Ego historicus. Quand historiens et historiennes se racontent. France, XXe-XXIe siècles
Résumés
Ancrée dans une longue temporalité, l’écriture autobiographique historienne – Mémoires, autobiographies, essais, entretiens – s’est répandue, en particulier depuis les années 1980, en France comme ailleurs. Cette recrudescence s’inscrit dans un contexte éditorial mais renvoie surtout à une évolution de la discipline historique qui connaît un regain d’intérêt pour les écrits mémoriels et les récits de vie. Elle fait ainsi écho à une humanisation des sciences sociales, qui réhabilite la place du point de vue du sujet. Elle s’inscrit enfin dans un mouvement touchant l’ensemble des sciences humaines et sociales, où l’écriture autobiographique est également devenue courante, et se caractérisant par une exigence de réflexivité de plus en plus incontournable. Cette injonction à la réflexivité, et même à l’auto-réflexivité, reste pourtant relativement réduite dans les écrits autobiographiques d’historien∙nes. Ce qui l’emporte est davantage la mise en scène de soi qu’une analyse en profondeur, et cette présentation de soi renvoie à l’image qu’historiens et historiennes se font de leur métier. C’est de reconnaissance qu’il est ici question. Mais outre celle de la koiné, une autre forme de reconnaissance entre ici en compte : celle de l’auteur∙e dans l’historien∙ne, du lien de l’histoire à l’écriture et à la littérature.
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cultural history, intellectual history, ego-histoire, autobiographies of historians, history and LiteraturePlan
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Le récit de soi historien, une pratique devenue fréquente
- 1 Pierre Vidal-Naquet s’était déjà expliqué sur son choix du métier d’historien et sur son itinéraire (...)
1Mémoires, autobiographies, entretiens avec des tiers : depuis les années 1980 se sont multipliés en France les récits d’historien∙ne∙s écrits à la première personne. Dans les années 2000, Charles Morazé (Un historien engagé. Mémoires, 2007, posthume), Yvonne Knibiehler (Qui gardera les enfants ? Mémoire d’une féministe iconoclaste, 2007), Benjamin Stora (Les guerres sans fin, automne 2008) ou encore Pierre Riché (C’était un autre millénaire, 2008) reviennent ainsi sur leur parcours d’historien∙ne∙s. Avant eux, Pierre Vidal-Naquet est une dernière fois revenu sur son itinéraire1 dans un livre d’entretiens paru après sa mort (L’Histoire est mon combat, 2006). Des historiens et des historiennes différent∙e∙s par leur spécialité, leur profil historiographique, leur appartenance générationnelle – entre autres –, tels que Jean-Pierre Vernant, Georges Duby, Philippe Ariès, Pierre Chaunu, Annie Kriegel, Gérard Noiriel, Benjamin Stora, Arlette Farge et tant d’autres se mettent à parler d’eux et elles-mêmes sur des modes par ailleurs très divers.
- 2 Pierre Nora (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard NRF, coll. « Bibliothèque des Histoires (...)
2Un des moments-clés de l’émergence d’une écriture de soi historienne est la publication en 1987 des Essais d’ego-histoire, initiés et présentés par Pierre Nora. Six historiens (Maurice Agulhon, Pierre Chaunu, Georges Duby, Raoul Girardet, Jacques Le Goff et René Rémond) et une historienne (Michelle Perrot), parmi les auteur∙e∙s sollicité∙e∙s, répondent à l’appel et contribuent à lancer une dynamique de retour sur soi2. Auparavant, quelques historiens du xixe siècle ont déjà pris la plume pour se raconter, au moins partiellement. En 1858, Edgar Quinet publie une Histoire de mes idées. Autobiographie ; quelques décennies plus tard, Ernest Renan fait partager ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883) ; au début du XXe siècle, Ernest Lavisse rassemble ses Souvenirs (1912). Le plus enclin à ce type de textes reste néanmoins Jules Michelet, dont l’œuvre est parsemée de fragments autobiographiques : introduction du Peuple (1846), évocation de l’enfance pauvre de l’historien ; préface à l’édition de 1869 de son Histoire de France, où se tisse le lien entre l’œuvre qui l’a fait autant qu’il l’a faite.
- 3 René Rémond, Aimé Savard, Vivre notre histoire. Aimé Savard interroge René Rémond, Paris, Éditions (...)
- 4 Paris, Folio Histoire, 1985 [1978].
- 5 Dialogues, Paris, Flammarion, 1980.
- 6 Paris-Montpellier, PC-PSU 1945-1963, Paris, Gallimard, 1982.
- 7 Une génération, Paris, Julliard, 1987.
3Dans les années 1970, différentes publications renouent avec le récit de soi historien : Aimé Savard interroge René Rémond sur son itinéraire, dans un dialogue publié en 1976, regard rétrospectif que prolonge trois ans plus tard l’historien, d’une seule voix cette fois et à propos de son expérience de gouvernance universitaire3. En 1978, Michel Winock émaille La République se meurt4 de souvenirs personnels et d’histoire familiale ; quelques années avant de rendre son texte à Pierre Nora, Georges Duby retrace son itinéraire dans un entretien avec Guy Lardreau5. La même année, Philippe Ariès se présente à Michel Winock comme Un historien du dimanche ; en ce même début de décennie, Emmanuel Le Roy Ladurie se remémore ses années d’engagement politique au sein du PCF puis du PSU6 ; Alain Besançon en fait de même quelques années plus tard7.
- 8 Sur la tendance des maisons d’éditions à « fayardiser », c’est-à-dire à publier des biographies, vo (...)
- 9 Pierre Chaunu, Colère contre colère, Paris, Editions Seghers, 1991, L’instant éclaté, entretiens av (...)
- 10 Benjamin Stora, La dernière génération d’Octobre, 2003 ; Juifs d’Algérie : les trois exils, 2006 ; (...)
4Favorisée par un marché éditorial où biographies et autobiographies constituent un secteur attractif et florissant8, et par un intérêt croissant, dans la discipline historique, pour les destins individuels, la vague de ces écrits qui déferle en France à partir de la fin des années 1980 ne cesse dès lors s’amplifier : au cours de la décennie suivante, Pierre Chaunu, Raoul Girardet, Georges Duby et Jacques Le Goff – déjà auteurs d’un essai d’ego-histoire –, Annie Kriegel, Pierre Goubert, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet, Pierre Milza et Jean-Pierre Vernant acceptent de se raconter, parfois à plusieurs reprises9. Cette floraison se poursuit par la suite. Un seul exemple pour témoigner de cette déferlante : entre 2003 et 2018, Benjamin Stora revient à six reprises plus ou moins directement sur son histoire personnelle10.
- 11 François Dosse, L’histoire en miettes. Des Annales à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte (...)
- 12 Voir Jeremy D. Popkin, History, Historians & Autobiography (Chicago/London, University of Chicago P (...)
