 566-602.

11 Maartje Janse et Henk te Velde, « Introduction: Perspectives on Political Organizing », in Maartje Janse et Henk te Velde (eds.), Organizing Democracy: Reflections on the Rise of Political Organizations in the Nineteenth Century, op. cit., p. 1-18 ; Robert J. Morris, “Voluntary Societies and British Urban Elites, 1780-1850: An Analysis”, The Historical Journal, vol. 26, 1983/1, p. 95-118 ; Cheryl Schonhardt-Bailey, From the Corn Laws to Free Trade: Interests, Ideas, and Institutions in Historical Perspective, Cambridge, MA, MIT Press, 2006.

12 Roland Quinault, “Cobden and Democracy”, in Simon Morgan et Anthony Howe (eds.), Rethinking Nineteenth-Century Liberalism: Richard Cobden Bicentenary Essays, Londres, Routledge, 2017, p. 59-67.

13 Robert Saunders, Democracy and the Vote in British Politics, 1848-1867: The Making of the Second Reform Act, Farnham, Ashgate, 2011.

14 Asa Briggs, Victorian People: A Reassessment of Persons and Themes 1851-1867, Londres, Penguin Books, 1990, p. 197-231 ; Patrick Joyce, Democratic Subjects: The Self and the Social in Nineteenth-Century England, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, p. 85-146.

15 Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018 ; Domenico Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, Paris, La Découverte, 2013.

16 Mark Philp et Eduardo Posada-Carbó, “Liberalism and Democracy”, in Joanna Innes et Mark Philp (eds.) Re-Imagining Democracy in the Mediterranean, 1780-1860, op. cit., p. 179-204.

17 Francis Dupuis-Déri, Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, op. cit., p. 318-356.

18 Robert Saunders, Democracy and the Vote in British politics, 1848-1867, op. cit.

19 Boyd Hilton, A Mad, Bad, and Dangerous People? England 1783-1846, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 265.

20 Anon., Observations on the Corn Laws, Addressed to W. Whitmore, Londres, Longman, Rees, Orme, Brown and Green, 1827 ; Atticus (pseud.), Observations on the Corn Laws, Londres, John Hatchard, 1827 ; Charles William Wentworth Fitzwilliam, Address to the Landowners of England on the Corn Laws, Londres, J. Ridgway, 1832, 2e éd. ; James Deacon Hume, Thoughts on the Corn-laws as Connected with Agriculture, Commerce and Finance, Londres, F.C. & J. Rivington, 1815 ; Thomas Robert Malthus, Observations on the Effects of the Corn Laws, Londres, J. Johnson, 1814 ; Thomas Robert Malthus, The Grounds of an Opinion on the Policy of Restricting the Importation of Foreign Corn, Londres, John Murray, 1815 ; William Coalson Westlake, Practical Remarks on the Corn Laws as Viewed in Connexion with the Corn Trade, Londres, J. Ridgway, 1833.

21 Hansard, Communes, 16 mars 1837, vol. 37, c587. Toutes les traductions sont de l’auteur.

22 Roger Swift et Charles Pelham Villiers, Aristocratic Victorian Radical, Londres, Routledge, 2017.

23 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit.

24 Dans le contexte britannique des années 1830-1840, l’étiquette désigne « cette partie de la société qui se situait entre l’aristocratie et la classe des travailleurs manuels » : Edward Royle, Modern Britain: A Social History 1750-2011, Londres, A&C Black, 2012, p. 126. Ceci inclut à une extrémité les magnats commerciaux, financiers et industriels et, à l’autre, les petits boutiquiers et employés de bureau, avec les professions libérales entre les deux.

25 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846”, The English Historical Review, vol. 127, n° 527, 2012, p. 882-919 ; Dror Wahrman, Imagining the Middle Class: The Political Representation of Class in Britain, c. 1780-1840, op. cit., p. 409.

26 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit., p. 143.

27 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838-1846”, The Historical Journal, vol. 52, 2009/1, p. 87-107 ; Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit., p. 30.

28 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846”, art. cit.

29 Michael J. Turner, “The ‘Bonaparte of Free Trade’ and the Anti-Corn Law League”, The Historical Journal, vol. 41, 1998/4, p. 1011-1034.

30 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838-1846”, art. cit.

31 Hugh Cunningham, The Challenge of Democracy: Britain, 1832-1918, Harlow, Longman, 2001, p. 45.

32 Anthony Howe, “Les Hungry Forties”, Revue d’histoire du xixe siècle, n° 52, 2016, p. 47-64.

33 Hansard, Communes, 24 février 1842, vol. 60, cc1018-82 ; Hansard, Communes, 10 juin 1845, vol. 81, cc285-38.

34 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit., p. 27-33.

