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Les impacts du tunnel sous la Manche sur les réseaux ferroviaires et maritimes touchant la Belgique. Point de vue d’acteur

The impacts of the Channel Tunnel on the rail and maritime networks affecting Belgium. Actor's point of view
Louis Gillieaux
p. 71-107

Résumés

La décision de réaliser le tunnel sous la Manche a été un important aiguillon dans le processus de construction de lignes à grande vitesse en Belgique. La place et le rôle de ce pays dans le futur réseau européen de trains à grande vitesse apparaissaient plus concrètement. Les décisions nécessaires furent prises fin 1987 et prescrivaient la modernisation parallèle du réseau classique national. Mais bien avant ces décisions, les ports d’Ostende et de Zeebrugge avaient déjà entamé d’importantes réorganisations, pour faire face aux profonds changements prévus dans le trafic maritime entre Grande-Bretagne et continent. La période qui a suivi la mise en service du tunnel a cependant montré que la lutte était trop inégale pour Ostende, essentiellement et historiquement tournée vers le trafic de voyageurs. La mise en service de l’Eurostar a entraîné un véritable basculement des flux, et, en quelques années, Ostende perdit tout son trafic ferroviaire international. Zeebrugge misa plutôt sur une réorientation et une diversification de ses trafics, ce qui lui fut favorable.

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Texte intégral

1Le tunnel sous la Manche est une réalisation essentiellement franco-britannique, qui s’inscrit dans la longue histoire des relations multiformes entre les deux pays. En outre, techniquement et géographiquement parlant, c’est à l’évidence un ouvrage qui relie physiquement les deux pays. Mais cette extraordinaire réalisation a eu d’emblée une importance plus vaste : le pays voisin immédiat de la France, la Belgique, a immédiatement été directement concerné, sans perdre de vue non plus la dimension européenne de l’ouvrage, de par les relations ferroviaires et routières qu’il permettait dorénavant.

2L’article présentera l’émergence de la grande vitesse ferroviaire en Belgique, spécialement sous « l’aiguillon » du projet Eurostar, et ses effets sur les relations ferroviaires et maritimes entre la Belgique et la Grande-Bretagne, au fil des ans. Il évoquera ensuite les mutations profondes que les chemins de fer belges connaîtront avec la concrétisation progressive de la grande vitesse ferroviaire, spécialement sous l’angle d’Eurostar, première liaison concernée. L’attention se portera ensuite sur l’impact du tunnel sous la Manche et de cette nouvelle relation entre la Belgique et la Grande-Bretagne sur les relations ferroviaires et maritimes « classiques » entre les deux pays, tant pour le trafic voyageurs que pour celui du fret, après avoir rappelé l’importance historique des relations ferroviaires et maritimes entre la Belgique et la Grande-Bretagne via ses deux ports concernés. Il portera enfin un regard vers l’avenir, en évoquant les projets ferroviaires internationaux liés au tunnel sous la Manche, qui sont en développement ou à l’étude, tout en étant marqués par les incertitudes liées au « Brexit ».

Le tunnel sous la Manche : bouleversements ferroviaires belges en perspective

3La décision de construire le tunnel sous la Manche va se coupler aux projets de liaisons européennes à grande vitesse et leur donner un important coup d’accélérateur. Ce sera entre autres le cas en Belgique, car le pays est proche du tunnel. Comme son calendrier de construction est bref, les avant-projets belges en matière de grande vitesse ferroviaire existants vont être aussitôt mis à l’avant-plan. Des débats publics et politiques longs et houleux déboucheront sur une solution originale. La Belgique se dotera d’un réseau de lignes à grande vitesse, à caractère international ; mais, parallèlement, le réseau « classique » sera modernisé. Cette double décision majeure va modifier en profondeur les chemins de fer belges, qui vont entrer dans une nouvelle ère.

Tunnel sous la Manche et grande vitesse : un double moteur de changement

4Dans le dernier quart du XXe siècle, l’Europe et les compagnies de chemins de fer des pays membres sont à la recherche d’un nouveau souffle pour le trafic ferroviaire des voyageurs, entre autres à moyenne et longue distance. La multiplication des liaisons autoroutières nationales et internationales, de même que la croissance des liaisons aériennes érodent les parts de marché du transport par rail. Dans ce contexte, des projets de lignes rapides sont étudiés dans plusieurs pays européens, compte tenu du succès de la ligne à grande vitesse Tokyo-Osaka, mise en service en 1964.

5La construction d’une première ligne est entamée en Italie dès 1970. Des projets sont aussi étudiés et lancés en France et en Allemagne. En 1981, la partie sud de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon est mise en service. La LGV Atlantique vers Le Mans et Tours suit bientôt. De même que la liaison « Nord-Europe », vers Lille, et son prolongement vers le tunnel sous la Manche.

6Compte tenu de ces réalisations et des projets lancés – dont le tunnel sous la Manche – l’Europe développe alors, à partir des années 1980, un projet de réseau européen à grande vitesse. C’est un des aspects majeurs de la nouvelle Europe des transports. Les chemins de fer doivent à nouveau jouer un rôle important dans l’éventail des modes de transport en Europe, et le tunnel sous la Manche constitue un maillon-clé de cet ensemble (figure 1).

Figure 1. Le réseau européen de liaisons à grande vitesse, proposé par la CEE dans les années 1980

Figure 1. Le réseau européen de liaisons à grande vitesse, proposé par la CEE dans les années 1980

Source : CEE, collection de l’auteur.

Belgique et grande vitesse européenne : une décision difficile et une solution innovante

7Les projets européens de liaisons ferroviaires rapides qui sont présentés à cette époque ne peuvent pas ignorer la Belgique. Certes, la superficie du pays n’est pas très grande, mais celui-ci est situé au carrefour de nombreuses liaisons entre tous ses voisins. De plus, Bruxelles, sa capitale, est en même temps un des sièges majeurs des institutions européennes, dont l’importance s’accroît de jour en jour. Et cette tendance doit encore s’amplifier dans les années à venir, dans la perspective du « marché unique » qui s’ébauche alors. Du point de vue européen, il n’est donc guère envisageable que la Belgique reste en dehors du réseau de lignes à grande vitesse qui s’ébauche. Les réalisations récentes ou en construction dans les pays voisins poussent également dans ce sens. Et les travaux lancés pour le tunnel sous la Manche renforcent la pression, puisqu’ils concrétisent la perspective de la liaison ferroviaire ininterrompue entre Londres et Bruxelles, siège de la Commission européenne et de son parlement.

8Mais ce qui paraît évident pour les dirigeants au niveau de l’Europe ainsi que pour certaines autorités en Belgique et bon nombre de responsables cheminots belges l’est beaucoup moins aux yeux de l’opinion publique dans le pays. Car le projet y fait débat. Ceux qui ne sont pas convaincus avancent que les distances entre grandes agglomérations du pays sont trop courtes pour tirer un bénéfice suffisant, en termes de temps de parcours, de la construction de lignes à grande vitesse dans le pays. On fait aussi état de coûts et de désagréments plus élevés que dans d’autres pays, compte tenu de l’urbanisation plus dense en Belgique, spécialement en Flandre, au nord et à l’est de Bruxelles. De plus, pendant la période où le projet est présenté, une réorganisation fondamentale du réseau et des dessertes est mise en œuvre : le fameux « plan IC/IR » de 1984. Il entraîne nombre de fermetures de petites gares et de lignes secondaires dans tout le pays. L’opération fait beaucoup de mécontents, y compris dans des milieux favorables au transport par rail. Certains revendiquent alors que les efforts financiers qui seront nécessaires pour la grande vitesse soient plutôt consacrés à une amélioration des dessertes et du matériel qui circule sur le réseau national. Enfin, toute la région côtière et ses relais d’opinion s’opposent clairement au projet. Ses responsables ont en effet d’emblée perçu que la ligne à grande vitesse envisagée serait reliée au tunnel sous la Manche, ce qui leur serait défavorable, voire pire encore.

