Il Paradiso : un ersatz de la Villa Médicis (1940-1944). Matériaux pour une histoire
Résumés
L’histoire du transfert de l’Académie de France à Rome, à Nice, puis à Fontainebleau durant l’Occupation incarne les contradictions qui traversent le monde de l’art français durant cette période troublée. Elle présente l’intérêt de pouvoir être étudiée sous plusieurs facettes : celle de l’Académie des Beaux-Arts, dont l’autorité morale est fragile, qui est, comme toutes les institutions françaises, plongée dans un état de grande confusion et agitée par les luttes de clan ; celle des artistes primés, privés du séjour à Rome et en proie aux nombreuses difficultés matérielles et morales du temps, et, enfin, celle de la ville de Nice à la recherche de la respectabilité académique et artistique. Cette histoire à trois faces a pu être restituée à partir du croisement de nombreuses sources.
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- 1 Raphaëlle Renard Foultier, L’Académie de France à Rome (1921-1971). Des artistes et une institution (...)
- 2 Journal.paul-landowski.com, JPL.
- 3 Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l’industrie, Paris, Presses univer (...)
- 4 Archives municipales de Nice (AMN), Archives départementales des Alpes maritimes (ADAM).
1L’installation à la Villa Il Paradiso à Nice d’un substitut à la Villa Médicis mise sous séquestre à l’automne 1940 par les autorités italiennes a été abordée dans sa thèse par Raphaëlle Renard Foultier1. Cette histoire mérite d’être approfondie, car elle met en évidence la complexité des positionnements dans le monde de l’art sous l’Occupation, mais aussi les mutations profondes qui s’opèrent en sourdine : le changement du statut social des artistes, l’irrésistible déclin de l’académisme, la montée en puissance de l’administration ministérielle des Beaux-Arts, l’émergence de politiques culturelles locales. Nous croiserons le point de vue de l’Institut, plongé dans un état de grande confusion et agité par les luttes de clan dont témoigne le journal de Paul Landowski, le directeur de l’École des Beaux-Arts2 ; celui des artistes primés, privés du séjour à Rome, à travers le cas du peintre Reynold Arnould, Prix de Rome de peinture 19393 ; celui de la ville de Nice à la recherche de la respectabilité académique documenté par les archives locales4.
L’Institut à la recherche d’une Villa
- 5 Hélène Serre de Talhouët, « Placé pour être utile ». Georges Huisman à la Direction générale des Be (...)
- 6 De retour en France, il vit dans la clandestinité jusqu’à sa réintégration en 1944.
- 7 Élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, spécialiste de littérature italienne, fonda (...)
- 8 Rentré d’Afrique-du-Nord, Jacques Ibert s’installe au Cap d’Antibes après s’être présenté à Louis H (...)
- 9 Louis Hautecœur avait d’abord pensé à Aix-en-Provence, mais Maurice Mignon s’est fait auprès de lui (...)
2Le 10 juin 1940, l’Italie déclare la guerre à la France. Le 22 juin, la Villa Médicis est investie. Son directeur depuis 1937, le compositeur Jacques Ibert, laisse l’établissement entre les mains du secrétaire général, Pierre Fournier. Rejoignant le gouvernement français à Bordeaux, il s’embarque le 21 juin sur le Massilia, comme son ministre de tutelle Jean Zay et le directeur des Beaux-Arts Georges Huisman, ce qui lui vaudra la révocation le 17 octobre 1940. À la direction des Beaux-Arts, la confusion règne5. Georges Huisman, révoqué dès le 27 juillet6, est remplacé par Louis Hautecœur, le directeur du musée du Luxembourg. Se pose la question du sort des pensionnaires de Rome, dont certains, sont mobilisés, et celle des nouveaux pensionnaires, lauréats des concours de 1939. C’est dans ce contexte que la ville de Nice propose, à l’instigation de Maurice Mignon7 de mettre à disposition une villa. Le 28 septembre, l’Académie demande à Ibert de faire une mission de reconnaissance à Nice8 : « Mignon nous parle d’une villa sur Cimiez. Mais d’aucuns préféreraient Aix-en-Provence »9. Mais les Académiciens continuent à espérer le retour à Rome. Le 12 octobre, Paul Landowski est chargé par Louis Hautecœur de les convaincre d’y renoncer :
- 10 En fait, Pierre Fournier a quitté Rome le 25 octobre 1940 et est rentré en France en passant par Ni (...)
Il faut faire son deuil définitivement de la villa Médicis. On y fait des travaux. On a emporté tout, absolument tout, bibliothèque, tapisseries, mobilier. Fournier a été mis dans un camp de concentration10. Il faut donc envisager, provisoirement, espérons-le, autre chose. Il y a la fameuse villa offerte par la municipalité de Nice qui ajoute le chauffage, la nourriture pour les pensionnaires.
3La situation se complique toutefois du fait que les Prix de Rome (ceux, présents à Paris, qui avaient commencé leur séjour à Rome) refusent de se rendre à Nice :
- 11 JPL.
Il y a, en ce moment ici (à Paris), sept pensionnaires : [Georges] Noël [architecture, 1937], [Adolphe-Pierre] Charlet [sculpture 1938], [Maurice] De Bus [sculpture 1937), [Victor] Serventi [musique, 1937), [Henri] Dutilleux [musique, 1938), [Claude] Bouscau [sculpture, 1935], [Jean] Pinet [peinture, 1936], [Henry] Bernard [architecture 1938] est prisonnier. D’autres sont restés en zone libre. Il y a eu entre les cinq premiers et Hautecœur une entrevue assez orageuse, semble-t-il. Ils ont protesté contre Nice, se plaignant de ne pas avoir été consultés. L’État propose de leur allouer à chacun 1 000 F par mois. Ils protestent également : ils ne sont pas des mendiants. Ils ont droit à leur pension. Ce n’est pas de leur faute s’ils ont quitté la Villa. L’État est leur débiteur. Ibert a à sa disposition la totalité des pensions 1939. Pourquoi ne leur distribue-t-on pas simplement à chacun leur pension, les laissant à Paris faire leurs envois11 ?
4Mais les Académiciens veulent sauver leur institution :
- 12 Ibid.
Contre cette thèse, l’Académie croit devoir maintenir le principe des repas en commun, de l’éloignement de Paris, du directeur présenté par l’Académie. Accepter la solution actuelle risquerait de la sanctionner et d’entraîner une modification radicale de l’institution12.
- 13 PdR 1901, professeur aux Beaux-Arts, il fait l’objet de la méfiance générale. Landowski, dont il a (...)
5La mise à l’écart d’Ibert n’aide pas à la prise de décision. Le 14 décembre, Paul Landowski note : « À l’Institut, on décide finalement d’accepter Nice pour installer provisoirement les Grands Prix ». Mais cette décision rencontre l’opposition du sculpteur Henri Bouchard qui se fait le porte-parole des pensionnaires et intrigue auprès des autorités allemandes.13 Selon Landowski, qui cite le secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, le critique musical Adolphe Boschot :
- 14 Les pensions suspendues en juin sont rétablies amputées de l’indemnité de résidence à Rome et de ce (...)
La vérité serait qu’il [Bouchard] voudrait être officiellement chargé de l’intérim du poste de directeur des pensionnaires, restant à Paris, et recevoir une indemnité pour ». Le 16 décembre, Landowski évoque la visite de son élève René Leleu « qui semble satisfait de la solution de Nice. Il ne semble pas que Bouchard ait renseigné très sincèrement l’Ac[adémie] sur l’état d’esprit des pensionnaires ». Mais Leleu était, comme Arnould, un prix de Rome de 1939 ; ceux-ci ne réagissaient pas comme leurs aînés, évincés de Rome et privés de leur bourse14.
- 15 Gouvernement de Vichy, Informations générales, n° 26 du 25 février 1941, p. 39.
- 16 Rapport à Monsieur l’adjoint Draghi sur la Villa « Il Paradiso » affectée aux Grands Prix de Rome, (...)
6Même si le choix de Nice semble fait, Henri Bouchard continue à se faire le porte-parole des pensionnaires rétifs. Ce n’est qu’à la fin février 1941 que le maire de Nice Jean Médecin est officiellement informé de la décision15. Mais les choses traînent encore toute l’année 1941, probablement parce que la succession d’Ibert n’est pas décidée. Jusqu’à la nomination, le 23 août 1942, du peintre Robert Poughéon, Pierre Fournier gère l’établissement, Maurice Mignon assurant « la liaison entre la Villa, la Ville de Nice et le Secrétariat général des Beaux-Arts »16. Fournier se rend à Nice le 19 février 1941 et remet le 4 mars à la Direction générale des Beaux-Arts un rapport très favorable :
- 17 AVM.
Le nouveau siège de l’Académie de France à Rome pourrait être installé à la Villa ‘Il Paradiso’ Boulevard de Cimiez à Nice. Grâce à la municipalité de cette Ville et en particulier à son maire M. Jean Médecin, les Grands Prix de Rome, pourraient, dans un avenir prochain, reprendre leurs travaux. Il se retrouveraient groupés dans un cadre idéal, sinon aussi grandiose que celui dont ils bénéficiaient à la Villa Médicis, du moins très favorable à l’étude et à la production artistique. Entourée d’un grand parc, où dominent les palmiers et les orangers, le tout d’une superficie de 23 000 m2. […] Les conditions de vie des grands prix de Rome à la Villa ‘Il Paradiso’, tant sur le plan matériel que spirituel, seraient sensiblement les mêmes que celles dont ils bénéficiaient à la Villa Médicis. Monsieur Jean Médecin, maire de Nice, a pris les dispositions utiles pour que les aménagements soient effectués dans un minimum de temps. […] Ainsi, bien qu’il soit assez difficile de donner la date à laquelle les grands Prix de Rome pourraient se rendre à la Villa ‘Il Paradiso’, il semble que tout sera prêt pour les recevoir dans le courant du mois d’avril17.
