Navigation – Plan du site

AccueilNuméros54RubriquesPortraits de cheminotsSouvenirs des années de guerre et...

Rubriques
Portraits de cheminots

Souvenirs des années de guerre et d’occupation d’Hélène Lévêque, née Cheval (1913-2017)

Cécile Hochard
p. 151-155

Texte intégral

1Lors de la campagne de recueil d’archives orales menée par Rails & histoire pour conserver la mémoire des cheminots ayant vécu et travaillé pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous avions eu le bonheur d’enregistrer, en décembre 2012, le témoignage d’une dame déjà très âgée, Hélène Lévêque. Dans la petite chambre de sa maison de retraite rémoise, elle nous avait raconté, pendant près d’une heure et demie, sa vie et sa carrière à la SNCF, où elle fut, pendant une trentaine d’années, garde-barrière. En avril 2015, âgée de près de 102 ans, elle avait insisté auprès de sa fille pour venir assister à l’inauguration de l’exposition « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 » dans laquelle des extraits de son entretien et une photographie qu’elle nous avait confiée figuraient en bonne place.

Illustration 1. Hélène Lévêque et sa fille lors de l’inauguration de l’exposition « Voix cheminotes » le 8 avril 2015

Illustration 1. Hélène Lévêque et sa fille lors de l’inauguration de l’exposition « Voix cheminotes » le 8 avril 2015

Cliché : ©Rails & histoire

2Hélène Cheval est née le 5 juillet 1913 à Beaumont-sur-Vesle dans la Marne. Elle quitte l’école à 14 ans sans avoir été présentée au niveau certificat d’études. Elle épouse, en 1935, Robert Lévêque, né quant à lui le 28 août 1912 ; le couple aura deux filles : Thérèse et Marie-Dominique. De 1933 à 1936, Hélène Lévêque travaille pour les champagnes Roussin, qu’elle quitte après la naissance de sa première fille. Son mari entre aux chemins de fer de l’Est en 1937 comme cantonnier poseur, au service de la Voie et des Bâtiments. Il est syndiqué à la CGT ; Hélène et lui s’étaient réjoui du Front populaire. Le chef de Robert l’informe qu’une des garde-barrières du canton, à Nuisement-sur-Coole (Marne), sur la ligne de Châlons-en-Champagne à Troyes, va prochainement partir à la retraite et propose le poste à son épouse. C’est ainsi qu’Hélène Lévêque entre à la SNCF le 13 mars 1938, où elle sera commissionnée le 21 mars 1939.

Illustration 2. Commissionnement d’Hélène Lévêque

Illustration 2. Commissionnement d’Hélène Lévêque

Source : archives privées famille Lévêque

3Au déclenchement de la guerre, Robert Lévêque est mobilisé en tant que brancardier au service sanitaire ; son épouse n’a aucune nouvelle de lui pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’après avoir été fait prisonnier qu’il parvient à la prévenir qu’il est retenu au camp de Royallieu. Hélène Lévêque parvient à se rendre à Compiègne pour tenter de le faire libérer ; en vain. Il sera envoyé en Allemagne, au Stalag X-A, près de Hambourg, où il travaillera dans une ferme. Pendant toutes ces années de captivité, Hélène Levêque reçoit environ une lettre par mois, tandis que la SNCF donne des colis qu’elle envoie au Stalag. Robert Lévêque ne rentrera d’Allemagne que le 31 mai 1945.

4Après l’attaque des troupes allemandes et un bombardement, en juin 1940, Hélène Levêque et sa fille prennent le chemin de l’exode et tentent de se diriger vers l’Aveyron, plus précisément la ville de Najac, où la famille Cheval avait des amis avec lesquels elle entretenait une correspondance depuis la guerre de 1914-1918. Elles parviennent à se rendre à Troyes, où la désorganisation la plus totale règne. Mais, grâce à l’aide d’un cheminot, elles voyagent jusqu’en Aveyron dans des conditions relativement confortables même si le trajet prend cinq à six jours. Un mois plus tard, un ordre de mission de la SNCF lui enjoint de reprendre son poste au passage à niveau de Nuisement. Les conditions de vie y sont sommaires : la maison est composée de deux pièces, avec une arrière-cuisine, il faut aller chercher l’eau au puit, avec une manivelle, les toilettes dans le jardin, l’éclairage avec une lampe à pétrole. Un poulailler permet d’élever quatre poules et autant de lapins.

Illustration 3 : La maison à Nuisement-sur-Coole

Illustration 3 : La maison à Nuisement-sur-Coole

Source : archives privées famille Lévêque

5Le passage à niveau est « barrières fermées » roulantes (sur rails), c’est-à-dire qu’Hélène Lévêque ne les ouvre qu’à la demande, principalement celle des cultivateurs qui passent sur la route pour se rendre à leurs champs. Elle travaille alors six jours sur sept, un remplaçant assure le service pendant son jour de congé.

Illustration 4 : La barrière de Nuisement-sur-Coole

Illustration 4 : La barrière de Nuisement-sur-Coole

Source : archives privées famille Lévêque

6Au début de l’occupation, de nombreux trains de prisonniers empruntent la ligne pour être acheminés vers le camp de Mailly. C’est à cette occasion qu’Hélène ramasse des petits billets jetés par les fenêtres. Elle les dépose à la mairie qui s’est ensuite chargée de les faire parvenir aux familles. Le trafic sur la ligne consiste, par ailleurs, en un train de voyageurs le matin, un autre le soir ainsi que des convois de marchandises.