9On comprend que les débats aient été vifs et aient duré plusieurs années. Il faut attendre fin 1987 pour que les idées aient suffisamment évolué et que la situation se débloque pour permettre que deux décisions couplées entre elles soient prises.

10Le gouvernement belge décide alors que l’on construise en Belgique un réseau de lignes à grande vitesse, dit de « frontière à frontière ». C’est-à-dire un réseau s’étirant depuis la frontière française jusqu’aux frontières allemande et néerlandaise, en desservant au passage Bruxelles, Liège et Anvers. En même temps, il décide que les chemins de fer du pays feront l’objet d’un important programme de modernisation, visant tant les lignes que le matériel qui y circulait. En outre, cette décision imposait aux chemins de fer belges de chercher aussi à intégrer de façon optimale le réseau à grande vitesse et le réseau intérieur (figure 2).

Figure 2. Le réseau belge de lignes à grande vitesse, intégré dans le réseau national

Figure 2. Le réseau belge de lignes à grande vitesse, intégré dans le réseau national

Source : université catholique de Louvain, école de géographie.

11Avec un tel ensemble de décisions, les responsables politiques belges s’inscrivaient dans la droite ligne de l’attitude « visionnaire » de leurs prédécesseurs de 1834. Ceux-ci avaient décidé de construire un réseau plutôt que des lignes isolées. À leur tour, leurs successeurs des années 1980 avaient d’emblée prévu un réseau pour la grande vitesse, de même que son articulation au réseau intérieur et la modernisation de celui-ci. Ce faisant, ils évitaient le risque d’un « chemin de fer à deux vitesses ».

Les suites de la décision de la grande vitesse : un nouveau train et d’importants travaux en perspective

12Qui dit « grande vitesse » pense immédiatement : matériel spécialisé, gares nouvelles ou adaptées, lignes dédiées. Dans le cas concret, en première étape, les esprits se tournaient vers la mise en œuvre de la liaison avec la Grande-Bretagne, via la France. En effet, la ligne à grande vitesse entre Paris, Lille et le tunnel sous la Manche était en construction et les travaux de cet ouvrage débutaient eux aussi.

Le premier train à grande vitesse international commun

13Traditionnellement, les compagnies ferroviaires avaient l’habitude de faire construire leur propre matériel. Allait-on dès lors voir trois trains à grande vitesse « nationaux » franchir le tunnel sous la Manche : un français, un anglais et un belge ? Ou allait-on opter pour un matériel commun ? Là également, une évolution ferroviaire fondamentale se produisit. En partie poussée par les nécessités. Dès les études préliminaires du projet, il était apparu évident que seuls les chemins de fer français disposaient de l’expertise requise et des retours d’expérience souhaitables pour la construction d’un matériel à grande vitesse. De plus, les exigences de sécurité liées à la circulation dans le tunnel sous la Manche devaient être respectées de façon identique pour chaque matériel à voyageurs devant y circuler.

14Les trois compagnies ferroviaires concernées – SNCF, SNCB et British Rail – innovèrent donc et mirent sur pied un groupe de travail commun – le TMSTG ou Trans Manche Super Train Group – chargé de définir le concept de base d’un futur train à grande vitesse commun. Le défi était de taille. Outre les spécificités propres aux trains à grande vitesse, le futur « TransManche » devait en plus respecter les exigences de sécurité liées à la circulation dans le tunnel sous la Manche. Ceci nécessitait entre autres l’emploi de matériaux capables de résister particulièrement au feu et ne dégageant pas de fumées toxiques. Et ces contraintes de sécurité avaient aussi conduit à définir une longue rame, équivalant à un double TGV, mais avec deux motrices et sécable en son milieu. Ce futur matériel devait en outre intégrer les particularités propres à chaque pays, comme les différentes alimentations électriques, les spécificités de signalisation, les hauteurs de quais différentes qui impliquaient des dispositifs d’emmarchement rétractables ou non en fonction du pays, etc.

15Au-delà des études de conception de ce train, le groupe de travail mena à bien la rédaction des appels d’offres internationaux et il se chargea ensuite de l’examen des offres remises. Une fois la décision prise, il assura aussi le suivi de la construction des rames sur les différents sites du consortium de constructeurs, conduit par GEC-Alsthom. Tous ces travaux, ainsi que les campagnes de vérification et d’essais furent menés à un rythme soutenu, de telle sorte que les premiers exemplaires de ce qui était devenu l’ « Eurostar » purent être mis à disposition pour l’inauguration officielle du tunnel à Calais et à Douvres, le 6 mai 1994 (figure 3).

Figure 3. L’Eurostar, premier train à grande vitesse international et premier cas d’un nouveau matériel ferroviaire défini concrètement en commun par plusieurs compagnies ferroviaires

Figure 3. L’Eurostar, premier train à grande vitesse international et premier cas d’un nouveau matériel ferroviaire défini concrètement en commun par plusieurs compagnies ferroviaires

Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.

Bruxelles-Midi, une gare métamorphosée

16Compte tenu de la priorité donnée à la construction de la ligne à grande vitesse vers la France et le tunnel sous la Manche, il tombait sous le sens que la gare de Bruxelles-Midi serait la gare d’accueil de la grande vitesse à Bruxelles. Elle était déjà la gare la plus importante pour le trafic international existant en Belgique et elle était aussi la plus proche de la future ligne à grande vitesse qui allait être construite vers la France. Ses installations devaient toutefois être profondément transformées pour recevoir le nouveau trafic prévu et traiter les importants flux de voyageurs attendus, tout en leur offrant un accueil de qualité. Pour les futurs trains vers Londres, on avait déterminé un type de train à grande capacité, comme on l’a vu ci-dessus. Ce qui implique qu’il faudrait faire transiter jusqu’à 850 voyageurs par train environ, depuis l’accueil jusqu’à l’embarquement. De plus, comme la Grande-Bretagne ne fait pas partie de l’ « espace Schengen », tous ces voyageurs allaient devoir subir des contrôles d’identité et de sûreté, et leurs bagages allaient devoir être vérifiés. En outre, les adaptations nécessaires devaient aussi être pensées en fonction des aménagements à prévoir pour les autres futurs trafics à grande vitesse : vers Paris, mais également vers l’Allemagne et les Pays-Bas. Bref, c’était pratiquement toute la gare et ses installations annexes qu’il fallait remodeler.

17Au tournant des années 1990, la partie « ouest » de la gare de 1952 – qui avait été érigée dans le cadre des travaux de la Jonction Nord-Midi – fut rasée, et des installations d’arrivée et de départ des trains à grande vitesse y furent érigées. Au sein de celles-ci, un terminal réservé et sécurisé pour le trafic transmanche y a été construit. Les travaux ont dû être menés à un rythme accéléré pour que les installations soient fonctionnelles pour le début du service, qui allait intervenir en 1994. Le délai était très court, mais le défi a été relevé avec succès. En effet, la délégation belge et les représentants européens qui participèrent à l’inauguration du tunnel sous la Manche le 6 mai 1994, purent utiliser, au départ du terminal, un des tout premiers TGV « Réseau » de la SNCF afin de gagner Lille et y embarquer à bord de l’Eurostar inaugural qui gagnait Calais. Quelques travaux de parachèvement étaient encore nécessaires, mais le terminal était déjà, pour l’essentiel, utilisable dès cette date.

La ligne à grande vitesse vers la frontière française

18Dès que les décisions de principe relatives à l’insertion de la Belgique dans le réseau européen à grande vitesse furent prises, les études de détail furent lancées pour tous les domaines techniques et environnementaux à prendre en considération pour la « LGV 1 » ou « LGV Ouest ».