- 18 Comité de gestion de la villa Il Paradiso (Journal officiel, 14 mai 1941), rebaptisé le 29 avril 19 (...)
- 19 Cette date est celle de la dernière intervention au conseil municipal de Nice de Jean Médecin, en d (...)
- 20 La vente est annulée par le Conseil d’État en 1951. L’affaire se conclut en 1962 par une nouvelle v (...)
7Le statut juridique de la Villa n’est toutefois pas très clair à cette date. Construite en 1875 pour un homme d’affaire, elle avait été acquise, après le suicide de celui-ci en 1889, par le baron et la baronne de Zuylen de Nyevelt de Haar, qui l’aménagent à grands frais. À la mort du baron, en 1934, elle est mise en location. En 1940, elle est occupée par l’armée qui l’endommage. Pour accueillir les Prix de Rome, la ville de Nice la loue à la baronne, née Rothschild et juive suivant les lois de Vichy. L’affaire est personnellement suivie par Médecin, qui mobilise pour son aménagement les arrérages du legs d’un notable niçois mort en 1939. Pour gérer cette ressource, on crée le 23 avril 1941 une association, dont le Président est André Maillart, Prix de Rome de gravure en 1912 et directeur de l’École nationale des Arts décoratifs de Nice, et les vice-présidents Maurice Mignon et Paul Labbe, architecte, second grand prix de Rome 1922 18. Le 27 novembre 1941, dans le contexte de la « loi relative aux entreprises et biens ayant appartenu à des Juifs absents ou disparus », dite « d’aryanisation » du 22 juillet précédent, le conseil municipal demande que le projet d’acquisition soit déclaré d’utilité publique. Le 11 juillet 1942, Léon Brocard, est désigné administrateur provisoire par le Commissariat général aux questions juives. Un arrêté préfectoral du 7 novembre autorise la municipalité à acquérir la villa, « soit à l’amiable soit par voie d’expropriation ». Le 3 avril 1943, une ordonnance du Tribunal civil prononce l’expropriation du bien, acquis par la ville le 17 juillet, moyennant une indemnisation de quatre millions de francs19. Cette acquisition douteuse, validée par le préfet le 2 septembre, provoqua après-guerre un long contentieux juridique20.
- 21 Anould était, depuis 1933, un intime de Blanche, qu’il considérait comme son père de substitution. (...)
8Toujours est-il qu’en avril 1941, rien n’est prêt non plus sur le plan matériel. Le 13, Reynold Arnould écrit à Jacques-Émile Blanche21 :
- 22 Le nom de la villa fait l’objet de fréquentes erreurs dans les écrits de l’époque que nous avons ma (...)
- 23 FBI.
La villa El Paradisio [sic]22, si elle est aménagée pour recevoir des pensionnaires, ne l’est pas pour recevoir des artistes. S’il y a de la place, il reste à aménager des ateliers. Les travaux demandaient trois semaines. Voilà un mois et demi qu’il [Fournier] est rentré et il a perdu tout contact avec Nice et ne sait plus ce qu’il en est23.
- 24 AVM
- 25 Ils seront signés début octobre.
- 26 Lettre du 4 octobre 1941 de Pierre Fournier au secrétaire d’État à l’Éducation nationale et à la je (...)
9Pierre Fournier ne s’installe lui-même à Nice que le 31 juillet. Le 16 août, il écrit au peintre Pierre Lucas (Prix de Rome 1937) qu’il se « rend compte que ce n’est pas avant le mois d’octobre que vous pourrez venir vous installer à Nice »24. Après plusieurs mois de tergiversations, les pensionnaires sont finalement invités à rejoindre Nice le 30 septembre 1941. Mais les ausweise ne sont pas prêts pour ceux résidant en zone nord25. Seuls se présentent les trois pensionnaires présents en zone libre : le graveur Marius Aillaud (Prix de Rome 1938) depuis Lyon, le peintre Pierre Lucas (Prix de Rome 1937) depuis Périgueux, et l’architecte Bernard Zehrfuss (Prix de Rome 1939), qui s’est installé à Oppède dans le Lubéron, où il a rejoint, après sa démobilisation, le petit groupe d’architectes et d’artistes constitué sous l’égide de l’association Jeune France26. Mais la Villa n’est toujours pas prête. Le deuxième étage n’est pas occupable en raison de la toiture, les chambres des communs ne les satisfont pas, et la cuisine n’est pas encore assurée. Bernard Zehrfuss repart le jour même à Oppède ; Marius Aillaud rejoint Lyon pour s’y marier le 4 octobre.
- 27 AVM.
- 28 On trouvera une large description de l’inauguration dans Pierre Gervasoni, op. cit., p. 137 et sq.
- 29 Dominique-Jules Mari, « L’installation, à Nice, de l’Académie de France a donné lieu, samedi à des (...)
10Le 25 octobre, Maurice Mignon informe Pierre Fournier que la cérémonie officielle d’inauguration aura lieu le 8 novembre et lui demande de battre le rappel des pensionnaires : « Ne manquez pas de les informer, que de nouveaux aménagements ont été apportés, depuis leur départ, qu’il leur offre un logement dans la villa principale »27. Les autorités politiques et académiques boudent l’inauguration28. Le ministre de l’Éducation nationale, Jérôme Carcopino, se fait représenter par l’écrivain René Gillouin, proche conseiller de Pétain, et par Louis Hautecœur ; Adolphe Boschot, par Albert Tournaire, architecte d’origine niçoise (Prix de Rome 1888) et membre de l’Institut. C’est qu’il n’y a toujours pas de directeur et que les manœuvres se poursuivent. Le jour de la cérémonie, sur les dix espérés, il n’y a que deux pensionnaires présents : Marius Aillaud et Reynold Arnould, lequel pose sur la terrasse de la villa pour la presse locale, à laquelle il déclare : « Nous serons admirablement installés pour travailler heureusement »29. Il était moins louangeur dans le Figaro quelques jours plus tôt :
- 30 Le Figaro, 7 novembre 1942. Sur cette décoration, François Vatin, « Reynold Arnould et la chapelle (...)
Les conditions de travail ne sont pas encore ce que nous eussions pu souhaiter. Les ateliers de peinture manquent d’espace. Comment par exemple achever dans les locaux mis à notre disposition la décoration que j’exécute pour l’église de Lavelanet dans l’Ariège et qui ne mesurera pas moins de 85 mètres carrés30!
- 31 AVM.
11Manifestement, la Villa n’est pas prête et les deux pensionnaires présents à l’inauguration s’en retournent immédiatement à leurs affaires. Reynold Arnould rejoint Lavelanet, où il a une commande et de là Paris. De Lavelanet, il écrit le 12 novembre à Fournier qu’il pense rejoindre Nice le 8 janvier 1942, ayant reçu l’assurance de l’architecte en chef de la Ville que les travaux seront alors achevés31. En fait, il ne reviendra à Nice qu’à la fin du mois de février. À son arrivée, le 28, il écrit à Jacques-Émile Blanche :
- 32 FBI.
La villa n’est encore qu’une pension de famille et je me dois d’échapper à son atmosphère qui m’est pénible si je ne veux pas tomber dans la mélancolie32.
12Il parvient pourtant à aménager son séjour à la Villa et, de retour chez ses parents en Normandie pour l’été, il lui écrit le 10 juillet :
- 33 Ibid.
De ma vie à la Villa, je suis heureux. Quoique la maison où nous devons vivre soit un chef d’œuvre de laideur, que Nice n’ait aucune âme, le fait que j’y puisse très sérieusement travailler, sans trop de soucis, m’aide à supporter ces inconvénients33.
13Dans un courrier contemporain à Maurice Denis, il souligne pourtant les difficultés matérielles des Prix de Rome, manière de faire remonter à l’Institut une insatisfaction collective :
- 34 Courrier s. d., Archives Maurice Denis, musée de Saint-Germain-en-Laye.
Vous aurez eu, par l’Institut, certainement des nouvelles de la Villa Paradisio [sic], où, depuis 4 mois et demi, je travaille en dépit de nombreux inconvénients inhérents à ce séjour niçois. Vous savez que notre bourse n’est que de 2 033 frs par mois et qu’il faut sur cette somme débourser 1 500 frs de nourriture par mois, y compris le blanchissage. Vous comprenez quelle peut être la situation de celui qui n’a rien d’autre que cette mensualité pour vivre dans une région où tout est extraordinairement cher et où l’augmentation du coût de la vie est plus sensible qu’ailleurs. Malgré le peu de charmes de la maison, j’y travaille d’arrache-pied, ce qui m’aide à supporter tous les ennuis34.
- 35 Il ne faut pas confondre le STO avec les formes antérieures de réquisition de main d’œuvre pour l’A (...)
14La seconde saison passée par Arnould à Nice, où il revient en septembre 1942, fut, pour de nombreuses raisons, beaucoup plus difficile. La situation politique et militaire s’était tendue avec l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes, relayées, dans le sud-est, par les troupes italiennes ; la nomination de Poughéon en août 1942 provoque de fortes tensions ; enfin, l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) par la loi du 16 février 1943 fait planer le risque d’un départ forcé en Allemagne35. Dès janvier 1943, Reynold Arnould ne supporte plus l’atmosphère potache qui règne à la Villa :
- 36 Courrier à son ami d’enfance Pierre Gresland, le 4 janvier 1943 : cette correspondance nous a été c (...)