35 Michael Lusztig, “Solving Peel’s Puzzle: Repeal of the Corn Laws and Institutional Preservation”, Comparative Politics, vol. 27, 1995/4, p. 393.

36 Boyd Hilton, A Mad, Bad, and Dangerous People? England 1783-1846, op. cit., p. 508-513.

37 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit.

38 Corinne Comstock Weston, English Constitutional Theory and the House of Lords, 1556-1832, Londres, Routledge, 1965.

39 Henk te Velde, “Democracy and the Strange Death of Mixed Government in the Nineteenth Century: Great Britain, France and the Netherlands”, in Jussi Kurunmäki, Jeppe Nevers et Henk te Velde (eds.), Democracy in Modern Europe: A Conceptual History, New York, Berghahn Books, 2018, p. 42-64.

40 James A. Epstein, “The Constitutional Idiom: Radical Reasoning, Rhetoric and Action in Early Nineteenth-Century England”, Journal of Social History, vol. 23, 1990/3, p. 553-574.

41 Philip Schofield, Utility and Democracy: The Political Thought of Jeremy Bentham, Oxford, Oxford University Press, 2006.

42 Amanda Goodrich, “Understanding a Language of ‘Aristocracy’, 1700-1850”, The Historical Journal, vol. 56, 2013/2, p. 369-398.

43 À l’exception d’Alexander McDonnell, Free Trade; Or, an Inquiry into the Expediency of the Present Corn Laws, Londres, J. Murray, 1826, p. 466.

44 Thomas Perronet Thompson, Catechism on the Corn Laws: With a List of Fallacies and the Answers, Londres, Mills & Jowett, 1834, 18e éd., p. 45.

45 Anon., Authorities Against the Corn Laws, Followed by the Anti-Corn-Law League to the Duke of Wellington, Manchester, Haycraft, 1842, p. 3.

46 The League, Manchester, 23 mars 1844, cité in Richard F. Spall, “Landlordism and Liberty: Aristocratic Misrule and the Anti-Corn-Law League ”, Journal of Libertarian Studies, vol. 8, 1987/2, p. 216.

47 Henry Miller, “Popular Petitioning and the Corn Laws, 1833-1846 ”, art. cit., p. 902.

48 James Wilson, Influences of the Corn Laws, As Affecting All Classes of the Community, and Particularly the Landed Interests, Londres, Longman, Orme, Brown, Green and Longmans, 1840, 3e éd.

49 Cheryl Schonhardt-Bailey, From the Corn Laws to Free Trade, Interests, Ideas, and Institutions in Historical Perspective, op. cit., p. 103.

50 George Macaulay Trevelyan, The Life of John Bright, Londres, Constable, 1913, p. 82.

51 Anon., A Plea for the Total and Immediate Repeal of the Corn Laws, Londres, Scott, Webster & Geary, 1842, 4e éd. ; Anon., Facts for Farmers, Manchester, National Anti-Corn-Law League, 1842 ; Anon., Authorities Against the Corn Laws, Followed by the Anti-Corn-Law League to the Duke of Wellington, op. cit. ; Anon., Dialogue Between John and Thomas on the Corn Laws, the Charter, Teetotalism, and the Probable Remedy for the Present Disstresses, Paisley, Printer for the Author, 1842 ; William Rathbone Greg, Arthur Morse et George Hope, The Three Prize Essays on Agriculture and the Corn Law, Manchester, J. Gadsby, 1842 ; William McCullagh Torrens, The Corn Laws: Speech of W. Torrens McCullagh, Manchester, J. Gadsby, 1842 ; Baptist W. Noel, Corn Laws, Selections from A Plea For the Poors, Manchester, Robert Wood, 1845 ; Daniel O’Connell, Observations on Corn Laws, On Political Pravity and Ingratitude, and on Clerical and Personal Slander, Dublin, Samuel J. Machen, 1842 ; James H. Renny, Reflections Upon the Corn Laws, and Upon Their Effects on the Trade, Manufactures and Agriculture of the Country, and on the Condition of the Working Classes, Londres, Smith, Elder & Co, 1841 ; Thomas Perronet Thompson, Catechism on the Corn Laws: With a List of Fallacies and the Answers, op. cit. ; James Wilson, Influences of the Corn Laws, As Affecting All Classes of the Community, and Particularly the Landed Interests, op. cit.

52 Hansard, Communes, 12 mars 1839, vol. 46, cc353 ; Hansard, Communes, 1er février 1844, vol. 72, cc124-125 ; Hansard, Communes, 8 août 1848, vol. 100, cc1264.

53 Hansard, Communes, 11 juillet 1842, vol. 64, cc1358 ; Hansard, Communes, 22 juillet 1842, vol. 65, cc564 ; Hansard, Communes, 27 février 1846, vol. 84, cc281.

