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Dossier

Entre action charitable et bénéfice matériel : la politique de l’enfance « inadaptée » au Cameroun sous administration française (1928-1960)

Between charitable action and material benefit: the “unsuitable” childhood policy in Cameroon under French administration (1928-1960)
Alvine Henriette Assembe Ndi
p. 47-66

Résumés

L’intérêt que suscitait l’« enfance malheureuse » ou « déficiente » au Cameroun sous administration française se justifiait en fonction des logiques des acteurs de cette protection qui mettaient en avant le bien-être d’une catégorie marginalisée et défavorisée. L’administration française, à la suite des missions religieuses, s’était penchée sur cette question afin de créer des cadres de prise en charge des enfants des administrés du Cameroun. Alors que les missions religieuses se proposaient d’encadrer les enfants contre un bénéfice certain et au nom de la charité, l’administration française fut contrainte de penser un encadrement juridique (normatif et institutionnel) et un accompagnement afin d’assurer à ces êtres marginalisés une autre chance de reconnaissance et de rééducation. La philosophie de la protection des enfants en difficulté au Cameroun est également abordée dans cette contribution.

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Texte intégral

  • 1 Stoler Ann Laura, La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, Pa (...)
  • 2 Saada Emmanuelle, « Entre “assimilation” et “décivilisation” : l’imitation et le projet colonial r (...)
  • 3 Archives de la Société des Nations (ASDN), Journal officiel, Résolution du Conseil du 23 avril 192 (...)
  • 4 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1945, Mayenne, Éditions Cujas, 1971, p. 250.
  • 5 Capul Maurice et Pineau Jacques, « Introduction », dans Capul Maurice (dir.), L’invention de l’enf (...)
  • 6 Archives nationales de Yaoundé (ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 11283/D. Protec (...)
  • 7 Espagne Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, p. 6.
  • 8 Dans cette catégorie, seuls les enfants métis délaissés par leurs géniteurs blancs sont identifiés (...)

1La protection de l’enfance fut l’un des nombreux instruments du maintien de l’ordre colonial. En effet, l’éducation des enfants des colonies constituait l’un des enjeux de cette politique1. Dans cette démarche, les institutions de régulation sociale étaient mises en avant et se combinaient. Dans une logique de transfert des usages, un enfant assimilé était un être transformé à l’image du colonisateur qu’il devait imiter2. Il était un parfait auxiliaire et relais de l’idéologie coloniale. L’intérêt que suscitait l’enfant se justifiait en fonction des logiques des acteurs de cette protection (administration, particuliers et missions religieuses) qui mettaient en avant l’idée qu’ils se faisaient de son bien-être. L’administration française, à la suite des missions religieuses, s’était penchée sur cette question afin de créer des cadres de prise en charge des enfants « inadaptés » des administrés3 du Cameroun. L’expression « enfance inadaptée » désignait en France les enfants exclus de la norme. Jusqu’en 1900, ils étaient répartis en cinq catégories : l’enfant retardé, l’enfant malade et handicapé, l’enfant délinquant, l’enfant assisté, l’enfant anormal et aliéné4. Pour Maurice Capul, cette expression désignait des enfants abandonnés, trouvés, orphelins, handicapés, vagabonds, mendiants, voleurs, correctionnaires, de mauvaise vie, bohémiens, etc. Cette marginalité était cataloguée dans l’enfance malheureuse, déficiente, anormale, coupable, délinquante et irrégulière5. La protection infantile fut administrée dans cette perspective. Parler d’« enfance malheureuse et déficiente6 », cible de la protection mise sur pied par l’administration française impose une relativisation sémantique7. Dans ce texte, cette expression renvoie aux enfants abandonnés8, métis, déficients, malheureux, délinquants, vagabonds, placés dans des internats ou orphelinats, pauvres et aux nourrissons des administrés qui avaient besoin de soins élémentaires.

  • 9 Espagne Michel, Les transferts culturels franco-allemands…, op. cit., p. 20.
  • 10 Schmitt Jean, « L’histoire des marginaux », dans Le Goff Jacques (dir.), La Nouvelle Histoire, Bru (...)
  • 11 Capul Maurice et Pineau Jacques, « Introduction »…, op. cit., p. 21.

2Dans l’esprit de l’administration française en quête d’une réinterprétation sémantique nouvelle9 au Cameroun, la terminologie « enfance déficiente » désignait cette catégorie d’enfants aux prises avec le droit pénal ou qui faisaient preuve d’un comportement perçu comme anormal dans un sens négatif. Il ne s’agissait pas d’enfants qui nécessitaient un suivi médical car il n’avait pas été décelé de pathologie conduisant à une déficience. C’est dans les dossiers relatifs à l’enfance déficiente que sont classés ceux de l’enfance délinquante. L’enfance malheureuse, quant à elle, désignait les enfants de parents pauvres qui ne bénéficiaient pas d’un accompagnement et d’encadrement adéquats selon les autorités coloniales, du fait de leurs conditions de vie. C’était le cas, par exemple, des enfants de mères dites « indigènes » nécessitant des soins dans le but de lutter contre la mortalité infantile précoce. Les enfants métis, placés dans des structures spécifiques ou vivant au sein des familles africaines étaient également considérés comme une composante de l’enfance malheureuse. Il faut relever qu’en 1933, au moment où le commissaire de la France au Cameroun, Auguste Bonnecarrère, catégorisait les enfants des Camerounais nécessitant une attention particulière, la politique de protection de l’enfance était en plein balbutiement. Toutefois, cette catégorisation n’était pas très loin de l’esprit de ce qui se faisait dans l’hexagone. Alors que les missions religieuses se proposaient d’encadrer les enfants en difficulté, l’administration française de son côté, mit sur pied un encadrement juridique et institutionnel afin de leur assurer une autre chance de reconnaissance, de (re)socialisation et de bien-être. Il s’agit ici de s’interroger sur la philosophie de la protection des enfants en difficulté au Cameroun sous administration française. Cette contribution aborde la question de l’exclusion et de la réintégration de l’enfance inadaptée dans la société10. Soulevant des enjeux d’assistance, d’éducation, de justice et de médecine11, cette catégorie, d’abord négligée par l’administration, fut par la suite placée au centre de la protection de l’enfance. À la lumière des documents conservés aux Archives nationales de Yaoundé, de ceux du ministère des Affaires sociales et des Spiritains, cette réflexion se propose de questionner les logiques qui sous-tendaient les jeux des acteurs mais aussi d’explorer les différents cadres créés tant par les services de l’État français que par les missions religieuses.

Causes, enjeux et philosophie de l’encadrement de l’enfance malheureuse et déficiente

  • 12 Mbandji Mbéna Étienne, Les droits fondamentaux de l’enfant en droit camerounais, doctorat en droit (...)
  • 13 Rossignol Christian, « Quelques éléments pour l’histoire du “Conseil technique de l’enfance défici (...)
  • 14 Lehalle Henri et Mellier Daniel, Psychologie du développement, Paris, Dunod, 2002, p. 10.