La Villa me devient difficilement supportable. Jusqu’ici elle m’était indifférente. J’avais l’esprit d’une certaine camaraderie. Elle m’est presque impossible. Je ressens trop vivement la solitude dans laquelle chacun nous nous trouvons sans qu’aucun effort ne soit fait pour sortir d’une ridicule « farcerie » qui m’exaspère. Nous sommes trop loin les uns des autres. Je ne sais plus supporter cette vie en commun où seule la vie du corps dans ses manifestations ogresques sont communes. J’ai assez de ce pensionnat. Pourtant j’y reste car dans mon atelier le désir de travail est trop fort pour laisser une place à cet énervement36.
- 37 AVM.
- 38 La Semaine, 11 décembre 1941, cité par Pierre Gervasoni. Henri Dutilleux quitte la Villa « Il Parad (...)
- 39 Rudy Cantel, « Perdus dans le grand parc d’Il Paradiso trois Prix de Rome tentent vainement de reno (...)
- 40 AVM.
15Inquiété par une première convocation au STO le 24 mars 1943, et ayant trouvé un atelier à Paris, Reynold Arnould quitte Nice le 10 avril, alors qu’il reste pensionnaire de l’Académie jusqu’en septembre 1944. Le 24 mars 1944, il écrit à Raoul Villedieu qui fait ses bagages pour le château de Fontainebleau où la Villa se replie : « Peut-être regretterez-vous, malgré tout, la Villa Paradiso ? Pour moi… »37. En ayant passé, cumulés, une dizaine de mois à Nice sur les quarante de son temps de pensionnaire, il fut pourtant probablement un des plus assidus. Jamais, en effet, les pensionnaires ne seront réunis de façon régulière à la Villa et la presse s’en amuse. Un article du 11 décembre 1941 décrit Henri Dutilleux comme l’« hôte solitaire d’un château de millionnaires »38. Le 9 janvier 1942, Rudy Cantel de Paris-Soir évoque trois couverts dressés « perdus dans le silence hostile de la vaste salle à manger »39. Le 30 juillet 1942, Charles Souchon, qui assure l’intérim de Fournier pendant ses vacances lui écrit : « à la Villa rien de nouveau, tout est silencieux et tellement calme que l’on se croirait dans un monastère »40. La suppression, le premier mars 1943, des Ausweise facilite le retour à Paris des pensionnaires, ce qui provoque des conflits avec Robert Poughéon. In fine, Raoul Villedieu se flatte d’avoir réuni neuf pensionnaires à Fontainebleau les 4 et 5 juin 1944 :
- 41 Le 6 juin, les pensionnaires s’en allèrent à la suite de la visite d’un officier allemand.
C’est la première fois en effet, qu’ils se trouvent ensemble, et ce contact, ce frottement joyeux de leurs intelligences, a toujours constitué l’un des principaux charmes de la vie des grands prix de Rome à la Villa Médicis41.
Une institution en débat
16Le système académique des Beaux-Arts fait l’objet d’une critique récurrente depuis le milieu du XIXe siècle. Pourtant, le Prix de Rome de peinture continue à attirer l’attention du public. Quand le 5 juillet 1939, Reynold Arnould le remporte à l’âge de vingt ans, il fait la une de la presse en dépit des bruits de bottes aux frontières. Il entre aux Beaux-Arts en 1937, dans la classe de Fernand Sabatté et manque de peu le concours de 1938 avant de le réussir l’année suivante, activement soutenu par Jacques-Émile Blanche et Maurice Denis. L’ancien nabi, élu en 1932 à l’Académie en était un membre éminent. Blanche, qui y est élu en 1935, envoie alors à son jeune protégé une carte où il pose en habit. Mais il n’a aucune estime pour cette institution. Le 23 mai 1934, il note à propos d’Arnould :
- 42 FBI.
La véritable raison qui m’oblige à calmer ses ardeurs, c’est qu’il ne m’intéresse pas comme artiste. Je ne le crois doué que pour une carrière de prix de Rome et même de prix de Rome de jadis42.
17Propos d’une étonnante prémonition, qui en dit long sur le mépris de Blanche pour ce Prix. Il ne doutait pas de l’extrême virtuosité de son protégé, mais considérait que son milieu d’origine « petit bourgeois » ne le prédisposait pas à une carrière d’artiste.
18En 1941, Jacques-Émile Blanche démissionne avec fracas de l’Académie pour protester contre l’élection, le 24 mai, du sculpteur Louis-Aimé Lejeune contre Charles Despiau. Il rend publique sa lettre de démission le 4 juillet dans Les Nouveaux Temps, journal collaborationniste de Jean Luchaire après avoir vainement tenté de la faire paraître dans la NRF de Pierre Drieu La Rochelle et dans Comoedia. Il dénonce dans ce texte la perpétuation d’un « système de camaraderie, oui, d’une “Franc-maçonnerie” des Vieux Prix de Rome, lesquels s’entêtent à proclamer la suprématie d’une école aujourd’hui disparue ». Non sans perversité, il mobilise Arnould, en en faisant son coursier auprès de Drieu La Rochelle et en lui faisant recopier le texte à l’intention de Maurice Denis. Lors de la parution de la lettre, Arnould, un peu piqué, lui écrit :
- 43 Ibid.
J’ai eu le plaisir de voir paraître dans Les Nouveaux Temps votre lettre à Monsieur Boschot. Cela va les secouer un peu : ils en avaient besoin. […] Les coups de patte contre les Prix de Rome, trop justifiés malheureusement, je dois les approuver. Je souhaite seulement n’être pas un jour compris dans cette clique si menacée. Le seul intérêt pour moi d’avoir ce prix serait de pouvoir obtenir un poste de patron dans une école régionale. Ainsi je ne serais pas très occupé et aurais une petite assurance en dehors du produit de mon travail43.
19Le 24 septembre suivant, alors qu’il s’inquiète de savoir s’il va pouvoir partir à Nice et bénéficier de sa bourse, Arnould revient sur le sujet :
- 44 Ibid.
Bien entendu, vous savez que j’ai la même opinion que vous sur la question carrière Prix de Rome, quoique le titre serve à certains moments et permette d’attendre une autre consécration en admettant qu’on en soit digne. Mais d’autre part, pour quelqu’un comme moi que ne soutient aucun capital personnel et qui doit gagner sa vie (au sens le plus noble) à la force de ses bras, il est déraisonnable de laisser passer, s’il y a moyen d’évoluer entre la chèvre et le choux, l’occasion de recevoir un peu d’argent pour aussi peu que ce soit44.
20Le jeune homme désargenté supportait mal la morgue aristocratique de son maître, lequel avait hérité d’une grande fortune familiale de ses grand-père et père, célèbres aliénistes parisiens.
- 45 Henri Matisse à André Rouveyre, 5 novembre 1941 : Matisse-Rouveyre. Correspondance, Paris, Flammari (...)
21Reynold Arnould arrivait donc à Nice averti en la matière. La substitution de la Villa Il Paradiso à la Villa Médicis n’était pas pour revaloriser l’institution. De plus, c’est à Nice que résidait alors un des plus farouches adversaires de l’académisme : Henri Matisse. Ce monstre sacré de la peinture française ne voyait pas d’un bon œil l’arrivée de l’Académie ; invité à l’inauguration, il ne s’y rendit pas.45 Une dizaine de jours plus tôt, il déclarait à la radio :
- 46 La retranscription envoyée à Pierre Matisse, galeriste à New York, le 13 mars 1942 est reproduite d (...)
La grande qualité de Gustave Moreau [son ancien maître] a été de considérer l’esprit d’un jeune élève comme devant subir un développement continu pendant toute sa vie et non de le pousser à satisfaire les différentes épreuves scolaires, qui, même quand l’artiste a réussi au plus grand des concours, le laisse aux environs de la trentaine avec un esprit faussé, une sensibilité et des moyens tellement limités, que, s’il n’est pas riche d’argent, il n’a plus qu’à rechercher par un mariage l’aide d’une femme représentative46…
- 47 Claude Roy, issu de l’extrême droite maurassienne, s’oriente alors vers à la Résistance, puis à l’a (...)
- 48 Radio-Jeunesse préfigure Jeune France.
- 49 Henri Matisse à André Rouveyre 14 février 1942, Matisse-Rouveyre, p. 99. On voit à la manœuvre ici (...)
22Henri Matisse revient sur le sujet le 8 février 1942, au moment de l’installation effective des premiers Prix de Rome dans un entretien à Paris-Soir Dimanche, mais ses propos sont alors censurés. Il est ensuite invité par Claude Roy47, qui contribue alors à Radio-Jeunesse, créée en octobre 1940 par Pierre Schaeffer48, à donner un nouvel entretien radiophonique, qui est enregistré à Nice en mars 1942. Roy assure à Matisse qu’il n’y aura « pas d’autre censure »49. Dans l’entretien diffusé le 28 avril, Matisse prend violemment à partie l’art académique :
- 50 Matisse-Rouveyre, p. 68 et 99 et p. 651-652, la retranscription envoyée avec la précédente à Pierre (...)
Pourquoi voulez-vous toucher au Prix de Rome ? Laissez-le donc mourir de sa belle mort. […] Pas un directeur de musée, pas un amateur d’art étranger qui connaisse le nom ou même l’existence du Prix de Rome. Pas un étudiant venu, en France, étudier la peinture, qui songe à aller aux Beaux-Arts. La carte postale elle-même néglige ses lauréats. […] Sans nul doute l’enseignement donné aux Beaux-Arts et dont le couronnement et l’aboutissement sont le concours de Rome est mortel aux jeunes artistes … Parce qu’il les pousse à l’imitation de la perfection sans rien dedans ; et leurs tableaux me font penser aux poulets en carton qui sont servis sur la scène de l’Opéra-Comique. […] En somme, ce milieu Beaux-Arts-Prix de Rome est une société d’entraide mutuelle dont il n’est jamais rien sorti de bon50.