19La ligne à grande vitesse se développe sur 71 km, entre Lembeek, dans la partie sud de Hal et la frontière française, franchie à Esplechin au sud de Tournai. Elle s’étire en un long ruban presque rectiligne pour traverser tout le Hainaut occidental. Son tracé évite les agglomérations et « colle » autant que possible aux infrastructures routières et ferroviaires existantes. Comme ses homologues françaises, elle est aussi conçue pour des circulations à 300 km/h.

20Techniquement parlant, cette ligne à grande vitesse allait reprendre une grande majorité des paramètres techniques retenus pour la LGV « Nord » française : mêmes normes générales de construction, même alimentation électrique – le 25 kV alternatif – jusqu’au point de jonction avec le réseau classique à proximité de Hal, et même signalisation – la TVM 430 – jusqu’au même endroit. Cette proximité technologique s’expliquait à plusieurs égards : la ligne est en quelque sorte un prolongement naturel de la LGV « Nord » française dont la construction s’achevait. De plus, le temps pressait, puisque les travaux du tunnel sous la Manche progressaient eux aussi à cette époque.

21Et pourtant, le début effectif des travaux prit un retard préoccupant, pour des raisons extra-ferroviaires. Au tournant des années 1980-1990, la Belgique connut une nouvelle phase de régionalisation administrative, qui rendit les régions dorénavant compétentes en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Toute une série d’études de détail durent être adaptées, et des procédures nouvelles durent être suivies pour se conformer aux nouvelles normes régionales. Ce qui prit du temps. En outre, les responsables politiques voulurent être sûrs que la grande vitesse belge ne se limiterait pas à Bruxelles, mais continuerait au-delà, entre autres vers Liège et l’Allemagne. Or on percevait encore des réticences sensibles au-delà de Bruxelles. Dès lors, pour garantir cette continuité, les responsables politiques négocièrent la construction « en avance » d’un important ouvrage d’art à Bierbeek, au sud-est de Louvain, permettant à la future ligne à grande vitesse vers Liège et l’Allemagne de passer sous l’autoroute Bruxelles-Liège. En outre, pour soutenir le projet et convaincre l’opinion en lui faisant davantage connaître l’intérêt de la grande vitesse ferroviaire ainsi que les nouvelles possibilités qu’elle offrait, un important congrès international sur la grande vitesse ferroviaire fut organisé à Bruxelles, fin avril 1992 : « Eurailspeed 92 » ; Il était couplé à une première exposition de plusieurs trains à grande vitesse déjà en service ou prévus dans différents pays européens. La liaison Bruxelles-Londres y était bien entendu largement évoquée. L’exposition attira plus de 100 000 visiteurs en quatre jours.

22Au milieu de l’année 1993, les autorisations régionales furent enfin données presque en parallèle : le permis de la région flamande pour l’ouvrage d’art à Bierbeek et l’autorisation de la région wallonne pour construire la ligne à grande vitesse vers la frontière française. Dès que les décisions furent communiquées, les travaux débutèrent et furent accélérés au maximum (figure 4). Mais comme le tunnel avait été percé en 1992 et que sa mise en service était annoncée pour 1994, les délais de réalisation de la ligne à grande vitesse apparurent immédiatement intenables par rapport à cette échéance. Les retards provoqués par les diverses complications et temporisations évoquées ci-dessus étaient trop importants. Il apparaissait donc d’emblée qu’il faudrait trouver une solution transitoire pour le début du service entre Bruxelles et Londres.

Figure 4. Construction de la « LGV Ouest » : le viaduc d’Antoing, sur l’Escaut

Figure 4. Construction de la « LGV Ouest » : le viaduc d’Antoing, sur l’Escaut

Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.

Une exploitation transitoire de 1994 à 1997

23Le tunnel sous la Manche fut donc inauguré le 6 mai 1994 par la reine Elisabeth II et le président François Mitterrand. Économiquement parlant, il était nécessaire qu’une telle infrastructure soit mise en service commercial le plus vite possible. Et comme les navettes routières allaient commencer dès la même année, il importait donc que les liaisons Eurostar soient elles aussi mises rapidement en service. Or il apparaissait hautement souhaitable que les deux branches du système, Londres-Paris et Londres-Bruxelles, soient lancées au même moment. En effet, Eurostar était commun aux trois pays, il fallait insister sur les capacités transnationales de la grande vitesse ferroviaire et insister sur sa dimension européenne. Symboliquement parlant, le début de la liaison avec Bruxelles, importante capitale européenne, ne pouvait être retardé par rapport à la mise en service de la liaison Londres-Paris.

24Or dès avant le début des travaux de la LGV « Ouest » belge, on savait que celle-ci ne pourrait être prête en 1994. Dès les autorisations données à la mi-1993, on put estimer que la ligne pourrait être mise complètement en service pour la fin 1997. Les responsables ferroviaires concernés par le service Eurostar cherchèrent alors une solution transitoire. Ils prirent alors en compte le fait qu’en Grande-Bretagne, les Eurostar allaient encore circuler pendant bien des années sur les lignes classiques du Kent, entre le tunnel et Londres. Certes, un projet de ligne à grande vitesse entre la capitale britannique et le tunnel existait bien, mais il n’y avait pas encore de calendrier concret de réalisation. Compte tenu de cela, les responsables estimèrent que l’on pouvait comprendre que les Eurostar circulent aussi, de façon très provisoire – trois ans tout au plus – via les lignes classiques entre Bruxelles et Lille, où ils rejoindraient la LGV « Nord » française.

25Ainsi, le service put donc être lancé « en parallèle », sur les deux branches à la même date : le 14 novembre 1994. Sa montée en puissance fut progressive. Initialement, un service « discovery » offrit deux allers et retours par jour. Mais bien vite, dès 1995, le service se densifia et on passa de 2 à 6 relations par jour et par sens, Bruxelles et Londres étant alors reliées en 3h10. La fréquentation augmenta, témoignant du succès de l’offre : dès la première année complète d’exploitation, plus de 670 000 personnes avaient utilisé Eurostar entre Bruxelles et Londres. Elle alla croissant au fil des années et se renforça encore lors de la mise en service complète de la LGV « Ouest », en décembre 1997, Eurostar utilisant évidemment cette infrastructure dès ce moment. Le trajet entre Bruxelles et Londres prenait alors 2h40 et la fréquentation de cette liaison s’accrût de plus de 21 % entre 1997 et 1998, dépassant alors les 1,7 million de voyageurs annuels. Cette croissance se poursuivit au fil des années, comme évoqué plus loin.

Moderniser le réseau intérieur

26Comme indiqué plus avant, la construction du tunnel sous la Manche eut un autre effet indirect important pour les chemins de fer belges. En effet, la décision gouvernementale belge de fin 1987 inscrivant la Belgique dans la grande vitesse européenne, due pour partie à l’engagement franco-britannique de construire le tunnel sous la Manche, fut accompagnée d’une autre décision belge, tout aussi importante : la modernisation du réseau national et des trains qui y circulaient. Celle-ci déboucha rapidement sur la publication d’un ambitieux plan général de modernisation des différentes composantes du système ferroviaire belge : le plan « STAR 21 », pour « Spoorweg Toekomst – Avenir du Rail », 21 se rapportant au XXIe siècle. Ce plan fut décliné en plans pluriannuels successifs d’investissements.

27Son volet « Infrastructures » prévoyait des améliorations sur plusieurs lignes, pour accroître leurs capacités et/ou leurs performances. L’expérience de la construction de la ligne à grande vitesse « percolait » dans les méthodes de modernisation des autres lignes. Les gares étaient aussi visées, tant du côté de leurs équipements ferroviaires que de celui des installations d’accueil des voyageurs. Les systèmes d’exploitation et de signalisation firent eux aussi l’objet de diverses modernisations. Dans ce plan, le projet de RER dans et autour de Bruxelles était aussi abordé et faisait l’objet d’études et de mesures préparatoires.