3Les instruments de protection de l’enfance créés et adoptés par la Société des Nations (SDN) en 1919 et 1924 furent étendus au Cameroun12, territoire sous mandat administré par la France et la Grande-Bretagne de 1922 à 1945. La prise en charge de l’enfance malheureuse et déficiente constituait un enjeu important pour l’administration française et les missions religieuses au Cameroun qui se livraient à « un jeu complexe de rivalités, d’alliances et d’oppositions, mais le plus souvent jalouses de leurs prérogatives et de leur autonomie13 ». Cette volonté de sortir l’enfant en difficulté de la périphérie pour le centre s’expliquait par deux facteurs principaux : la prise de conscience des pouvoirs publics et des mécènes de la « particularité enfantine14 » et le développement d’un discours sur la réinsertion des enfants délinquants.

Prise de conscience en faveur de l’enfance malheureuse et déficiente

  • 15 Le Cour Grandmaison Olivier, L’Empire des hygiénistes. Faire vivre aux colonies, Domont, Fayard, 2 (...)
  • 16 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Orphelins indigènes 1927-1930.
  • 17 Tiquet Romain, « Maintien de l’ordre colonial et administration du quotidien en Afrique », [en lig (...)
  • 18 ASDN, 6 A 14 388, Statut des femmes dans les territoires sous-mandat, correspondances et lois dive (...)
  • 19 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Orphelins indigènes 1927-1930.

4L’« arme sanitaire15 », plus subtile que la mitrailleuse, était très efficace pour la pacification, la domination et l’exploitation des colonisés. Dès la fin des années 1920, la question de l’enfance malheureuse se posa surtout à Yaoundé et à Douala qui étaient les principales agglomérations16. Bien que conduite au départ sur fond d’hésitations et d’improvisations tant par ses représentations et ses discours que dans son fonctionnement quotidien17, la politique sociale de l’enfance dans les territoires sous mandat de la France en Afrique fut contrainte de tenir compte des observations de la Commission permanente des mandats de la SDN. Cette dernière l’encourageait en effet à prendre en compte les femmes et les enfants dans sa politique de développement18. En outre, les inégalités sociales et la rupture des liens familiaux du fait de l’exode rural constituaient des éléments pouvant favoriser le développement de la criminalité parmi la jeunesse dans ces deux principaux centres urbains. À côté de la jeunesse délinquante qu’il fallait, selon l’administration française, punir et exclure de la société afin d’éviter tout effet de contagion tout en lui procurant une éducation susceptible de lui garantir une resocialisation, le sort des orphelins préoccupait les décideurs19.

  • 20 Archives des Religieuses à Nogent-sur-Marne (ARNM), Diaire des religieuses spiritaines de Douala.
  • 21 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Lettre du chef de service de santé du Cameroun, le médec (...)
  • 22 Ibid.
  • 23 ARNM, Diaire des religieuses spiritaines de Douala.
  • 24 ANY, APA12065/M, Lettre du chef de service de santé…, op. cit., p. 1.

5Cette catégorie d’enfants suscita l’empathie, mais surtout l’intérêt des missions qui voyaient, en leur situation, une occasion de recruter une main-d’œuvre tout en assurant l’évangélisation. Dès les années 1920, la congrégation catholique des Spiritains créa des orphelinats20. Il s’agissait, en réalité, de foyers administrés comme des internats. Pour l’Église catholique, alliée importante de l’administration française au Cameroun, recueillir et offrir un cadre de bien-être aux enfants des administrés en situation difficile était un investissement prometteur et bénéfique : outre la charité, cette pratique lui permettait d’accomplir sa mission civilisatrice, de diffuser la doctrine religieuse et aussi d’avoir une main-d’œuvre gratuite. L’administration française ne s’opposa pas à cette charité intéressée organisée par ses ressortissants. Les missionnaires américains n’eurent pas cette chance. Au-delà de l’enjeu confessionnel et utilitaire21, la Mission presbytérienne américaine (MPA) voyait dans la prise en charge des orphelins, les mêmes intérêts. En 1929, le secrétaire général de la MPA, le pasteur Johnston, proposa ainsi d’accueillir les orphelins. Dans une missive adressée à l’administration mandataire, il demandait de faire établir des accords que les pères des enfants orphelins de mère devaient signer22. Ces pères se seraient engagés à verser à la MPA de l’argent pendant la durée de séjour de leurs enfants dans les crèches américaines. En outre, la MPA et les congrégations catholiques arrangeaient les mariages des jeunes filles qu’elles recueillaient en s’assurant de recevoir la dot23. Saisi par sa hiérarchie, le Dr Mul, chef du service de santé, s’opposa à cette charité déguisée qu’il qualifia d’inacceptable et immorale24. Pour lui, l’administration devait conserver son droit de contrôle sur les crèches des missions, ne serait-ce que pour sauvegarder les intérêts des enfants et défendre ceux des parents qui n’étaient pas toujours conscients des obligations qu’ils contractaient. Tout en encourageant sa hiérarchie à protéger et sauver les petits orphelins dans un territoire sous mandat international tel que le Cameroun, le Dr Mul relevait l’enjeu politique que cachait la doléance de la MPA en ces termes :

  • 25 Ibid., p. 4-5.

« Il est parfaitement exact et logique que le Gouvernement du Territoire ne doit pas laisser à l’entreprise privée exclusivement, la solution d’une question démographique de cette importance […]. Enfin, nous ne pouvons abandonner à une Mission étrangère l’exploitation pratique d’un devoir social, d’où elle retire à la fois le bénéfice moral qui s’attache à toute entreprise charitable et le bénéfice matériel qu’elle sait se réserver en marge de charité25. »

  • 26 Joseph Richard, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC, Paris, Kart (...)
  • 27 ANY, APA12065/M. Lettre-circulaire de la direction du service de santé du 20 janvier 1930.
  • 28 Lettre du chef de circonscription de Yaoundé du 9 avril 1929 au commissaire de la République, p. 4

6En réalité, l’administration française supportait mal l’influence de la MPA sur les populations autochtones26. Pour Théodore Paul Marchand, commissaire de la République française au Cameroun, « il y aurait lieu de ne pas la laisser s’occuper seule de la solution de ces importantes questions auxquelles l’administration du territoire porte aussi le plus vif intérêt27 ». En d’autres termes, l’administration française, tout en encourageant l’action caritative des missions, n’entendait pas laisser entièrement la résolution du problème des orphelins à l’initiative privée28. À travers l’exemple de l’assistance aux orphelins, il se dégageait une politisation du débat sur la protection de l’enfance en difficulté. L’action de la MPA avait contraint la France à se saisir de cette question capitale. C’est ce qui ressort de la correspondance que le commissaire Marchand adressa au pasteur Johnston :

« L’importance de ce problème des orphelins indigènes m’avait d’autant moins échappé que sa solution est d’intérêt primordial et qu’il appartient avant tout à la puissance mandataire et comme l’une de ses obligations essentielles, d’assurer le sauvetage de la première enfance et de lutter ainsi par tous les moyens efficaces contre la mortalité infantile. […] L’œuvre entreprise doit demeurer d’ordre essentiellement moral et charitable et ne peut chercher, par la suite, aucun avantage matériel dans l’accomplissement d’un devoir de solidarité humaine ne devant qu’honorer hautement tous ceux qui s’y consacrent et qui s’y dévouent.
En vue de résoudre dans les meilleures conditions possibles le problème de la sauvegarde de la première enfance indigène, l’administration locale envisage la prochaine ouverture des crèches où seront admis gratuitement les nourrissons orphelins de mère présentés par leur père, ou orphelins de père et de mère présentés par leur famille. »

  • 29 Lettre-circulaire de la direction du service de santé du 20 janvier 1930, op. cit.