- 51 On avait donc fourni à Arnould le verbatim de Matisse avant sa diffusion.
23L’hebdomadaire Radio National donne la parole à la défense, c’est-à-dire à Arnould, seul Prix de Rome de peinture présent à Nice : « Je donne un peu de mon temps actuellement à proposer une réponse à Monsieur Matisse pour Radio National. Réponse à une attaque mal pensée contre les Prix de Rome. Ce sera amusant » écrit-il à son ami Pierre Gresland le 17 avril 194251 ; « amusant, j’attaque dans les deux sens » précise-t-il le 23 avril. C’est bien ainsi que le comprend Figaro :
- 52 Le Figaro 26 mai 1942 : « Un débat sur le Prix de Rome de peinture ».
Nous frémissions du choc. Nous attendons que s’élève une voix plus que vigoureuse, comme l’imagination la prête aux héros de l’Iliade lorsqu’ils en viennent aux injures. Surprise, réconfortante surprise… M. Reynold H. Arnould prélude : « Monsieur Matisse a raison… »52.
24La défense, modérée, des Prix de Rome par Reynold Arnould mérite d’être citée :
- 53 Ibid.
Nous serions d’accord avec M. Matisse pour dire que l’École était le « tenant d’un art mort, non plus nécessité par son époque et la Vie ». Il n’en est pas moins vrai pourtant que la conception de « l’Art pour l’Art », qui fut le grand cheval de bataille des indépendants, est un poncif aussi démodé, aussi dangereux que l’étaient les plus vieux poncifs de l’Art officiel. « À des temps nouveaux, un art nouveau ». Que ce ne soit plus celui d’hier ou d’avant-hier, mais celui de demain. L’heure est aux grands ouvrages, au travail d’équipe, d’atelier […] je pense que l’École reste capable de répondre aux exigences des temps nouveaux. Elle peut redevenir le lien d’apprentissage, « le seul possible » où l’on puisse apprendre humblement son métier. Qu’elle ne dépasse pas ce rôle53…
- 54 Ibid.
25Le journaliste du Figaro conclut par ces mots : « L’espérance de Reynold H. Arnould a ceci de singulier qu’elle suppose que l’École des Beaux-Arts, pour revivre, doit mourir à elle-même »54. Le 30 mai, Arnould rend compte avec satisfaction de son intervention à Gresland : « Ma réponse à Matisse a eu de bons échos dans le Figaro. Grand article ». Pourtant, il conclut cette lettre par ces mots : « Ne mets plus mon titre après mon nom sur les cartes ».
- 55 André Rouveyre à Henri Matisse, le 28 avril, Matisse-Rouveyre, p. 111.
- 56 Paul Landowski participa au voyage d’artistes en Allemagne de novembre 1941. Il s’y était senti obl (...)
26L’attaque d’Henri Matisse ne doit pas être interprétée comme un acte de « résistance » politique. La dénonciation de l’académisme était largement partagée et il n’y avait pas de courage particulier à la formuler. André Rouveyre répond d’ailleurs à Matisse après avoir écouté l’émission : « Ce que tu as dit du prix de Rome est parfait, mais pas très original »55. Les orientations esthétiques sont en effet largement indépendantes des orientations politiques, en faveur de la collaboration ou de la résistance. Ainsi, le journal de Paul Landowski, fervent défenseur de l’institution académique, témoigne de ses penchants gaullistes56. En revanche, c’est dans un journal collaborationniste que Jacques-Émile Blanche, très antigaulliste, publie son pamphlet contre l’Académie. Et il faut citer Lucien Rebatet, qui, dans un article intitulé « ni Judaïsme, ni académisme », écrit dans Le Cri du Peuple le 12 décembre 1940 :
- 57 Camille Mauclair dénonce depuis les années 1920 la peinture moderne dans des articles de plus en pl (...)
Je pense que dans ce grand débat de l’ « art dégénéré », M. Camille, pour être vraiment écouté, semble trop parler au nom de la réaction pure et simple. Une réaction, au sens révolutionnaire du mot est partout nécessaire en France. Mais gardons-nous qu’elle nous ramène à un académisme qui serait pour l’art, l’équivalent de « l’ordre moral » pour la politique. Ne mettons pas Matisse et le youtre Soutine dans le même panier57.
Une direction impossible
27L’histoire de l’Académie de France à Nice se compose de deux périodes distinctes. La première, avant l’arrivée de Robert Poughéon à sa direction, est marquée par le flottement, la seconde, par le conflit. Jusqu’à l’été 1942, Maurice Mignon, qui a des relations à Vichy et le soutien de la mairie de Nice, essaye d’incarner le rôle de directeur. Mais, professeur à Aix-en-Provence, souvent à Paris ou à Vichy, il est trop peu présent à Nice pour suivre les dossiers. En pratique, la Villa est dirigée par Pierre Fournier, sur place depuis le 1er juillet 1941, qui a l’atout d’être fonctionnaire des Beaux-Arts.
28Les tiraillements entre Pierre Fournier et Maurice Mignon témoignent de l’ambiguïté de la situation. En juin 1942, Fournier refuse de prendre en charge à la gare un colis expédié par un photographe lyonnais qui contient des cartes postales représentant Mignon, Jean Médecin et un certain nombre d’autres personnalités niçoises sur le perron de la Villa. À l’expéditeur qui s’inquiète de ce colis laissé en souffrance, il répond :
- 58 AVM.
Vous me dites : « nous vous précisons que ces cartes ont été commandées par M Mignon » alors pourquoi vous adressez vous à l’Académie de France pour le paiement ? M. Mignon est directeur du Centre universitaire méditerranée et, comme tel, n’a aucune qualité pour engager des dépenses au nom de l’Académie de France. J’ajoute, que l’Académie n’a nullement besoin de cette fourniture, qui ne lui serait d’aucune utilité et dont l’objet, à l’heure actuelle, semble, pour le moins, fantaisiste58.
- 59 C’est sur Maillard que s’appuie Poughéon à Nice.
29Après l’arrivée de Robert Poughéon à la direction de l’Institution, Maurice Mignon s’efface et son nom disparaît des archives59. Le choix d’un directeur ne semble pas avoir été facile. Le poste était convoité : en décembre 1941, Paul Landowski soupçonnait Henri Bouchard d’intriguer en ce sens ; en mars 1942, Matisse, soupçonne quant à lui André Dunoyer de Segonzac, comme il l’écrit le 3 mars à Albert Marquet :
- 60 Jeu de mots en référence au peintre Léon Zack.
- 61 Matisse-Marquet, Correspondance 1898-1947, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, p. 146. Derain, Vlam (...)
Mr André Derain fait son cinéma à Paris et Mr Vlaminck, des poids place des Pyramides, centre étranger. Monsieur D. de Segonzac (le 2ème zac)60 est à Saint-Tropez où il reçoit des juifs notoires en attendant que les plâtres soient essuyés à la villa Paradisio (sic), ex-Villa Médicis. On dit qu’il est très pistonné par ceux auxquels il vient de plaire61.
30Robert Poughéon, Prix-de-Rome de peinture 1914, élu à l’Académie dans le sillage de sa nomination à Nice, disposait a priori des attributs pour diriger l’Institution. Mais c’était sans compter les « circonstances » générales du temps, la crise propre de l’Institution des Prix de Rome, déjà patente avant-guerre, mais, aussi, sa personnalité dénuée de la souplesse qu’exigerait pareille configuration. Durant tout son temps à la direction de l’Académie de France d’août 1942 à juin 1944 (vingt mois à Nice et trois à Fontainebleau), il sera pris dans un faisceau de tensions multiples qu’il ne saura pas démêler.
- 62 Reynold Arnould à Raoul Villedieu 16 mai 1943, AVM.
31Il y a d’abord la question de la double tutelle : l’Académie, avec laquelle Poughéon fait corps et l’administration des Beaux-Arts, qui dispose des cordons de la bourse et de l’autorité administrative sur les personnels et les pensionnaires. L’ordre académique est incarné par le « Règlement » qui régit les Prix de Rome, dont Poughéon rappelle en permanence les numéros des articles sur un mode « adjudantesque » selon la jolie formule d’Arnould62. Mais, s’il soumet à l’Académie les demandes de sanction contre les pensionnaires récalcitrants, c’est à la Direction des Beaux-Arts qu’appartient la décision d’interrompre le versement d’une pension. Par ailleurs, la tension va croissant avec la Ville de Nice, sollicitée comme pourvoyeuse de ressources (mise à disposition la Villa, financement des travaux, salaires des personnels domestiques, …), mais à qui est dénié tout droit moral sur l’Institution. Le conflit explose au cours de l’été 1943, après le départ de Jean Médecin, quand la ville de Nice envisage, pour relancer l’artisanat d’art, l’installation d’un four à céramique à l’intention des pensionnaires, mais aussi d’autres artistes locaux. Le 26 août, Robert Poughéon écrit à Louis Bonfiglio, le directeur des services administratifs de la Ville, pour se plaindre d’une visite effectuée à cette fin à la Villa par l’architecte municipal, en dépit de l’opposition qu’il avait déjà manifestée au sculpteur niçois Louis Maubert, l’initiateur du projet. Comme il le rappelle dans ce courrier, il avait fait apposer sur les deux grilles d’entrée le 5 août précédent « des écriteaux désignant officiellement l’Académie de France comme une institution Nationale sous l’autorité de M. le Ministre de l’Éducation nationale et de l’Académie des Beaux-Arts que je représente ».
- 63 Pierre Fournier part si rapidement que, faute de logement, il laisse sa famille à Nice. Le 8 janvie (...)
- 64 AVM.
- 65 « J’ai lu votre poème sur Dieu. Il est magnifique et je crois que je me servirais d’un vers pour un (...)