5Comment expliquer une telle inclination des historien∙ne∙s à parler d’eux et d’elles-mêmes ? La temporalité dans laquelle elle se manifeste incite à la mettre en relation avec l’évolution que connaît l’histoire dans les années 1980. L’éclatement de la discipline en une multitude de spécialités, tel que cela a été analysé par François Dosse11, inviterait-il les historien·ne·s à expliciter leur position dans ce champ de la connaissance et, ainsi, à y faire reconnaître leur place dans un ensemble d’une telle diversité ? Afin de saisir les ressorts de cette dynamique, faut-il plutôt – ou aussi - invoquer le tournant réflexif que connaît alors l’histoire comme l’ensemble des sciences humaines et sociales ? Le retour sur son parcours de recherche imposé par la création de l’habilitation à diriger des recherches, à partir de 1984, suggère ce rapprochement. Pourtant, l’abondance toute particulière des écrits autobiographiques d’historien∙ne∙s, également observable hors de France12, invite à explorer d’autres pistes, plus directement liées à la nature même de la discipline historique et notamment à son rapport à l’écriture. La proximité entre histoire et littérature, interrogée par différents travaux à la fois littéraires et historiques dans le sillage du « linguistic turn » constitue peut-être ici une voie d’interprétation pertinente…
- 13 Beaucoup d’entre elles et eux disent leurs réticences à se raconter à la première personne et redou (...)
- 14 Sur la réception des Essais d’ego-histoire, voir notamment Le Débat, no 49, 1988/2, « Autour de l’e (...)
- 15 Celui qui est pris en compte ici rassemble 85 textes écrits par des historiennes et des historiens (...)
6Souvent appréhendés avec réticences par leurs auteur·e·s13 et par le reste de la communauté historienne14 qui a longtemps tenu à l’écart les écrits à la première personne, jugés subjectifs et peu fiables, égotistes aussi, méritent, ne serait-ce que par leur abondance, d’être examinés avec attention. Que disent-ils, comment et pourquoi ? Telles pourraient être les questions simples adressées à un corpus15 de textes autobiographiques historiens
La fabrique de l’histoire et de l’historien·ne
- 16 Le terme ne va pas de soi. Pour Gérard Noiriel, cette communauté historienne est avant tout une com (...)
- 17 La diversité des textes, de leurs contenus, de leurs silences, interdit de poser une quelconque règ (...)
7Tout d’abord, signalons qu’au-delà d’une grande variété de formes et de formats, ces écrits présentent un certain nombre de récurrences : avant tout ils disent comment on devient historien·ne et comment se fabriquent tout à la fois l’histoire et la communauté historienne16. Enfance, formation au métier, dont l’épreuve quasi-omniprésente de la thèse, puis évocation de la spécialité, de la position dans le champ historiographique et des sociabilités historiennes, qui attestent l’inscription dans le métier, constituent les passages obligés de ces écrits, sans systématicité cependant17.
- 18 Léon Poliakov, Mémoires, op. cit., p. 20.
- 19 François Crouzet, op. cit., p. 112.
8Certains des historien∙ne∙s du corpus connaissent apparemment les codes de l’écriture autobiographique et ont conscience de leurs incontournables. Cette familiarité avec l’écriture autobiographique a sans doute à voir avec la multiplication et la large diffusion, à partir des années 1970, des travaux sur l’autobiographie, en particulier ceux du linguiste Philippe Lejeune, et peut-être aussi, depuis la fin des années 1930, de grands textes à dimension autobiographique de chercheur·e·s, comme L’Âge d’homme (1939), de Michel Leiris ou Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss (1955). Conscient des attendus de l’écriture autobiographique, Léon Poliakov pose dans ses Mémoires le contexte historique et familial qui l’a vu naître et énonce ainsi : « Il faut maintenant que je relate, ainsi qu’il convient dans une autobiographie, ce que j’ai retenu de la tradition familiale18 », tandis que, à la fin d’un chapitre consacré aux années passées à Londres au début de sa thèse, à partir de 1945, François Crouzet déclare : « Il serait bon de terminer ce chapitre en évoquant mes premières impressions de l’Angleterre et de ses habitants, mais mes souvenirs sur ce point sont vagues19 ». Plus que la présence de souvenirs précis, c’est ce qui est attendu du lectorat, supposé coutumier de l’écriture de soi, qui dicte à l’auteur ce qu’il lui faut évoquer, quel enchaînement doivent suivre les récits imbriqués.
- 20 Damien Zanone, L’autobiographie, Paris, Éditions Ellipses, 1996, p. 44.
- 21 Les souvenirs d’enfance et plus particulièrement le récit d’enfance ont fait l’objet d’une vaste li (...)
- 22 Alain Corbin, Sois sage, c’est la guerre. Souvenirs d’enfance de l’exode à la bataille de Normandie (...)
- 23 Mona Ozouf, Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard-NRF, 2009.
- 24 Rita Thalmann, Tout commença à Nuremberg, Paris, Berg International, 2004.
- 25 L’enfance de Jean-Jacques Becker dans une famille juive contrainte à se cacher et menacée par les r (...)
- 26 La famille Thalmann, juive et originaire de Nuremberg, doit quitter son foyer dès avril 1933 avec l (...)
- 27 Ainsi chez Pierre Goubert, Un parcours d’historien- Souvenirs 1915-1995, Paris, Fayard, 1996.
- 28 Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 7.
- 29 Maurice Agulhon, « Vu des coulisses », in Pierre Nora (dir)., ibid., p 9-59.
- 30 Le terme suscite une certaine méfiance et est parfois évité ou mis entre guillemets parce qu’il fle (...)
- 31 Damien Zanone, op. cit., p. 46.
9Le premier « grand moment narratif20 » est, à cet égard, le récit d’enfance21, dont Damien Zanone dit l’importance chez Rousseau et dans le genre autobiographique en général. Certains textes autobiographiques d’historien·ne·s s’y résument même : Alain Corbin publie ainsi un petit ouvrage exclusivement consacré à un temps particulier de son enfance, celui de la guerre de 1939-194522. C’est aussi la mémoire longue de Mona Ozouf qui nourrit Composition française – sous-titré de manière explicite « Retour sur une enfance bretonne23 ». Le récit d’enfance puis d’adolescence est également au cœur des souvenirs de Rita Thalmann24. La place centrale25, voire exclusive du récit d’enfance s’explique d’autant plus aisément que ces années d’enfance sont marquées par l’angoisse et parfois la tragédie26. Mais même lorsqu’elle est vécue sans drames, l’enfance fait l’objet d’un récit plus long et davantage nourri que les autres périodes de la vie des auteurs et peut s’apparenter à une sorte de chronique des jours heureux27. Qu’il soit central ou secondaire, anecdotique ou plus synthétique, le récit d’enfance figure au programme de la plupart des textes du corpus. Maurice Agulhon, qui ouvre le recueil des Essais d’ego-histoire avec « Vu des coulisses », justifie le principe même du récit d’enfance dans l’entreprise visant à « […] expliciter, en historien, le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui vous a fait28 » : « Ici, puisqu’il faut repérer des “racinesˮ plus profondes, le moment est venu de chercher ce qui avait pu m’amener à étudier l’histoire et à connaître un temps la séduction du communisme. Tout vient de l’enfance, bien sûr !29 ». Même lorsqu’elles et ils savent que le récit d’enfance doit autant au présent que d’autres récits personnels, les historien·ne·s en font le creuset de la « vocation30 » historienne, des nourritures intellectuelles (lectures, enseignements) et l’amorce de la fabrique de l’historien·ne. Ainsi, le récit d’enfance prépare l’arrivée d’un autre moment topique de ces types d’écrits, le récit de formation. L’évocation de « l’apprentissage des mots, des livres, de l’écriture est un moment privilégié de nombreuses autobiographies31 », à l’instar des Confessions de Rousseau. C’est le cas dans les textes étudiés ici.