7C’est ainsi que l’administration mit à l’étude, dès 1930, un plan d’ensemble afin de créer des pouponnières et des orphelinats indigènes, dans chacune des principales circonscriptions administratives29. Si la question de la protection des orphelins avait révélé les appétits malsains et inavoués des parties prenantes, celle des mineurs délinquants ne provoquait pas autant de fébrilité.

Le développement d’un discours sur la réinsertion des enfants délinquants

  • 30 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée : comprendre l’histoire des réclusion (...)
  • 31 Journal officiel des territoires occupés de l’ancien Cameroun, arrêté du 13 octobre 1918 organisan (...)
  • 32 Journal officiel du Cameroun, arrêté du 17 septembre 1929.
  • 33 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1944…, op. cit., p. 254-256.
  • 34 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun sous-administration française, 1916-1960, doctorat, unive (...)

8« Soucieuse d’une orthopédie implacable de la déviance30 », l’administration française fit de la prison un outil capital dans la répression et le contrôle des administrés. Le discours sur la réinsertion des délinquants était l’un des véhicules sociologiques des transferts culturels initiés par la France au Cameroun. Ayant constaté que l’arrêté du 15 octobre 1918 qui organisait la prison de Douala ne distinguait pas les mineurs31, le commissaire Marchand instaura en 1929 un quartier spécial pour cette catégorie vulnérable32. Il étendait ainsi au Cameroun certaines dispositions de la loi française du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants33. Dans ce quartier spécial, les jeunes détenus avaient un régime particulier car ils étaient soumis à l’apprentissage d’un métier manuel dans les ateliers de l’administration34.

  • 35 ANY, APA, 10115/B, Prisons (1933-1940), Colonie pénitentiaire de Malimba.
  • 36 Lettre du ministre des colonies à MM. les gouverneurs généraux des Colonies, commissaires de la Ré (...)
  • 37 ANY, APA, 11283/D I. Principes, justice enfance coupable.
  • 38 Lettre du ministre des Colonies à messieurs les gouverneurs…, op. cit., p. 4.
  • 39 I. Principes, justice enfance coupable, op. cit.
  • 40 I. Principes, justice enfance coupable, op. cit..
  • 41 Foucault Michel, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975, p. 314.

9La circulaire du 13 mai 1933 du commissaire Bonnecarrère fut salvatrice pour ces enfants prisonniers. Elle insistait sur « l’intérêt que présenterait au double point de vue moralisateur et éducatif, le rassemblement des détenus mineurs indigènes dans une colonie pénitentiaire spéciale35 ». Malgré le souci de rééducation et de réinsertion qui guidait la création des centres spécialisés de détention des jeunes, leur localisation rappelait la volonté du pouvoir en place de refouler les enfants délinquants à la périphérie de la société. La politique générale impulsée par la métropole et appliquée au Cameroun engageait à apprécier avec plus de souplesse la responsabilité des enfants traduits en justice, à nuancer les peines et à ménager des possibilités d’amendement les plus étendues36. Le décret-loi du 30 octobre 1935 sur la protection de l’enfance promulgué au Cameroun par un arrêté du 15 janvier 1936 encadrait ce volet37. L’idée principale de cette nouvelle disposition juridique était « d’étendre dans toute la mesure du possible à nos possessions d’outre-mer les concepts nouveaux inspirés de justice et d’humanité qui peu à peu et trop longtemps d’ailleurs se font jour38 ». Cette norme juridique, dont le but ultime était la suppression du délit pour les mineurs de moins de 18 ans, se justifiait dans la métropole par un souci de justice et d’humanité, pour éviter leur condamnation ainsi que leur incarcération39. Son extension trouva un écho favorable au Cameroun. De même, en 1939, le décret-loi du 17 juin 1938 relatif aux mesures concernant les mineurs vagabonds et au domicile de secours des enfants assistés fut étendu au Cameroun malgré l’absence de structures d’accueil. La volonté des pouvoirs publics de recueillir et de protéger l’enfance en difficulté au Cameroun, ainsi que la nécessité de se conformer aux injonctions de la métropole et de la SDN, furent à l’origine de la création des centres spécialisés pour ces jeunes. Ces structures s’inscrivaient dans la volonté de la métropole de « poser le problème avec plus de clairvoyance et s’attacher surtout, en abandonnant des méthodes de coercition et de répression inhumaines et antisociales, à la rééducation et au reclassement d’une adolescence plus souvent déficiente que réellement coupable40 ». Y étaient envoyés les enfants reconnus coupables devant la justice n’ayant pas atteint la majorité pénale. Ils y séjournaient pendant le nombre d’années fixées par le jugement de condamnation et au plus tard jusqu’à l’âge de 20 ans. Ces centres correctionnels avaient pour fonction principale la « transformation du comportement41 » de ces enfants.

  • 42 ANY, APA, 11283/D. Lettre de Marius Moutet à MM. les gouverneurs généraux, gouverneurs des colonie (...)
  • 43 Joseph Richard, Le mouvement nationaliste au Cameroun…, op. cit., p. 123.

10L’amélioration des conditions physiques et matérielles des enfants autochtones, la concurrence avec les missions privées étrangères et la contrainte de se conformer aux exigences de la SDN et plus tard de l’Organisation des Nations unies (ONU) ont conduit à la création des œuvres de bienfaisance au Cameroun par l’administration française. Face à la charge financière et humaine qui découlait de la protection de l’enfance inadaptée et qu’elle ne voulait pas supporter toute seule, la France dut se résoudre à encourager les initiatives privées de bienfaisance et d’assistance sociale. C’est dans ce sens que le ministre des Colonies, Marius Moutet, qui trouvait excessifs les besoins des administrateurs d’outre-mer relatifs à cette catégorie, réagissait en ces termes en 1937 : « pour les Français, s’il appartient à l’administration de promouvoir le bien-être chez les populations dont elle a la charge et de porter notamment remède aux misères collectives et individuelles, ce serait une erreur que ce devoir de solidarité n’incombe qu’à elle seule42 ». Dès 1938, la SDN demanda à tous ses membres de lui adresser annuellement un rapport sur les mesures législatives et administratives prises en faveur de cette catégorie vulnérable. Ce droit de regard de la SDN sur le sort des enfants contraignit la France à renforcer son dispositif juridique et institutionnel relatif au bien-être des enfants aussi bien en métropole que dans les territoires d’outre-mer. À la fin de la deuxième guerre mondiale, les accords de tutelle eurent pour conséquence de multiples réformes au Cameroun. Le 30 avril 1946, l’Assemblée nationale française adopta un programme de développement et de modernisation à long terme de ses territoires d’outre-mer : le Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer (FIDES)43.