32Mais les conflits les plus récurrents opposent Robert Poughéon aux pensionnaires et aux secrétaires généraux successifs. Peu après son arrivée, il obtient le départ de Pierre Fournier, muté autoritairement à Lyon, qui passe le relais à Villedieu, le 24 novembre 194263. Les relations avec celui-ci ne seront pas plus faciles. Originaire de Montpellier, issu de la droite catholique, il se présente lui-même dans un courrier de 1944 à Jacques Ibert, comme procédant de l’écrivain Maurice Barrès, « le maître de ma jeunesse »64. Il écrivait des poèmes qu’il envoyait au pensionnaire Raymond Joly (Prix de Rome gravure 1942), et à sa sœur65. Engagé volontaire comme infirmier en 1914, il recevait une pension d’invalidité. Sur sa fiche matricule militaire, curieusement datée de 1921, il est présenté comme « avocat ». Il est resté secrétaire général de l’Académie de France jusqu’en 1953.
- 66 Jacques Robert, poète et romancier, collabore à la revue Confluences, d’obédience résistante, dirig (...)
33Les relations entre Poughéon et Villedieu se tendent au cours du printemps 1943 quand le premier, absent de Nice, commence à soupçonner le second de mener double jeu dans sa relation avec les pensionnaires. Villedieu répond à chaque fois de sa bonne foi, dans des lettres ambigües au style ampoulé. Les soupçons de Poughéon étaient fondés. Non seulement Villedieu « couvrait » les pensionnaires avec lesquels il entretenait une correspondance amicale, mais il intriguait explicitement contre le directeur, auprès de la ville de Nice, de la Direction des Beaux-Arts et de l’Académie. Dans un courrier du 15 juin 1943, il se défend du « soupçon injurieux » de Poughéon d’avoir inspiré un article paru dans l’édition de Marseille de Paris-Soir du 17 mai précédent. Or, le journaliste, Jacques Robert, lui avait écrit le 13 mai pour le remercier de son accueil, précisant : « Votre éloquence et ma propre disposition d’esprit ont fait que j’ai adhéré pleinement à cette lutte »66. De même, dans une note pour la ville de Nice, il défend, contre le directeur, dont il dénonce l’absentéisme et les mauvaises relations avec les pensionnaires, le projet d’installation du four à céramique. Mieux, le 21 avril 1943, il n’hésite pas à écrire à Arnould :
Vous serait-il possible de contribuer, de toute votre jeune et déjà réelle influence, à sauver l’Académie de France du danger qui la menace dans son administration ? Par exemple en faisant ressortir auprès de tous vos maîtres et des services de la rue de Valois les incompréhensions et les incorrections que vous connaissez mieux que moi et qui commencent à être connus en haut lieu. L’idéal serait d’arriver à obtenir une mise en congés temporaire de … pour raison de santé, avec intérim assuré par M. Mignon jusqu’au retour de J. Ibert.
34Le 8 juillet 1943, Arnould lui répond : « Je m’occupe de torpiller “l’adjudant” et je pense qu’il sautera un jour ».
- 67 Voir infra.
35À la Libération, Villedieu dénonce Poughéon à la Haute Cour de Justice67. Kunzmann, le sous-chef du Bureau des Travaux d’art, témoigne, lors de l’instruction de ce dossier, que Poughéon avait effectivement cherché en 1943 à obtenir le renvoi de Villedieu :
- 68 Cité par Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
M. Poughéon avait demandé le rappel de M. Villedieu et c’est le contrôleur des dépenses qui a soulevé des objections juridiques. Nous avions préparé l’arrêté. Nous avons fait venir M. Villedieu à Paris pour tout le moins s’expliquer. Nous l’avons mis au courant de la situation et alors, pour se défendre, M. Villedieu a fait le procès de M. Poughéon. M. Hautecœur a donc été très embarrassé et n’a pris à la suite de cela aucune décision68.
36Ces guerres picrocholines sont typiques de l’atmosphère de l’Occupation décrite par nombre d’historiens. Villedieu avait, à la différence de Poughéon, le tempérament adapté pour naviguer en ces eaux troubles. Après la Libération, les pensionnaires René Leleu et Pierre Lucas dénoncent, à propos d’une histoire anodine, son tempérament menteur. Leleu écrit à Ibert le 26 août 1945 :
- 69 AVM.
Une fois de plus, nous sommes en présence d’une de ces nombreuses machinations auxquelles l’imagination débordante et les petits calculs intéressés de Monsieur Villedieu nous ont, depuis plusieurs années de collaboration, habitués. Reprenant à son compte la maxime d’une grande mine politique, ce secrétaire général de l’Académie de France, semble vouloir diviser pour régner entre les directeurs et les pensionnaires et il doit se réjouir en son for intérieur lorsqu’il a berné les uns et les autres69.
37Leleu n’avait assurément pas tort. Il était toutefois un peu ingrat, car il avait, comme les autres pensionnaires, bénéficié du double jeu de Villedieu dans ses conflits avec Poughéon. Ceux-ci portaient sur plusieurs questions entremêlées relatives au respect du « Règlement » : la présence à Nice (et plus tard à Fontainebleau), la régularité des « envois » académiques, et enfin, l’aménagement de la Villa. Sur tous ces points, Poughéon cherche à tout prix à faire exister l’Institution dans la plénitude de ses traditions, tout au moins sur la forme. Pourtant, il n’ignore rien des difficultés rencontrées par les pensionnaires, comme le montre un rapport particulièrement sévère qu’il adresse le 5 mars 1943 à Boschot pour le convaincre de la nécessité de replier l’Académie à Fontainebleau :
- Premièrement renversement de la situation depuis le franchissement de la ligne de démarcation par les armées d’occupation. De zone libre, Nice se trouve désormais placée non seulement en zone occupée, mais probablement en zone côtière interdite. Le coefficient de sécurité en faveur de l’institution et de ses pensionnaires est de ce fait plus que compromis. L’opportunité n’est plus de grouper ceux-ci à la Villa Paradiso mais au contraire de les disperser.
- Deuxièmement le refus du général italien commandant en chef la quatrième armée d’occupation de faire bénéficier les pensionnaires d’une dérogation à l’interdiction de dessiner, peindre, relever des plans photographiques à l’extérieur, rend la vie de ceux-ci insupportables au moins pour les peintres, graveurs et architectes. Monsieur Médecin, a reconnu lui-même combien, suivant sa propre expression, « c’était de l’humour » que d’envoyer dans ces conditions de jeunes artistes séjourner à Nice.
- Troisièmement le régime alimentaire de la région est particulièrement déficient.
- Quatrièmement indépendamment des mesures prises par le commandement italien, contre tout travail à l’extérieur, la diminution importante des moyens de transport et leur précarité, mettent pratiquement les pensionnaires dans l’impossibilité d’atteindre jusqu’à la grande campagne. La vie à Nice comporte tous les inconvénients de la grande ville sans bénéficier des avantages de la très grande ville.
- Cinquièmement la température, l’hiver, est suffisamment froide pour poser le problème du chauffage avec autant d’acuité que dans la région parisienne.
- Sixièmement, le matériel nécessaire au travail des pensionnaires est encore, à l’heure actuelle, malgré les efforts et la bonne volonté de la municipalité, insuffisant. Les modèles sont des plus rares, les musées absents et il n’y a pas de musée zoologique à Nice. En un mot, les références culturelles sont naturellement beaucoup plus réduites que celles qu’offre le voisinage d’une capitale comme Paris.
- 70 AVM. Ce départ n’aura lieu qu’en mars 1944, mais elle est bien discutée alors à l’Académie (JDL, 17 (...)
- Septièmement le directeur n’habitant pas encore la villa Paradisio (sic) et devant attendre pour cela que l’aménagement des locaux destinés aux pensionnaires soit terminé, le rôle d’influence et de guide est difficile à exercer70.
- 71 Claude Hertenberger se fait arrêter à Cahors en avril 1944 par la Gestapo. Il est transféré à Toulo (...)
38On comprend que, dans un tel contexte, les pensionnaires s’empressent de quitter Nice dès qu’ils en ont l’opportunité. Beaucoup trouvent à Paris plus de ressources pour se nourrir, comme pour travailler, dans leur famille et grâce à leurs relations amicales et professionnelles. Ainsi, Alfred Désenclos (Prix de Rome de musique 1942) est nommé directeur du conservatoire municipal de de Roubaix dont il est originaire en mai 1943. Quant à Bernard Zehrfuss, d’origine juive, il obtient, grâce à ses relations à Vichy, une invitation à Barcelone du géographe Pierre Deffontaine qui y dirige la Casa Velasquez, lui permettant de gagner l’Afrique du Nord où il se met au service de la France libre, qui lui confie l’aménagement urbain de la Tunisie. Finalement, Robert Poughéon valide toutes les demandes d’absence, à l’exception de celle de Claude Hertenberger (1912-2002, Prix de Rome de gravure en taille douce 1942), qui a pris le maquis dans le Lot ; il est le seul à avoir subi une interruption de pension pendant deux mois en janvier-février 1944, mensualités qui lui seront restituées après la guerre71. Mais Poughéon ne supporte pas que les demandes ne lui soient pas présentées dans les délais, que leurs motifs soient flous, que le secrétaire général signe des autorisations à sa place. Or, du fait de son absence de Nice et de la difficulté des communications, les pensionnaires jugent qu’ils ne peuvent attendre le bon vouloir de leur directeur.
- 72 Pierre Pinon et François-Xavier Amprimoz, Les Envois de Rome (1778-1968). Architecture et archéolog (...)