- 32 Emmanuel Le Roy Ladurie, op. cit.
- 33 Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit.
- 34 Voir Georges Duby, dans L’histoire continue (Paris, Seuil/Points, 1992 [Odile Jacob, 1991]), chapit (...)
- 35 Ainsi François Crouzet prend ainsi longuement la défense d’un exercice dont l’abolition par Françoi (...)
10Presque toujours présent dans les textes autobiographiques d’historien·ne·s, le récit de formation donne à voir les étapes et les lieux privilégiés de la formation au métier : les classes préparatoires, les Écoles normales supérieures, l’agrégation et bien entendu la thèse, à laquelle sont souvent consacrés de longs développements, dessinent l’idéal du cursus honorum historien. L’exemple d’Emmanuel Le Roy Ladurie est ici paradigmatique : Paris-Montpellier, PC-PSU 1945-196332, dont les césures chronologiques renvoient au parcours militant de l’historien, se consacre longuement à la khâgne, à la scolarité rue d’Ulm et à la préparation de l’agrégation. La thèse est également présente en filigrane au long des pages. C’est un monument qui occupe parfois une place à sa mesure dans les récits autobiographiques - un chapitre entier des volumineux Mémoires d’Annie Kriegel33 - et s’apparente parfois à une expérience carcérale34. Pourtant, nombre d’historien·ne·s manifestent un attachement viscéral à cette sorte d’adoubement indispensable35, garant d’une bonne fabrique de l’historien·ne, que représentait la thèse d’État, avant 1984.
- 36 Alain Corbin, Historien du sensible, entretiens avec Gilles Heuré, Paris, La Découverte, coll. « Ca (...)
- 37 Voir par exemple Patrick Garcia, Les présents de l’historien, Paris, Publications de la Sorbonne, c (...)
- 38 Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 351-369.
- 39 On pense par exemple au texte en forme de chronique de François Crouzet, op. cit.
11Au récit de formation succède, dans différents cas, l’évocation du métier à proprement parler : les recherches et les ouvrages écrits et publiés – le séquençage par chapitre d’Historien du sensible36 correspond ainsi, à deux exceptions près, à la succession chronologique des ouvrages publiés par Alain Corbin – , l’évocation des méthodes pratiquées, des objets choisis, des positionnements historiographiques, particulièrement présente dans les entretiens et dans les textes issus de mémoires d’habilitation à diriger des recherches37, sont autant de manière de se positionner dans un champ, une généalogie historienne, et de définir, de cette façon, sa place dans une koiné dont ces textes contribuent à définir les contours. Car c’est aussi une des particularités de ces textes, déjà entrevue par Pierre Nora dans la conclusion38 des Essais d’ego-histoire, que de produire, par l’intertextualité, un panorama ample et fourmillant de détails39 de la profession historienne en France, dans la seconde moitié du XXe et le début du XXIe siècle.
- 40 Marc Bloch se présente lui-même comme un artisan, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, P (...)
- 41 Ce sont les titres des chapitres 2, 3 et 4 de l’Apologie ; ils suivent la réflexion menée par Marc (...)
- 42 Le terme figure dans l’Apologie pour l’histoire voir Marc Bloc, ibid., p. 28.
- 43 Voir par exemple la synthèse de Nadège Vezinat, Sociologie des groupes professionnels, Paris, Arman (...)
- 44 Georges Duby articule les trois termes de métier, corporation et profession, dans ses Dialogues ave (...)
- 45 Ces voyages sont de plus en plus fréquents et contribuent à amplifier la dimension internationale d (...)
- 46 Sur ces générations, voir Yann Potin, Jean-François Sirinelli (dir.), Générations historiennes XIXe(...)
12Si le travail et la méthode de recherche ou la publication de livres et d’articles ne sont, dans un certain nombre de textes pas au cœur de leur présentation du métier, comment historiens ou historiennes représentent-ils ce dernier ? Plus que le métier au sens où le conçoit Marc Bloch dans Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, soit un travail artisanal40, requérant une méthode articulée en trois volets (observation, critique et analyse historiques41), c’est le métier au sens de corps social, de « corporation42 », ou de « groupe professionnel » si l’on se fie à la sociologie des professions43, voire de profession44, qui occupe le devant de la scène. Ainsi, certains textes laissent-ils une place à des activités qui inscrivent leur auteur ou autrice dans un réseau de pairs : les voyages et les séjours à l’étranger45 donnent une dimension internationale et renforcent la légitimité, en même temps qu’ils revisitent l’image du métier, traditionnellement associé à des lieux intérieurs (bureaux, bibliothèques, université) et en montrent les changements d’échelle. En ce sens, l’évocation des voyages participe du tableau d’une profession en mouvement après la Seconde Guerre mondiale. L’évocation des maîtres, parmi lesquels émergent quelques figures – masculines – incontournables (Fernand Braudel, Ernest Labrousse avant tout), des courants historiographiques, des réseaux, des lieux-clés de la profession (Écoles Normales Supérieures, Sorbonne, Collège de France, EHESS, Sciences Po…) viennent compléter ce panorama peuplé de générations différentes d’historien·ne·s qui contribuent à faire changer la profession historienne46.
- 47 Il faudrait ici mentionner également la propension des historien·ne·s à évoquer leurs engagements e (...)
13Riches sources documentaires sur le métier47 et la fabrique de l’historien·ne, ces textes se distinguent aussi par les silences qui les traversent et qui définissent, en creux, ce qui n’a pas vocation à être dit, constitue une arrière-cuisine sans intérêt et, à l’échelle individuelle, ce qui relève du dicible ou de l’intime devant être préservé, au risque d’écarter des ressorts essentiels des parcours personnels.
Silences et non-dits : un portrait en creux
- 48 Les fonctions de direction sont souvent présentées, quand elles sont abordées, comme prises par con (...)
- 49 Par exemple Patrick Boucheron, Faire profession d’historien, op. cit. ou Étienne Anheim, op. cit.
- 50 Le goût de l’archive d’Arlette Farge (Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXe s. », 1989) est par (...)
- 51 Étienne Anheim, op. cit.
