Navigation – Plan du site

AccueilNuméros66LecturesComptes rendusVic GATRELL, Conspiracy on Cato S...

Lectures
Comptes rendus

Vic GATRELL, Conspiracy on Cato Street. A Tale of Liberty and Revolution in Regency London

Cambridge, Cambridge University Press, 2022
Fabrice Bensimon
p. 182-184
Référence(s) :

Vic GATRELL, Conspiracy on Cato Street. A Tale of Liberty and Revolution in Regency London, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, 451 p., £ 25.

Texte intégral

1Dans la nuit du 22 au 23 février 1820, une étonnante conspiration est déjouée à Londres. Vingt-cinq hommes sont réunis au-dessus d’une étable de Cato Street, quand la police intervient. Treize personnes sont arrêtées, tandis qu’un policier est tué. Les conspirateurs envisageaient de tuer le Premier Ministre Lord Liverpool et tout son gouvernement, dont le duc de Wellington, réunis pour un diner. Un des conjurés, boucher de son état, devait décapiter les ministres les plus honnis, Castlereagh et Sidmouth, avant que leurs têtes soient promenées en haut de piques, que les conspirateurs s’emparent des lieux de pouvoir et mettent en place un « Comité de salut public ».

  • 1 Vic Gatrell, The Hanging Tree: Execution and the English People 1770-1868, Oxford, Oxford Universit (...)

2L’historien Vic Gatrell, spécialiste de la justice criminelle et des émotions, et auteur d’un livre de référence sur les exécutions publiques, reprend le dossier de cette conspiration, qu’avait notamment explorée Malcolm Chase dans un ouvrage sur l’année 1820 au Royaume-Uni, et qu’un livre collectif récent a également étudiée1. Comme si la conjuration, n’ayant pas livré tous ses secrets, continuait d’intriguer l’historiographie contemporaine.

3L’auteur commence par étudier l’événement et les réactions qu’il suscite. La conspiration est ourdie dans un contexte d’instabilité politique, peu après le massacre de Peterloo, le 16 août 1819 à Manchester et, dans la foulée de la mort du roi George III, alors que le Régent honni monte sur le Trône. La conjuration est publiquement décriée, c’est alors un événement majeur, et dans les semaines qui suivent, les publications se multiplient et on se bouscule dans Cato Street.

4Gatrell s’attache ensuite à plusieurs dimensions interprétatives. Les sources ne manquent pas pour étudier cette affaire, environ 350 000 mots étant consignés dans les archives du procès. La conspiration se place dans le sillage de la Révolution française, mais aussi du vaste mouvement radical qui suit la fin des guerres napoléoniennes. Les conjurés sont des « ultra-radicaux », une aile révolutionnaire qui a déjà plusieurs tentatives insurrectionnelles à son actif. Ils ciblent l’aristocratie qui dirige le pays, la monarchie et le système censitaire qui réserve le droit de vote à 350 000 privilégiés. Le régime politique britannique est alors libéral en comparaison avec les États du continent, mais plusieurs répressions féroces ont néanmoins lieu, comme l’écrasement sanglant de l’insurrection irlandaise en 1798, durant lequel des milliers d’hommes sont tués, souvent exécutés sommairement. Entre 1811 et 1816, de nombreux luddites sont pendus. Lors de Peterloo, au moins 15 civils pacifiques sont tués par la milice. Il n’est alors pas rare de faire de la prison pour la vente d’ouvrages jugés blasphématoires ou séditieux. Le pouvoir a aussi la main lourde vis-à-vis des crimes et délits de droits de commun. Entre 1816 et 1820, à Londres seulement, 140 personnes sont pendues, et certaines exécutions provoquent des émeutes.

5L’historien dresse un tableau vivant de la culture radicale à Londres, ses clubs, ses débats, ses journaux et ses chansons. Il s’intéresse aux lieux de cette ville populaire, reconstruite pour l’essentiel depuis le dernier tiers du xviie siècle. Parmi les ultra-radicaux, l’influence de Thomas Paine (1737‑1809) et surtout celle de Thomas Spence (1750‑1814) se détachent, et nombre des conjurés de Cato Street sont parmi les disciples du second. Si les ultra-radicaux comme Arthur Thistlewood (1774‑1820) participent aux meetings radicaux, ils en dénoncent les principaux dirigeants comme l’orateur Henry Hunt (1773‑1835), très populaire mais coupable de ne vouloir ni de la mise en commun des propriétés, ni d’une révolution violente.