  • 44 ANY, 1AC.602. Centre de rééducation de la jeunesse délinquante, 1947. Lettre du chef de service de (...)
  • 45 ANY, 1AC.602. Lettre du procureur de la République G. Hochapfel à M. le Haut-commissaire du 3 juin (...)
  • 46 ANY, 1AC.602. Lettre du Directeur de la sûreté générale à M. le Haut-commissaire du 11 avril 1947.
  • 47 ANY, 1AC.602. Lettre du procureur de la République…, op. cit., p. 1.

11Grâce à sa dimension socio-économique, le FIDES contribua aux investissements en faveur de l’enfance inadaptée au Cameroun. Dans ce nouveau contexte, la philosophie de la protection de l’enfance délinquante évolua. La logique de l’exclusion et de la punition ayant montré ses limites au Cameroun, les autorités françaises jugèrent bon d’introduire le service de l’enseignement dans la resocialisation des mineurs délinquants jusqu’à leurs 18 ans44, pour ceux qui étaient condamnés à l’emprisonnement ou acquittés et qui ne pouvaient pas être remis à la garde de leurs parents45. En 1947, à la suite d’un diagnostic sévère des causes de la déperdition de la jeunesse au Cameroun, le directeur de la Sûreté générale du Cameroun livrait les conséquences de cette situation : délits divers, vols, proxénétisme, prostitution, etc.46 En consultant les notices de la chambre d’instruction de Douala, il constatait une augmentation importante du nombre d’enfants condamnés. Il attira l’attention de sa hiérarchie sur l’urgence de voler au secours de ces derniers et se disait favorable à la création, sur le territoire, d’une sorte « d’assistance publique qui devrait apprendre aux enfants délinquants, orphelins, ou moralement abandonnés non seulement des principes de morale et de vie, mais surtout, un métier et le goût au travail47 ».

  • 48 Ibid., p. 2.
  • 49 Ibid., p. 3.
  • 50 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 5.

12Le procureur de la République relevait la difficulté à mettre en place un encadrement efficace des enfants délinquants qui s’étaient constitués en véritables gangs et dont les organisations résistaient au temps et à la répression48. D’après lui, le principal problème auquel étaient confrontés les juges était de confier les enfants mineurs coupables devant la justice à des parents ou tuteurs à la moralité plus ou moins douteuse. Il relevait également les limites de l’applicabilité du décret de 1928 qui prévoyait le placement des mineurs inculpés en liberté surveillée. Pour ce praticien de la justice, ce décret métropolitain soucieux du bien-être de l’enfant, fondé sur la conscience profonde de la mission du parent, n’était pas adapté aux réalités locales africaines. Recommandant vivement la mise en place d’un centre spécialisé, il était convaincu que « le succès certain d’une telle instruction bien dirigée incitera sans doute, des associations privées à suivre l’exemple de l’administration dans l’effort qui sera amorcé pour le relèvement de la jeunesse49 ». Cette vision nouvelle de la protection de l’enfance malheureuse souligne que jusqu’en 1949, les problèmes sociaux du Cameroun étaient envisagés sous l’angle médical ou pédagogique50. Leur étude était confiée selon les cas, soit au service de la santé publique, soit au service de l’enseignement, rendant ainsi les résultats des actions menées par ces deux entités distinctes moins visibles et efficaces.

  • 51 Mama Touna, L’économie camerounaise. Pour un nouveau départ, Yaoundé, Afrédit, 2008, p. 210.
  • 52 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 1.
  • 53 Ce changement a eu lieu en 1953 au Cameroun.
  • 54 Khaïat Lucette, « La défense des droits de l’enfant, un combat inachevé », https://www.cairn.info (...)

13Afin d’optimiser le rendement de ces deux démarches, une direction des affaires sociales avec pour objectif principal l’organisation du service social fut créée en 1950. Consciente du mal-être de l’enfance et dans le cadre du deuxième plan quadriennal du FIDES qui consacrait 19,6 % de son financement aux équipements sociaux51, en 1950 la direction des affaires sociales du Cameroun élabora un plan décennal de service social. Son objectif était de trouver les moyens susceptibles d’améliorer les conditions de vie des collectivités, des familles et des individus ainsi que de faciliter une action plus directe d’éducation sociale afin d’aider les populations et particulièrement les femmes à « s’élever » progressivement dans la vie individuelle, familiale et sociale52. Par ailleurs, le changement du discours sur l’enfance inadaptée et de la perception de celle-ci conduisit à une nouvelle approche de sa prise en charge53. Grâce à la théorie de la défense sociale du magistrat français Marc Ancel, on assista à une mutation sémantique de « l’enfant à corriger » à « l’enfant à protéger ». Ainsi la protection de « l’enfance malheureuse » et de « l’enfance en danger » sortit du cadre unique du pénal et étendit ses tentacules dans le domaine du social et de l’assistance54. C’est dans cette logique que la prise de conscience des pouvoirs publics et privés de la nécessité de protéger et de sauvegarder l’enfance marginale au Cameroun fut accompagnée par la mise en place des structures d’accueil et de rééducation.

Les structures de prise en charge de l’enfance marginale

14Les œuvres sociales caritatives en charge de l’enfance marginale – crèches, orphelinats, structures de santé infantile et internats – furent créées par les missions et l’administration française.

Les œuvres sociales caritatives

  • 55 ARNM, Diaire des religieuses spiritaines de Douala, ANY, APA, 12065//M. Protection de l’enfance. L (...)
  • 56 Grimmer Claude, « De L’adaptabilité des lois françaises dans les colonies, à travers le destin d’u (...)

15En 1925, la congrégation catholique des Spiritains créa deux orphelinats pour les filles et les garçons dans la ville de Douala pour accueillir des enfants de 0 à 15 ans55. La conception des orphelinats au Cameroun était ambiguë car elle ne seyait pas vraiment aux réalités culturelles de ce territoire où les orphelins étaient recueillis d’autorité par des membres de leur famille. Dans l’entre-deux-guerres, l’objectif des Spiritaines de Douala qui avaient ouvert un centre d’accueil pour jeunes filles en difficulté était de les former « à un avenir de femme et de mère chrétienne : apprentissage de l’hygiène, travaux de couture, assistance aux messes et aux prières56 ». Des enfants métis qui étaient une catégorie marginale y séjournaient aussi.

  • 57 Saada Emmanuelle, Les enfants de la colonie, les métis de l’Empire français entre sujétion et cito (...)
  • 58 Grimmer Claude, « De l’adaptabilité des lois françaises dans les colonies… », op. cit., p. 231.
  • 59 Saada Emmanuelle, Les enfants de la colonie…, op. cit., p. 94.
  • 60 ANY, FA341.7 Stand der Mischlingsbevolkerung (État de la population métisse au Cameroun 1903-1904)
  • 61 ARNM, Journal du samedi 9 novembre 1929.
  • 62 Stoler Ann Laura, La chair de l’empire…, op. cit., p. 108.
  • 63 ARNM, Journal du samedi 9 novembre 1929.
  • 64 ANY, APA, 11283/D. Arrêté no 283 du 10 novembre 1933 attribuant une subvention à madame de Charny (...)