14Prolixes à bien des égards, les textes du corpus restent assez discrets sur l’enseignement, les enjeux de pouvoir48, le travail administratif de la recherche et de l’activité pédagogique, bref, ce qui constitue en réalité le quotidien du métier. Ces absences sont toutefois moins marquées dans le cas des écrits plus récents et en particulier des textes issus de mémoires d’habilitation49, ce qui se comprend d’une part par la charge croissante que doivent assumer les historien·ne·s dans ces différents domaines, et par la nature même de l’exercice du mémoire de synthèse, destiné à mettre en évidence, outre les qualités de chercheur·e de leurs auteur·e·s, leur implication dans des tâches indispensables au bon fonctionnement de l’université. Le travail éditorial, pourtant si chronophage par exemple lorsqu’on assume la direction d’une revue, reste, lui aussi assez invisibilisé, en dépit de la considération accordée aux publications scientifiques dans ce type de publications. C’est ainsi une conception étroite du cœur de métier – qui réside avant tout dans le travail de recherche – que délimitent ces textes ; pourtant même sur ce point, la parole reste incomplète. Si le plaisir des archives trouve sa place50, d’autres dimensions matérielles en sont bien souvent absentes : expériences désagréables dans l’accès aux documents, questions financières (salaires, mais aussi financements des terrains de recherche, de l’équipement…). Échecs, frustrations, regrets sont par ailleurs rarement évoqués, quoique davantage dans les écrits les plus récents51. D’une manière générale, ce que ressentent les historien·ne·s trouve peu sa place dans ces textes et est considéré comme relevant de l’intime. C’est la dimension autobiographique qui est ici rejetée dans sa vocation d’introspection, voire d’exploration de l’intimité, au profit du récit de carrière et de parcours intellectuel.
- 52 Isabelle Lacoue-Labarthe, « Historiens, historiennes et récit de soi », in Isabelle Luciani (dir.), (...)
- 53 « Le fils de la morte », in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 76 ; L’instant éclaté, op. cit., p. 69 (...)
- 54 Voir le texte au titre si significatif d’Yvonne Knibiehler, Qui gardera les enfants ? (op. cit.) ma (...)
15Pour autant, quelques récits ne font pas l’impasse totale sur la vie privée de leurs auteur∙es et en livrent quelques bribes, en particulier au sujet de la famille, de la vie amoureuse, voire de la sexualité, mais c’est fort rare. Ça l’est malgré tout un peu moins dans les textes des historiennes. Il semble en effet qu’à l’étude de ces textes et pour ce qui relève de la vie privée, une différence genrée puisse être prise en compte52. L’impression générale à la lecture du corpus est en effet celle d’une parole plus libre dans les écrits de femmes, où deux pôles, avant tout, sont plus apparents : la famille et les enfants, d’une part, la vie amoureuse et conjugale, de l’autre. Ces deux aspects sont néanmoins également présents dans différents textes d’historiens, dont certains abordent les plaisirs de la paternité et, plus allusivement, le soutien qu’apportent à la carrière une heureuse vie familiale et surtout l’aide d’épouses dévouées, parfois au détriment de leur propre carrière… Pierre Chaunu dit ainsi à de nombreuses reprises ce qu’il doit à son épouse : « je dois à ma femme tout mon bonheur » ; sa rencontre avec sa femme est « sa plus grande réussite », « le plus grand bonheur de sa vie53 ». Pour les historiennes, en revanche, la vie privée, davantage évoquée, constitue souvent plus un frein qu’un accélérateur de carrière, en particulier lorsqu’elles ont une famille nombreuse. De fait, l’articulation entre vie privée et vie professionnelle y est plus fréquemment explorée54.
- 55 Dans ce domaine, la liberté de parole de Paul Veyne est exceptionnelle, cf. Le quotidien et l’intér (...)
- 56 Blaise Dufal, « Les deux corps de l’intellectuel : une archéologie des clercs », in Damien Boquet, (...)
16Pour autant des zones d’ombres restent communes aux historiennes et aux historiens : presque tout ce qui a rapport au corps, l’essentiel de la vie amoureuse55, qui pourtant ont évidemment leur influence dans l’itinéraire des historien·ne·s comme de tout individu. Dans sa contribution à l’ouvrage qu’il codirige sur Une histoire au présent : Les historiens et Michel Foucault, l’historien Blaise Dufal56 revient sur le rapport des intellectuel∙le∙s, et particulièrement des historien∙nes, au corps et montre comment la négation de la corporéité s’inscrit dans le temps long. Ces aspects relèvent de l’indicible, d’un intime qui ne se résume d’ailleurs pas au corps, à la sexualité, aux amours, mais à ce que chacune et chacun estime en faire partie – cela peut être la vie spirituelle, une histoire familiale vécue comme honteuse, l’expérience psychanalytique…
- 57 Voir par exemple les remerciements, parfois occasion de faire entrer la vie privée dans le texte : (...)
17Le périmètre du dicible et de l’indicible, varie considérablement d’un texte à l’autre. La définition de ce qui relève de l’intime fluctue et n’englobe pas l’ensemble de la vie privée, dont une partie est évoquée (histoire familiale, relations dans la fratrie, statut personnel…) et qui a une visibilité minimale, même dans les textes de ceux et celles qui se disent hostiles à toute forme de confidence. Dans l’ensemble des récits, d’historiennes comme d’historiens, les allusions sont parfois subreptices, et paratextuelles plutôt que présentes dans le corps du récit, par le biais des dédicaces par exemple, moyen judicieux de rendre présente au lectorat, tout en tenant à l’écart – hors texte – cette part de l’histoire personnelle57.
Approche autoréflexive ou expérience littéraire ?
- 58 Philippe Gumplowicz, Alain Rauwel, Philippe Salvadori (dir.), Faiseurs d’Histoire. Pour une histoir (...)
- 59 Les deux premières parties de Généalogies, op. cit., d’Élisabeth Roudinesco sont ainsi issues de so (...)
- 60 Fabrice Bouthillon, sur le harcèlement sexuel dont il a été victime de la part d’un « mandarin », v (...)
- 61 Dans des registres totalement différents, Jean Tulard évoque abondamment ses passions hors métier, (...)
- 62 La vocation des « souvenirs », proches de l’autobiographie, est de ne pas se placer dans une exigen (...)
- 63 Ces remarques viennent à l’appui de ce que souligne Jean-Louis Jeannelle dans Écrire ses mémoires a (...)
- 64 Par exemple Bartolomé Bennassar, Pérégrinations ibériques. Esquisse d’ego-histoire (Madrid, Casa de (...)
- 65 Si beaucoup disent leurs réticences à se raconter, dans quelques rares cas, le récit de soi est au (...)
18Plusieurs facteurs semblent intervenir dans le choix de ce qui se dit ou pas. Le premier est la forme de l’écrit. Les textes les plus courts abordent avant tout le récit d’enfance et de formation, d’apprentissage, en somme, parfois complété par le récit de carrière, dans les Faiseurs d’histoire58, par exemple, ou dans les Itinéraires publiés à la Sorbonne, mais aussi dans les Essais d’ego-histoire. D’une manière générale, la part de l’intime est réduite dans ces textes et dans ceux dont la publication est issue du mémoire d’habilitation, avec des nuances toutefois59. Les histoires traversées par des événements traumatiques rompent avec une telle discrétion sur le plus personnel60. Les entretiens sont eux aussi le plus souvent dédiés à l’activité professionnelle et plus largement publique et c’est le métier qui occupe le terrain et une partie de la vie publique (responsabilités administratives, vie militante…). Seuls quelques-un∙e∙s pénètrent plus avant dans l’espace privé, quand celui-ci a un impact indubitable sur la vie professionnelle61. Dans la catégorie assez flottante des Mémoires autobiographiques qui hésitent eux-mêmes sur leur propre définition, les catégories de Mémoires et d’autobiographie étant parfois délaissées au profit du plus flou genre des « souvenirs62 », le récit se porte plus volontiers vers la vie privée, voire l’intime63 ; c’est le cas aussi pour quelques textes, plus inclassables encore, écrits également à la première personne du singulier64. Bien entendu des exceptions demeurent, parce que certain∙es mémorialistes sont peu prolixes ou parce que certains entretiens débordent la sphère publique, mais cette tendance générale semble pouvoir être retenue. Le second élément déterminant le choix de ce qui peut ou non se dire est, de manière attendue, la posture, plus ou moins favorable, adoptée par l’auteur∙e, à l’égard de l’exercice même de l’écriture ou du récit de soi65.