28Un autre important volet du plan, très perceptible par les voyageurs et très apprécié par ceux-ci, portait sur le renouvellement du matériel roulant : de nouvelles locomotives, plus rapides et plus performantes, mais aussi de nouvelles voitures et automotrices, plus spacieuses, plus lumineuses et offrant davantage de confort et d’information aux voyageurs. On peut souligner que nombre d’innovations introduites avec ces nouveaux matériels résultaient directement des solutions novatrices mises au point pour les trains à grande vitesse. Ce système ferroviaire de pointe profitait donc aussi, indirectement, au trafic national. Et il est permis de dire que, très indirectement, le tunnel sous la Manche ne fut pas étranger à cette dynamique, puisque sa réalisation avait contribué à accélérer et renforcer le processus conduisant aux décisions de modernisation du réseau belge dans son ensemble.

Les effets de l’ouverture du tunnel sous la Manche sur le trafic ferroviaire belge

29Pour éclairer les influences du tunnel sous la Manche sur les relations ferroviaires entre la Belgique et la Grande-Bretagne, il convient de ne pas perdre de vue que les relations entre ces deux pays ont, elles aussi, une très longue histoire, spécialement pour ce qui concerne les chemins de fer.

Ostende : la ville et le port développent leur fonction internationale grâce au chemin de fer.

30Le rôle du transport ferroviaire de et vers la Grande-Bretagne via Ostende se développe fortement dans le dernier quart du XIXe siècle, dans une perspective européenne. Cette période est incontestablement liée à Georges Nagelmaeckers, liégeois de naissance, essentiellement parisien pour son activité ferroviaire mais aussi visionnaire européen. On le sait, son nom est étroitement lié à l’apparition des grands express internationaux, dont le fameux « Orient-Express ». La Compagnie Internationale des Wagons-Lits, qu’il fonda, fut présente dans de nombreux pays, de par ses trains qui les traversaient, mais aussi avec des hôtels et des installations ferroviaires d’entretien du matériel.

31À partir des années 1880, Ostende devint « tête de ligne » de plusieurs grands trains internationaux en correspondance avec des navires permettant de gagner Douvres et, de là, Londres. En réalité, pour la clientèle britannique, Ostende se révélait un « point de départ » ferroviaire continental idéal vers de nombreuses destinations du centre et du sud de l’Europe : l’Allemagne et l’Autriche, la Suisse, l’Italie… Avant la Première Guerre mondiale, l’Orient Express a même possédé une tranche Ostende-Vienne.

32Au fil des décennies et des évolutions sociétales, ce trafic ferroviaire, tant belge qu’à longue distance, s’est maintenu et même développé. Nombre de Belges d’un certain âge se souviennent encore de la « malle Ostende-Douvres ». Ils effectuaient la traversée parmi nombre de voyageurs, tant britanniques que d’autres pays du centre et du sud de l’Europe, arrivés par les trains internationaux. Et à la belle saison, il n’était pas rare de voir arriver à Ostende des trains internationaux spéciaux, venus entre autres d’Allemagne, qui transportaient de nombreux jeunes allant en immersion linguistique en Grande-Bretagne. Ces flux ferroviaires se sont développés dans la seconde moitié du XXe siècle, en liaison avec le développement de la « CEE », dans laquelle la Grande-Bretagne était entrée en 1973. Par contre, le trafic ferroviaire de fret via Ostende diminua progressivement au fur et à mesure du développement du « nouveau » port de Zeebrugge, dont les installations étaient davantage adaptées à ce trafic, comme on le verra ci-dessous.

Zeebrugge : le chemin de fer dynamise la renaissance maritime de Bruges au XXe siècle

33Bruges, la « Venise du Nord » des années 1200 à 1500, avait progressivement perdu en importance, du fait de l’ensablement progressif du Zwin, qui était un chenal naturel la reliant à la mer du Nord. Au tournant des XIXe et XXe siècles, elle put profiter de l’important développement économique du pays et elle obtint de faire creuser un canal direct entre la ville et la mer, et de faire construire un port à son embouchure. Le port de Zeebrugge était né.

34À la suite de la Première Guerre mondiale et en faisant aménager des navires de transport qui avaient servi pendant celle-ci, on développa la technique des « trains ferrys ». Celle-ci consistait à faire effectuer la traversée de la Manche à des groupes de wagons adaptés au gabarit britannique, plus restrictif que le gabarit continental. Une liaison entre Zeebrugge et Harwich fut lancée le 24 avril 1924. Au fil des ans, le trafic se développa (figure 5), tant du fait de la croissance des échanges internationaux que du glissement du trafic de fret ferroviaire d’Ostende vers Zeebrugge.

Figure 5. Affiche illustrant la liaison par ferry-boats entre Ostende et Harwich, dans l’Entre-deux-guerres

Figure 5. Affiche illustrant la liaison par ferry-boats entre Ostende et Harwich, dans l’Entre-deux-guerres

Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.

35Après la Seconde Guerre mondiale, s’ajouta la technique du « roll-on/roll-off », qui permettait de traiter la croissance continue du trafic des camions entre le continent et la Grande-Bretagne. Zeebrugge se distinguait en desservant plusieurs destinations sur la côte est de la Grande-Bretagne, dont Harwich, Hull et même Edimbourg.

36On évoque surtout ici le trafic de fret, ferroviaire et routier. Et pour cause : il n’y a pas eu de véritable trafic transmanche de voyageurs utilisant le train à Zeebrugge. Certes, il y eut aussi un assez important trafic de passagers via ce port, mais il concernait essentiellement les voitures et les autocars de tourisme. En effet, Zeebrugge possède une gare pour les voyageurs, mais son rôle est essentiellement local. Les voyageurs arrivés par train et continuant par bateau ou vice-versa constituaient donc plutôt l’exception.

Les effets du tunnel sur les liaisons maritimes et ferroviaires entre la Belgique et la Grande-Bretagne et le devenir des deux ports concernés. De profonds bouleversements

Ostende. D’importants efforts d’adaptation mais un contexte par trop inégal

S’adapter au tunnel sous la Manche dès avant sa construction

37Historiquement parlant, Ostende a été le point de connexion maritime principal vers la Grande-Bretagne, pour la Belgique et même pour les pays d’Europe centrale. Certes, une autre relation ferroviaire directe avait existé entre Bruxelles et Londres. Il s’agissait de la tranche belge du « Night Ferry », l’autre tranche circulant entre Paris-Nord et Londres-Victoria. Ce train était composé de voitures-lits adaptées au gabarit anglais. Il franchissait le détroit entre Douvres et Dunkerque. On ignore souvent que ce seul véritable train international anglais avant Eurostar comportait aussi une tranche « belge » (en général, une voiture), qui gagnait Bruxelles via Lille et Tournai en étant attelée à des trains existants. Ce service « belge » a fonctionné de 1957 à 1980. Mais dans l’ensemble, cette relation était restée marginale par rapport à l’important flux ferroviaire de voyageurs qui transitait via Ostende et qui augmentait régulièrement, au fur et à mesure de la croissance économique et d’événements tels que l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE.

38Dans les années 1970 et 1980, d’aucuns, dans la région côtière, croyaient que cet important trafic ferroviaire qui existait depuis plus de 100 ans allait encore continuer pendant des décennies. Le tunnel sous la Manche, dont on parlait de plus en plus, serait une alternative, mais le transit par Ostende garderait une part de son attrait. Mais la majorité des responsables régionaux était nettement moins optimiste et estimait qu’il fallait s’adapter car le marché allait être profondément transformé. Ils observaient aussi l’attitude des autres ports actifs dans les liaisons entre les deux rives de la Manche, de même que celle des compagnies maritimes concurrentes qui opéraient sur le détroit. Et les choses bougeaient, car dès avant la décision de construire le tunnel sous la Manche, les différents acteurs prenaient déjà des mesures pour s’adapter à la future nouvelle donne et conserver des parts de marché substantielles.