6Le milieu des artisans est au cœur de la conspiration, en particulier les cordonniers, ainsi qu’un boulanger, un ébéniste, un charpentier, etc. Ces artisans sont relativement paupérisés, sans être non plus des marginaux : ils possèdent une qualification professionnelle, savent lire et écrire, à l’instar des cordonniers, une corporation lettrée et très politique. Thistlewood, leur chef, est un homme colérique, un parieur invétéré, qui revendique avoir combattu dans les troupes de la République française dans les années 1790, et a été impliqué dans plusieurs tentatives ultra-radicales. Les conjurés ont entre 30 et 50 ans et ont souvent des familles. On sait souvent peu de choses sur leurs épouses et leurs enfants, qui pourtant jouent parfois un rôle dans le soutien aux conjurés. Une demi-douzaine de femmes sont impliquées dans la conspiration. Plusieurs des conjurés sont écossais ou irlandais. Deux ultra-radicaux, le prédicateur Robert Wedderburn et l’ébéniste William Davidson sont jamaïcains, à une époque où Londres compte peut-être 10 000 Noirs, le plus souvent originaires des colonies des Caraïbes. L’esclavage est une question importante pour eux.

7Les conjurés sont surveillés de près par des espions, dont les rapports parviennent chaque jour au ministère. Il est possible que cette activité dépasse la seule surveillance, l’informateur Edwards attirant, par exemple, l’attention de Thistlewood sur le fameux dîner gouvernemental, qui est en réalité factice et dont la publicité vise les conjurés. Ceux-ci sont jugés, cinq d’entre eux sont pendus puis décapités, et cinq autres sont déportés en Tasmanie, ce qui ajoute une autre dimension impériale à cette histoire. Vic Gatrell s’attarde sur les terribles exécutions, à Londres le 1er mai 1820. Si les pendaisons publiques sont alors classiques, il est exceptionnel qu’elles soient suivies de décapitations et que les têtes soient montrées à la foule, comme elles le sont pour les traîtres. Théodore Géricault, qui assiste à la scène depuis une fenêtre, est horrifié par sa brutalité, et il en laisse une esquisse saisissante, la première tentative dans l’art occidental de représenter de telles exécutions. Celles-ci sont les dernières pour trahison que le pays ait connues.

8Ces ramifications avec la France et avec l’Empire invitent peut-être à élargir la perspective, plus que Gatrell ne le fait avec les seules archives britanniques. Cato Street soulève en tout cas la vieille question de la nature de la crise alors traversée par le pays. Les conspirateurs sont-ils un petit groupe isolé, ou constituent-ils la partie émergée d’un vaste monde d’artisans prolétarisés prêts à se soulever ? Sans apporter de réponse définitive, Malcolm Chase avait considéré que le pays traversait une véritable crise révolutionnaire. Le livre de Vic Gatrell, centré sur Londres, fait peu de cas des soubresauts de l’Écosse et des provinces, à l’exception de Peterloo. Mais cela aurait dépassé son propos. Il ne tranche pas non plus cette question de la menace révolutionnaire, mais met en lumière un monde de révoltés qui, à l’instar de ce que lance le bottier John Thomas Brunt sur l’échafaud, considèrent que « Mieux vaut mourir libres que de vivre comme des esclaves. » Une des forces de l’ouvrage, servi par une plume remarquable, est d’approcher au plus près la vie de chacun des conjurés et des autres acteurs de cette histoire.

Haut de page

Notes

1 Vic Gatrell, The Hanging Tree: Execution and the English People 1770-1868, Oxford, Oxford University Press, 1994 ; Malcolm Chase, 1820. Disorder and stability in the United Kingdom, Manchester, Manchester University Press, 2013 ; Jason McElligott, Martin Conboy (eds.), The Cato Street Conspiracy: Plotting, Counter-Intelligence and the Revolutionary Tradition in Britain and Ireland, Manchester, Manchester University Press, 2019.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Fabrice Bensimon, « Vic GATRELL, Conspiracy on Cato Street. A Tale of Liberty and Revolution in Regency London »Revue d'histoire du XIXe siècle, 66 | 2023, 182-184.

Référence électronique

Fabrice Bensimon, « Vic GATRELL, Conspiracy on Cato Street. A Tale of Liberty and Revolution in Regency London »Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 66 | 2023, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rh19/9064 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.9064

Haut de page

Auteur

Fabrice Bensimon

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search