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« Du nouveau ! Du nouveau ! » L’empsychographe : une invention au service du renouvellement du spectacle à Nantes en 1899

"Something new! New!" The empsychograph: an invention to renew entertainment in Nantes in 1899
Frédéric Créhalet

Résumés

L’émergence de la culture de masse à la Belle Époque s’accompagne d’une surenchère dans le spectaculaire et de la recherche continuelle de la nouveauté, de manière à satisfaire un public toujours plus nombreux. Ce phénomène se constate aussi bien sur les vastes scènes des théâtres et des music-halls que sur celles, plus intimes, des cabarets artistiques et des scènes privées, à Paris comme en province. Il conduit la société artistique et littéraire nantaise le Clou, qui se posait en rivale du Chat Noir parisien à partir de 1887, à monter un spectacle complètement nouveau grâce à l’invention de l’empsychographe. Cet appareil permet la projection sur un écran d’un spectacle de pantomime, au moyen de miroirs reflétant une scène vivement éclairée à l’électricité. Se voulant innovant, ce spectacle cherche à dépasser le théâtre d’ombres, les ombres chinoises et même le cinématographe. Il se propose « d’obtenir des effets entièrement nouveaux au point de vue du théâtre », tant dans l’éclairage que dans la superposition d’un décor dessiné et de l’image d’un spectacle vivant. Sans lendemain, cette invention est symptomatique du goût pour le spectacle et pour l’innovation technique qui rassemble les élites républicaines d’une grande ville industrielle et commerciale.

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Texte intégral

  • 1 Bibliothèque municipale de Nantes (BMN), fonds du Clou, 81137R/A : carton d’invitation à la premièr (...)
  • 2 Réunie dans le lieu de travail de Lafont, appelé Atelier, la société reprend le vocabulaire des ate (...)

1Le 30 janvier 1899, la société et artistique littéraire nantaise le Clou propose à ses membres et invités une expérience qui a l’ambition « d’obtenir des effets entièrement nouveaux au point de vue du théâtre ». Le carton d’invitation imprimé pour l’occasion annonce la « première exhibition de l’empsychographe […], merveilleux appareil à projections vivantes et animées1 ». L’invention est conçue par Ferdinand Ménard, architecte, développée par émile Cormerais, ingénieur et industriel, et brevetée par Georges Lafont, architecte et patron de Ménard. Lafont est aussi fondateur et Patron2 du Clou dont les membres, issus des élites économiques, sociales et politiques locales, sont accueillis dans son atelier entre 1884 et 1912.

  • 3 Bibliothèque municipale de Nantes (BMN), fonds du Clou, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.
  • 4 Cf. Alain Corbin, « Postface » dans Alain Beltran et Patrice Carré, La Vie électrique. Histoire et (...)
  • 5 BMN, fonds du Clou, 81137R/A : programme du 20 janvier 1896.
  • 6 Sur l’origine et le sens du terme spectaculaire, « spectacle qui cherche le débordement des sens », (...)

2Cette nouvelle « attraction », ainsi que la signale le programme de la soirée, s’inspire du théâtre d’ombres pratiqué au Clou depuis 1887, d’une part, et du cinématographe dont une des premières projections à Nantes est réalisée au Clou en février 1897, d’autre part. Donné comme « appareil de l’avenir », « première apparition de 19003 », l’empsychographe associe modernité et électricité4 puisqu’il nécessite la maîtrise d’une intense lumière électrique pour offrir aux spectateurs plongés dans le noir un spectacle projeté sur un écran. Le jeu d’acteurs cachés du public y est rendu en réduction, en couleur, en relief et en mouvement, ce qui explique le nom donné à l’appareil qui signifie « reproduction d’êtres animés ». Pourtant, à peine inventé et breveté, cet appareil qui prétend renouveler le théâtre est aussitôt démonté et oublié, sans atteindre 1900. Est-ce la rançon de sa monumentalité et de son coût exorbitant en énergie ? N’aurait-il donné à voir que du déjà vu malgré son ambition de renouveler le théâtre et de dépasser les spectacles d’ombres et de cinématographe ? N’est-ce pas plutôt le résultat d’une obsolescence programmée par les exigences d’un public qui répète « du nouveau ! du nouveau5 ! » dans sa quête inassouvie de spectaculaire6 ?

  • 7 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.
  • 8 Le Progrès de Nantes, « Au Clou », 31 janvier 1899, p. 3 ; Le Phare de la Loire, « Une invention na (...)
  • 9 BMN, 81137R/A : programmes des 16 et 30 janvier 1899, 27 février 1899, carton d’invitation à la soi (...)
  • 10 André Perraud-Charmantier, Le Clou, 1884-1912, Rennes, Presses du Nouvelliste de Bretagne, 1926.
  • 11 Pauline Noblecourt, La Lumière focalisée dans les spectacles parisiens au XIXe siècle, thèse de doc (...)
  • 12 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir à Montmartre (1881-1897), Paris, Slatkine, 2007 ; Id., Omb (...)
  • 13 André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS É (...)
  • 14 Vanessa R. Schwartz, Spectacular realities: early mass culture in fin-de-siècle Paris, Berkeley et (...)
  • 15 François Gigaud, La Fête à Nantes à la Belle Époque (1900-1914), mémoire de maîtrise en Histoire so (...)
  • 16 Voir la présentation synthétique faite par Patrick Désile, « Culture spectaculaire et premier ciném (...)

3Nouveau, l’empsychographe l’est bien par les effets qu’il offre aux spectateurs. Nous le comprendrons grâce à la description de cet appareil dans le dossier de brevet d’invention conservé par l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI7), grâce aux articles de la presse locale8, aux programmes des soirées du Clou déposés à la Bibliothèque municipale de Nantes9 et au livre d’André Perraud-Charmantier intitulé Le Clou, histoire de cette société publiée en 1926 en hommage à Georges Lafont décédé deux ans plus tôt10. L’empsychographe innove aussi par rapport à d’autres formes de spectacle dont il dérive mais qu’il prétend surpasser, en particulier les ombres chinoises et le cinématographe encore récent. Nous pourrons alors le situer dans un contexte d’expérimentations techniques et artistiques qui touchent le domaine des spectacles : utilisation de la lumière électrique au théâtre11, recherches artistiques d’Henri Rivière sur le théâtre d’ombres au Chat Noir12, invention du cinématographe13, mais aussi reproduction spectaculaire du réel à Paris14 ou arts forains à Nantes15. Original, l’empsychographe est ainsi révélateur de la culture spectaculaire d’une élite urbaine provinciale, attirée par la modernité et la nouveauté, venant particulièrement de Paris16. Enfin, nous comprendrons que la nouveauté de l’empsychographe est portée par le type même de spectacle auquel il s’intègre, le spectacle varié, qui cherche à satisfaire l’exigence d’un public dont la soif de spectaculaire est inassouvie et rend l’invention presque aussitôt dépassée.

Des effets techniques nouveaux pour le théâtre

  • 17 BMN, 81137R/A : programme du 16 janvier 1899.
  • 18 BMN, 81137R/A : carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899.

4La première soirée du Clou consacrée à l’empsychographe, le 30 janvier 1899, est annoncée comme un événement exceptionnel par le programme de la séance précédente, le 16 janvier 1899 : « Or, nous le tenons, l’oiseau rare : Quelle surprise on vous prépare ! Mais… chut17 ! » Un carton d’invitation, illustré par l’architecte André Chauvet, autre collaborateur de Lafont, est ensuite envoyé par le Comité du Clou aux membres de la société et à des invités choisis, « quelques hautes notabilités de la Société nantaise et de la presse18 ». Une deuxième séance a lieu le 27 février suivant, avant que l’appareil ne soit démonté : il n’est pas montré au « Clou des dames » du 13 mars, certainement parce qu’il faut libérer de la place dans l’atelier de Georges Lafont qui accueille alors plus de cent dix personnes – essentiellement des femmes ou des filles des cloutiers invitées à la séance exceptionnelle qui leur est réservée chaque année.

Fig. 1 - André Chauvet, carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899

Fig. 1 - André Chauvet, carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899

Lithographie sur papier, 17 x 22,8 cm

Ville de Nantes. Bibliothèque municipale

  • 19 Le Nouvelliste de l’Ouest, « L’Empsychographe », 1er février 1899, p. 2.
  • 20 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.