39Toute une série de nouvelles orientations furent prises au niveau des ports et des compagnies, tantôt en concertation et tantôt en concurrence. Ces dernières décidèrent d’augmenter la capacité de leurs ferrys : on vit ainsi apparaître les ferrys Jumbos, surdimensionnés, qui accueillaient beaucoup plus de passagers à chaque rotation. Les compagnies accrurent aussi leur productivité, entre autres en s’efforçant de faire effectuer davantage de rotations à leurs navires, pour comprimer les coûts d’exploitation. Elles cherchèrent aussi à offrir des tarifs attractifs par rapport au futur tunnel. De leur côté, les ports adaptèrent leurs installations et leur organisation pour accueillir les nouveaux navires à grande capacité et gagner du temps sur le déroulement des opérations de contrôle, d’embarquement et débarquement.

40En outre, à Ostende, on trouva une autre façon d’accélérer les liaisons vers Douvres, la durée de la traversée étant le principal handicap de cette liaison par rapport aux ports français. La Régie des Transports Maritimes (RTM) introduisit de nouveaux engins – les hydroptères ou jetfoils – qui effectuaient la traversée (on parlait de « vols ») en 1 heures 40 au lieu des 3 heures environ nécessaires pour les ferrys. Ces engins n’embarquaient toutefois que des passagers et leurs bagages (figure 6).

Figure 6. Un hydroptère (ou jetfoil), assurant la liaison Ostende-Douvres en 1h40

Figure 6. Un hydroptère (ou jetfoil), assurant la liaison Ostende-Douvres en 1h40

Source : © Herman Van Esbroeck

  • 1 Charlier J. (1985). « L’évolution récente des relations maritimes régulières entre Ostende et le Ro (...)

41En collaboration étroite avec la RTM et les ports d’Ostende et de Douvres, les chemins de fer belges et britanniques cherchèrent aussi à optimiser les correspondances entre trains et bateaux ou hydroptères, pour atteindre des temps de parcours globaux très compétitifs. Ainsi, comme l’a montré une étude du professeur J. Charlier1, les acteurs concernés parvinrent, dès 1984, à organiser une liaison accélérée Cologne-Bruxelles-Ostende-Douvres-Londres en 7 heures 20, temps de transfert et contrôles de police et de douane compris. La performance était loin d’être anodine. Car si l’on compare avec les temps de parcours actuels, le trajet ferroviaire Cologne-Bruxelles-Londres demande de l’ordre de 4 heures 10 / 4 heures 20.

42Mais, il faut garder à l’esprit qu’aujourd’hui, les trains parcourent la plus grande partie du trajet à des vitesses se situant entre 200, 250 et surtout 300 km/h. Or, en 1984, ce n’était absolument pas le cas : les vitesses pratiquées variaient entre 120 et 140 km/h, rarement 160 km/h en fonction des sections de lignes dans les pays traversés. La durée « réduite » atteinte à l’époque était donc tout à fait remarquable et mérite d’être saluée.

Des efforts vains : le tunnel sous la Manche, les transformations des ports et Eurostar ont finalement eu raison du trafic ferroviaire international et maritime à Ostende

43Malgré les efforts des compagnies desservant Ostende et du port lui-même, le trafic Ostende-Douvres allait être pris en tenailles et progressivement étouffé par Eurostar, par des réorganisations des flux ferroviaires internationaux et par les services offerts par Eurotunnel – devenu Getlink en 2017 – de même que par les ports de Calais et Zeebrugge.

44Dès sa mise en service et au fur et à mesure de l’ouverture des lignes à grande vitesse, en Belgique puis en Grande-Bretagne, Eurostar avait affirmé toujours plus ses avantages par rapport aux traversées maritimes : un temps de parcours bien plus court et pas de changement en cours de route. La clientèle choisit bien vite de se tourner toujours plus vers Eurostar. En effet, du fait de l’ouverture complète de la ligne à grande vitesse entre Hal et la frontière française et l’abaissement du temps de parcours entre Bruxelles et Londres à 2 heures 10, la fréquentation de cette liaison s’accrût de plus de 21 % entre 1997 et 1998, dépassant alors les 1,7 million de voyageurs annuels. Cette croissance se poursuivit au fil des années, la fréquentation atteignant 2,6 millions de voyageurs en 2009. Par la suite, cette donnée fut communiquée globalement par Eurostar, devenue une entreprise à part entière en 2010. Il est cependant permis de supposer que la croissance de fréquentation de la liaison Bruxelles-Londres s’est inscrite dans la même ligne que celle de la croissance globale, continue ou presque jusqu’aux derniers résultats publiés.

45En outre, au tournant des années 2000, une importante évolution toucha le concept des relations ferroviaires transnationales en Europe. La Commission européenne édicta de nouvelles normes pour celles-ci. Elles prescrivaient entre autres que ces relations visent à atteindre un bilan financier équilibré. Compte tenu en outre de la croissance de la grande vitesse dans plusieurs pays, bon nombre de compagnies ferroviaires revirent leur schéma de relations internationales, réduisant sensiblement leur nombre. Sous l’impact conjugué de ces différents éléments, le trafic des trains internationaux de et vers Ostende se réduisit progressivement et cessa complètement en 2002 (figure 7). Seul demeure depuis lors un trafic national assez important, justifié par la vocation touristique de la ville et des localités côtières voisines, bien desservies par le tram de la côte. Cette gare est toujours une destination nationale très prisée, surtout à la belle saison. Ce qui explique que plusieurs lignes nationales y convergent, parmi lesquelles le grand axe structurant est-ouest belge, qui court d’Eupen à Ostende via Liège, Louvain, Bruxelles, Gand et Bruges.

Figure 7. Train international au départ d’Ostende dans les années 1980

Figure 7. Train international au départ d’Ostende dans les années 1980

Source : Bart van’t Grune, Collection asbl PFT-TSP.

46Par ailleurs, dès avant la mise en service du tunnel sous la Manche, le trafic des voitures et des camions embarqués au port d’Ostende avait déjà souffert des efforts d’amélioration de compétitivité entrepris par les compagnies desservant Calais et par le port lui-même, ainsi que par celui de Zeebrugge, qui développait son activité fret avec, en particulier, le transit des camions et le traitement des conteneurs. L’ouverture du tunnel en 1994 avait ensuite, elle aussi, fait sentir ses effets. De 2,6 millions de voyageurs au milieu des années 1980, on était progressivement descendu sous le million de passagers au tournant des années 2000.

47De plus, l’autoroute Calais-Dunkerque-frontière belge-Furnes fut achevée et ouverte en 1997. Un itinéraire autoroutier complet permettait dorénavant de gagner rapidement Calais depuis la Belgique. Le port d’Ostende perdait là son avantage d’être directement branché au terminus d’une autoroute. Le trafic des voitures et des camions s’éroda alors de plus en plus au fil des ans. D’autant plus que le port de Zeebrugge offrait une alternative dans plusieurs cas. Les effets de la crise économique de 2008 précipitèrent les choses. Le nombre de passagers était devenu presque insignifiant. Quant au trafic « roll on/roll off » historiquement très orienté vers Douvres et qui avait atteint près de 3 millions de tonnes au milieu des années 1980, il s’était lui aussi contracté de plus en plus au fil des ans. En 2013, le dernier armateur transmanche basé à Ostende cessa ses activités.

48Le port est essentiellement devenu un port de pêche traitant aussi du « general cargo », dont des matériaux de construction. Un nouveau marché fit cependant son apparition : celui des navires de croisière, Ostende et sa réputation historique étant une escale pour ces compagnies. Mais les relations d’Ostende avec la Grande-Bretagne, qui avaient caractérisé la vie du port et de la ville pendant près de 150 ans, appartiennent désormais à l’histoire.

Zeebrugge : des efforts d’adaptation, mais surtout une réorientation

49Dans la perspective du tunnel sous la Manche, les autorités portuaires de Zeebrugge décidèrent d’agir dans une double direction. D’une part, comme les autres ports et les compagnies actives sur la traversée de la Manche, elles s’inscrivirent dans les intenses efforts d’amélioration de la productivité et de contraction des coûts d’exploitation. Mais, d’autre part, le port explora de nouvelles orientations, spécialement pour le fret.