39L’obsession de Robert Poughéon est surtout de faire respecter le régime des « envois » que les pensionnaires doivent adresser tous les ans à Paris. Ceux-ci sont précisément définis selon les disciplines par un Règlement modifié quatre fois entre 1897 et 193372. Or, la situation est ubuesque. Les pensionnaires peintres doivent fournir des copies de tableaux classiques alors que les musées sont fermés et les collections mises à l’abri. Les sculpteurs et les graveurs ont besoin de matériel alors que les fournitures sont étroitement contingentées. Même la fabrication des caisses de bois réglementaires est un problème, sans parler des difficultés de l’expédition. Par ailleurs, les expositions publiques prévues aux Beaux-Arts à Paris sont annulées et on renonce au projet un temps envisagé d’en faire une à Nice. Une seule exposition aura lieu pendant la guerre à Paris, du 27 novembre au 4 décembre 1943.
40Outre ces conflits individuels sur les départs et les retards, un conflit collectif se noue sur l’occupation de la Villa. Avant l’arrivée de Robert Poughéon, les pensionnaires, qui devaient être logés dans une Annexe, avaient investi les chambres du premier étage, où le directeur entendait installer ses appartements. Le 15 février 1943, alors qu’il est à Nice où il a accompagné les pensionnaires de la promotion 1942, Leleu lui adresse à titre de massier un courrier cosigné par Raymond Joly, Claude Béraud (1912-1982, Prix de Rome d’architecture 1942), Maurice Gambier d’Hurigny (1912-2000, Prix de Rome de sculpture 1942), mais aussi Désenclos, Charlet, Arnould et Hertenberger, manifestant leur désir de rester dans la Villa. Poughéon répond de façon ferme, tout en accordant que le déménagement ne pourra avoir lieu que quand les pièces communes seront prêtes dans l’annexe, ce qui ne sera jamais le cas.
41Si les pensionnaires sont remontés contre le Directeur, c’est qu’ils ont le sentiment que celui-ci est indifférent à leurs difficultés. Il s’agit d’abord du montant de leur pension, notoirement insuffisant. Dès le 27 mai 1942, Fournier alertait à la Direction générale des Beaux-Arts :
- 73 AVM.
Je me permets de vous rappeler leur situation pécuniaire, qui est exposée depuis déjà fort longtemps à plusieurs autorités compétentes. Pension mensuelle 2033 francs, frais d’étude annuelle entre 400 francs pour un musicien et 4400 pour un architecte. Or, quand on sait qu’il faut à un pensionnaire célibataire, au minimum 1500 francs par mois pour sa nourriture et son blanchissage ; que certains d’entre eux sont mariés ; que la séance de modèle coûte actuellement 40 francs, que les prix des fournitures indispensables à leurs travaux sont très élevés, on comprend qu’il y a là une situation impossible73.
42Or, il faut attendre la fin de la guerre pour que la pension soit revalorisée. En revanche, Robert Poughéon ne manque jamais de rappeler aux pensionnaires qu’ils doivent consacrer tout leur temps à l’étude, à l’exclusion de toute activité rémunérée. Mais, sur ce point aussi, il ferme les yeux, comme le lui recommande Adolphe Boschot le 25 janvier 1943 :
- 74 AVM.
Si vous estimez à propos de laisser MM. Leleu et Gambier accepter des commandes à cause des difficultés de la vie, l’Académie ne fait pas d’objection, mais veut ignorer cette question. Elle attend que les deux artistes accomplissent scrupuleusement leurs envois réglementaires74.
- 75 Villedieu présente Joly comme un « ancien petit ouvrier mécanicien qui s’est élevé à force de trava (...)
43Le manque d’empathie de Poughéon est ressenti par tous, y compris par le plus respectueux d’entre eux, Raymond Joly75, qui perd, lors du bombardement de la Porte de la Chapelle des 20-21 avril 1944, ses effets personnels et son travail. Le 1er mai, il écrit ironiquement à Villedieu :
- 76 Leleu est également touché par ce bombardement.
Notre directeur a eu un mot gentil pour moi puisque lorsque [André] Chatelain [PdR d’architecture 1943] lui a annoncé le désastre, il lui a dit : « Heureusement que Joly m’a remis ses envois !!! » Et rien, pas un mot de compassion, je n’ai rien reçu de lui, qui m’a affirmé être un second père pour moi76.
- 77 JPL 24 février 1943.
44De son côté, Poughéon se plaint des pensionnaires aux académiciens, comme le note Landowski : « À déjeuner Poughéon. Les éternelles et toujours semblables histoires avec les pensionnaires qui demandent beaucoup et veulent travailler assez peu77 ».
45Une autre affaire a troublé les relations entre Robert Poughéon et ses pensionnaires : le Service du travail obligatoire. Créé comme un substitut de service militaire (ce qu’étaient déjà censés être les Chantiers de jeunesse), il ne concernait en principe que les classes 1942, 1941, 1940, ainsi que la dernière fraction de la classe 1939 (celle d’Arnould), qui n’avait pas eu le temps de porter les armes en 1940. Mais, sous la pression allemande, les autorités françaises « ratissaient » plus large. Dès le mois de mars, Arnould recevait sa convocation, ce qui le conduisit à partir précipitamment à Paris. Dans le courant du mois d’avril, tous les autres pensionnaires, même les mariés, reçurent l’ordre de se faire recenser. Or, Robert Poughéon, comme il l’écrit à Raoul Villedieu le 27 avril 1943, n’entendait pas intervenir en la matière :
- 78 Raymond Poughéon confond le STO et le régime antérieur de la « Relève » : échange de l’expédition d (...)
Pour la question de la Relève, prévenez les pensionnaires que l’Académie ne peut rien dans cette affaire, que moi-même ne puis que souscrire aux mesures prises par le gouvernement français et que les pensionnaires régulièrement absents ou irrégulièrement Nice ne peuvent être couverts par notre administration en cas d’absence. Je ne peux que signaler la régularité de cette absence pour ceux des pensionnaires autorisés régulièrement à séjourner en dehors de Nice78.
- 79 Raoul Villedieu à Louis Hautecœur, 25 octobre 1944 (AVM). Tieschnovitz a remplacé en juin 1942 Wolf (...)
- 80 Il bénéficia d’un sursis étudiant jusqu’en septembre 1943, date à partir de laquelle la pression se (...)
46Villedieu prit alors efficacement la question en charge à l’insu de Poughéon. En accord avec les autorités locales de Nice, il invita les pensionnaires à se faire recenser là où ils se trouvaient mais à indiquer que leur séjour y était temporaire, afin que leur dossier soit renvoyé à Nice, où il serait classé sans suite. Par ailleurs, il intervint auprès de la Commission allemande pour la protection des Beaux-Arts en France qui lui fournit une recommandation signée von Tieschnovitz dont il donna une photographie à chaque pensionnaire79. Le seul à rester inquiété par le STO fut Reynold Arnould, en raison de son âge ; il parvint toutefois à y échapper80.
- 81 Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
- 82 Seul Désenclos témoigne en faveur de Poughéon en le remerciant d’avoir maintenu son statut de pensi (...)
- 83 Déposition de Louis Hautecoeur du 17 janvier 1945. Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 124
- 84 Déposition de Kunzmann du 24 janvier 1945. Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
47Dans son action contre Robert Poughéon en 1945, Raoul Villedieu a notamment dénoncé son inaction sur la question du STO81. Les charges contre Poughéon sont abandonnées le 3 mai. Raphaëlle Renard Foulquier soutient que « sans se concerter du fait de leurs désaccords personnels, Villedieu et Poughéon ont œuvré pour éviter aux Prix de Rome d’aller en Allemagne ». Elle se fonde sur l’absence de témoignages à charge contre Poughéon de la part des pensionnaires82 et sur les plaidoyers pro-domo de celui-ci et de Hautecœur, lesquels affirment que leur volonté de faire fonctionner avec le plus de rigueur possible l’institution visait à protéger les pensionnaires du STO : « Le jour où j’ai inventé des examens pour les sauvegarder du départ en Allemagne, ils sont venus protester. […] Je ne pouvais tout de même pas leur dire que je les protégeais ainsi du STO »83. Ces arguments sont peu convaincants. D’abord, on ne trouve pas de trace des « examens » auxquels fait allusion Louis Hautecœur. D’autre part, si rien ne vient soutenir l’hypothèse que Robert Poughéon aurait été un collaborationniste actif et si l’acrimonie personnelle de Raoul Villedieu à son égard est patente, il apparaît qu’il n’a pas cherché à protéger les pensionnaires du STO et leur a clairement signifié que ce n’était pas de son ressort. Il était respectueux des règles, y compris celles du régime de Vichy et invitait les pensionnaires à les respecter. Il souhaitait restaurer un ordre ancien et exercer une autorité dont il était incapable et, assurément, Villedieu ne lui facilitait pas la tâche. Dans sa déposition à la commission d’instruction, Kunzmann résume la situation en n’épargnant personne : « M. Poughéon était un homme extrêmement autoritaire. C’était un peu nécessaire parce que les pensionnaires avaient pris des habitudes de liberté excessive. M. Villedieu était mégalomane »84.
Triple épilogue
48Cette histoire peut faire l’objet d’un triple épilogue, selon nos trois points de vue.
- 85 Il est nommé en 1946 directeur du musée Jacquemart-André, propriété de l’Institut, fonction qu’il o (...)
- 86 Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., et Pierre-Alexandre Mounier, En terminer avec l’académism (...)