16Le « problème » métis, qui se situait à l’intersection des problématiques du mélange des « races » et de l’illégitimité, introduisait un désordre dans l’ordre colonial57. Au Cameroun comme dans les autres colonies, la situation des métis était délicate car dans le schéma colonial, leur existence n’avait pas été envisagée. La France, confrontée à la vie sexuelle de ses citoyens d’outre-mer, dut faire face à leur progéniture métisse, légitime et illégitime58. Alors que le problème métis se posa dès 1890 en Indochine59, il fut signalé au Cameroun en 1903, à l’issue d’un recensement fait par les Allemands60. Plus tard, sous le mandat international, les Français ne purent y mettre en place une législation particulière concernant les métis, comme ils le firent dans d’autres territoires. Les missionnaires furent les premiers à y prendre en charge des enfants métis. Une fois qu’ils avaient atteint un âge jugé mature par leurs tuteurs, les garçons étaient rendus à leurs pères et les filles étaient données en mariage. Les Spiritaines de Douala se substituaient aux parents lors de leur mariage, exigeant une dot. Ainsi, « l’ainée de nos mulâtresses Madeleine est demandée en mariage. La “palabre” est long [sic] à arranger avec le père du prétendant. Puisqu’il n’a pas à acheter la fille, nous lui demandons néanmoins, une indemnité de 100 francs français pour chaque année que nous avons eu Madeleine entièrement à notre charge61 ». Comme le note Ann Laura Stoler, le but des orphelinats pour enfants métis était de prévenir « la négligence et la dégénérescence des nombreux bâtards ou orphelins, pauvres et vagabonds62 ». L’encadrement des métisses par les Spiritaines, au-delà du caractère humanitaire et prosélyte, avait un objectif mercantile. Si les religieux accueillaient les enfants noirs et métis, leur traitement n’était pas le même dans ces structures qu’on appelait orphelinats. Les métis étaient systématiquement envoyés à l’école des Européens alors que seuls les enfants camerounais dont les parents avaient le statut d’évolués pouvaient y prétendre63. L’administration française accompagnait leur action en la contrôlant et en la subventionnant. Une subvention de 3 600 francs fut, par exemple, accordée à la sœur Firmin pour financer les soins donnés aux indigènes et particulièrement aux enfants d’Obala et d’Efok, en 193364.

  • 65 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun, Yaoundé, Imprimerie du gouvernement, 1936, p. 1 (...)
  • 66 Martin Gustave, L’existence au Cameroun. Études sociales, études médicales, études d’hygiène et de (...)
  • 67 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun…, op. cit., p. 166.
  • 68 Le Cour Grandmaison Olivier, L’empire des hygiénistes…, op. cit., p. 21.

17À côté de ces centres, une politique de santé publique à destination des enfants et des mères fut mise en place avec l’objectif de faire accepter le projet colonial par les populations. Ainsi, l’administration française, dans sa stratégie de séduction et de dégermanisation du Cameroun posa le principe de la gratuité de l’assistance médicale pour faire adhérer les indigènes à son action65. Dans ce cadre, la médecine foraine fut mise en place. Pour le Dr Gustave Martin, le développement des institutions d’hygiène et la destruction des foyers de maladies tropicales étaient une priorité au Cameroun66. À Yaoundé, des consultations des nourrissons débutèrent en 1930 au centre obstétrical67. Malgré l’amélioration progressive de la carte sanitaire du Cameroun, le taux de mortalité infantile demeurait préoccupant. Des initiatives privées vinrent renforcer l’action médicale publique. En 1932, l’épouse du commissaire Bonnecarrère, sensible à la situation précaire de la petite enfance et des mères autochtones pauvres créa ainsi l’Œuvre du berceau indigène, en s’inspirant du succès d’une structure semblable mise sur pied par son mari au Togo. L’objectif en était de réduire la mortalité infantile en inculquant aux mères des notions d’hygiène et en leur apportant une assistance médicale de base. Il faut relever qu’en Afrique-Équatoriale française, à laquelle était rattaché le service général de l’assistance indigène du Cameroun, seul l’hôpital de Brazzaville, malgré son état défectueux, était un hôpital « digne de ce nom68 ».

  • 69 ANY, APA, 11283/D. Œuvre du berceau indigène, Circulaire no 83 du commissaire de la République Bon (...)
  • 70 Ibid.
  • 71 Ibid. Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, p. 2.
  • 72 Ibid. Mesures prises pour la protection de l’enfance malheureuse, p. 2.

18L’arrêté du 8 octobre 1932 portant création de l’Œuvre du berceau indigène lui donnait un caractère officiel pour lutter contre l’indolence et l’indifférence supposées des populations autochtones69. Son financement provenait de subventions publiques, des cotisations de ses membres, de ventes aux enchères. Le contrôle médical était assuré par le service de santé du territoire70. On dénombrait des filiales dans les différents chefs-lieux de circonscriptions. Si l’efficacité de ce quadrillage était possible grâce à l’accompagnement technique du personnel médical européen en place, ce fut surtout à Yaoundé et à Douala que l’impact de cette action fut le plus retentissant en raison de la densité et du niveau d’éducation de la population71. On y faisait des consultations prénatales et postnatales, gratuites et jusqu’aux 3 ans des enfants, ainsi que des cours de puériculture. Les nouveau-nés y bénéficiaient de soins de toute nature et ceux dont l’état physique nécessitait une surveillance continuelle étaient suivis par les services publics adéquats72.

  • 73 Les œuvres de charité au Cameroun, p. 3.
  • 74 Ibid.
  • 75 Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, op. cit., p. 2.
  • 76 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun…, op. cit., p. 166.
  • 77 ANY, APA, 11283/D. Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, p. 2.
  • 78 Ibid. Article 1 de l’arrêté du haut-commissaire de la République française au Cameroun du 24 octob (...)
  • 79 ANY, APA, 11283/D. Les œuvres de charité au Cameroun, p. 3.

19L’Œuvre du berceau indigène contribua au rehaussement de l’action humanitaire de la France au Cameroun et à la lutte contre la mortalité infantile et maternelle. Ce succès lui valut le statut d’utilité publique par un décret du 22 août 1935. Son atout était l’accompagnement technique et financier de l’administration française. À Yaoundé, son siège, on observa un mouvement favorable à la protection de l’enfance. L’assiduité des mères autochtones était soulignée, sans commune mesure avec la situation dans les colonies françaises d’Afrique, contribuant à une « réduction formidable de la mortalité infantile passée de 65 % à 9 % » entre 1933 et 193773. Au-delà des campagnes de sensibilisation et de propagande menées par les membres de cet organisme, les distributions de dons fidélisaient les bénéficiaires. En 1934 par exemple, des produits de première nécessité furent distribués : 135 caisses de savon, 112 caisses de lait, 4 238 serviettes, 3 337 couvertures, 1 179 pull-overs, 1 872 robes74. Une subvention de 80 000 francs fut également octroyée à cette œuvre la même année75. Parallèlement à l’action de l’Œuvre, dans le centre obstétrical d’Ebolowa, 117 592 consultations concernant 20 504 enfants de 0 à 2 ans furent données et 28 221 enfants de 2 à 5 ans virent 11 456 fois le médecin en 193676. Au regard de ces progrès, les autorités françaises attribuèrent à l’Œuvre du berceau indigène une subvention de 60 000 francs en 1936. Du 1er mars au 20 décembre 1937, 6 631 mères autochtones bénéficièrent des visites de cet organisme qui distribua en outre 3 325 biberons77. Le haut-commissaire Richard Brunot signa un arrêté le 24 octobre 1939 le plaçant sous son contrôle administratif et financier78. L’Œuvre fut présidée successivement par les épouses des commissaires et plus tard des hauts-commissaires de la France au Cameroun, assistées d’autres femmes européennes qui prenaient à cœur cette action de bienfaisance. Grâce à leur action et leur dévouement, cette association qui avait obtenu la confiance des femmes autochtones79 leur apporta un précieux concours. Elle complétait efficacement l’action des formations sanitaires officielles.