19Quoi qu’il en soit, constater le silence maintenu par les auteur·es sur certains aspects de leur vie souligne combien l’auto-analyse est, sinon peu pratiquée, du moins peu mise en mots dans des textes bien davantage consacrés à la peinture d’un milieu professionnel, de ses pratiques, de son histoire, de ses sociabilités. Se faire historien·nes de soi, ainsi qu’y invitait Pierre Nora, aurait nécessité de n’écarter aucune « source », aucun angle de vue, de prendre en compte tous les leviers personnels pouvant intervenir dans la carrière et dans le métier sans cloisonner privé et public, personnel et professionnel, toute vie entremêlant en permanence l’ensemble des fils biographiques.
- 66 François Dosse, L’Empire du sens. L’humanisation des sciences humaines, Paris, La Découverte, 1995.
20Or, si elle renvoie à une humanisation des sciences sociales66, qui vient réhabiliter le point de vue du sujet, l’écriture autobiographique historienne, devenue courante, fait certes écho à une exigence de réflexivité de plus en plus incontournable et désormais institutionnalisée par l’habilitation à diriger des recherches, mais elle laisse pourtant une place réduite à l’auto-réflexivité. Ce qui l’emporte est davantage la mise en scène de soi qu’une analyse en profondeur, et cette présentation de soi renvoie à l’image qu’historiens et historiennes se font de leur métier, de ce qu’il faut être pour faire partie de la communauté historienne. C’est, a fortiori dans les textes issus des mémoires d’habilitation, un récit de légitimation professionnelle ou de réaffirmation de légitimité pour les autres textes, écrits à un âge généralement plus avancé, voire une fois la carrière terminée. C’est toujours une manière de prendre place dans la koiné historienne et de définir sa place dans la généalogie de l’histoire professionnelle.
- 67 Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit., p. 791 : « Note sur mes archives. Si ce livre (...)
- 68 Rousseau, Saint Augustin et Montaigne figurent dans ce domaine en tête du classement (cf. Alain Bes (...)
- 69 Georges Duby trouve ce plaisir d’une écriture plus libre dans la rédaction de son Dimanche de Bouvi (...)
- 70 Pour un historique de ces relations, voir Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporai (...)
- 71 Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Par (...)
- 72 Toujours insuffisantes, dans les deux cas elles doivent être complétées par le travail de l’imagina (...)
21Un indice de cette faible part de réflexivité est la manière dont sont rédigés ces textes, souvent davantage écrits au fil de la plume et de la mémoire qu’appuyés sur de réelles recherches, à quelques notables exceptions près, dont la plus éclatante est sans doute le texte d’Annie Kriegel, qui a exploré pour l’écrire plus de trente mètres linéaires d’archives67. Plus qu’une manière de se faire réellement historienne ou historien de soi, l’écriture autobiographique peut apparaître comme une forme de traversée des frontières, un pas en direction d’une écriture moins académique et plus littéraire. La connaissance qu’ont généralement les historien·ne·s autobiographes des modèles littéraires de l’écriture autobiographique, souvent cités dans les récit ego-historiens68, l’abondance des références à des lectures d’enfance non pas historiques mais relevant des « classiques » de la littérature, le grand soin apporté à leurs textes autobiographiques et enfin le plaisir que d’aucun·es disent trouver à ce type d’écriture plus libre69, le plus souvent dispensée d’appareil critique, semblent témoigner du désir de réaffirmer les liens entre histoire et littérature, après un temps d’invisibilisation, de redonner sa place à l’auteur·e dans l’historien·ne70. La proximité entre écriture de l’histoire et genre autobiographique contribue également à estomper la frontière entre histoire et littérature. Toutes deux reposent en effet sur un pacte référentiel, s’engagent à dire vrai, ont vocation à embrasser la vie humaine, voire les vies humaines, sans jamais y parvenir tout à fait, et reposent sur une forme d’enquête71 – sur soi ou sur les autres – et sur l’exploration de traces du passé72. La distance à soi est un autre trait qui rapproche écriture autobiographique et écriture de l’histoire ; toutes deux supposent une forme de décentrement puisqu’il s’agit, dans le cas des Mémoires, de l’autobiographie, du portrait ou de l’entretien biographique de s’approcher de soi par une forme d’objectivation, de pas de côté réflexif, même a minima, opération d’objectivation également à l’œuvre dans l’écriture de l’histoire dans un désir d’objectivité à l’égard de son objet, de déprise de soi permettant de porter sur le passé un regard disponible à l’altérité. Dans l’écriture autobiographique, cette altérité est celle d’un soi passé, particulièrement perceptible dans le récit d’enfance pour lequel la prise de recul est d’autant plus aisée que le sentiment de ne plus être tout à fait le ou la même tient à l’intervalle de temps écoulé entre le temps raconté et le temps du récit. Dans l’écriture de l’histoire, l’altérité est du côté de l’objet étudié et suppose de se décentrer de soi.
- 73 Plusieurs historiennes et historiens disent avoir été tenté·e·s de choisir la littérature, plutôt q (...)
- 74 Laurent Demanze, op. cit.
22L’écriture autobiographique historienne semble une occasion de renouer ce lien un temps distendu entre histoire et littérature, tout en restant dans le cadre plus familier d’une écriture référentielle, et de redonner à voir dans l’historien·ne, fréquemment traversé·e par une tentation littéraire73 mais attaché·e à la spécificité de la démarche historienne, un·e auteur·e, dans un contexte où la littérature, y compris autobiographique, s’hybride elle-même et vient marcher sur les brisées de l’histoire, en se renouvelant au terreau de l’enquête74.
- 75 Laurent Demanze, ibid., p. 15-16.
- 76 Ibid., p. 15.
- 77 Pour Ivan Jablonka, deux récits d’enquête retiennent particulièrement l’attention de Laurent Demanz (...)
- 78 Laurent Demanze, ibid., p. 22.
- 79 Ibid., p. 18.
23Laurent Demanze propose ainsi une réflexion passionnante sur cette « croisée des disciplines », qui dépasse la rencontre de l’histoire et de la littérature et englobe l’ensemble des sciences sociales, car la littérature est entrée dans un « nouvel âge de l’enquête » alors que les sciences sociales, désormais bien autonomisées et institutionnalisées, tendent davantage à converger qu’à se distinguer, « pour compenser l’éclatement des spécialités et des expertises75 ». Le « nouvel âge de l’enquête » se distingue par « une exigence d’exactitude » et une « passion du terrain », le « souci d’être au plus juste du réel, sans céder au romanesque » et les œuvres qui en sont issues « s’écrivent à la charnière du reportage, du non-fiction novel et des sciences sociales76 ». C’est ce qui rapproche Patrick Modiano, également cité par Laurent Demanze, et, par exemple, Ivan Jablonka77 : la présence d’une « poétique de l’enquête » qui vient fédérer les écritures contemporaines, brouillant les frontières disciplinaires78 ou même sur un « mode indisciplinaire » ou « post-disciplinaire79 ».