49Pour l’Académie de France, ce fut une parenthèse forcée. En mars-avril 1944, elle est repliée à Fontainebleau. Le 14 septembre, Robert Poughéon est destitué en vertu de l’ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative85. Le 26 novembre, Jacques Ibert retrouve officiellement son poste (il l’occupait de fait depuis un mois). Sa nomination, décidée par Jacques Jaujard et Robert Rey au ministère, semble avoir été imposée à l’Académie, qui n’avait guère moyen de résister. Il réintègre triomphalement la Villa Médicis en mars 1946. Dans les archives de la Villa, classées par nom de directeur, la période Ibert va de 1937 à 1960. Conformément à l’esprit gaullien, Vichy, Poughéon et la Villa « Il Paradiso » n’ont jamais existé. Grâce à la Ville de Nice, l’opération fut financièrement peu coûteuse. En effet, comme le note Raoul Villedieu dans le rapport qu’il fournit à Jacques Ibert sur le coût de l’Occupation, en application de la circulaire du 16 mars 1945, « il n’est pas douteux que la vie normale de l’Académie de France à Rome pendant ces cinq ans aurait entraîné des dépenses beaucoup plus élevées ». Mais ces années difficiles ont mis en lumière les contradictions profondes de cette institution. Le « retour à la normale » de 1946 ne sera qu’une parenthèse qui se conclut par la disparition en 1968 de l’institution tricentenaire du concours de Rome86.
- 87 Pierre-Alexandre Mounier, op. cit., p. 109 et 209.
50Pour les pensionnaires, le bilan est contrasté. Tous ont regretté, soit d’avoir été évincés de Rome (les promotions 1937 et 1938), soit d’en avoir été totalement privés (la promotion 1939), soit de n’y avoir fait qu’un trop court séjour (la promotion 1942). Pour aucun, l’expérience de Nice n’aura été une sinécure. Certains connurent des drames : Madeleine Laventure [Prix de Rome de peinture 1938], écrasée par un camion allemand à Bordeaux en 1940, Henry Bernard [Prix de Rome d’architecture 1938], prisonnier de guerre, Joly et Leleu, victimes des bombardements de Paris, Hertenberger, arrêté en avril 1944 par la Gestapo dans le Lot, Zehrfuss, contraint à l’exil. Mais c’est là le lot commun des Français en ce temps. Dans ce contexte, les « Prix de Rome » ne furent certainement pas les plus à plaindre : ils touchèrent une bourse, si minime qu’elle fût, qu’ils complétèrent par des émoluments divers, ils échappèrent au STO et les uns et les autres poursuivirent des carrières honorables ou brillantes. La génération fut « sacrifiée » sous le registre du séjour à Rome, mais pas au-delà. Arnould, qui avait vécu douloureusement ce séjour, fut nommé en 1961 parmi les « jurés adjoints », non-membres de l’Institut, au concours du prix de peinture, dans le contexte de la politique de rénovation alors souhaitée par André Malraux, dont il était devenu proche. Parmi les dix peintres ainsi sollicités cette année-là pour compenser l’académisme inhérent à l’Institut, il était le seul prix de Rome ; il siégea au jury du concours jusqu’à disparition87.
- 88 Intervention de Jean Médecin au Comité de gestion de la Villa Il Paradiso, 31 mars 1942 (ADAM).
- 89 L’édifice, passablement laissé à l’abandon après le départ du Conservatoire, a abrité ensuite les s (...)
51Finalement, c’est du point de vue de la ville de Nice que le bilan est le plus amer. De nos trois acteurs, c’est celui qui a le plus investi dans le projet de la Villa Il Paradiso. Dès mars 1942, la municipalité, qui anticipait le retour des pensionnaires à Rome, espérait donner à la Villa une mission plus large : accueillir « des littérateurs, des artistes, des musiciens français ou étrangers, désignés par des Académies, des Instituts ou des Écoles supérieures et que ces jeunes gens viennent séjourner pendant une période à déterminer à Nice pour s’y trouver dans un milieu inspirateur, y échanger des idées sur l’art et y produire »88. Après la guerre, l’Institut ne se montra guère reconnaissant à l’égard de la Ville, rejetant tous les projets qu’elle proposait : accueil des « seconds » grands prix de Rome, instauration d’un prix littéraire … La ville y installa finalement en 1946 le conservatoire de musique qui y resta jusqu’en 2006. Nice qui avait réussi à enlever la Villa Médicis à Aix-en-Provence en 1940, assista après-guerre à la promotion académique et culturelle de cette dernière et à l’expansion de son université. Elle dut attendre 1965 pour disposer d’une université de plein exercice. Si Nice et sa région acquirent une notoriété en matière d’art plastique, ce fut grâce à la présence de nombreux artistes non-académiques installés dans la région, puis au succès des « nouveaux-réalistes », et non du fait de ce partenariat éphémère avec l’Académie des Beaux-Arts. Finalement, la vente controversée en février 2021 de ce bâtiment, acquis dans des conditions douteuses en 1943, à la société Kantys, qui dit vouloir y installer un institut de cancérologie, donne à cette histoire un point final peu glorieux pour la ville de Nice89.
Notes
1 Raphaëlle Renard Foultier, L’Académie de France à Rome (1921-1971). Des artistes et une institution garants de la tradition classique face à la modernité, thèse, Paris IV, 2012. De cette thèse, interdite de consultation jusqu’en 2022, un extrait avait été publié : « Une institution itinérante sous l’Occupation : la Villa Médicis à Nice et à Fontainebleau » dans Françoise Taliano-Des Garets (dir.), Villes et culture sous l’Occupation. Expériences françaises et perspectives comparées, Paris, Armand-Colin, 2012. Cette histoire n’est en revanche pas évoquée par Laurence Bertrand Dorléac dans L’Art de la défaite, 1940-1944, Paris, Seuil, 1993, ni par Mireille Pinsseau : Les Peintres en Provence et sur la Côte d’Azur pendant la seconde guerre mondiale, Marseille, La Thune, 2004.
2 Journal.paul-landowski.com, JPL.
3 Gwenaële Rot et François Vatin, Reynold Arnould. Une poétique de l’industrie, Paris, Presses universitaires de Nanterre, 2019.
4 Archives municipales de Nice (AMN), Archives départementales des Alpes maritimes (ADAM).
5 Hélène Serre de Talhouët, « Placé pour être utile ». Georges Huisman à la Direction générale des Beaux-Arts (1934-1940), thèse, Lille III, 2015, p. 338 et sq.
6 De retour en France, il vit dans la clandestinité jusqu’à sa réintégration en 1944.
7 Élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, spécialiste de littérature italienne, fondateur du lycée français de Rome en 1919, chargé de cours à la Faculté de lettres de Grenoble (1921), puis à celle d’Aix-en-Provence (1923). Membre correspondant de l’Institut, il crée à Nice en 1933 le Centre d’études méditerranéen, annexe de l’université d’Aix-en-Provence.
8 Rentré d’Afrique-du-Nord, Jacques Ibert s’installe au Cap d’Antibes après s’être présenté à Louis Hautecoeur à Vichy, mais il refuse de se rendre à Paris de peur de s’y faire arrêter (JPL, 25 octobre 1940).
9 Louis Hautecœur avait d’abord pensé à Aix-en-Provence, mais Maurice Mignon s’est fait auprès de lui l’avocat du maire de Nice, Jean Médecin, Louis Hautecœur, Les Beaux-Arts en France, Passé et avenir, Paris, Picard et Cie, 1948, p. 187.
10 En fait, Pierre Fournier a quitté Rome le 25 octobre 1940 et est rentré en France en passant par Nice et Vichy, où il a reçu son affectation à la Direction des Beaux-Arts à Paris. Quant à la Villa Médicis, mise sous séquestre, elle n’est pas vandalisée. En août 1942, Pierre Fournier est autorisé à s’y rendre pour récupérer les affaires personnelles des pensionnaires et de Jacques Ibert (Archives de la Villa Médicis, AVM).
11 JPL.
12 Ibid.
13 PdR 1901, professeur aux Beaux-Arts, il fait l’objet de la méfiance générale. Landowski, dont il a été l’ami, pense qu’il est à l’origine de sa dénonciation comme juif (voir infra). Le 19 février 1941, Félicien Cacan écrit à Blanche : « Sachez seulement que lorsque Bouchard prend une place dans l’une quelconque de nos réunions, les autres sièges alentour restent vides, comme si l’on redoutait un voisinage compromettant par ses mauvaises fréquentations » (Fonds Blanche, Institut : FBI).
14 Les pensions suspendues en juin sont rétablies amputées de l’indemnité de résidence à Rome et de celle de perte de change et passent de 3650 à 2033 francs par mois. Henri Dutilleux, « massier » (représentant des pensionnaires), émet le 2 décembre 1940 une protestation auprès d’Adolphe Boschot (Pierre Gervasoni, Henri Dutilleux, Paris, Actes Sud, 2016, p. 245).
15 Gouvernement de Vichy, Informations générales, n° 26 du 25 février 1941, p. 39.
16 Rapport à Monsieur l’adjoint Draghi sur la Villa « Il Paradiso » affectée aux Grands Prix de Rome, 30 septembre 1944, AMN AR30.
17 AVM.
18 Comité de gestion de la villa Il Paradiso (Journal officiel, 14 mai 1941), rebaptisé le 29 avril 1942 Société des amis de la Villa Il Paradiso.
19 Cette date est celle de la dernière intervention au conseil municipal de Nice de Jean Médecin, en délicatesse avec les autorités italiennes. Le 25 juillet, sur les conseils de Vichy, il quitte Nice pour se rendre à Avignon, sous occupation allemande ; Jean-Louis Panicacci, Les Alpes-Maritimes dans la guerre 1939-1945, Paris, de Borée, 2013, p. 223-24.
20 La vente est annulée par le Conseil d’État en 1951. L’affaire se conclut en 1962 par une nouvelle vente à la ville. Cf. Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 226.
21 Anould était, depuis 1933, un intime de Blanche, qu’il considérait comme son père de substitution. Voir Gwenaële Rot et François Vatin, op. cit.