54 Hansard, Communes, 7 mars, 1844 vol. 73, cc664.

55 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, art. cit. ; Mark Philp, “Talking about Democracy: Britain in the 1790s”, in Joanna Innes et Mark Philp (eds.), Re-imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, op. cit., p. 101-113.

56 Richard Cobden, England, Ireland, and America, Londres, James Ridgway, 1835, 2e éd.

57 Ibid., p. 137.

58 Simon Morgan, “The Anti-Corn Law League and British Anti-Slavery in Transatlantic Perspective, 1838-1846”, art. cit., p. 89.

59 Robert Saunders, “ ‘Let America Be the Test’: Democracy and Reform in Britain, 1832-1867”, in Ella Dzelzanis et Ruth Livesey (eds.), The American Experiment and the Idea of Democracy in British Culture, 1776-1914, Londres, Routledge, 2016, 2e éd., p. 79-92.

60 Anti-Corn Law Circular, Manchester, 26 mars 1840 ; Metropolitan Anti-Corn Law Journal, Londres, 23 juin 1843.

61 James Deacon Hume, Letters on the Corn Laws, Londres, Henry Hooper, 1835, p. 43.

62 The Mark Lane Express, Londres, 22 janvier 1844.

63 Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra: Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic, Londres, Verso, 2012, 2e éd., p. 2.

64 Rapporté dans The League, Manchester, 17 janvier 1846.

65 Michael Lusztig, “Solving Peel’s Puzzle”, art. cit., p. 397.

66 The League, Manchester, 17 janvier 1846.

67 Joanna Innes, Mark Philp et Robert Saunders, “The Rise of Democratic Discourse in the Reform Era: Britain in the 1830s and 1840s”, in Joanna Innes et Mark Philp (eds.), Re-Imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, op. cit., p. 116-117.

68 Committee (eds.), Report of the Conference of Ministers of All Denominations on the Corn Laws, Manchester, J. Gadsby, 1841, p. 110.

69 Anti-Corn Law Circular, Manchester, 19 février 1842.

70 Edmund Burke, Reflections on the Revolution in France, Londres, J. Dodsley, 1790 ; Alexis de Tocqueville, Democracy in America, trad. Henry Reeve, Londres, Saunders and Otley, 1835, vol. 1-2 ; Alexis de Tocqueville, Democracy in America: Part the Second, trad. Henry Reeve, Londres, Saunders and Otley, 1840, vol. 3-4.

71 Anti-Bread Tax Circular, Manchester, 24 août 1842.

72 Ibid., mars 1843.

73 The League, Manchester, 11 janvier 1845.

74 The League, Manchester, 18 octobre 1845.

75 John Stuart Mill, « M. Tocqueville et la démocratie en Amérique [vol. 2] », in Patrick Thierry (dir.), Essais sur Tocqueville et la société américaine, trad. Pierre-Louis Autin, Mikaël Garandeau, Eric, Élise Mignot et Patrick Thierry, Paris, J. Vrin, 1994, p. 160. Souligné dans l’original.

76 Dorothy Thompson, The Dignity of Chartism, op. cit., p. 21-42.

77 Peter J. Gurney, “The Democratic Idiom: Languages of Democracy in the Chartist Movement”, art. cit.

78 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit., p. 26.

79 The League, Manchester, 22 février 1845 ; The League, Manchester, 22 novembre 1845.

80 The League, Manchester, 21 juin 1845.

81 Paul A. Pickering et Alex Tyrell, The People’s Bread: A History of the Anti-Corn Law League, op. cit., p. 19.

82 The Economist, Londres, 9 mars 1844.

83 Lucien Jaume, « Tocqueville face au thème de la “nouvelle aristocratie’’ », Revue française de science politique, décembre 2006, p. 969-983.

84 The Economist, Londres, 9 mars 1844.

85 Mark Philp et Eduardo Posada-Carbó, “Liberalism and Democracy”, art. cit., p. 202.

86 The League, Manchester, 23 juin 1846. Nous soulignons.

87 Dorothy Thompson, The Dignity of Chartism, op. cit., p. 151-165.

88 Roland Quinault, “1848 and Parliamentary Reform”, The Historical Journal, vol. 31, 1988/4, p. 839.

89 Hansard, Communes, 20 juin 1848 vol. 99 cc879.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Hugo Bonin, « Ambivalences libérales : l’Anti-Corn Law League et la « democracy », 1838-1848 »Revue d'histoire du XIXe siècle, 59 | 2019, 167-183.

Référence électronique

Hugo Bonin, « Ambivalences libérales : l’Anti-Corn Law League et la « democracy », 1838-1848 »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 59 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 12 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rh19/6627 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.6627

Haut de page

Auteur

Hugo Bonin

Hugo Bonin est doctorant en science politique, en cotutelle à l’Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis et à l’Université du Québec à Montréal

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search