- 80 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998.
- 81 Arlette Farge, « L’histoire inquiète », Le Débat, 1988/2, no 49, p. 126.
- 82 Georges Duby, Mes ego-histoires, Paris, Gallimard, 2015. Préface de Pierre Nora ; postface de Patri (...)
24Par bien des manières, histoire et littérature, histoire et fiction même, s’entremêlent et de cet entremêlement, historiens et historiennes parlent dans leurs écrits autobiographiques, qui eux-mêmes mobilisent travail stylistique, narration, imagination et sont nourris par la place du récit, largement présent dans les textes. Reste à savoir que dire des entretiens autobiographiques, où la question de l’écriture, du rapport à la littérature, ne se pose pas de la même façon. Le rapprochement avec l’écriture de l’histoire est-il néanmoins possible ? Peut-être faut-il y voir davantage une réponse apportée à l’exigence d’auto-réflexivité telle qu’elle s’est affirmée avec le « tournant réflexif » des années 1980. Leur nombre croissant et leur présence marquée dans le reste des sciences humaines et sociales plaident en ce sens. L’influence de l’histoire du temps présent, de l’« ère du témoin80 », du recours aux sources orales, vient sans doute se conjuguer également aux mécanismes qui conduisent historiens et historiennes à se constituer eux-mêmes comme archives, que ce soit par le biais des entretiens ou des écrits autobiographiques. Arlette Farge voit ainsi dans les Essais d’ego-histoire une manière pour l’historien « de faire de lui-même un lieu de l’histoire81 », dans un contexte d’éclatement historiographique qui fait tanguer les ancrages et laisse une communauté historienne dispersée et fragmentée. Cette tentation de se faire archive de soi-même peut se traduire d’une tout autre façon : Georges Duby se fait ainsi historien de lui-même parce qu’il se fait « archiviste de sa propre vie82 », conserve différentes versions de ces textes, de ses préparations, classés, prêts à être déposés en archives. Différents leviers semblent donc jouer dans le récit autobiographique des historiens et historiennes, quelle que soit sa forme. La proximité entre écriture de l’histoire et écriture autobiographique en fait partie parce qu’elle tient au fondement de l’histoire et de l’autobiographie, mais elle se combine à d’autres, davantage liés à l’évolution de la discipline et à celle de l’ensemble des sciences humaines et sociales.
Notes
1 Pierre Vidal-Naquet s’était déjà expliqué sur son choix du métier d’historien et sur son itinéraire, dans ses Mémoires, Paris, Seuil/La Découverte, 1995 et 1998, puis dans Le choix de l’Histoire, Paris, Arléa, 2004.
2 Pierre Nora (dir.), Essais d’ego-histoire, Paris, Gallimard NRF, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1987.
3 René Rémond, Aimé Savard, Vivre notre histoire. Aimé Savard interroge René Rémond, Paris, Éditions Le Centurion, 1976, et René Rémond, La règle et le consentement. Gouverner une société, Paris, Fayard, 1979.
4 Paris, Folio Histoire, 1985 [1978].
5 Dialogues, Paris, Flammarion, 1980.
6 Paris-Montpellier, PC-PSU 1945-1963, Paris, Gallimard, 1982.
7 Une génération, Paris, Julliard, 1987.
8 Sur la tendance des maisons d’éditions à « fayardiser », c’est-à-dire à publier des biographies, voir François Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2005.
9 Pierre Chaunu, Colère contre colère, Paris, Editions Seghers, 1991, L’instant éclaté, entretiens avec François Dosse, Paris, Aubier, 1994 et Pierre Chaunu, Eric Mension-Rigau, Danse avec l’histoire, Paris, Éditions de Fallois, 1998 ; Raoul Girardet et Pierre Assouline, Singulièrement libre. Entretiens, Paris, Perrin, 1990 ; Georges Duby, L’histoire continue, Paris, Seuil, 1992 ; Jacques Le Goff, Une vie pour l’Histoire, avec Marc Heurgon, Paris, La Découverte, 1996 ; Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991 ; Pierre Goubert, Un parcours d’historien- Souvenirs 1915-1995, Paris, Fayard, 1996 ; Paul Veyne, Le quotidien et l’intéressant, Paris, Les Belles Lettres, 1995 ; Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, Paris, Seuil/La Découverte, 1995 et 1998 ; Pierre Milza, Voyage en Ritalie, Paris, 1995 ; Jean-Pierre Vernant, Entre mythe et politique, Paris, Seuil, 1996 et La volonté de comprendre, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1999.
10 Benjamin Stora, La dernière génération d’Octobre, 2003 ; Juifs d’Algérie : les trois exils, 2006 ; Les guerres sans fin. Un historien, la France et l’Algérie, 2008 ; Voyages en postcolonies. Viêt Nam, Algérie, Maroc, 2012 ; Les Clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine, 2015 et 68, et après. Les héritages égarés, 2018. Tous sont publiés chez Stock, dans la collection « Un ordre d’idées ». Au cours de cette période, Paul Veyne donne, lui aussi, un second texte consacré à sa propre histoire, mais cette fois sous forme de Mémoires : Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas. Souvenirs, Paris, Albin Michel, 2014.
11 François Dosse, L’histoire en miettes. Des Annales à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte (coll. Poche Sciences humaines et sociales), 2005 [1987].
12 Voir Jeremy D. Popkin, History, Historians & Autobiography (Chicago/London, University of Chicago Press, 2005) et Jaume Aurell, Theoretical Perspectives on Historians’ Autobiographies. From Documentation to Intervention (New York/Londres, Routledge, 2016).
13 Beaucoup d’entre elles et eux disent leurs réticences à se raconter à la première personne et redoutent tout particulièrement de se laisser aller à une coupable « illusion rétrospective », selon l’expression de Pierre Bourdieu, comme par exemple Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, tome 1, « La brisure et l’attente », Paris, Seuil, 2007, p. 11.
14 Sur la réception des Essais d’ego-histoire, voir notamment Le Débat, no 49, 1988/2, « Autour de l’ego-histoire ».
15 Celui qui est pris en compte ici rassemble 85 textes écrits par des historiennes et des historiens et parus de 1972 à 2019, mais inégalement répartis dans le temps, au profit des périodes les plus récentes. Il est constitué de quatre ouvrages comprenant plusieurs contributions, de sept livres issus de mémoire d’habilitation et de vingt-deux entretiens avec une tierce personne. Les autres varient entre Mémoires, Mémoires partiels, autobiographies, recueils de textes comprenant des parties autobiographiques, et différents documents plus atypiques. Pour plus de précisions, voire Isabelle Lacoue-Labarthe, « Ego historicus. Quand historiens et historiennes se racontent (Mémoires, autobiographies, entretiens, essais…) dans la France contemporaine », mémoire d’habilitation à diriger des recherches, Cergy Pontoise Université, 2022, chapitre VII, « Écriture de l’histoire et écriture de soi, des affinités électives », I, L’écriture autobiographique historienne : une pratique qui dépasse les frontières.
