Michaël Attali, Yohann Fortune, Louis Violette (dir.), Une Histoire globale des sports olympiques
Michaël Attali, Yohann Fortune, Louis Violette (dir.), Une Histoire globale des sports olympiques, Neuilly, Atlande, 2024, 712 p.
Texte intégral
1L’organisation des Jeux olympiques à Paris à l’été 2024 a nourri de nombreux projets éditoriaux. Le livre collectif Une histoire globale des sports olympiques, dirigé par Michael Attali, professeur des universités à l’Université de Rennes 2, et coordonné avec l’appui de Yohann Fortune, maître de conférences à Rennes 2, et de Louis Violette, maître de conférences à l’Université de la Réunion, a pour objectif d’étudier le lien entre les Jeux olympiques et les disciplines sportives qui composent le programme de sa variante d’été. Le projet est audacieux : les disciplines sportives n’ont pas toute suscité le même intérêt scientifique. À titre d’exemple, le tir sportif, discipline présente sans discontinuer depuis 1896 aux Jeux d’été, est l’objet d’un nombre réduit de publications scientifiques.
- 1 Jörg Krieger, Power and Politics in World Athletics, a Critical History, Londres, Routledge, 2021, (...)
- 2 Georgia Cervin, Degree of Difficulties. How Women’s Gymnastics Rose to Prominence and Fell from Gra (...)
2Ce livre éclaire la constitution du spectacle olympique sous un angle neuf — celui du programme. Les coordinateurs de l’ouvrage ont rassemblé les sports étudiés dans trois grandes parties plus ou moins thémato-chronologiques : les sports olympiques originels ; les aléas de l’actualisation du programme olympique ; les sports olympiques face à la modernité contemporaine. Dans les trente-huit chapitres — un par sport ou groupe d’épreuves — de cet ouvrage dense et documenté, les nombreux auteurs, issus de différentes disciplines (STAPS, histoire, sociologie), s’attachent à retracer le processus d’entrée des sports dans le programme olympique, les évolutions des épreuves, sans omettre de mettre en avant les rapports de force entre les instances internationales et le Comité international olympique et l’adaptation des disciplines aux évolutions techniques et à la mise en spectacle. Ils souhaitent ainsi souligner les spécificités de chacune des « trajectoires olympiques tout en faisant émerger des similitudes ». Pour cela, la plupart des auteurs se sont appuyés sur des sources primaires (principalement de la documentation institutionnelle produite par les fédérations internationales ou des archives issues des correspondances entre les fédérations internationales et le CIO) et des sources secondaires (thèses et ouvrages de synthèse sur les différentes disciplines). On notera à ce titre l’absence de quelques publications récentes qui ont contribué à densifier notre connaissance de certains sports olympiques (pour l’athlétisme, Power and Politics in World Athletics A Critical History de Jorg Krieger ou pour la gymnastique1, Degrees of Difficulty: How Women’s Gymnastics Rose to Prominence and Fell from Grace de Georgia Cervin2). Chaque chapitre est suivi d’une courte bibliographie et de QR codes qui renvoient à des images et des vidéos qui permettent de les illustrer. Un utile tableau en annexe permet de synthétiser les sports présents à tous les Jeux olympiques d’été depuis 1896.
3Les apports de cet ouvrage collectif sont nombreux pour l’histoire de l’espace international des sports et de sa structuration, pour celle du spectacle sportif. Dans un contexte où l’analyse du sport international est dominée par la perspective géopolitique et le discours d’experts, l’ouvrage historicise les rapports entre fédérations internationales, mouvements nationaux sportifs et Comité international olympique. Les confrontations entre le CIO et les fédérations internationales dans la deuxième moitié des années 1920 autour du statut d’amateurs et de professionnels sont désormais bien connues. L’ouvrage revient sur cet aspect mais il met en lumière également des conflits présents dès les premières années de l’olympisme. Le Comité international des Jeux olympiques, lorsqu’il est créé, entre en concurrence avec des organisations sportives qui préexistaient, en aviron ou en gymnastique par exemple, et qui cherchaient à structurer les disciplines à l’échelle internationale. Les comités d’organisation des premiers JO se jouent des tensions internes aux différents espaces des sports pour trouver des alliés chargés d’organiser les épreuves. Ils privilégient certaines formes compétitives aux dépens d’autres. Cet ouvrage révèle l’entreprise de légitimation nécessaire au CIO pour faire exister les Jeux olympiques et l’olympisme, comme la grande fragilité de cette manifestation, de l’institution et de l’idéologie qui l’ordonnent dans la première moitié du XXe siècle.