  • 80 Circulaire no 48 du commissaire Bonnecarrère du 23 mai 1933 à MM. Les chefs de circonscription de (...)
  • 81 Mesures prises pour la protection de l’enfance malheureuse ou déficiente, op. cit., p. 1.
  • 82 Circulaire no 48 du commissaire Bonnecarrère ; Journal officiel du Cameroun du 1er novembre 1933, (...)
  • 83 ANY, APA, 11283. Télégramme de Bonnecarrère no 683 aux chefs des circonscriptions…, op. cit.
  • 84 Assembe Ndi Alvine Henriette, « Statut, droits et intégration des métis au Cameroun sous administr (...)
  • 85 Stoler Ann Laura et Cooper Frederick, Repenser le colonialisme, Paris, Payot, 2013, p. 19.
  • 86 Assembe Ndi Alvine Henriette, « Statut, droits et intégration… », op. cit.

20Fort du succès de l’Œuvre du berceau indigène, le gouverneur Bonnecarrère s’empara d’autres problèmes que connaissait l’enfance dans le territoire qu’il administrait : celui des orphelins et celui des enfants condamnés par les tribunaux80. Il avait fait le constat que les enfants métis étaient abandonnés par leurs pères, rejetés par leurs familles maternelles ou élevés dans des conditions particulièrement malheureuses81. Pour ce qui était des orphelins, il décida en 1932 de la création dans la ville de Yaoundé, d’un « orphelinat où seront recueillis les enfants métis ou noirs sans familles82 ». Connue sous le nom de Cité enfantine, cet établissement dépendait directement du gouverneur du territoire, ce qui montrait son importance dans le dispositif administratif. La politique d’encadrement des métis au Cameroun fut modifiée et complétée par l’arrêté du 31 juillet 1934. Le recrutement gratuit des pensionnaires de la Cité enfantine s’effectuait après un recensement annuel des enfants métis et noirs qui avaient besoin d’assistance83. Y étaient admis les enfants des deux sexes âgés de 2 à 16 ans. L’enseignement dispensé dans cette structure qui portait sur l’hygiène, le français, le calcul, était au rabais et ne préparait visiblement pas les pensionnaires à la vie active. Un autre enjeu pouvait justifier la naissance de cette structure : la création d’une catégorie sociale84. En effet, dans l’intégration des métis, le principe était de partir de la politique de l’exclusion à celle de l’inclusion à travers la reconnaissance et la création d’une identité s’inscrivant dans la logique de construction permanente et vigilante d’une grammaire de la différence85. L’émergence des structures publiques destinées aux métis montrait l’importance que portait la France à la formation de citoyens fiables et de sujets gouvernables. Certes, le bilan de la Cité enfantine fut mitigé. On peut, toutefois, lui reconnaître le mérite d’avoir essayé d’encadrer une partie des métis. L’autre partie des métis, profondément ancrée dans le tissu anthropologique maternel, y évoluait et recevait des allocations du gouvernement français86.

  • 87 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 8.
  • 88 Ibid., p. 10 et 12.
  • 89 Établissements d’éducation rurale pour l’enfance abandonnée, p. 1.
  • 90 Ibid., p. 3.

21Dans le cadre du plan décennal du service social financé par le FIDES, des actions furent menées en faveur des populations urbaines et rurales. Des « cases sociales » furent construites à Douala en 1950 pour dispenser des cours populaires d’éducation familiale et ménagère87. Les principaux cours abordaient ainsi l’enseignement ménager, l’hygiène, la puériculture, l’économie domestique et le secourisme. Ces enseignements étaient appréciés des femmes car ils étaient parfaitement adaptés à la mentalité locale. Par ailleurs, ils faisaient partie en toute première urgence du programme d’action directe du service social. Fortes de l’intérêt et du succès de ce programme qui forma 400 femmes en dix-huit mois, les autorités mirent spécifiquement l’accent sur la protection des bébés des femmes pauvres. Pour ce faire, des « maisons des nourrissons » furent créées par délibération no 144/49 de l’Assemblée représentative du Cameroun88. Le rôle de ces structures d’accueil qui virent le jour en 1950 à Douala était de recevoir « jusqu’à leur sevrage les bébés déficients ou dont la mère est malade ou décédée » afin de lutter contre la mortalité infantile en hausse après la Seconde Guerre mondiale. Dans les zones rurales, des établissements d’éducation pour l’enfance abandonnée chargés d’encadrer les enfants et les adolescents matériellement ou moralement abandonnés furent créés89. Dans ces institutions qui ressemblaient à un camp permanent de scoutisme, l’instruction se limitait à des notions de lecture, d’écriture, d’hygiène et de sciences usuelles90. La France mettait l’accent sur le bien-être de l’enfance en général et de l’enfance malheureuse en particulier, conformément aux accords de tutelle qui prescrivaient une intensification de l’œuvre sociale et surtout la prise en compte du bien-être de l’enfant. Ce regard plus bienveillant et moins répressif que par le passé s’étendait également aux enfants délinquants à travers la création des centres de redressement et de réinsertion.

Les centres de redressement, de rééducation et de réinsertion de la jeunesse délinquante

  • 91 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 59.
  • 92 Foucault Michel, Surveiller et punir…, op. cit., p. 200.
  • 93 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 19.
  • 94 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 254.
  • 95 ANY, APA.10115/B Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.
  • 96 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale : les premières écoles (...)
  • 97 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 256.
  • 98 ANY, APA 11283/D. Mesures prises pour la protection de l’enfance…, op. cit.
  • 99 Lettre du procureur de la République du 23 mars 1934 à monsieur le commissaire de la République.