16 Le terme ne va pas de soi. Pour Gérard Noiriel, cette communauté historienne est avant tout une communauté de formation et de pratiques : « les critères essentiels qui définissent l’appartenance à la “communauté historienneˮ sont les mêmes qu’à la fin du xixe siècle : l’agrégation, le travail sur archive, la thèse » (« Naissance du métier d’historien », Genèses, 1, 1990, p. 77).
17 La diversité des textes, de leurs contenus, de leurs silences, interdit de poser une quelconque règle générale permettant de les classer. Il est seulement possible de dessiner de grandes lignes, des récurrences, qui souffrent toutes des exceptions.
18 Léon Poliakov, Mémoires, op. cit., p. 20.
19 François Crouzet, op. cit., p. 112.
20 Damien Zanone, L’autobiographie, Paris, Éditions Ellipses, 1996, p. 44.
21 Les souvenirs d’enfance et plus particulièrement le récit d’enfance ont fait l’objet d’une vaste littérature. Voir par exemple Le Récit d’enfance et ses modèles, op. cit., dirigé par Anne Chevalier et Carole Dornier (dir.), Le Récit d’enfance et ses modèles, Caen, Presses Universitaires de Caen, coll. « Colloques de Cerisy », 2003 (version numérique) et Françoise Simonet-Tenant « Récit d’enfance », Françoise Simonet-Tenant (dir.), Dictionnaire de l’autobiographie. Écritures de soi de langue française, Paris, Honoré Champion, 2017, p. 670-673.
22 Alain Corbin, Sois sage, c’est la guerre. Souvenirs d’enfance de l’exode à la bataille de Normandie, 1939-1945, [2014], Paris, Flammarion, coll. « Champs Histoire », 2016.
23 Mona Ozouf, Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard-NRF, 2009.
24 Rita Thalmann, Tout commença à Nuremberg, Paris, Berg International, 2004.
25 L’enfance de Jean-Jacques Becker dans une famille juive contrainte à se cacher et menacée par les rafles, occupe plus du tiers d’Un soir de l’été 1942... Souvenirs d’un historien (Paris, Larousse, 2009) supposé raconter 80 ans de vie…
26 La famille Thalmann, juive et originaire de Nuremberg, doit quitter son foyer dès avril 1933 avec l’arrivée au pouvoir du nazisme, pour la Suisse, puis l’Alsace, puis encore Dijon, où elle arrive en 1934. Les enfants Thalmann sont ensuite envoyés à Genève puis à Bâle. Leurs parents disparaissent tour à tour en un très court laps de temps : la mère dans l’établissement où elle est internée pour raisons psychiatriques, le père, en déportation. Mona Ozouf perd son père alors qu’elle est âgée de quatre ans.
27 Ainsi chez Pierre Goubert, Un parcours d’historien- Souvenirs 1915-1995, Paris, Fayard, 1996.
28 Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 7.
29 Maurice Agulhon, « Vu des coulisses », in Pierre Nora (dir)., ibid., p 9-59.
30 Le terme suscite une certaine méfiance et est parfois évité ou mis entre guillemets parce qu’il fleure trop « l’illusion biographique » et parce que le choix de l’histoire est parfois relativement tardif et fruit d’une multitude de facteurs.
31 Damien Zanone, op. cit., p. 46.
32 Emmanuel Le Roy Ladurie, op. cit.
33 Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit.
34 Voir Georges Duby, dans L’histoire continue (Paris, Seuil/Points, 1992 [Odile Jacob, 1991]), chapitre « VII. La thèse », p. 83-92. Quelques historiens, à l’instar de Jacques Le Goff, se sont d’ailleurs dispensés de cet exercice jugé fastidieux.
35 Ainsi François Crouzet prend ainsi longuement la défense d’un exercice dont l’abolition par François Mitterrand et Alain Savary lui apparaît comme un « crime majeur », pour la science française et la discipline historique, voir De mémoire d’historien, op. cit., p. 149.
36 Alain Corbin, Historien du sensible, entretiens avec Gilles Heuré, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2000.
37 Voir par exemple Patrick Garcia, Les présents de l’historien, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Itinéraires », 2014 ; Patrick Boucheron, Faire profession d’historien, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Itinéraires », 2011 et Étienne Anheim, Le travail de l’histoire, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Itinéraires », 2018.
38 Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 351-369.
39 On pense par exemple au texte en forme de chronique de François Crouzet, op. cit.
40 Marc Bloch se présente lui-même comme un artisan, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, coll. « U Prisme », 1974 [1949], p. 30. Le rapprochement entre historien et artisan se retrouve à différentes reprises dans l’ouvrage (p. 19, p. 55).
41 Ce sont les titres des chapitres 2, 3 et 4 de l’Apologie ; ils suivent la réflexion menée par Marc Bloch sur « L’histoire, les hommes et le temps », op. cit.
42 Le terme figure dans l’Apologie pour l’histoire voir Marc Bloc, ibid., p. 28.
43 Voir par exemple la synthèse de Nadège Vezinat, Sociologie des groupes professionnels, Paris, Armand Colin, coll. « 128 », 2016 ou Didier Demazière, Charles Gadéa (dir.), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2009 .
44 Georges Duby articule les trois termes de métier, corporation et profession, dans ses Dialogues avec Guy Lardreau op. cit., p. 194. Antoine Prost souligne cette « récurrence du vocabulaire artisanal » dans les textes des historiens sur l’histoire, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Points histoire », 1996, p. 146-147.
45 Ces voyages sont de plus en plus fréquents et contribuent à amplifier la dimension internationale du métier ; voir notamment François Crouzet, op. cit., Pierre Goubert, op. cit. et Étienne Anheim, Le travail de l’histoire, op. cit.
46 Sur ces générations, voir Yann Potin, Jean-François Sirinelli (dir.), Générations historiennes XIXe-XXIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 2019. Sur la profession historienne aujourd’hui, voir Étienne Anheim, ibid.
47 Il faudrait ici mentionner également la propension des historien·ne·s à évoquer leurs engagements extra-professionnels, en particulier, pour la génération née dans les années 1920-1940, le communisme (Annie Kriegel, Emmanuel Le Roy Ladurie, Alain Besançon, etc.). Plus généralement, ces textes témoignent d’une grande perméabilité de leurs auteur·e·s à « l’air du temps », pour reprendre la belle expression de Michelle Perrot, « L’air du temps », in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 241-292.
48 Les fonctions de direction sont souvent présentées, quand elles sont abordées, comme prises par contrainte. René Rémond évoque ainsi sa prise progressive de pouvoir dans l’université de Nanterre d’après mai 68 dans un chapitre intitulé « L’engrenage », La règle et le consentement, op. cit., p. 101-135.