5S’il ne reste aucune trace de l’appareil lui-même, le dossier déposé pour l’obtention d’un brevet d’invention en fait une description précise qui permet de comprendre que l’empsychographe est bien adapté à la disposition de l’atelier d’architecte. Celui-ci est composé, d’une part, d’un grand salon (C sur le schéma) formant la scène « fortement éclairée » où « se meuvent les artistes ». La scène ne comporte pas de décor : les acteurs évoluent devant « un fond blanc éclairé de dix lampes à arc19 ». D’autre part, l’atelier comprend une grande salle d’entrée (B) où se pressent les spectateurs « dans une obscurité aussi complète que possible », selon les vœux du brevet20. Le 30 janvier, les spectateurs sont au nombre de 83 dont 39 invités et, le mois suivant, de 76 dont 36 invités.

  • 21 La nature exacte de ce fond est sujette à informations contradictoires. D’après l’Ouest-Artiste, il (...)
  • 22 D’après le brevet, le procédé est inspiré de la camera obscura, connue depuis Aristote, perfectionn (...)
  • 23 Julien Lefèvre, L’Électricité au théâtre, Paris, A. Grelot, 1894, p. 203-233. Il reprend le trucage (...)
  • 24 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 128.
  • 25 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.

6C’est certainement dans l’arcade séparant les deux salles qu’est placée une cloison (S) où est situé un écran (f), aussi appelé fond ou tableau. Il s’agit d’un support d’un mètre carré, opaque, clair et lisse pour rendre au mieux le reflet de la scène21. En effet, l’originalité du dispositif repose sur un jeu de deux miroirs placés dans une chambre noire22, selon un procédé emprunté au théâtre, permettant de faire apparaître un spectre sur scène, et décrit par Julien Lefèvre, professeur à l’école des sciences de Nantes, dans son livre sur L’Électricité au théâtre23. Ainsi, cet instrument d’optique qu’est l’empsychographe permet, « par le jeu des lentilles, la reproduction à une échelle réduite de scènes vécues par des acteurs placés devant le foyer lumineux, mais hors de la vue du spectateur24 ». Cette reproduction du jeu des acteurs sur un écran permet « d’obtenir des effets entièrement nouveaux au point de vue du théâtre25 ».

Fig. 2 - Georges Lafont, dessin de l’empsychographe, Nantes, 28 janvier 1899

Fig. 2 - Georges Lafont, dessin de l’empsychographe, Nantes, 28 janvier 1899

INPI, dossier du brevet d’invention

7En effet, l’empsychographe résulte de plusieurs années de pratique théâtrale au Clou. Depuis 1889, ses membres disposent d’une scène de théâtre miniature et démontable. Ce « Théâtre libre du Clou » accueille des représentations dramatiques de plus en plus nombreuses, variées et fournies. En la matière, la société poursuit ses expériences et cherche à se situer à l’avant-garde dans deux domaines, l’éclairage et les décors.

  • 26 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., figure 85. Lors de la première séance d’ombres (...)
  • 27 Celle-ci n’est pas à exclure car elle est connue à Nantes grâce aux « Souvenirs de Bayreuth » publi (...)

8Dès 1887, les spectateurs des ombres du Clou sont plongés dans le noir – ce qui n’est pas toujours le cas au cabaret du Chat Noir26. Même en admettant l’influence de Bayreuth27, il faut surtout y voir une raison pratique : favoriser la visibilité de l’écran. En découvrant le programme du 30 janvier 1899, les « Aimables Spectateurs » sont prévenus d’une mise en condition par la pénombre :

9I. Entendre - Pleine clarté (dans la salle et sur la scène)

  • 28 Il s’agit d’une conférence sur le cabaret artistique parisien fermé deux ans plus tôt, donnée par G (...)

10Clou et Chat noir … Veil28 (…)

11II. Voir - Pleine obscurité (dans la salle seulement)

  • 29 BMN, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.

12L’empsychographe29 (…)

  • 30 Le Progrès de Nantes, « Au Clou », 31 janvier 1899, p. 3.

13Le caractère inhabituel de cette obscurité au spectacle est souligné par le lapsus volontaire du journaliste du Progrès de Nantes : « la toile s’est levée ou plutôt, l’obscurité s’est faite par l’exhibition de l’Empsychographe30 ». L’obscurité et le silence préparent les spectateurs à être immergés dans le spectacle, à connaître un véritable « ravissement », selon l’annonce du programme.

  • 31 Denis Bablet, Esthétique générale du décor de théâtre de 1870 à 1914, Paris, Éditions du CNRS, 1965 (...)
  • 32 Le Phare de la Loire, « Une invention nantaise au Clou », 1er février 1899, p. 2.
  • 33 On peut rapprocher ce dispositif de celui utilisé par émile Reynaud pour le Théâtre optique, dans l (...)

14L’autre expérimentation concerne le rapport entre les acteurs et les décors. Au théâtre, les acteurs se déplacent sur scène devant des décors. Au Théâtre libre d’Antoine, très apprécié au Clou, ceux-ci sont l’objet d’un soin particulier, visant à reconstituer le milieu où se déroule l’action et ainsi à en renforcer la vérité31. Or, l’empsychographe s’oppose à tout naturalisme. Avec ce nouvel appareil, « les décors au lieu d’être peints sur le fond où se meuvent les personnages sont au contraire dessinés sur le tableau qui reçoit les images et on peut obtenir des effets scéniques remarquables » d’après l’article du Phare de la Loire32. La déconnexion des acteurs et du décor est absolue et seuls les spectateurs voient les deux à la fois, des acteurs en couleur, en mouvement et en relief évoluant dans des décors dessinés pouvant ressembler à ceux de théâtres d’ombres33. C’est ce que signale André Perraud-Charmantier à propos du tableau intitulé La Rue :

  • 34 André Perraud-Charmantier, op. cit., Le Clou…, p. 129.

Le spectacle inouï se déroule aux regards émerveillés des Cloutiers : la rue Crébillon avec, à l’angle, la pharmacie du bon Réby, est là sous leurs yeux – en décor, il est vrai – mais les silhouettes qui s’agitent sont celles des amis, en chair et en os – qui jouent là, tout derrière34.

  • 35 BMN, 81137R/A : programmes du 30 janvier 1899.
  • 36 Denis Bablet, Esthétique générale du décor…, op. cit., p. 145-147. Sur les spectacles de danse de L (...)

15Un contraste saisissant s’opère entre l’image des acteurs dont le réalisme se veut total et le décor fait de simples dessins. On peut imaginer le caractère merveilleux du spectacle : les spectateurs y sont préparés en écoutant, en prélude, l’« ouverture du Pays des Rêves » jouée par « Lord Kestre35 ». L’onirisme est renforcé par la lumière électrique – inhabituelle encore, dans le sillage de Loïe Fuller qui en avait fait la composante essentielle de sa mise en scène36.

  • 37 Sur ces points, voir Stéphane Tralongo, Faiseurs de fééries…, op. cit., p. 65-74, et Pauline Noblec (...)
  • 38 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., p. 99, 102.
  • 39 BMN, 81137R/A. Pour la présentation de nombreux modèles contemporains de lampes à projections, voir (...)
  • 40 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.
  • 41 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2. D’après le dessin d’André (...)
  • 42 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.
  • 43 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

16En effet, une source lumineuse de forte intensité est nécessaire au fonctionnement de l’empsychographe, comme c’est le cas pour les spectacles d’ombres et le cinématographe, mais contrairement aux attractions lumineuses des fééries et du théâtre37, elle ne doit pas éblouir mais éclairer – ce en quoi l’expérience semble échouer. Au Chat Noir, Henri Rivière avait fait ses premières expériences d’ombres chinoises en décembre 1885 à l’aide d’un bec de gaz avant d’utiliser, à partir de 1887, un chalumeau oxhydrique à feu libre38. Une lampe à projections est aussi attestée au Clou dès 1887 pour les spectacles d’ombres et les projections de photographies lors de conférences : le programme du 18 avril 1898 présenté ci-dessous montre une lampe électrique et un drap blanc destinés aux projections et aux spectacles d’ombres suggérés ici par deux ombres d’animaux39. En 1897, l’électricité est utilisée dans l’atelier de Lafont à l’occasion d’une démonstration du cinématographe Lumière. Si l’électricité est la condition technique de la réussite de l’expérience artistique, un simple projecteur électrique ne peut suffire : d’après les témoignages de la presse, il est « nécessaire d’avoir un éclairage électrique intense40 » fourni par « dix lampes à arc41 » dont l’importance est soulignée par André Chauvet en en faisant le motif principal de l’illustration de son carton d’invitation42. L’Ouest-Artiste confirme en précisant qu’on obtient le spectacle « en éclairant d’une façon très vive la scène où se meuvent les acteurs, au moyen de lampes à arc, représentant la lumière de cinq mille bougies43 ».