50La vie rythmée par la recherche des gains de temps fut malheureusement endeuillée par la catastrophe du Herald of Free Enterprise le 6 mars 1987, peu après que le navire eut quitté le port. Celui-ci avait été affecté à une rotation spéciale entre Douvres et Zeebrugge ce jour-là et il avait dû s’intercaler entre des circulations prévues. En retard sur son horaire et pour ne pas retarder les autres circulations, il avait quitté le port avec les portes avant et arrière encore ouvertes, ce qui lui fit « embarquer » un volume substantiel d’eau de mer. Déstabilisé, le navire chavira en 2 minutes à 1 500 mètres à peine du port. Il se « coucha » sur un banc de sable et ne coula pas complètement, mais il y eut quand même 193 morts sur les 459 personnes à bord. Outre les drames personnels et familiaux qu’elle entraîna, cette catastrophe amena les compagnies et les ports à revoir leurs procédures. Elle marqua aussi de façon négative le trafic des voyageurs transitant par Zeebrugge.

51En outre, les liaisons vers Douvres furent bien entendu affectées par la mise en service du tunnel et l’adaptation des services au port de Calais. Elles furent interrompues en 2002. Quant aux liaisons préexistantes vers le Nord de l’Angleterre (Hull, Newcastle) et vers l’Écosse (Grangemouth, Rosyth), elles furent maintenues pendant quelques années, en combinaison avec le trafic de fret. On nota cependant une érosion du trafic, due à la concurrence des vols aériens low cost et aux effets de la crise économique. En passagers, le trafic évolua de 1,7 million en 1990 à 0,65 million en 2000, puis connut une fréquentation en dents de scie dans les années suivantes. En 2013, il se situait à 0,8 million de passagers. Actuellement, on ne dénombre plus qu’une seule relation saisonnière régulière, avec Hull, sur la côte Est de l’Angleterre. Par contre, Zeebrugge est aussi une escale pour certaines croisières, compte tenu de l’attractivité touristique de Bruges.

52En ce qui concerne le fret, le port de Zeebrugge a délibérément opté pour de nouvelles orientations en visant une diversification grâce à de nouvelles installations. Un avant-port fut construit de même qu’un important arrière-port. Le site disposait en effet de terrains disponibles, et 1 300 hectares purent être affectés aux nouvelles installations, qui comprenaient 300 hectares de darses nouvelles. Celles-ci étaient rendues accessibles par une nouvelle écluse permettant le passage de navires de 125 000 tonnes. On put ainsi étendre substantiellement les zones de traitement des cargaisons et attirer de nouvelles activités (figure 8).

Figure 8. Vue aérienne des installations agrandies du port de Zeebrugge

Figure 8. Vue aérienne des installations agrandies du port de Zeebrugge

Source : Port de Zeebrugge.

53Ces différents efforts de diversification entrepris dès avant la mise en service du tunnel sous la Manche ont porté leurs fruits et ont, dans l’ensemble, globalement compensé l’influence de ce dernier sur le trafic de Zeebrugge. Ainsi, le trafic « ro-ro » s’est progressivement accru jusqu’à 12 millions de tonnes en 1990 et même 14 millions en 1994. Depuis lors, il fluctue autour des 13 millions de tonnes, avec un creux de 10 millions en 2008, du fait de la crise économique observée cette année-là. Du fait de la politique de diversification menée, ce trafic représente maintenant environ un tiers du trafic total du port, les autres activités concernant principalement les automobiles neuves, le traitement de conteneurs, le terminal gazier.

54En 2011, le trafic total du port s’élevait à 47 millions de tonnes, avant une légère décroissance : 43 millions de tonnes étaient traitées en 2014. Dans cet ensemble, le trafic ferroviaire se caractérise surtout par l’acheminement des conteneurs, qui s’est sensiblement développé. Il représente aujourd’hui près de 40 % des activités du port. Il y a cependant d’autres trafics. Ainsi, par exemple, à partir de 2002, une entreprise suédoise de production de papier distribue ses produits en Europe centrale et occidentale par chemin de fer au départ de Zeebrugge. Parmi les autres activités, on notera aussi le trafic des automobiles neuves, Zeebrugge intervenant dans l’import-export de voitures. Tout récemment, un trafic d’automobiles neuves, acheminées par train, s’est mis en place entre la Chine et Zeebrugge. Actuellement, la part du trafic ferroviaire représente près de 10 % de l’ensemble de l’activité du port. Mais le gestionnaire du réseau ferré belge, Infrabel, réalise d’importants investissements qui doivent permettre d’accroître substantiellement ce pourcentage.

55Dans l’ensemble, la construction et la mise en service du tunnel sous la Manche ont donc conduit à redessiner le trafic du port de Zeebrugge. Le trafic traditionnel des personnes par voitures a sensiblement diminué. Par contre, pour le fret, y compris le fret ferroviaire, on note une importante reconversion qui a plutôt réussi.

Fret ferroviaire belge et trafic transmanche

56À l’ouverture du tunnel sous la Manche, le trafic fut organisé à l’initiative commune des British Railways et de la SNCF. Ces deux compagnies avaient d’emblée organisé une collaboration avec le secteur fret de la SNCB. Elles mirent en place une offre « volontariste » de circulations visant à relier les grandes zones industrielles de la Grande-Bretagne aux centres homologues sur le continent. Le trafic ferroviaire de fret à travers le tunnel se mit assez rapidement à croître, pour atteindre 3 millions de tonnes en 1997. Ces flux étaient très largement dominés par le trafic intermodal, qui représentait près de 80 % du total, les trains complets (trafic d’automobiles, par exemple) et les wagons isolés constituant les 20 % restants. Pour les relations avec la Belgique, la filiale fret des British Railways, Rail Freight Distribution, et la filiale homologue des chemins de fer belges, IFB (InterFerry Boats) avaient créé une structure commune appelée Unilog. Cette société avait vu le jour dans le contexte de la gestion bilatérale du trafic de fret ferroviaire transmanche qui, du côté belge, transitait essentiellement par le port de Zeebrugge, avant que celui-ci ne change fondamentalement d’orientation, comme on l’a vu ci-dessus.

57Du côté belge, dès 1994, une première liaison fut organisée entre Muizen, un hub situé à proximité immédiate de Malines, entre Bruxelles et Anvers, et Willesden près de Londres. Sa destination finale était Daventry dans les Midlands. Une correspondance vers Glasgow était prévue. Et comme la SNCB possédait dès cette époque des locomotives bi-courant équipées pour circuler aussi dans le Nord de la France, on vit progressivement apparaître des convois reliant plusieurs origines belges à Calais-Frethun via Lille. Ainsi, en 1998, un trafic de papier fut organisé entre Langerbrugge (Gand) et Barking, dans le Sud-Est de l’Angleterre. Il y eut aussi un trafic de wagons isolés entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne : depuis Gremberg, près de Cologne, et Wembley, via la Belgique. De 1994 à 2004, en moyenne, jusqu’à 26 trains par semaine transitaient entre la Belgique et la Grande-Bretagne par le tunnel.

58Le trafic ferroviaire de fret à travers le tunnel s’est ensuite sensiblement contracté, sous l’effet conjugué de plusieurs causes. La privatisation générale des British Railways a provoqué une répartition du trafic de fret entre plusieurs acteurs, ce qui a finalement eu une influence négative sur le trafic de et vers le tunnel, principalement en ce qui concerne le trafic combiné. S’est ajoutée la délicate problématique de l’immigration clandestine, qui a handicapé et même paralysé à plusieurs reprises le trafic de fret ferroviaire via le tunnel au tournant des années 2000.