49 Par exemple Patrick Boucheron, Faire profession d’historien, op. cit. ou Étienne Anheim, op. cit.
50 Le goût de l’archive d’Arlette Farge (Paris, Seuil, coll. « La Librairie du XXe s. », 1989) est partagé par nombre de ses collègues, au premier rang desquels Georges Duby, Georges Duby, L’histoire continue, op. cit., p. 35.
51 Étienne Anheim, op. cit.
52 Isabelle Lacoue-Labarthe, « Historiens, historiennes et récit de soi », in Isabelle Luciani (dir.), Récit de soi, présence au monde. Jugements et engagements, Europe, Afrique, XVIe-XXIe siècle, Aix-Marseille, Presses Universitaires de Provence, 2014, p. 99-119.
53 « Le fils de la morte », in Pierre Nora (dir.), op. cit., p. 76 ; L’instant éclaté, op. cit., p. 69 ; Colère contre colère, op. cit., p. 93.
54 Voir le texte au titre si significatif d’Yvonne Knibiehler, Qui gardera les enfants ? (op. cit.) mais aussi les Mémoires d’Annie Kriegel, op. cit. Pour autant il n’existe pas de systématicité dans ce domaine, pas plus que d’écriture autobiographique féminine, sinon circonstancielle.
55 Dans ce domaine, la liberté de parole de Paul Veyne est exceptionnelle, cf. Le quotidien et l’intéressant, op. cit. et Et dans l’éternité…, op. cit.
56 Blaise Dufal, « Les deux corps de l’intellectuel : une archéologie des clercs », in Damien Boquet, Blaise Dufal, et Pauline Labey (dir.), Une histoire au présent : Les historiens et Michel Foucault, Paris, CNRS Éditions, 2013.
57 Voir par exemple les remerciements, parfois occasion de faire entrer la vie privée dans le texte : Patrick Boucheron écrit ainsi : « Et comment oublier le nom secret que je donnais à cet amas de textes : Mélanges offerts en l’honneur de Mélanie Traversier, pour l’ensemble de son œuvre, connue et méconnue » (Profession historien, op. cit., p. 188).
58 Philippe Gumplowicz, Alain Rauwel, Philippe Salvadori (dir.), Faiseurs d’Histoire. Pour une histoire indisciplinée, Paris, PUF, 2016.
59 Les deux premières parties de Généalogies, op. cit., d’Élisabeth Roudinesco sont ainsi issues de son mémoire d’habilitation. Après des chapitres consacrés à ses origines, à son enfance, à sa formation intellectuelle, l’historienne tient à distance sa vie personnelle, comme le fait Sylvain Venayre dans Disparu ! Enquête sur Sylvain Venayre, Paris, Les Belles Lettres, coll. « L’histoire de profil », 2012.
60 Fabrice Bouthillon, sur le harcèlement sexuel dont il a été victime de la part d’un « mandarin », voir « A.D. 1986 », in Philippe Gumplowicz, Alain Rauwel, Philippe Salvadori (dir.), ibid.
61 Dans des registres totalement différents, Jean Tulard évoque abondamment ses passions hors métier, mais certaines sont devenues part du métier (le cinéma) et sont largement publicisées, Détective de l’histoire. Entretiens avec Yves Bruley, Paris, Éditions Écriture, coll. « Entretiens », 2012.
62 La vocation des « souvenirs », proches de l’autobiographie, est de ne pas se placer dans une exigence ou une ambition d’exhaustivité, voir Jean-Philippe Miraux dans L’autobiographie. Écriture de soi et sincérité (Paris, Colin, 1996), p. 14.
63 Ces remarques viennent à l’appui de ce que souligne Jean-Louis Jeannelle dans Écrire ses mémoires au XXe siècle. Déclin et renouveau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2008, p. 247.
64 Par exemple Bartolomé Bennassar, Pérégrinations ibériques. Esquisse d’ego-histoire (Madrid, Casa de Velāzquez, coll. « Essais de la Casa de Velāzquez », vol. 11, 2018) et Jacques Le Goff, Avec Hanka (Paris, Gallimard, 2008).
65 Si beaucoup disent leurs réticences à se raconter, dans quelques rares cas, le récit de soi est au contraire vécu comme une expérience existentielle et peut même tenir lieu de travail psychanalytique, cf., Pierre Chaunu, Colère contre colère, op. cit., p. 54.
66 François Dosse, L’Empire du sens. L’humanisation des sciences humaines, Paris, La Découverte, 1995.
67 Annie Kriegel, Ce que j’ai cru comprendre, op. cit., p. 791 : « Note sur mes archives. Si ce livre est d’abord le fruit d’une mémoire individuelle, il a largement puisé dans un fonds d’archives privées (plus de 30 mètres linéaires) », d’un fond classé et répertorié en différentes séries.
68 Rousseau, Saint Augustin et Montaigne figurent dans ce domaine en tête du classement (cf. Alain Besançon, qui vite les deux derniers, op. cit., p. 332).
69 Georges Duby trouve ce plaisir d’une écriture plus libre dans la rédaction de son Dimanche de Bouvines et dans sa collaboration avec Skira, pour des ouvrages d’art ; il s’en explique dans L’Histoire continue, Paris, Seuil, 1992, p. 133-134.
70 Pour un historique de ces relations, voir Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2014.
71 Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, Éditions Corti, coll. « Les Essais », 2019.
72 Toujours insuffisantes, dans les deux cas elles doivent être complétées par le travail de l’imaginaire, une manière de « combler les lacunes », pour reprendre l’expression de Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2002 [1975], p. 27.
73 Plusieurs historiennes et historiens disent avoir été tenté·e·s de choisir la littérature, plutôt que l’histoire, à l’instar de François Hartog : « J’ai eu aussi, à un certain moment, une tentation littéraire ; et même si je ne suis pas devenu écrivain, mais plutôt un “écriveur” (pour reprendre une expression de Valéry), j’ai gardé l’amour de la littérature », La chambre de veille. Entretiens avec Felipe Brandi et Thomas Hirsch, Paris, Flammarion, 2013, p. 190.
74 Laurent Demanze, op. cit.
75 Laurent Demanze, ibid., p. 15-16.
76 Ibid., p. 15.
77 Pour Ivan Jablonka, deux récits d’enquête retiennent particulièrement l’attention de Laurent Demanze : Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête, Paris, Seuil, coll. « Librairie du XXIe siècle », 2012 et Laëtitia ou la Fin des hommes, Seuil, coll. « La Librairie du xxie siècle », 2016.
78 Laurent Demanze, ibid., p. 22.
79 Ibid., p. 18.
80 Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Paris, Plon, 1998.
81 Arlette Farge, « L’histoire inquiète », Le Débat, 1988/2, no 49, p. 126.
82 Georges Duby, Mes ego-histoires, Paris, Gallimard, 2015. Préface de Pierre Nora ; postface de Patrick Boucheron, p. 123. Voir aussi Patrick Boucheron, Jacques Dalarun (dir.), Georges Duby, portrait de l’historien en ses archives, Paris, Gallimard-NRF/Fondation des Treilles, 2015.
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Référence électronique
Isabelle Lacoue-Labarthe, « Ego historicus. Quand historiens et historiennes se racontent. France, XXe-XXIe siècles », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 08 juillet 2023, consulté le 11 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhc/4003 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhc.4003
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