4L’ouvrage met bien en avant comment les fédérations cherchent à répondre aux attentes de spectacularisation et de lisibilité des épreuves, à la construction d’un programme qui dépasse les seules frontières des espaces des sports européens et nord-américains et qui tend à l’universel. Cet enjeu a souvent servi à expliquer l’ouverture aux sports qui ont émergé à la fin des années 1970 (VTT, surf, trampoline, planche à voile), à ceux venus d’Asie (judo, badminton, taekwondo), la simplification des règles ou des innovations techniques (électrification de l’escrime). Les chapitres de cet ouvrage montrent que l’objectif de lisibilité, de sincérité des épreuves et de spectacularisation du jeu est quasi concomitant de l’avènement des Jeux olympiques. Le choix de monotype en voile par exemple vise à rendre les épreuves plus simples à comprendre pour les spectateurs. Plus tard, la réduction des surfaces de contact avec l’eau, l’usage des ailerons (foils) permettent aux engins nautiques d’aller plus vite et de planer sur l’eau ; les kimonos de couleur en judo facilitent la caractérisation des adversaires. Pour rendre le tir à l’arc plus spectaculaire, les représentants de la FITA proposent d’organiser des duels à partir de 1992, d’accueillir le tournoi dans des lieux patrimoniaux (stade panathénaïque à Athènes) en 2004 et de tirer des sets de trois flèches pour amplifier la dramatisation du duel. Si les exemples récents de lobbying pour maintenir un sport dans le programme olympique, comme la lutte, sont bien connus, l’ouvrage montre que cette pratique existe dès les années 1920. Après les échecs des régates d’Anvers en 1920, la voile olympique ne doit son maintien au programme qu’à la force de conviction des dirigeants du nautisme auprès des membres du CIO. L’ouvrage divulgue les dynamiques qui poussent à la sélection des épreuves. Si durant les années 1960-1970, la commission chargée d’établir le programme freine pour éviter le « gigantisme des Jeux », au cours des années 1980, le CIO qui tire désormais ses revenus principalement de la vente des droits de diffusion et des sponsors cherche à atteindre tous les publics et tous les marchés. Les Jeux régionaux, puis les Jeux olympiques de la jeunesse permettent tester de nouvelles disciplines et leur mise en forme (rugby aux Jeux du Commonwealth, golf aux Jeux asiatiques et méditerranéens, basket 3x3 aux Jeux olympiques de la jeunesse [désormais JOJE] de Singapour en 2010, parc urbain et breakdance aux JOJE de Buenos Aires en 2018).
5Plusieurs articles montrent aussi l’intérêt d’étudier les pratiques sportives périphériques de l’olympisme pour analyser l’ouverture des compétitions aux femmes et la mise en place de catégorie de genres. Le concours de plongeon est ouvert aux femmes, sans que cela semble avoir posé problème, dès 1912. Si la distinction de sexe a dominé des pratiques comme l’athlétisme, d’autres comme la voile, les épreuves de tir donnent lieu à des concours mixtes dont les femmes sont exclues progressivement. Dans cette dernière discipline, c’est en 1992 que sont instituées des catégories différentes pour les hommes et les femmes en skeet. En 2012, les régates mixtes disparaissent des épreuves olympiques.
6La lecture de ce dense ouvrage suscite parfois quelques interrogations et remarques. Le titre de l’ouvrage évoque « une histoire globale ». Or, si les différents chapitres abordent le processus de mondialisation et d’adaptation aux marchés sud-américains et asiatiques du spectacle sportif, celui-ci est analysé à partir des organisations centrales. Les contributions ne s’appuient pas assez sur des sources venues des régions dominées de l’espace international des sports pour faire une histoire pleinement globale. Comme tout ouvrage collectif, les contributions sont inégales. Si, pour certaines (natation synchronisée, taekwondo, judo, ou sports équestres par exemple) le lecteur apprend beaucoup, d’autres chapitres peinent à s’extraire de la litanie des victoires, des prestations ou des matchs marquants reprenant la forme de la chronique sportive. Certains articles ne tiennent pas compte de l’évolution de l’historiographie. Il est ainsi démontré que le match de water-polo entre les équipes hongroises et soviétiques n’est pas l’« épisode le plus violent de l’histoire du sport » (p. 333) et que le « bain de sang » est une construction médiatique a posteriori qui tend à dramatiser le match et à lui donner une lecture géopolitique. De la même manière, les travaux récents ont montré qu’en RDA, en Hongrie ou en Roumanie l’envoi des sportifs dans des « camps militaires » (p. 453) relève du stéréotype produit dans un contexte de guerre culturelle est-ouest. Enfin, l’analyse de la réception internationale et nationale du programme, comme de son évolution, n’a pas été au cœur de nombreuses contributions. Quelles sont les épreuves les plus prisées internationalement et quelles sont les variations nationales ? Les Jeux olympiques participent-ils à transformer les goûts sportifs des publics ? Comment le CIO a-t-il cherché à construire la connaissance de ses publics et à mesurer l’intérêt que suscitent les épreuves au programme ?
7Ces quelques remarques n’enlèvent rien à l’intérêt de cet ouvrage qui éclaire les conditions de la sélection des épreuves aux Jeux olympiques d’été et qui constitue désormais une bonne base pour étudier l’espace international des sports.
Notes
1 Jörg Krieger, Power and Politics in World Athletics, a Critical History, Londres, Routledge, 2021, 284 p.
2 Georgia Cervin, Degree of Difficulties. How Women’s Gymnastics Rose to Prominence and Fell from Grace, Urbana-Champaign, University of Illinois Press, 2021, 278 p.
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Référence électronique
Sylvain Dufraisse, « Michaël Attali, Yohann Fortune, Louis Violette (dir.), Une Histoire globale des sports olympiques », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 9 | 2024, mis en ligne le 31 octobre 2024, consulté le 14 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhc/11787 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1321j
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