59En parallèle, on a observé les mutations profondes du tissu économique ouest-européen. Ce mouvement de fond général a entraîné un peu partout en Europe une forte diminution des trafics lourds et/ou très volumineux au profit de charges unitaires plus légères. Se superposait à cela le développement de la conteneurisation entraînant la forte contraction du trafic des wagons isolés. Par ailleurs, si l’on pouvait observer une croissance générale du trafic de fret, tous modes de transport confondus, du fait de la mise en place du « grand marché » européen et l’augmentation du nombre de membres de l’Union européenne, force était cependant de constater qu’elle était surtout accaparée par le transport routier. Les entreprises ferroviaires existantes en bénéficiaient par contre beaucoup moins, du fait de leurs structures et de leurs modes de fonctionnement, qui s’adaptaient beaucoup moins rapidement. Ce phénomène a toutefois été davantage marqué dans certains pays par rapport à d’autres.

60Le trafic de fret ferroviaire dans le tunnel a dès lors fortement souffert de tous ces aléas, enregistrant d’importants replis durant la seconde partie des années 2000. En 2007 toutefois, les deux terminaux jumeaux de Calais-Frethun et de Dollands Moor ont été ouverts à tous les opérateurs, ce qui a permis une relance du trafic. Celle-ci fut toutefois retardée et ralentie par les impacts de la crise économique générale apparue à partir de 2008.

61Pour ce qui concerne les relations ferroviaires fret de et vers la Belgique, le secteur en charge du fret de la SNCB a continué au fil des ans à organiser des circulations vers et depuis le tunnel sous la Manche. Les réorganisations ferroviaires britanniques ont toutefois fortement pesé sur le trafic intermodal ferroviaire avec la Belgique, qui a fortement chuté au milieu des années 2000.

62Par contre, la libéralisation du secteur a toutefois permis l’apparition de nouveaux trafics, davantage internationaux : trafics intermodaux, chargements d’acier, etc. La remontée du trafic a aussi été due à une politique très incitative mise en place par Eurotunnel à partir de 2013. Le programme « ETICA » (Euro Tunnel Incentives for Capacity Additions), applicable à tous les itinéraires, a offert des conditions très attractives pour tous les opérateurs de trafic fret convergeant vers le tunnel. On a alors observé une remontée du trafic, y compris de et vers la Belgique. Toutefois, la crise migratoire de ces dernières années et ses manifestations particulièrement marquées à Calais ont conduit plusieurs opérateurs à modifier leurs routes commerciales. Eurotunnel, devenu Getlink fin 2017, n’a pas négligé ses efforts mais a dû faire face à de sérieuses difficultés, qui ont contracté le trafic de fret ferroviaire. Les liaisons ferroviaires fret de et vers la Belgique, assurées par différents opérateurs apparus sur ce marché, s’en sont ressenties au même titre que les autres. Nombre de celles-ci transitent par le hub de Muizen pour gagner ensuite Lille via Courtrai et se diriger ensuite vers Calais-Frethun.

63Parallèlement, le secteur fret de la SNCB est devenu une entreprise privée : LINEAS. Celle-ci s’est fortement réorientée vers le marché européen et elle développe de façon continue un réseau international de liaisons rapides : le « Green Express Network ». Elle assure, seule ou en partenariat, des circulations avec des locomotives interopérables dans plusieurs pays européens où elle opère en open access. Plusieurs de ces circulations ont pour origine ou destination le tunnel sous la Manche.

Regards vers l’avenir pour la Belgique ferroviaire et portuaire, par rapport au tunnel sous la Manche et dans la perspective du Brexit

64Parler de l’avenir des relations transmanche est un défi pour des membres d’une association qui a plutôt l’histoire pour objet. Ce l’est d’autant plus lorsque cet avenir se situe dans une perspective « post-Brexit », où les inconnues sont encore très nombreuses. Il apparaît cependant possible d’esquisser quelques pistes concernant les trafics de voyageurs et de fret en liaison avec le trafic Transmanche et la Belgique, sur la base des orientations qui peuvent déjà être observées.

Eurostar e320 et relations prolongées vers d’autres pays : les Pays-Bas et peut-être l’Allemagne

65Compte tenu du contexte précité, on peut avancer que les perspectives apparaissent positives à court et à moyen terme pour le trafic ferroviaire de passagers entre la Grande-Bretagne et la Belgique et au-delà via le tunnel sous la Manche.

66Tout d’abord, depuis l’été 2017, Eurostar a introduit sur la relation Bruxelles-Londres les 17 nouvelles rames à grande vitesse » e320 » qu’elle a commencé à recevoir à partir de 2015. Celles-ci intègrent bien entendu les technologies les plus récentes et sont davantage capacitaires (près de 900 places) tout en offrant davantage de confort. En effet, ces nouvelles rames bénéficient du gabarit standard européen pour la grande vitesse puisque, depuis 2007, les Eurostar circulent en Grande-Bretagne exclusivement sur des lignes à grande vitesse construites selon les normes internationales.

67Mais une autre innovation, particulièrement importante est apparue tout récemment, depuis le 4 avril 2018 : Eurostar a débuté le prolongement de sa desserte Londres-Bruxelles jusqu’à Amsterdam (figure 9). La compagnie se positionne ainsi face à l’important trafic aérien existant entre Londres et Schiphol. Depuis la même date, Eurostar a réduit la durée du trajet Londres-Bruxelles à 1h48. Dans un premier temps, la desserte est assurée deux fois par jour. Le trajet Londres-Amsterdam s’effectue déjà sans changement. Par contre, dans l’autre sens, jusqu’en 2019, les voyageurs utilisent les services Thalys jusqu’à Bruxelles-Midi, où les contrôles de passeports et de sûreté des personnes et des bagages sont réalisés. Ils prennent alors place dans une rame vers Londres. Pour 2019, les accords nécessaires entre les États néerlandais et britannique devraient être finalisés pour que les contrôles d’embarquement puissent aussi être effectués à Amsterdam et à Rotterdam. Le service pourra alors monter en puissance.

Figure 9. Un Eurostar e320 va traverser Noorderkempen et franchira la frontière néerlandaise quelques kilomètres plus loin

Figure 9. Un Eurostar e320 va traverser Noorderkempen et franchira la frontière néerlandaise quelques kilomètres plus loin

Source : auteur, avril 2018.

68Un tout autre projet a également été étudié : celui d’une liaison Londres-Bruxelles-Cologne-Francfort. La Deutsche Bahn a piloté les études et les démarches déjà entreprises. Dans ce contexte, une rame ICE a été exposée à Londres en octobre 2010, ce qui n’a pas manqué de susciter la curiosité. Aucune date n’a cependant été avancée pour sa concrétisation. Il est vrai que la décision du « Brexit » et la lenteur comme la complexité des négociations de sortie ne facilitent pas le processus de prise de décision. En l’occurrence, l’expression « wait and see » est assurément de mise !

La Belgique et le trafic ferroviaire de fret transmanche

69Outre le Brexit et ses implications, qui jouent tout autant voire davantage encore dans le secteur du fret, nombre d’autres facteurs contribuent à limiter très fort les informations disponibles. Du fait de la libéralisation intervenue depuis plusieurs années déjà dans le fret ferroviaire, plus d’une dizaine d’opérateurs sillonnent le réseau belge, en concurrence les uns avec les autres. De ce fait, ils ne dévoilent guère leurs stratégies.

70Du côté belge, deux possibilités se dégagent pour le fret ferroviaire transmanche : Zeebrugge, d’une part, l’itinéraire vers le tunnel sous la Manche, d’autre part. Pour prendre le cas de l’ancien opérateur historique belge, devenu Lineas, on notera que Zeebrugge constitue une de ses bases opérationnelles pour la mise en œuvre de ses différents trafics. Lineas y est très présent dans le secteur du trafic des conteneurs, que le port a particulièrement développé (figure 10). L’entreprise est aussi active dans le trafic des automobiles neuves. Elle intervient également dans la liaison récemment mise en service entre la Chine et Zeebrugge, pour y alimenter une plate-forme de diffusion européenne de voitures construites en Chine. Au-delà, Lineas assure plusieurs dizaines de départs hebdomadaires de trains vers diverses destinations européennes, comme l’Italie par exemple. L’entreprise étudie aussi la possibilité d’ajouter une branche britannique à son réseau « Green Express », ce qui la conduirait à utiliser davantage l’itinéraire vers le tunnel, via Lille. L’étude est en cours.