Illustration 5 : Le jardin à Nuisement

Illustration 5 : Le jardin à Nuisement

Source : archives privées famille Lévêque

7En 1942, Hélène obtient la garde d’un passage à niveau à Reims, le PN 13, qu’elle occupera jusqu’à sa fermeture, en 1962. La maison est plus confortable qu’à Nuisement : une cuisine, une salle à manger, deux chambres, une buanderie et un petit grenier et surtout l’électricité et l’eau courante. Située avenue d’Épernay, c’était la dernière barrière avant d’entrer en gare de Reims. Le travail est plus compliqué qu’à Nuisement : il s’agissait d’abord de fermer les barrières pivotantes, puis faire les enclenchements et enfin, fermer le carré, avec une amplitude horaire de 6 heures du matin (pour les trains ouvriers) à 21 heures.

Illustration 6 : Hélène Lévêque et sa fille aînée à Reims, vers 1943

Illustration 6 : Hélène Lévêque et sa fille aînée à Reims, vers 1943

Source : archives privées famille Lévêque

8À son arrivée, la ligne était encore à voie unique ; ce sont les Allemands, pendant l’occupation, qui ont construit la seconde voie. Hélène Lévêque s’entend bien avec les autres cheminots, en particulier les cantonniers qui travaillent sur la voie dont elle réchauffe la gamelle, le midi.

Illustration 7 : Hélène Lévêque sur les voies devant le PN 13

Illustration 7 : Hélène Lévêque sur les voies devant le PN 13

Source : archives privées famille Lévêque

9Pendant l’occupation, la vie n’a pas été trop difficile sur le plan matériel. À Nuisement, les fermes environnantes permettent de se ravitailler en lait, en œufs. Le jardinage dans le potager autour de la maison fournit des légumes À Reims, la cuisinière était alimentée par le charbon jeté par les mécaniciens et chauffeurs. Hélène Lévêque avait un poste de radio, lisait tous les jours le journal et avait accroché une carte géographique sur laquelle, à la fin de l’occupation, elle positionnait des épingles pour suivre l’avancée des troupes alliées. Un jour, elle ouvre sa barrière à un petit groupe de résistants. La SNCF avait creusé une tranchée, dans le jardin, où se réfugier en cas de bombardement.

10L’entrée des Américains à Reims, le 30 août 1944, reste un souvenir marquant, les soldats ayant donné des oranges et du chocolat à sa fille. Quelques mois plus tard, un matin, des coups retentissent à la fenêtre de sa chambre : Hélène voit son mari, de retour de captivité. Elle met quelques instants à le reconnaître ; très amaigri, il a perdu une grande partie de ses cheveux. Robert retrouve son métier de cantonnier poseur, dans le secteur de Rilly-la-Montagne, au sud de Reims. Membre d’une association d’anciens combattants, il vend tous les ans les bleuets pour les victimes de guerre et participe aux cérémonies commémoratives. Il est resté adhérent CGT toute sa carrière et a participé aux différents mouvements de grève jusqu’à sa retraite. Hélène Lévêque soutenait les actions mais n’arrêtait pas le travail, à l’image des autres garde-barrières. Dans les années 1950, mécontente de n’avoir pas été promue, elle se rend à Paris, à la direction de la région de l’Est de la SNCF, et obtient satisfaction. Elle devient alors garde barrière de 3e classe.

Illustration 8 : Robert Lévêque devant l’entrée de la maison à Reims

Illustration 8 : Robert Lévêque devant l’entrée de la maison à Reims

Source : archives privées famille Lévêque

11Après la guerre, le métier n’évolue pas, les tâches restent les mêmes. La ligne sera électrifiée en 1962, quelques mois avant la suppression du passage à niveau. Après cette date, Hélène Lévêque est affectée en gare de Reims, à un poste de femme de ménage. Elle y termine sa carrière et part à la retraite le 4 juillet 1968. La famille devra alors quitter la maison.

12Hélène Lévêque est décédée le 2 mai 2017.

13Les archives orales de Rails & histoire peuvent être consultées, sur rendez-vous, à notre centre de documentation. bibliotheque@ahicf.com

Haut de page

Table des illustrations

Titre Illustration 1. Hélène Lévêque et sa fille lors de l’inauguration de l’exposition « Voix cheminotes » le 8 avril 2015
Crédits Cliché : ©Rails & histoire
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 280k
Titre Illustration 2. Commissionnement d’Hélène Lévêque
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 223k
Titre Illustration 3 : La maison à Nuisement-sur-Coole
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 16k
Titre Illustration 4 : La barrière de Nuisement-sur-Coole
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 13k
Titre Illustration 5 : Le jardin à Nuisement
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 14k
Titre Illustration 6 : Hélène Lévêque et sa fille aînée à Reims, vers 1943
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 13k
Titre Illustration 7 : Hélène Lévêque sur les voies devant le PN 13
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 37k
Titre Illustration 8 : Robert Lévêque devant l’entrée de la maison à Reims
Crédits Source : archives privées famille Lévêque
URL http://journals.openedition.org/rhcf/docannexe/image/2800/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 57k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Hochard, « Souvenirs des années de guerre et d’occupation d’Hélène Lévêque, née Cheval (1913-2017) »Revue d’histoire des chemins de fer, 54 | 2020, 151-155.

Référence électronique

Cécile Hochard, « Souvenirs des années de guerre et d’occupation d’Hélène Lévêque, née Cheval (1913-2017) »Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 54 | 2020, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/2800 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.2800

Haut de page

Auteur

Cécile Hochard

Responsable scientifique, Rails & histoire. cecile.hochard[at]ahicf.com

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search