Fig. 3 - La lampe à projection électrique du Clou. André Chauvet, programme de la soirée du Clou du 18 avril 1898

Fig. 3 - La lampe à projection électrique du Clou. André Chauvet, programme de la soirée du Clou du 18 avril 1898

Lithographie sur papier, 38 x 28,1 cm

Ville de Nantes. Bibliothèque municipale

  • 44 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

17Pour mener à bien l’expérience, deux cloutiers sont à la manœuvre, l’architecte Ménard et l’ingénieur Cormerais. Celui-ci est chargé de réaliser l’appareil imaginé par Ménard, non sans tâtonnements et difficultés, « pendant plusieurs mois de labeur et de sueur44 ». Sans doute entré au Clou fin 1897 par l’entremise d’Ernest Lefièvre, beau-frère et associé de Louis Lefèvre-Utile, Cormerais se signale par son ingéniosité, déposant par ailleurs pour son entreprise une dizaine de brevets dans les domaines de la chaudronnerie et de la mécanique automobile, entre 1903 et 1916.

  • 45 Rien ne permet d’assurer la présence au Clou de Julien Lefèvre cité plus haut.
  • 46 Anonyme, « Causerie. Exposition de Nantes. L’électricité et ses applications industrielles », Le Pa (...)
  • 47 Clément Blandin, « Pouzauges, première ville lumière de Vendée », Bulletin d’histoire de l’électric (...)
  • 48 René Sauban, Des ateliers de lumière : histoire de la distribution du gaz et de l'électricité en Lo (...)
  • 49 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.
  • 50 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.
  • 51 Il est difficile de mesurer le succès des représentations de l’empsychographe, les sources principa (...)

18L’empsychographe porte aussi la marque du Clou, société dont le Patron Georges Lafont est un des promoteurs de l’hygiénisme et de la modernité à Nantes et dont les membres sont attachés depuis les origines au développement de l’énergie électrique. Plusieurs personnalités liées à l’essor de l’électricité à Nantes fréquentent le Clou et y font des conférences régulières sur le sujet45. Parmi elles, Georges Badon-Pascal est directeur de la Compagnie d’électricité de Nantes depuis 1896 : il est chargé de l’éclairage de la scène du théâtre de la Renaissance et de l’installation de fontaines lumineuses, place Brancas, lors de la visite du président de la République Félix Faure en 1897. Deux autres cloutiers ont joué aussi un rôle capital dans l’électrification de l’Ouest de la France, les centraliens Félix Bonfante et Similien Maisonneuve. Actifs à Nantes dès 1879, ils fondent en 1882 une société tournée vers l’éclairage de bâtiments industriels. En 1886, ils réalisent l’électrification du théâtre des Enfants-Nantais46 et de petites villes de l’Ouest : Clisson et Pouzauges en 1886, Hennebont en 1889, par le seul Bonfante47. Ces travaux convainquent le maire de Nantes de leur faire construire en 1891 la première usine électrique de Nantes pour alimenter plusieurs commerces et le théâtre Graslin48. En effet, l’électricité est vue comme un moyen d’assurer la sécurité de bâtiments régulièrement soumis aux incendies dus au gaz mais aussi de rendre les spectacles encore plus spectaculaires, grâce à une profusion de lumière blanche. C’est cette intensité de lumière qui permet la réalisation de l’empsychographe. Mais elle n’est pas totalement maîtrisée par les inventeurs comme le signale Le Phare de la Loire qui appelle à des « perfectionnements de détail » en cette période de « débuts49 ». Le Nouvelliste signale les difficultés liées à cette lumière électrique : « La perte de lumière est encore excessive et la clarté de l’écran ne laisse guère deviner au spectateur que les acteurs se meuvent dans l’éblouissement pénible d’un fond blanc, éclairé de dix lampes à arc50 ». Ces difficultés, ainsi que la monumentalité de l’appareil, expliquent l’abandon de l’expérience au bout d’un mois, malgré un succès rapporté par la presse locale qui fait l’éloge de son caractère novateur et spectaculaire51.

Le dépassement de formes artistiques en vogue

  • 52 Toutes choses égales par ailleurs, l’empsychographe pourrait être qualifié de « carrefour des attra (...)

19L’ambition novatrice du spectacle d’empsychographe ne peut se comprendre que par sa comparaison avec les formes dont il dérive, ce qui nous permet de situer l’invention dans un ensemble de formes spectaculaires, d’attractions qui cherchent à captiver l’attention du public52 : les spectacles d’ombres et le cinématographe.

  • 53 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 66.
  • 54 La Nation, 30 décembre 1886. Cf. Paul Jeanne, Les Théâtres d’ombres à Montmartre de 1887 à 1923, Pa (...)
  • 55 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 128.

20D’après André Perraud-Charmantier, Georges Lafont avait été marqué par les spectacles d’ombres chinoises vus à Paris, au Chat Noir53. Les premières représentations y avaient été données dès 1885, mais c’est le 28 décembre 1886 qu’a eu lieu l’inauguration officielle du théâtre d’ombres du Chat Noir54. Suivant cet exemple, un premier spectacle est donné au « Théâtre du Clou » le 21 novembre 1887, composé de deux pièces : Le conseil de révision et Les tentations de Saint Antoine ou Le triomphe du Clou (Silhouettes nantaises), revue d’ombres parodiant des figures locales. Or, l’empsychographe est d’abord vu comme une amélioration des ombres chinoises. Perraud-Charmantier écrit même que « l’invention pouvait tuer les ombres chinoises55 ». Dans cet art, des silhouettes en carton ou en zinc découpé sont placées entre une source lumineuse et un écran de toile : elles sont donc vues en transparence, noires ou grises sur un fond blanc. L’empsychographe est explicitement conçu en référence aux spectacles du Chat Noir (fermé depuis 1897) qu’il cherche à dépasser. La conférence introductive à la soirée, donnée par Gaston Veil, a ainsi pour thème « Clou et Chat Noir ». La conférence de présentation de l’empsychographe par Cormerais prolonge sans doute la réflexion en montrant comment cet appareil permet de dépasser les réalisations du cabaret parisien :

  • 56 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

Une chose manquait, en effet, au spectacle des ombres chatnoiresques. On a obtenu jusqu’ici la perspective, la couleur et toutes les qualités de décoration nécessaire à la reproduction de la nature ; toutefois, il en manquait une, la principale peut-être, pour donner l’impression de la vie : le mouvement56.

  • 57 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., p. 102, 112.

21Henri Rivière obtenait des effets de couleurs par des papiers colorés insérés dans les figures de zinc, ou par des séries de verres peints57. L’impression de mouvement était rendue grâce à des procédés d’articulation ou à des glissières permettant de faire défiler les ombres sur un décor. Pour autant, « l’impression de la vie » est davantage obtenue par la reproduction des acteurs du Clou :

  • 58 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

Les personnes ou les scènes projetées sur la glace (sic) par des lumières d’une puissance prodigieuse ne sont plus en carton comme celles du Chat Noir, elles sont vivantes et animées, elles s’agitent, se meuvent et, hier soir surtout, elles ne s’en sont pas privées58.

  • 59 Denis Bordat et Francis Boucrot, Les Théâtres d’ombres. Histoire et techniques, Paris, L’Arche, 195 (...)