22 Le nom de la villa fait l’objet de fréquentes erreurs dans les écrits de l’époque que nous avons maintenues.
23 FBI.
24 AVM
25 Ils seront signés début octobre.
26 Lettre du 4 octobre 1941 de Pierre Fournier au secrétaire d’État à l’Éducation nationale et à la jeunesse, Jérôme Carcopino. « Jeune France », créé le 22 novembre 1940, incarne la face « moderniste » de Vichy ; le mouvement est dissous en mars 1942.
27 AVM.
28 On trouvera une large description de l’inauguration dans Pierre Gervasoni, op. cit., p. 137 et sq.
29 Dominique-Jules Mari, « L’installation, à Nice, de l’Académie de France a donné lieu, samedi à des cérémonies d’une haute portée spirituelle », L’Éclaireur de Nice, 9 novembre 1941.
30 Le Figaro, 7 novembre 1942. Sur cette décoration, François Vatin, « Reynold Arnould et la chapelle de Lavelanet », Le Patrimoine, histoire, culture et création d’Occitanie n° 51, 2018 et « La décoration pétainiste de l’église paroissiale de Lavelanet ou les tribulations d’un jeune “Prix de Rome” en Ardèche dans les années 1940 » Archives ariégeoises, 2023.
31 AVM.
32 FBI.
33 Ibid.
34 Courrier s. d., Archives Maurice Denis, musée de Saint-Germain-en-Laye.
35 Il ne faut pas confondre le STO avec les formes antérieures de réquisition de main d’œuvre pour l’Allemagne ; Raphaël Spina, Histoire du STO, Paris, Perrin, 2017.
36 Courrier à son ami d’enfance Pierre Gresland, le 4 janvier 1943 : cette correspondance nous a été confiée par son fils Olivier à Lyon, en octobre 2018.
37 AVM.
38 La Semaine, 11 décembre 1941, cité par Pierre Gervasoni. Henri Dutilleux quitte la Villa « Il Paradiso » en février 1942. Sa demande d’installation à Paris reçoit une réponse favorable le 18 mai (AVM).
39 Rudy Cantel, « Perdus dans le grand parc d’Il Paradiso trois Prix de Rome tentent vainement de renouer à Nice les traditions de la Villa Médicis, Paris-Soir 10 janvier 1942.
40 AVM.
41 Le 6 juin, les pensionnaires s’en allèrent à la suite de la visite d’un officier allemand.
42 FBI.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Henri Matisse à André Rouveyre, 5 novembre 1941 : Matisse-Rouveyre. Correspondance, Paris, Flammarion, 2001, p. 73.
46 La retranscription envoyée à Pierre Matisse, galeriste à New York, le 13 mars 1942 est reproduite dans Matisse-Rouveyre, p. 651. Matisse reprend des propos tenus à Pierre Courthion à Lyon en avril 1941 (Henri Matisse, Bavardages : les entretiens égarés, Paris, Skira, p. 71).
47 Claude Roy, issu de l’extrême droite maurassienne, s’oriente alors vers à la Résistance, puis à l’adhésion, en 1943, au parti communiste. Cette émission culturelle est diffusée de janvier à juin 1942.
48 Radio-Jeunesse préfigure Jeune France.
49 Henri Matisse à André Rouveyre 14 février 1942, Matisse-Rouveyre, p. 99. On voit à la manœuvre ici le courant vichyssois moderniste qui bascule dans l’opposition au régime. L’émission de Claude Roy est diffusée jusqu’en juin 1942.
50 Matisse-Rouveyre, p. 68 et 99 et p. 651-652, la retranscription envoyée avec la précédente à Pierre Matisse.
51 On avait donc fourni à Arnould le verbatim de Matisse avant sa diffusion.
52 Le Figaro 26 mai 1942 : « Un débat sur le Prix de Rome de peinture ».
53 Ibid.
54 Ibid.
55 André Rouveyre à Henri Matisse, le 28 avril, Matisse-Rouveyre, p. 111.
56 Paul Landowski participa au voyage d’artistes en Allemagne de novembre 1941. Il s’y était senti obligé par sa position institutionnelle. Entendu à la Libération par le comité d’épuration sans qu’aucune charge soit retenue contre lui, il a dit avoir espéré favoriser la libération d’artistes prisonniers de guerre. Son Journal fait apparaître une cause plus intime : il est harcelé durant toute l’Occupation pour des origines juives, qu’il nie, mais a bien des Juifs dans sa parentèle.
57 Camille Mauclair dénonce depuis les années 1920 la peinture moderne dans des articles de plus en plus antisémites ; il se félicite de l’éviction des juifs du monde de l’art par le régime de Vichy. Henri Matisse, qui avait peut-être lu ce compliment venimeux, a déclaré quant à lui en avril 1941 apprécier la peinture de Soutine (Bavardages, op. cit., p. 111).
58 AVM.
59 C’est sur Maillard que s’appuie Poughéon à Nice.
60 Jeu de mots en référence au peintre Léon Zack.
61 Matisse-Marquet, Correspondance 1898-1947, Lausanne, La Bibliothèque des Arts, p. 146. Derain, Vlaminck et Segonzac ont participé au voyage en Allemagne de 1941.
62 Reynold Arnould à Raoul Villedieu 16 mai 1943, AVM.
63 Pierre Fournier part si rapidement que, faute de logement, il laisse sa famille à Nice. Le 8 janvier 1943, Poughéon demande à sa femme de partir sous huit jours pour permettre l’installation des pensionnaires de la promotion 1942.
64 AVM.
65 « J’ai lu votre poème sur Dieu. Il est magnifique et je crois que je me servirais d’un vers pour une de mes médailles : “comme une mère tend sa tendresse charnelle vers l’enfant tout petit qui joue et qui chancelle”. » (Joly à Villedieu, le 8 février 1944, AVM).
66 Jacques Robert, poète et romancier, collabore à la revue Confluences, d’obédience résistante, dirigée à Lyon pas René Tavernier.
67 Voir infra.
68 Cité par Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
69 AVM.
70 AVM. Ce départ n’aura lieu qu’en mars 1944, mais elle est bien discutée alors à l’Académie (JDL, 17 avril 1944). Comme souvent les pétainistes, Robert Poughéon supportait plus mal l’occupation italienne que l’occupation allemande et il voulait se rapprocher de Paris où se trouvaient sa famille et ses affaires.
71 Claude Hertenberger se fait arrêter à Cahors en avril 1944 par la Gestapo. Il est transféré à Toulouse puis à Compiègne. Il annonce à Raoul Villedieu avoir été « remis en libre circulation après l’ultime pied au cul » dans un courrier qui n’est malheureusement pas daté (AVM).
72 Pierre Pinon et François-Xavier Amprimoz, Les Envois de Rome (1778-1968). Architecture et archéologie, École française de Rome, Rome, 1988, p. 281-282.
73 AVM.
74 AVM.
75 Villedieu présente Joly comme un « ancien petit ouvrier mécanicien qui s’est élevé à force de travail et de volonté [et] est d’une sensibilité extrêmement délicate » (lettre à Jacques Ibert du 6 novembre 1944 AVM).
76 Leleu est également touché par ce bombardement.
77 JPL 24 février 1943.
78 Raymond Poughéon confond le STO et le régime antérieur de la « Relève » : échange de l’expédition de main d’œuvre en Allemagne contre un retour de prisonniers de guerre.
79 Raoul Villedieu à Louis Hautecœur, 25 octobre 1944 (AVM). Tieschnovitz a remplacé en juin 1942 Wolf-Metternich à la tête de la cette commission. Raphaëlle Renard-Foultier prétend (op. cit., p. 104), sans citer de sources que cette démarche était à l’initiative de Louis Hautecœur et Robert Poughéon.
80 Il bénéficia d’un sursis étudiant jusqu’en septembre 1943, date à partir de laquelle la pression se fit moins forte (Raphaël Spina, op. cit., p. 144). Par ailleurs, Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale intervient le 10 juillet 1943 auprès de Fernand de Brinon, délégué du Gouvernement français dans les territoires occupés, pour demander « que cet artiste, remarquablement doué et appelé sans doute à un brillant avenir, fut affecté à un poste voisin d’un centre artistique, ce qui lui permettrait de continuer ses études ».
81 Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
82 Seul Désenclos témoigne en faveur de Poughéon en le remerciant d’avoir maintenu son statut de pensionnaire jusqu’à sa nomination comme directeur du conservatoire de Roubaix. Si les pensionnaires n’ont pas suivi Villedieu dans sa vindicte, ils n’ont pas non plus défendu Poughéon.
83 Déposition de Louis Hautecoeur du 17 janvier 1945. Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 124.
84 Déposition de Kunzmann du 24 janvier 1945. Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 122.
85 Il est nommé en 1946 directeur du musée Jacquemart-André, propriété de l’Institut, fonction qu’il occupe jusqu’à son décès en 1955 (Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., p. 124).
86 Voir Raphaëlle Renard-Foultier, op. cit., et Pierre-Alexandre Mounier, En terminer avec l’académisme ? La fin des grands prix de Rome de peinture remis par l’Académie des Beaux-Arts, mémoire de master, université de Paris 1, 2014. Le concours de 1968 put se tenir en dépit de l’occupation des Beaux-Arts, mais ce fut le dernier.
87 Pierre-Alexandre Mounier, op. cit., p. 109 et 209.
88 Intervention de Jean Médecin au Comité de gestion de la Villa Il Paradiso, 31 mars 1942 (ADAM).
89 L’édifice, passablement laissé à l’abandon après le départ du Conservatoire, a abrité ensuite les services scolaires de la ville.
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Référence électronique
Gwenaële Rot et François Vatin, « Il Paradiso : un ersatz de la Villa Médicis (1940-1944). Matériaux pour une histoire », Revue d’histoire culturelle [En ligne], 6 | 2023, mis en ligne le 08 juillet 2023, consulté le 11 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhc/5526 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhc.5526
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