22En créant des centres de resocialisation de l’enfance délinquante, les autorités françaises du Cameroun voulaient soustraire cette catégorie de la promiscuité et des influences néfastes des prisons ordinaires et élever son niveau moral. Pour ce faire, elles misaient sur la discipline car les maisons de correction avaient pour vocation la punition et le redressement de leurs pensionnaires91. Comme le note Michel Foucault, le pouvoir disciplinaire est le pouvoir qui au lieu de soutirer et de prélever a pour fonction majeure de « dresser ». Pour lui, la discipline fabrique des individus car elle est la technique spécifique d’un pouvoir qui se donne les individus à la fois pour objets et pour instruments de son exercice92. L’importation depuis la métropole des maisons de rééducation des enfants pouvait être appréhendée non seulement comme le passage d’un système répressif à un autre mais aussi comme une nouvelle occupation du continent africain par le déploiement inédit des rapports de pouvoir dans l’espace93. La première expérience de placement des mineurs dans une colonie correctionnelle au Cameroun fut la colonie pénitentiaire de Malimba. Elle se justifiait par la présence d’un nombre croissant de mineurs dans les prisons de Yaoundé et de Douala94. Soucieux de la particularité enfantine ainsi que de sa vulnérabilité, le commissaire Bonnecarrère souligna « l’intérêt que présenterait au double point de vue moralisateur et éducatif, le rassemblement de détenus mineurs indigènes dans une colonie pénitentiaire spéciale qui serait annexée à l’école de pêche de Malimba95 ». Située entre les deux bras du fleuve Sanaga, l’île de Malimba était inaccessible. Elle apparaissait comme le lieu idéal de resocialisation des jeunes délinquants, basée sur une discipline stricte et l’isolement carcéral, dans l’optique d’empêcher la contagion de la dégénérescence qui menaçait la société96. Créée le 7 décembre 1933, la colonie pénitentiaire de Malimba était placée sous la responsabilité du directeur de l’école de pêche de ce village97. Le régime de liberté surveillée y était la règle98. Le programme d’instruction était basé sur la pêche. L’administration, à travers le placement des mineurs dans le centre de Malimba, espérait aboutir à des résultats satisfaisants99.

  • 100 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 17.
  • 101 ANY, APA.10115/B Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.
  • 102 Journal Officiel du Cameroun Français, arrêté du 8 juillet 1933 réglementant le régime pénitentiai (...)
  • 103 ANY, APA 11283/D. Mesures prises pour la protection de l’enfance…, op. cit.
  • 104 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale… », op. cit., p. 218.
  • 105 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 270.

23Le transfert du modèle français de la prison fut confronté à un rejet des populations locales qui le découvraient100. Malgré la bonne intention qui découlait de la création de cette structure de redressement, aucun texte ne l’organisait ni ne réglementait son fonctionnement. C’est l’une des raisons de l’échec en amont de la mise en application d’une politique de redressement moral. La colonie pénitentiaire de Malimba était abandonnée à la seule initiative de son directeur, également à la tête de l’école de pêche. La prise en charge médicale était quasi inexistante dans cet établissement censé protéger les droits des enfants coupables. Seul un emploi du temps formel101 laissait croire à l’existence d’une discipline, sans s’accorder avec l’idée de réinsertion des enfants car les heures de travail manuel prédominaient tandis que le volet éducatif était négligé102. Par ailleurs, l’absence de personnel qualifié fut également à l’origine de l’échec du projet. Le personnel de surveillance se limitait à trois personnes : le directeur, un moniteur et un garde qui devaient maintenir la discipline chez des pensionnaires dont l’effectif variait entre 30 et 40103. C’est le même constat qui avait été fait auparavant, dans le pénitencier agricole de Bambey, au Sénégal, où les employés se désintéressaient de la surveillance et des objectifs de correction de la détention des mineurs104. Cette surveillance défaillante permettait des évasions collectives105. Malgré ce désordre ambiant, certains enfants profitaient de leur passage à Malimba pour modifier leur trajectoire, tel ce jeune homme sollicitant une libération anticipée. Se fondant sur son comportement, il notait ceci :

  • 106 ANY, APA.10115/B. Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.

« Je suis actuellement doué de sagesse pour ne plus récidiver les semblables faits, ma pauvre mère devenue bien vieille et incapable de travailler serait heureuse de me voir à ses côtés pour la seconder aux divers travaux de plantations vivrières. À moi-même [sic] il y a 5 ans que j’ai déjà fais [sic] ma prison, maintenant je suis gravement malade à la jambe. J’ai une mauvaise plaie inguérissable qui me rend incapable de travailler106. »

  • 107 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 272.
  • 108 ANY.1AC602, Centre de rééducation de la jeunesse délinquante, 1947. Lettre du haut-commissaire Hof (...)
  • 109 Lettre du directeur des Finances au directeur des Travaux publics du 11 août 1947.
  • 110 Note du directeur des Affaires politiques et administratives du 23 juillet 1947 au directeur des Fi (...)

24L’absence de résultats encourageants et la démission des autorités conduisirent à la fermeture de la colonie pénitentiaire de Malimba en 1939. Les anciens pensionnaires furent transférés dans la prison de Sa’a, dans la région du Nyong et Sanaga, dans laquelle ils étaient employés à des travaux de jardinage et n’étaient pas en contact avec les délinquants adultes107. La question de la protection de l’enfance déficiente se posa de nouveau au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La direction des affaires sociales ayant tiré des leçons de l’échec de Malimba proposait de créer un centre qui devait véritablement répondre aux besoins de ces enfants. Dès 1947, une étude complète sur la faisabilité d’un pareil projet fut menée par le haut-commissaire René Hoffherr qui envisageait d’installer cette structure dans la région du Nyong et Sanaga. Il justifiait ce choix par la localisation centrale de cette région, facilitant les contrôles et offrant des facilités sur le plan économique. Toutefois, cet emplacement, précisait-il, devait être situé à quelque distance de toute agglomération importante108. Une provision de 9 000 000 francs destinée à la construction de ce centre fut inscrite dans le budget spécial plan de 1948 du territoire109. Les besoins humains identifiés pour le fonctionnement de cet établissement étaient les suivants : un instituteur, gérant-économe européen ; une institutrice, surveillante générale européenne ; six moniteurs africains ; deux chefs d’atelier africains et un cuisinier110. Afin d’éviter à ce centre un caractère répressif et pénitentiaire, le chef de service de l’enseignement attirait l’attention du directeur des affaires politiques et administratives en ces termes :

  • 111 Lettre du chef de service de l’enseignement au directeur des Affaires politiques et administrative (...)

« S’il semble judicieux de placer cette École sous le contrôle administratif de la Sûreté générale, il apparaît au contraire nécessaire de ne pas faire appel pour la direction à du personnel de l’Administration pénitentiaire dont les résultats dans ce domaine ne semblent pas probants, mais à du personnel d’enseignement spécialisé que l’on peut recruter par l’intermédiaire du Ministère de l’Éducation Nationale111. »

  • 112 Lettre du directeur de la Sûreté générale de Douala du 11 avril 1947, p. 2-3.
  • 113 ANY, APA 10932, Plan décennal, 1950.
  • 114 Archives du ministère des Affaires sociales (AMINAS), Carton Betamba. Bref historique de l’institu (...)
  • 115 Ibid., p. 4.