22L’utilisation d’acteurs est, en réalité, pratiquée depuis longtemps par le théâtre d’ombres où ils jouent, placés entre la source lumineuse et l’écran. Cet art fréquent dans les théâtres de salons au XVIIIe siècle59 reste en vogue à la Belle Époque, comme le rappelle l’article de l’Ouest-Artiste :

  • 60 Henri Rivière et Georges Fragerolle, Le Juif errant, légende en 8 tableaux, représentée pour la pre (...)
  • 61 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

Cette qualité était déjà obtenue dans le théâtre d’ombres chinoises proprement dit, où les personnages sont représentés par des ombres d’acteurs. C’est ce genre de spectacle que Fragerolle et Rivière nous offraient lorsqu’ils faisaient représenter, l’an dernier, au théâtre Antoine, leur Légende du Juif Errant60. Mais le théâtre d’ombres chinoises a le défaut d’être un spectacle de pures ombres ; s’il nous donne l’impression du mouvement, il ne nous donne pas celui de la couleur61.

  • 62 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.

23L’empsychographe est donc conçu comme appareil destiné « à apporter une véritable révolution dans les spectacles chatnoiresques et les théâtres d’ombres chinoises62 » mais aussi comme réponse à une attraction nouvelle, le cinématographe : le choix de son nom le montre.

  • 63 Il est connu des Nantais comme en témoigne un article du Phare de la Loire du 11 mai 1897 rattachan (...)
  • 64 André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 16.
  • 65 Yves Aumont et Alain-Pierre Daguin, Les Lumières de la ville. Un siècle de cinéma à Nantes, édition (...)
  • 66 Jean Giraud, Le Lexique français du cinéma des origines à 1930, Paris, CNRS, 1958, p. 48, cité par (...)
  • 67 André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 53-55 et 101. Voir aussi Martin Barnier, « De (...)
  • 68 Épastrouillant signifie impressionnant. Il s’agit d’une projection du cinématographe Lumière, dont (...)
  • 69 Cf. André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 52-58.

24Après le Kinetograph d’Edison et Dickson, inventé en 189063, et le cinématographe des frères Lumière breveté en 189564, apparaît une profusion d’inventions concurrentes destinées à offrir des spectacles de vues animées. À Nantes, A. Cuvelier monte en septembre 1895 un « cosmorama mouvant », assez proche de l’invention d’Edison. En avril suivant, la première projection d’un film avec un « kinétographe » a lieu au café Riche, place d’Orléans. Un incendie a tôt fait de mettre fin à l’expérience avant que, quelques semaines plus tard, on installe au Cercle catholique de la rue du Chapeau Rouge un « kinématographe » dont il est précisé au public qu’il n’a aucun lien avec l’appareil du café Riche. Les attractions se succèdent alors sous les noms les plus étranges, afin d’aiguillonner la curiosité : « cinéphotographe » et « aléthescope pittoresque » sont concurrencés par des attractions de la foire de la place Bretagne, le « chronophotographe » de Grenier (projections lumineuses, en mouvement et grandeur naturelle), les photographies animées du Théâtre des Merveilles de Vernassier, et enfin le « silhouetoscope » caractérisé par ses « scènes mouvementées et ombres animées65 ». Cinématographe et foire sont liés puisque, au départ, le cinématographe est conçu pour être une attraction, c’est-à-dire l’« élément captivant, sensationnel, d’un programme66 » de music-hall, de cirque ou de foire. Un bonimenteur commente le film muet67 – comme Salis commentait les spectacles d’ombres chinoises au Chat Noir. Le Clou ne tarde pas à s’intéresser à l’invention et invite Vernassier. En annonçant son « cinépastrouillantautomobilodéfinitivographe68 », le programme de la soirée du Clou du 15 février 1897 se moque de l’extravagante inventivité des appellations de ces appareils de fête foraine et du bagout des bonisseurs69.

  • 70 La première présentation officielle du cinématographe Lumière à Nantes en juin 1896 s’est faite sou (...)
  • 71 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.
  • 72 Laura Anne Kalba, « Couleur. éclat, mouvement et vitalité : les origines du cinéma » dans Dominique (...)
  • 73 Laurent Mannoni, Le grand art de la lumière et de l’ombre…, op. cit., p. 12.

25Là encore, l’empsychographe veut surpasser le cinématographe, parfois vu comme une simple application de la photographie70. Comme le souligne Le Nouvelliste : « C’est la cinématographie de la nature même, directement obtenue, sans l’intervention de la photographie71 ». Ainsi, au cinématographe, le spectateur est complètement déconnecté des acteurs dont l’image animée est rendue au moyen du principe photographique, souvent en couleur, et sans relief72. L’empsychographe, quant à lui, prétend restituer le mouvement, les couleurs et même le relief des acteurs. Il ne reproduit pas des ombres, il ne donne pas la vie à des images, il donne à voir la vie elle-même – rejoignant l’ambition des spectacles lumineux depuis des siècles selon Laurent Mannoni : « recréer la Vie, voir un alter-ego de l’être humain, peint à la main ou chronophotographique, s’animer sur la toile blanche73 ». Ce spectacle vivant est au service d’une réelle expérimentation théâtrale. Il est ainsi le « clou » d’une séance de spectacle varié.

Fig. 4 - Ferdinand Ménard, programme de la soirée du Clou du 30 janvier 1899

Fig. 4 - Ferdinand Ménard, programme de la soirée du Clou du 30 janvier 1899

Lithographie sur papier, 39,8 x 30 cm

Ville de Nantes. Bibliothèque municipale

Le clou d’un spectacle varié répondant à l’exigence de produire du nouveau

  • 74 Manon Billaut et alii, « Du croisement des arts au relativisme culturel », art. cit., p. 117.
  • 75 Sur l’évolution du mot attraction, voir Sébastien Denis, Jérémy Houillère (dir.), Cirque, cinéma et (...)

26Le programme du 30 janvier 1899 reproduit ci-dessus décrit l’empsychographe comme l’« attraction des attractions » : faut-il voir dans cette expression une simple hyperbole ? Celle-ci permettrait de signaler le caractère hors du commun de l’empsychographe, attraction dépassant toutes les autres, ainsi que nous l’avons vu précédemment. Pour autant, comme le film à la même époque, l’empsychographe participe « d’un ensemble diversifié de spectacles vivants dont il [est] un élément74 ». Puisque les programmes du Clou aiment jouer avec la langue, on pourrait lire le premier mot en son sens originel de « phénomène mécanique75 » : l’empsychographe attire à lui diverses attractions pour offrir un spectacle varié – on assisterait alors à un véritable emboîtement du spectacle varié offert par l’empsychographe à l’intérieur du programme de la soirée, conçu sur le même modèle. Innovant, le dispositif se propose d’offrir du nouveau, comme les spectacles variés contemporains auxquels il se rattache, par la structure des numéros proposés, par leur diversité mais aussi par sa capacité à les renouveler et à s’en démarquer.

  • 76 Cf. Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’écluse (1951-1974). Expérience et poétique des variétés, Lyo (...)
  • 77 Daniel Grojnowski, Aux commencements du rire moderne. L’esprit fumiste, Paris, José Corti, 1997, p. (...)

27En effet, la soirée se déroule en trois temps et s’insère dans une structure typique du spectacle varié, alors caractérisé par le mélange des registres, du grave au comique, notamment servi par les chansonnettes et les monologues, et par l’alternance des genres, musique, arts visuels ou dramatiques76. Apparenté à l’organisation des spectacles au café-concert ou au music-hall, ce type de programmation est plus particulièrement hérité du cabaret artistique parisien. Entre 1878 et 1880, les Hydropathes avaient mis au point « un type de soirées littéraires, dramatiques et musicales, qui seront par la suite reproduites – notamment par les Hirsutes – puis perfectionnées et commercialisées par le Chat Noir » à partir de 188177. À Nantes, c’est sans doute en 1883 que ces spectacles variés ont été introduits par une société éphémère, le Cercle littéraire et artistique, avant d’être repris par le Clou dès 1884.

  • 78 Pascal Rousseau, « Le spectacle des sens », art. cit., p. 157.
  • 79 Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de film. Les projections avant 1914, Rennes, Presses univers (...)