Figure 10. Lineas, très présente dans les installations portuaires et ferroviaires de Zeebrugge

Figure 10. Lineas, très présente dans les installations portuaires et ferroviaires de Zeebrugge

Source : Lineas.

71De son côté, Eurotunnel, devenue Getlink, et sa filiale Europorte, spécialisée dans le fret ferroviaire, redéploient cette dernière activité. Celle-ci a en effet beaucoup souffert de plusieurs contraintes extérieures évoquées plus haut. Actuellement, Getlink et Europorte se positionnent entre autres par rapport à plusieurs flux qui se développent entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la Pologne et l’Europe centrale d’une manière générale. Il y a là en effet tout un potentiel à exploiter, dont l’importance réelle sera fonction du niveau des échanges économiques résultant des futures relations entre la Grande-Bretagne et ses voisins continentaux, liées aux conditions et effets du Brexit. Là aussi, il n’y a actuellement guère de visibilité…

Le tunnel sous la Manche et Eurostar auront contribué à une modernisation en profondeur des chemins de fer belges

72D’une manière synthétique, on peut avancer que, en 20 ans et un peu plus, le tunnel sous la Manche aura eu de profondes implications pour les relations ferroviaires et maritimes entre la Belgique et la Grande-Bretagne. Pour le secteur des voyageurs, on a observé un basculement complet des relations vers un nouvel itinéraire, dont l’utilisation est appelée à se développer, comme en témoigne la prolongation récente de la desserte Eurostar jusqu’à Amsterdam. Cette évolution a eu des conséquences fondamentales pour Ostende. Pendant près de 120 ans, le trafic international y fut très important, en offrant de nombreuses connexions entre la Grande-Bretagne et plusieurs pays d’Europe, du nord au centre et au sud-est. Avec l’apparition d’Eurostar qui circule via le tunnel sous la Manche, cette page s’est donc définitivement tournée et le trafic ferroviaire à Ostende y est dorénavant uniquement national, tout en restant important. Le trafic de passagers (essentiellement par autocars et voitures) a aussi très sensiblement diminué à Zeebrugge. Nonobstant la perspective du Brexit, l’armateur assurant la liaison avec Hull a procédé à d’importants investissements de rénovation de ses navires, entre autres dans leurs surfaces commerciales. Il se dit que ces réaménagements seraient liés à la possibilité du retour des… Tax free shops, que le Brexit permettrait !

73Pour ce qui concerne le fret, l’annonce de la construction du tunnel puis sa mise en service ont provoqué une transformation importante du port de Zeebrugge, qui a diversifié son activité et ses itinéraires maritimes. Le fret ferroviaire – spécialement le trafic des conteneurs et celui des automobiles neuves – a pu en profiter puisqu’il est en croissance. Le trafic de fret transmanche a cessé à Ostende. Assez curieusement toutefois, aux dernières nouvelles, un armateur de trafic de fret maritime négocie avec les ports concernés la réouverture de la liaison entre Ostende et Ramsgate. Quant au trafic de fret ferroviaire de et vers la Belgique via le tunnel, il a connu des hauts et des bas, dus aux importantes évolutions du « paysage » ferroviaire dans le fret et à plusieurs causes extérieures, économiques et humaines.

74D’une façon générale, du fait de la mise en service du tunnel sous la Manche, le rôle de hub de la Belgique et de Bruxelles, capitale de l’Europe, ont été renforcés. Pour ce qui concerne le futur, les perspectives peuvent apparaitre favorables pour le trafic ferroviaire transmanche. Le port de Zeebrugge a quant à lui choisi la voie de la diversification. Ses relations avec la Grande-Bretagne continuent cependant à constituer une part importante de son activité : près de 45 % selon la Banque nationale de Belgique. Les conséquences du Brexit pourraient donc y être sensibles.

75L’avenir dira comment et jusqu’à quel point les incertitudes liées à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne et aux modalités ainsi qu’au calendrier de son processus même influenceront l’évolution de ces perspectives…

76Sur le long terme, au vu des relations humaines et économiques qui se sont tissées depuis des siècles entre la Grande-Bretagne et les pays situés de l’autre côté de la Manche, on peut néanmoins espérer et même croire que l’on ne devra pas reprendre la formule de certains météorologues anglais, lorsqu’ils constataient un très important fog sur la Manche : « le continent est isolé ! »

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Annexe

Eurostar : www.eurostar.com • Eurotunnel : www.eurotunnelgroup.com
Port d’Anvers : www.portofantwerp.com • Port de Gand : www.portofghent.be
Port d’Ostende : www.portofoostende.be • Port de Zeebrugge : www.portofzeebrugge.be
SNCB : www.belgianrail.be • Vlaamse Havencommissie (Commission portuaire flamande) : www.vlaamsehavencommissie.be • Routes : www.wegen-routes.be

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Notes

1 Charlier J. (1985). « L’évolution récente des relations maritimes régulières entre Ostende et le Royaume-Uni », Revue belge de géographie, n° 109, p. 116-18.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Le réseau européen de liaisons à grande vitesse, proposé par la CEE dans les années 1980
Crédits Source : CEE, collection de l’auteur.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-1.png
Fichier image/png, 245k
Titre Figure 2. Le réseau belge de lignes à grande vitesse, intégré dans le réseau national
Crédits Source : université catholique de Louvain, école de géographie.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-2.png
Fichier image/png, 84k
Titre Figure 3. L’Eurostar, premier train à grande vitesse international et premier cas d’un nouveau matériel ferroviaire défini concrètement en commun par plusieurs compagnies ferroviaires
Crédits Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 298k
Titre Figure 4. Construction de la « LGV Ouest » : le viaduc d’Antoing, sur l’Escaut
Crédits Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 546k
Titre Figure 5. Affiche illustrant la liaison par ferry-boats entre Ostende et Harwich, dans l’Entre-deux-guerres
Crédits Source: © Collection SNCB, Train World Heritage.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Figure 6. Un hydroptère (ou jetfoil), assurant la liaison Ostende-Douvres en 1h40
Crédits Source : © Herman Van Esbroeck
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 420k
Titre Figure 7. Train international au départ d’Ostende dans les années 1980
Crédits Source : Bart van’t Grune, Collection asbl PFT-TSP.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 277k
Titre Figure 8. Vue aérienne des installations agrandies du port de Zeebrugge
Crédits Source : Port de Zeebrugge.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 225k
Titre Figure 9. Un Eurostar e320 va traverser Noorderkempen et franchira la frontière néerlandaise quelques kilomètres plus loin
Crédits Source : auteur, avril 2018.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 663k
Titre Figure 10. Lineas, très présente dans les installations portuaires et ferroviaires de Zeebrugge
Crédits Source : Lineas.
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2458/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 431k
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Pour citer cet article

Référence papier

Louis Gillieaux, « Les impacts du tunnel sous la Manche sur les réseaux ferroviaires et maritimes touchant la Belgique. Point de vue d’acteur »Revue d’histoire des chemins de fer, 52 | 2019, 71-107.

Référence électronique

Louis Gillieaux, « Les impacts du tunnel sous la Manche sur les réseaux ferroviaires et maritimes touchant la Belgique. Point de vue d’acteur »Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 52 | 2019, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 19 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/2458 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.2458

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Auteur

Louis Gillieaux

Ancien responsable presse et relations publiques et ancien responsable patrimoine historique, SNCB. Chercheur en mobilités et histoire ferroviaire
gillieauxlouis[at]yahoo.fr

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