28La première partie de la soirée du 30 janvier 1899, intitulée « Entendre », propose des numéros variés, conférences, musique, chants et numéro de ventriloquie. Elle précède une deuxième partie, « Voir », correspondant au « clou » du spectacle, selon une habitude reprise par le Clou, souvent sous la forme d’une pièce de théâtre, d’une revue d’ombres ou du numéro d’une vedette de passage. Cette deuxième partie est introduite par une partition au nom évocateur : Le pays des Rêves, inspirée d’une poésie d’Armand Silvestre. Par la musique et l’obscurité, les spectateurs sont préparés à « un ‟spectacle total” où la confusion des sens devient l’agent cristallisateur d’une communion des individus78 ». De plus, en étant précédée par une « ouverture », la démonstration d’empsychographe s’inscrit dans une structure alors commune aux « programmes de toutes les salles dans lesquelles plusieurs numéros sont proposés79 ». C’est aussi dans cette forme que s’insèrent alors les projections cinématographiques.

  • 80 Id., Bruits, cris, musiques de film…, op. cit., p. 106-110.

29Après la conférence préliminaire par Émile Cormerais, l’exhibition s’articule en quatre numéros pour lesquels le spectacle projeté sur l’écran est accompagné de musique ou de boniment, autre point commun avec les projections de cinématographe80 :

302e Chansons imagées

313e La Rue

324e Le Coucher de la mère Yvette

  • 81 BMN, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.

335e Les Pygmées de l’Afrique81

34Ces tableaux sont tous des pantomimes où les acteurs bougent mais ne parlent pas. « Chansons imagées » et « Les Pygmées de l’Afrique », spectacle de danses, sont accompagnés de musique. D’autres scènes sont commentées par un « boniment » comme le programme du 27 février le précise. Tel Salis pour le théâtre d’ombres du Chat Noir et les bonimenteurs lors des spectacles de cinématographe, Félix Charmantier, une des plumes du Clou, se charge de commenter « La Rue ! » et « Actualité ! », revue où diverses personnalités sont caricaturées par leurs « binettes ».

  • 82 Pour les cloutiers, ce numéro peut évoquer le panorama peint par Charles Castellani en 1889, Le Tou (...)
  • 83 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.

35Ce n’est pas seulement par sa structure que la démonstration d’empsychographe s’insère dans un type de spectacle alors en vogue, mais aussi par la diversité des numéros. « La Rue » est une pantomime constituée de saynètes reproduisant « des incidents de la rue », soit la place Graslin dessinée sur l’écran82. Ce tableau permet d’ailleurs de montrer aux spectateurs les capacités techniques de l’appareil, comme le signale l’article du Phare : « Le champ que possède l’appareil permet d’obtenir des scènes comprenant un grand nombre de personnes ; la reproduction des incidents de la rue est surtout intéressante83 ».

  • 84 Patrick Désile, « Culture spectaculaire et premier cinéma », art. cit., p. 14-15 ; Livia Suquet, «  (...)

36Ce numéro est encadré par deux animations comiques : les « Chansons animées » et le « Coucher de la mère Yvette ». Cette scène est une référence à la pantomime de Francisque Verdellet, Le coucher d’Yvette, créée à Paris le 3 mars 1894 au Concert Lisbonne avant d’être reprise au café-concert de l’Alcazar d’été. Blanche Cavelli joue le rôle d’une jeune épouse, seule, qui se dévêt devant son miroir. Cette pantomime de déshabillage, si elle n’est pas la première84, est un grand succès qui suscite autant la controverse que de nombreuses imitations. On peut supposer que le « Coucher de mère Yvette » se situe dans le sillage de ces imitations.

  • 85 « Sur la place Bretagne », Le Phare de la Loire, 25 décembre 1898, p. 2.
  • 86 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.
  • 87 Krizia Bonaudo, Hybridations entre cirque et théâtre au début du XXe siècle en France, thèse de doc (...)

37Enfin, « Les Pygmées de l’Afrique » correspondent à un spectacle venu directement de la foire de la place Bretagne où le forain O’Brien tient un théâtre depuis plusieurs années. En décembre 1898, tablant sur le succès des spectacles exotiques et des exhibitions d’indigènes venus des colonies, celui-ci avait monté un spectacle baptisé Les Cingalais : « Les danses et les cérémonies y sont des plus curieuses et des mieux choisies85 ». C’est ce spectacle qui est repris au Clou, comme en témoigne l’article du Progrès de Nantes : « les Pygmées de l’Afrique, vulgo les Cingalais de la place Bretagne, qui se sont livrés à leurs danses échevelées dont l’effet, sur la glace, était fantastique86 ». Cette intégration du spectacle forain est symptomatique de son influence qu’il a alors sur le théâtre ainsi renouvelé, comme l’a montré Krizia Bonaudo87.

  • 88 BMN, 81137R/A : programme du 27 février 1899.
  • 89 Binette est un « mot très-familier » signifiant « tête ridicule », selon Émile Littré, Dictionnaire (...)

38Quant au numéro « Actualité » du 27 février 1899, agrémenté de « binettes trop innombrables pour être énumérées88 », il s’agit très certainement d’un défilé de « ‟grosses têtes” caricaturales », selon un modèle proche de celui de la revue89.

  • 90 Philippe Kaenel, « Du Chat Noir au Sapajou. Les échanges artistiques et satiriques entre Paris et l (...)
  • 91 Nous reprenons ici l’expression de male gaze de Laura Mulvey à propos du cinéma hollywoodien pour d (...)

39En reprenant des attractions de concerts parisiens ou de la foire nantaise, la démonstration d’empsychographe propose-t-elle vraiment du nouveau aux spectateurs ? Dans un premier temps, signalons qu’aucun des numéros présentés le 30 janvier n’avait été présenté auparavant au Clou. De plus, la démonstration d’empsychographe cherche à faire du neuf, selon des modalités rappelées par Philippe Kaenel à propos du théâtre genevois du Sapajou fondé en 1896, lui aussi fortement inspiré du Chat Noir : « Imitation, dérision, adaptation90 ». Les reprises de la pantomime de déshabillage « Coucher de la mère Yvette » et de la revue avec binettes du numéro « Actualité » suggèrent évidemment des imitations, liées à des transferts artistiques de Paris vers la province, et des adaptations aux exigences scéniques de l’appareil, qui font du jeu des acteurs une véritable performance. Cependant, la transformation du titre en « mère Yvette » signale une réappropriation parodique et l’on peut même supposer que c’est le regard mâle91 sur une scène de dénudement que le numéro tourne en dérision, tant les productions cloutières sont marquées par un esprit fumiste, qui se moque de tout, y compris des visions stéréotypées de la femme, incarnée par « Clouo de Mérode » sur le programme de Marcel Jacquier du 27 février 1899.

40Ainsi, le spectacle varié offert par l’empsychographe ne se comprend pleinement qu’en rapport avec les spectacles qui lui sont contemporains et dans lesquels il s’insère comme un rameau mort-né. Il en reprend la structure, il s’en inspire pour ses propres numéros tout en les renouvelant et en les adaptant, en en créant de nouveaux, au point que l’on peut lui appliquer ce qu’écrit Guy Ducrey à propos du cinéma :

  • 92 Guy Ducrey, Tout pour les yeux. Littérature et spectacle autour de 1900, Paris, Presses de l’Univer (...)

Tout à la joie des possibilités offertes à la scène par les techniques nouvelles […], l’art de la mise en scène semble obéir à un désir effréné de faire voir le jamais vu, par une sorte de surenchère du spectaculaire qui trouvera sa version accomplie dans les débuts du cinéma. Au point que ce dernier, autant qu’il fut une révolution, paraisse aussi un point d’aboutissement naturel à ce besoin irrépressible de voir qui caractérise la période qui l’a précédé92.

Fig. 5 - Marcel Jacquier, programme de la soirée du Clou du 27 février 1899

Fig. 5 - Marcel Jacquier, programme de la soirée du Clou du 27 février 1899

Lithographie sur papier, 35,3 x 29,3 cm

Ville de Nantes. Bibliothèque municipale

  • 93 Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’Écluse (1951-1974)…, op. cit., p. 115-122.

41L’empsychographe répond au désir de spectaculaire du public, dans une débauche de moyens d’autant plus paradoxale qu’il faut aussi assouvir un autre penchant : la volonté de renouveau perpétuel des spectacles. Attraction nouvelle issue de l’ingéniosité de cloutiers, l’empsychographe parvient à ses fins en proposant de « l’invu », selon le néologisme d’un programme cloutier de 1908, en cherchant à dépasser les formes les plus attractives de l’époque, les ombres chinoises et le cinématographe dont il est en quelque sorte le fruit hybride, à la frontière entre le théâtre et l’attraction scientifique de fête foraine. Mais l’empsychographe subit lui aussi cette loi inexorable : « un clou chasse l’autre », au Clou comme sur la plupart des scènes de l’époque. Tenir les deux promesses, spectaculaire et nouveauté, est un enjeu pour les associations comme pour les salles de spectacle commerciales, et un gage de durée. À Nantes, le Clou y parvient pendant presque trente ans, entre 1884 et 1912, en développant la forme du spectacle varié. Ailleurs, ce type de spectacle se renouvelle après-guerre, dans les variétés93.

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Notes

1 Bibliothèque municipale de Nantes (BMN), fonds du Clou, 81137R/A : carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899.

2 Réunie dans le lieu de travail de Lafont, appelé Atelier, la société reprend le vocabulaire des ateliers d’architecte en donnant à son président le titre de Patron, et au trésorier celui de massier.

3 Bibliothèque municipale de Nantes (BMN), fonds du Clou, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.

4 Cf. Alain Corbin, « Postface » dans Alain Beltran et Patrice Carré, La Vie électrique. Histoire et imaginaire (XVIIIe-XIXe siècle), Paris, Belin, 2016, p. 337.

5 BMN, fonds du Clou, 81137R/A : programme du 20 janvier 1896.

6 Sur l’origine et le sens du terme spectaculaire, « spectacle qui cherche le débordement des sens », voir Roxane Martin, « Quand le merveilleux saisit nos sens : spectaculaire et fééries en France (XVIIe-XIXe s.) », Sociétés et Représentations, 31, 2011/1, p. 17-33. Sur la naissance en France de la société du spectacle, voir Jean-Claude Yon, « Théâtromanie, dramatocratie, société de spectacle. Une analyse alternative de l’histoire des spectacles », Dix-huitième siècle, 49, 2017/1, p. 351-363.

7 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.

8 Le Progrès de Nantes, « Au Clou », 31 janvier 1899, p. 3 ; Le Phare de la Loire, « Une invention nantaise au Clou », 1er février 1899, p. 2 ; Le Nouvelliste de l’Ouest, « L’Empsychographe », 1er février 1899, p. 2 ; Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

9 BMN, 81137R/A : programmes des 16 et 30 janvier 1899, 27 février 1899, carton d’invitation à la soirée du 30 janvier 1899.

10 André Perraud-Charmantier, Le Clou, 1884-1912, Rennes, Presses du Nouvelliste de Bretagne, 1926.

11 Pauline Noblecourt, La Lumière focalisée dans les spectacles parisiens au XIXe siècle, thèse de doctorat ès Lettres et arts sous la direction de Mireille Losco-Lena, Université Lumière Lyon 2, 2019.

12 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir à Montmartre (1881-1897), Paris, Slatkine, 2007 ; Id., Ombre et Lumière au Théâtre. De Séraphin au Chat Noir, Genève, Slatkine, 2020.

13 André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008. Sur le débat auquel donne lieu l’ouvrage, voir François Albera, Alain Boillat, Alain Carou et Laurent Le Forestier, « Pour une nouvelle histoire du cinématographe : Cinq questions à André Gaudreault », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 57, 2009, p. 9-16 et André Gaudreault, « Réponses à 1895 », ibid., p. 17-30. Dans le prolongement, voir Stéphane Tralongo, Faiseurs de féeries. Mise en scène, machinerie et pratiques cinématographiques émergentes au tournant du XXe siècle, thèse de doctorat ès Lettres et arts sous la direction d’André Gaudreault et Martin Barnier, Université de Montréal, Université Lumière Lyon 2, 2012, voir notamment p. 292-293.

14 Vanessa R. Schwartz, Spectacular realities: early mass culture in fin-de-siècle Paris, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1998.

15 François Gigaud, La Fête à Nantes à la Belle Époque (1900-1914), mémoire de maîtrise en Histoire sous la direction de Marcel Launay, Université de Nantes, 1990 ; Frédéric Monteil, Cinéma et fêtes foraines à Nantes de 1896 à 1914, mémoire de maîtrise en Histoire sous la direction de Jean-Clément Martin, Université de Nantes, 1994, édité sous le titre : La Belle Époque du cinéma et des fêtes foraines à Nantes (1896-1914), Nantes, Ouest-édition, 1996. En ce qui concerne le cirque, alors étroitement associé aux foires à Nantes, voir Sébastien Denis, Jérémy Houillère (dir.), Cirque, cinéma et attractions. Intermédialité et circulation des formes circassiennes, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2019 et notamment Patrick Désile, « Le cirque et le cinéma. Mythologies et convergences », dans ibid., p. 25-34.

16 Voir la présentation synthétique faite par Patrick Désile, « Culture spectaculaire et premier cinéma », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 96, 2022, p. 9-37, en particulier p. 11-21.

17 BMN, 81137R/A : programme du 16 janvier 1899.

18 BMN, 81137R/A : carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899.

19 Le Nouvelliste de l’Ouest, « L’Empsychographe », 1er février 1899, p. 2.

20 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.

21 La nature exacte de ce fond est sujette à informations contradictoires. D’après l’Ouest-Artiste, il s’agit d’un « fond plein en papier bristol », pour Le Nouvelliste de l’Ouest, plutôt d’un « écran » ou d’une « toile ». Le Phare de la Loire est plus évasif, parlant d’un « cadre vertical » ou « tableau », alors que Le Progrès de Nantes le présente comme une « glace ».

22 D’après le brevet, le procédé est inspiré de la camera obscura, connue depuis Aristote, perfectionnée à partir du XVIe siècle surtout, et utilisée aussi pour des spectacles. Laurent Mannoni, Le grand art de la lumière et de l’ombre. Archéologie du cinéma, Paris, Nathan Université, 1994, p. 15-35. C’est ce principe qui est utilisé dans la photographie, ce qui explique le rapprochement entre l’empsychographe et l’appareil photographique fait par le journaliste du Progrès de Nantes : « Il est arrivé à chacun de nos de se placer sous le drap noir du photographe et de regarder, comme lui, par le gros bout de l’appareil, l’image des personnes qui posent reproduite sur la lentille. C’est ce qu’on appelle la mise au point. Eh bien ! ce sont ces poses ou mises au point que le spectateur peut voir sans se mettre sous une toile noire, en restant sur sa chaise et sur un champ bien plus grand qu’une lentille d’appareil photographique, sur une glace d’un mètre carré de surface. »

23 Julien Lefèvre, L’Électricité au théâtre, Paris, A. Grelot, 1894, p. 203-233. Il reprend le trucage célèbre présenté en 1860 à Londres par la Royal Polytechnic Institution appelé Pepper’s ghost. Sur le sujet, voir Olivier Gœtz et Jean-Marc Leveratto, « Mise en scène et techniques de fabrication du fantôme au théâtre au XIXe siècle », dans François Lecercle et Françoise Lavocat, Dramaturgies de l’ombre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 427-444 ; Martin Barnier, « Présence du Pepper’s Ghost : les faux “hologrammes” en mouvement », dans Franck Kessler, Jean-Marc Larrue et Giusy Pisano, Machines, magie, médias, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, p. 408-409 et Pauline Noblecourt, La Lumière focalisée…, op. cit., p. 270-273.

24 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 128.

25 Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) : dossier FRINPI_1BB285301.

26 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., figure 85. Lors de la première séance d’ombres chinoises réalisée à l’improviste par Henri Rivière, « on éteint brusquement les lumières » afin de susciter un effet de « surprise pour les spectateurs » (édouard Sarradin, « Henri Rivière et son œuvre », Art et décoration, janvier 1899, p. 35 ; édouard Sarradin est le frère du « cloutier » Georges Sarradin).

27 Celle-ci n’est pas à exclure car elle est connue à Nantes grâce aux « Souvenirs de Bayreuth » publiés par le critique Étienne Destranges dans le périodique artistique Nantes-Lyrique dont le rédacteur en chef est Paolo de Lerne, pseudonyme d’Alexis Backman, principal promoteur du théâtre au Clou. Voir en particulier Nantes-Lyrique, 13 octobre 1888. Cf. Christine Richier, « La plongée du spectateur dans le noir », Revue d’Histoire du Théâtre, 273, 2017/1, L’éclairage au théâtre, p. 75-80 ; Alice Folco, « éteindre ou allumer la salle », dans Bénédicte Boisson, Alice Folco, Ariane Martinez, La Mise en scène théâtrale de 1800 à nos jours, Paris, PUF, « Licence Lettres », 2010, p. 28 ; une synthèse est proposée par Pauline Noblecourt, La Lumière focalisée…, op. cit., p. 150-163.

28 Il s’agit d’une conférence sur le cabaret artistique parisien fermé deux ans plus tôt, donnée par Gaston Veil (1868-1947), alors professeur au lycée de Nantes. Ancien élève aux lycées Saint-Louis et Condorcet à Paris, agrégé de Lettres, Gaston Veil aurait collaboré à la Revue blanche au début des années 1890. Au Clou, il est un véritable passeur de l’actualité théâtrale parisienne par ses lectures et ses conférences.

29 BMN, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.

30 Le Progrès de Nantes, « Au Clou », 31 janvier 1899, p. 3.

31 Denis Bablet, Esthétique générale du décor de théâtre de 1870 à 1914, Paris, Éditions du CNRS, 1965, p. 13-138.

32 Le Phare de la Loire, « Une invention nantaise au Clou », 1er février 1899, p. 2.

33 On peut rapprocher ce dispositif de celui utilisé par émile Reynaud pour le Théâtre optique, dans lequel décor fixe et images animées se superposent sur l’écran. Je remercie Olivier Lugon de m’avoir suggéré ce rapprochement.

34 André Perraud-Charmantier, op. cit., Le Clou…, p. 129.

35 BMN, 81137R/A : programmes du 30 janvier 1899.

36 Denis Bablet, Esthétique générale du décor…, op. cit., p. 145-147. Sur les spectacles de danse de Loïe Fuller, voir Giovanni Lista, Loïe Fuller danseuse de la Belle Époque, Paris, Hermann Éditeur des Sciences et des Arts, 2006 ; Annie Suquet, L’éveil des modernités. Une histoire culturelle de la danse (1870-1945), Pantin, Centre national de la danse, 2012, p. 79-96. L’atmosphère essentiellement parodique de la soirée et du spectacle d’empsychographe n’autorise pas à y voir l’influence du symbolisme mis alors en scène au Théâtre de l’œuvre ou au Théâtre d’Art, malgré des rapprochements possibles : refus de la vraisemblance, dissociation du corps et de la voix, acteurs mis à distance du public par un voile de gaze, refus d’un décor réaliste. Pour autant, ce courant artistique n’est pas inconnu au Clou qui a reçu pour un spectacle d’ombres donné en 1895 Albert Cozanet, proche du Chat Noir et de l’avant-garde symboliste parisienne au début des années 1890. Cf. Pascal Rousseau, « Le spectacle des sens. La synesthésie sur la scène symbolique du Théâtre d’Art », dans Isabelle Moindrot (dir.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène du romantisme à la Belle époque, Paris, CNRS Éditions, 2006, p. 157-163.

37 Sur ces points, voir Stéphane Tralongo, Faiseurs de fééries…, op. cit., p. 65-74, et Pauline Noblecourt, La lumière focalisée…, op. cit., p. 165-176.

38 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., p. 99, 102.

39 BMN, 81137R/A. Pour la présentation de nombreux modèles contemporains de lampes à projections, voir Laurent Mannoni, Le Mouvement continué. Catalogue illustré de la collection des appareils de la Cinémathèque française, Milan, Paris, Mazzotta, Cinémathèque française, Musée du cinéma, 1996, p. 361-369.

40 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.

41 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2. D’après le dessin d’André Chauvet sur le carton d’invitation, ces lampes à arc correspondent à un modèle proche de la lampe électrique système Dubrawa, fabriquée entre 1880 et 1900, Musée des Arts et Métiers (Paris), no inventaire 12912-0001.

42 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

43 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

44 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

45 Rien ne permet d’assurer la présence au Clou de Julien Lefèvre cité plus haut.

46 Anonyme, « Causerie. Exposition de Nantes. L’électricité et ses applications industrielles », Le Panthéon de l’industrie, 591, 1886, p. 218.

47 Clément Blandin, « Pouzauges, première ville lumière de Vendée », Bulletin d’histoire de l’électricité, 14-15, 1989/2, p. 195-220 ; voir aussi « L’éclairage électrique d’Hennebont », Le Phare de la Loire, 22 novembre 1889, p. 2 et « Le ministre de l’agriculture à Hennebont », 21 décembre 1889, p. 2.

48 René Sauban, Des ateliers de lumière : histoire de la distribution du gaz et de l'électricité en Loire-Atlantique, Université de Nantes, Université Inter-Âges, 1992, p. 96-106 ; Hélène Garnier, « Les usines de production d’électricité 19e-20e siècles », L’Archéologie industrielle en France, 41, 2002, Nantes, un modèle ?, p. 40-45.

49 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.

50 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.

51 Il est difficile de mesurer le succès des représentations de l’empsychographe, les sources principales étant la presse locale, facilement complaisante. André Perraud-Charmantier fait toutefois état de critiques au sein du Clou, liées à l’absence d’utilité pratique de l’appareil. La baisse du nombre de spectateurs signalée par le Livre de présence du Clou ne signifie pas pour autant un insuccès. Ne peuvent assister aux soirées du Clou que les membres de la société et leurs invités. Lors de la saison 1898-1899, le nombre de présents varie de 58 à 95, sans compter la soirée offerte aux dames, et celui d’invités de 16 à 49, maximum atteint lors de la séance de présentation de l’empsychographe.

52 Toutes choses égales par ailleurs, l’empsychographe pourrait être qualifié de « carrefour des attractions », selon une expression utilisée à propos de l’œuvre cinématographique de Méliès : André Gaudreault et Laurent Le Forestier, Méliès, carrefour des attractions, suivi de Correspondance de Georges Méliès (1904-1937), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

53 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 66.

54 La Nation, 30 décembre 1886. Cf. Paul Jeanne, Les Théâtres d’ombres à Montmartre de 1887 à 1923, Paris, s. n., 1937, p. 19.

55 André Perraud-Charmantier, Le Clou…, op. cit., p. 128.

56 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

57 Mariel Oberthür, Le Cabaret du Chat Noir…, op. cit., p. 102, 112.

58 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

59 Denis Bordat et Francis Boucrot, Les Théâtres d’ombres. Histoire et techniques, Paris, L’Arche, 1956, p. 67-74.

60 Henri Rivière et Georges Fragerolle, Le Juif errant, légende en 8 tableaux, représentée pour la première fois à Paris au Théâtre Antoine le 7 avril 1898, Paris, Enoch, 1898.

61 Ouest-Artiste, 4 février 1899, p. 6.

62 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.

63 Il est connu des Nantais comme en témoigne un article du Phare de la Loire du 11 mai 1897 rattachant l’invention des frères Lumière à celle d’Edison.

64 André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 16.

65 Yves Aumont et Alain-Pierre Daguin, Les Lumières de la ville. Un siècle de cinéma à Nantes, édition revue et complétée, Nantes, L’Atalante, 1995, p. 9-16 ; Frédéric Monteil, La Belle Époque du cinéma…, op. cit., p. 56-82.

66 Jean Giraud, Le Lexique français du cinéma des origines à 1930, Paris, CNRS, 1958, p. 48, cité par André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 92.

67 André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 53-55 et 101. Voir aussi Martin Barnier, « Des films projetés comme des images et des ombres », Cinéma et audiovisuel se réfléchissent, Congrès AFECCAV, septembre 2010, Montpellier, France, halshs-00618858.

68 Épastrouillant signifie impressionnant. Il s’agit d’une projection du cinématographe Lumière, dont Arrivée d’un train à La Ciotat, de 1896.

69 Cf. André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 52-58.

70 La première présentation officielle du cinématographe Lumière à Nantes en juin 1896 s’est faite sous les auspices de la Société nantaise de photographie. Frédéric Monteil, La Belle Époque du cinéma…, op. cit., p. 67 ; André Gaudreault, Cinéma et attraction…, op. cit., p. 80. Avec l’expérience de l’empsychographe, il apparaît clairement qu’aux yeux des contemporains, le cinématographe n’est pas un aboutissement, mais une forme récente de spectacle qui n’abolit pas les anciennes ni n’empêche l’émergence de nouvelles. Cf. Manon Billaut, Laurent Guido, Katalin Pór, Valérie Pozner, Stéphane Tralongo, Charlotte Servel (collab.), « Du croisement des arts au relativisme culturel : intermédialité et histoire du cinéma », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 100 (2023), p. 113-120.

71 « L’Empsychographe », Le Nouvelliste de l’Ouest, 1er février 1899, p. 2.

72 Laura Anne Kalba, « Couleur. éclat, mouvement et vitalité : les origines du cinéma » dans Dominique Païni, et alii (dir.), Enfin le cinéma !..., op. cit., p. 73.

73 Laurent Mannoni, Le grand art de la lumière et de l’ombre…, op. cit., p. 12.

74 Manon Billaut et alii, « Du croisement des arts au relativisme culturel », art. cit., p. 117.

75 Sur l’évolution du mot attraction, voir Sébastien Denis, Jérémy Houillère (dir.), Cirque, cinéma et attractions…, op. cit., p. 11-12.

76 Cf. Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’écluse (1951-1974). Expérience et poétique des variétés, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2016, p. 50. Nous avons développé dans notre thèse la définition du spectacle varié, son apparition dans le milieu associatif à la fin du XIXe siècle, en nous appuyant sur les cas de Nantes et de Rouen : Frédéric Créhalet, Une république des arts : Le Clou (1884-1912). Association et spectacle varié à Nantes au début de la Troisième République, thèse de doctorat en histoire sous la direction d’Anne-Claude Ambroise-Rendu, Université Paris-Saclay, 2023.

77 Daniel Grojnowski, Aux commencements du rire moderne. L’esprit fumiste, Paris, José Corti, 1997, p. 46. Le groupe parisien des Hirsutes se réunit dans les cafés du Quartier latin entre 1881 et 1884 ; le Chat Noir ouvre ses portes à Montmartre en 1881.

78 Pascal Rousseau, « Le spectacle des sens », art. cit., p. 157.

79 Martin Barnier, Bruits, cris, musiques de film. Les projections avant 1914, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 33-35.

80 Id., Bruits, cris, musiques de film…, op. cit., p. 106-110.

81 BMN, 81137R/A : programme du 30 janvier 1899.

82 Pour les cloutiers, ce numéro peut évoquer le panorama peint par Charles Castellani en 1889, Le Tout Paris qui présente des scènes de rue sur la place de l’Opéra de Paris – dont l’équivalent à Nantes est la place Graslin. Vanessa R. Schwartz, « Capitale. Pourquoi la France ? Pourquoi Paris ? » dans Dominique Païni, Paul Perrin et Marie Robert (dir.), Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907), Paris, Musée d’Orsay, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2021, p. 56-61.

83 « Une invention nantaise au Clou », Le Phare de la Loire, 1er février 1899, p. 2.

84 Patrick Désile, « Culture spectaculaire et premier cinéma », art. cit., p. 14-15 ; Livia Suquet, « L’érotisation massive des revues de cafés-concerts à la Belle Époque », Revue d’Histoire du Théâtre, 266, 2015/2, p. 273, 278 ; Ariane Martinez, La Pantomime théâtre en mineur. 1880-1945, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2008, p. 61-62.

85 « Sur la place Bretagne », Le Phare de la Loire, 25 décembre 1898, p. 2.

86 « Au Clou », Le Progrès de Nantes, 31 janvier 1899, p. 3.

87 Krizia Bonaudo, Hybridations entre cirque et théâtre au début du XXe siècle en France, thèse de doctorat en littérature comparée sous la direction de Franca Bruera et de Marie-ève Thérenty, Université Montpellier 3, 2017. L’autrice montre l’intérêt croissant des auteurs de théâtre pour le cirque et l’hybridation des arts qu’il rend possible : « au début du XXe siècle, les avant-gardes historiques se sont servies du cirque, notamment au théâtre, pour renforcer le caractère spectaculaire, performatif de leur projet de renouvellement et de provocation. […] Le spectacle forain devient un laboratoire pour l’élaboration […] d’une forme théâtrale en rupture avec les normes académiques », p. 36.

88 BMN, 81137R/A : programme du 27 février 1899.

89 Binette est un « mot très-familier » signifiant « tête ridicule », selon Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, t. 1, Paris, L. Hachette, 1873, p. 348. « Le plus souvent ce sont des cartonnages énormes, à l’instar de ceux des directeurs des théâtres parisiens réunis dans La Revue du centenaire aux Variétés en 1907. L’effet global, qui reproduit l’hypertrophie du visage par rapport au corps, est littéralement celui de portraits-charges animés », Romain Piana, « ‟Les binettes contemporaines”. Portraits, charges et ‟personnalités” », dans Isabelle Moindrot (dir.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène…, op. cit., p. 262-270.

90 Philippe Kaenel, « Du Chat Noir au Sapajou. Les échanges artistiques et satiriques entre Paris et la Suisse autour de 1900 », dans Evanghelia Stead et Hélène Védrine (dir.), L’Europe des revues (1880-1920) : estampes, photographies, illustrations, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2008, p. 247.

91 Nous reprenons ici l’expression de male gaze de Laura Mulvey à propos du cinéma hollywoodien pour désigner le rôle auquel sont tenues les femmes : « provoquer le plaisir visuel et érotique du spectateur ». Giovanna Zapperi, « Regard et culture visuelle », dans Juliette Rennes (éd.), Encyclopédie critique du genre, Paris : La Découverte « Hors collection Sciences Humaines », 2021, p. 654-664. Voir Laura Mulvey, « Visual pleasure and narrative cinema », Screen, automne 1975, p. 6-18, traduit partiellement en français dans le dossier de CinémAction : Vingt ans de théories féministes sur le cinéma, 67, 1993, p. 17-23.

92 Guy Ducrey, Tout pour les yeux. Littérature et spectacle autour de 1900, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, « Theatrum mundi », 2010, p. 275.

93 Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’Écluse (1951-1974)…, op. cit., p. 115-122.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 - André Chauvet, carton d’invitation à la première exhibition de l’empsychographe, 30 janvier 1899
Légende Lithographie sur papier, 17 x 22,8 cm
Crédits Ville de Nantes. Bibliothèque municipale
URL http://journals.openedition.org/rhc/docannexe/image/12543/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 425k
Titre Fig. 2 - Georges Lafont, dessin de l’empsychographe, Nantes, 28 janvier 1899
Crédits INPI, dossier du brevet d’invention
URL http://journals.openedition.org/rhc/docannexe/image/12543/img-2.png
Fichier image/png, 659k
Titre Fig. 3 - La lampe à projection électrique du Clou. André Chauvet, programme de la soirée du Clou du 18 avril 1898
Légende Lithographie sur papier, 38 x 28,1 cm
Crédits Ville de Nantes. Bibliothèque municipale
URL http://journals.openedition.org/rhc/docannexe/image/12543/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 364k
Titre Fig. 4 - Ferdinand Ménard, programme de la soirée du Clou du 30 janvier 1899
Légende Lithographie sur papier, 39,8 x 30 cm
Crédits Ville de Nantes. Bibliothèque municipale
URL http://journals.openedition.org/rhc/docannexe/image/12543/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 724k
Titre Fig. 5 - Marcel Jacquier, programme de la soirée du Clou du 27 février 1899
Légende Lithographie sur papier, 35,3 x 29,3 cm
Crédits Ville de Nantes. Bibliothèque municipale
URL http://journals.openedition.org/rhc/docannexe/image/12543/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 820k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Créhalet, « « Du nouveau ! Du nouveau ! » L’empsychographe : une invention au service du renouvellement du spectacle à Nantes en 1899 »Revue d’histoire culturelle [En ligne], 9 | 2024, mis en ligne le 30 novembre 2024, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhc/12543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1320s

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Auteur

Frédéric Créhalet

Professeur agrégé d’histoire, chercheur associé au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (UVSQ). Frédéric Créhalet est l’auteur d’une thèse en histoire contemporaine intitulée : Une république des arts : Le Clou (1884-1912). Association et spectacle varié à Nantes au début de la Troisième République, soutenue à Paris-Saclay en 2023. Ses publications portent sur les sociabilités et pratiques artistiques et culturelles dans l’Ouest de la France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. frederic.crehalet@ac-versailles.fr

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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