25Le directeur de la Sûreté générale, favorable à cette initiative, proposa à sa hiérarchie de s’inspirer de l’organisation métropolitaine. Les centres de rééducation de Saint-Hilaire et Saint-Maurice, références en France à la suite des réformes de 1938, pouvaient servir de modèles aux autorités du Cameroun. Il était convaincu que le succès d’une telle institution encouragerait les associations privées à suivre l’exemple de l’administration dans la resocialisation de la jeunesse112. La construction d’un centre social pour la jeunesse déficiente fut inscrite dans le plan décennal du service social113. Le choix de l’administration se porta sur le village Betamba. Situé dans la zone enclavée de la région du Nyong et Sanaga, Betamba répondait aux critères formulés par le haut-commissaire Hoffherr. En outre, il était encerclé par la forêt vierge et le fleuve Sanaga, deux facteurs dissuasifs d’une quelconque évasion et avantageux pour l’agriculture. Ce village disposait déjà des infrastructures construites par des Pères catholiques spiritains qui, après des négociations avec l’administration, obtinrent un nouveau site au centre du poste administratif de Ntui. En 1953, le haut-commissaire Jean Louis Marie Soucadaux créa, par arrêté no 1315 du 11 mars 1953, le Centre des jeunes délinquants de Betamba114. À l’instar de l’institut pédotechnique de Toulouse en France, le Centre des jeunes délinquants de Betamba était le pilier du système rééducatif de l’enfance inadaptée au Cameroun sous administration française. Afin d’atteindre les missions qui lui étaient assignées, un programme de rééducation adapté aux attentes de la hiérarchie fut adopté. Les placements des mineurs dans le centre de Betamba étaient ordonnés par les tribunaux. Y étaient placés pour une durée d’un à trois ans, les enfants de 12 à 16 ans, notamment les délinquants, les enfants caractériels et asociaux, les orphelins, les démunis et les inadaptés scolaires115.

  • 116 Ibid., p. 3.
  • 117 Ibid., p. 5.
  • 118 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1944…, op. cit., p. 280.
  • 119 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 19.

26En vue de préparer leur réinsertion, trois possibilités étaient offertes aux pensionnaires du centre : l’école, les activités agro-pastorales ou les ateliers. Malgré ces curricula intéressants, certains jeunes étaient réfractaires à la discipline. Un dispositif punitif, le « château », une cellule au sein de laquelle le séjour d’un enfant devait lui permettre de se conformer à la discipline, fut construit. Durant leur séjour dans le « château », la ration alimentaire des récalcitrants était drastiquement diminuée. La seule chose à laquelle ils avaient droit était un « copieux repas de bastonnade par jour116 ». Le succès et le sérieux de l’école du Centre des jeunes délinquants de Betamba furent récompensés par l’ouverture d’un centre spécial d’examen du Certificat des études primaires et élémentaires. Cette structure qui a accueilli entre 1953 et 1959 environ 350 mineurs contribua à la réinsertion de certains117. À l’instar de leurs homologues de France de l’entre-deux-guerres, ces structures s’apparentaient à une véritable école du bagne car la majorité de leurs anciens pensionnaires retombaient dans les mêmes travers118. L’échec de cette structure peut s’expliquer par les difficultés de l’implantation du système pénitentiaire européen ne s’ancrant pas dans le vacuum culturel et judiciaire du Cameroun119.

  • 120 AMINAS, Carton, Centre d’accueil et d’observation de Bépanda.

27Malgré la création d’une institution spécialisée pour l’enfance délinquante à Betamba, le problème de l’encadrement des enfants déficients persistait à Douala. Du fait de son développement rapide, on observait un exode rural précoce de la jeunesse du Cameroun vers cette ville. Cette attirance juvénile pour la ville eut pour conséquence l’inadaptation sociale de ces enfants qui y affrontaient des conditions de vie difficiles. En 1952, l’assistante sociale de Douala, Mme Bretagne, attirait déjà l’attention des autorités publiques sur cette situation qui expliquait le nombre sans cesse croissant de délits commis par ces jeunes. Devant l’urgence d’agir, le haut-commissaire Soucadaux confia aux Frères des Écoles chrétiennes canadiens la mise en place d’une institution qui devait accompagner ces enfants. Le 1er janvier 1953, le Centre d’accueil et d’observation de Douala ouvrit ses portes dans le quartier populaire Bonakouamouang. Ce centre fut reconnu d’utilité publique en septembre 1953120.

  • 121 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale… », op. cit., p. 206.
  • 122 Ibid., p. 206 et 213.
  • 123 AMINAS, Carton, Centre d’accueil et d’observation de Bépanda.

28Placée sous la supervision technique de la direction des affaires sociales, cette structure était financée par l’administration et dirigée par les religieux catholiques. Sa mission première était la rééducation de ses pensionnaires mineurs, exclusivement de sexe masculin. Fruit d’une mutualisation des forces entre les autorités publiques et les Frères canadiens, notamment à travers la signature d’une convention le 30 août 1956, le centre de Bonakouamouang contribuait à la sauvegarde de l’enfance déficiente de Douala. Il faut souligner que la décision d’expérimenter un partenariat public/privé était motivée, entre autres, par des considérations d’économie budgétaire121. Il s’agissait simplement d’un modèle mal transposé qui avait montré son échec tant en France qu’au Sénégal où il avait été expérimenté dès 1888. Sous le manteau de la charité, les Pères du Saint-Esprit avaient exploité les délinquants mineurs du Sénégal en les faisant travailler pour eux et faisaient de leur accueil un prétexte pour exiger des subventions des autorités coloniales122. Au regard de l’échec de cette méthode en France et en AOF, on peut s’interroger sur l’entêtement de la France à poursuivre cette expérience de réinsertion. Contrairement au centre de Betamba, la durée de placement des garçons dans le centre de Douala variait d’un jour à quelques semaines pour les cas urgents et d’un à six mois pour la rééducation et le préapprentissage. Durant leurs séjours, les pensionnaires apprenaient des métiers notamment la vannerie, la couture, la menuiserie, etc.123 Les mineurs qui nécessitaient un accompagnement plus long étaient transférés à Betamba qui disposait d’infrastructures mieux adaptées.

Conclusion

29La protection de l’enfance marginale au Cameroun sous administration française était à cheval entre action charitable et bénéfice matériel. Elle présentait des enjeux qui ne mettaient pas toujours en avant le bien-être de l’enfant. Il s’agissait d’un véritable dilemme pour l’administration française au Cameroun qui n’arrivait pas à mettre sur pied une politique efficace d’encadrement des enfants marginaux. Cet échec se justifiait par la singularité de l’espace colonial en général et du Cameroun qui était un territoire sous tutelle internationale. Ce statut du Cameroun associé au tissu anthropologique de sa société et au désintérêt de la France qui n’avait pas pu le rattacher à son empire colonial constituait des obstacles à la mise en œuvre d’une politique efficace de protection de l’enfance en danger. La prise en charge de l’enfance marginalisée au Cameroun était une arme au service de la France. À travers les structures construites et les enseignements dispensés à ces mineurs, les autorités françaises cherchèrent à réintégrer des enfants en danger dans la société. Malgré sa dimension politique, cette action a contribué à en sortir quelques-uns de la marginalité et à les mettre du bon côté de la frontière sociale. L’État du Cameroun, en accédant à l’indépendance hérita de certaines structures fondées par les Français qu’il pérennisa et dont les résultats furent aussi mitigés que ceux obtenus par la France.

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Notes

1 Stoler Ann Laura, La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, Paris, La Découverte, 2013, p. 23.

2 Saada Emmanuelle, « Entre “assimilation” et “décivilisation” : l’imitation et le projet colonial républicain », Terrain [En ligne], 44 | mars 2005, mis en ligne le 15 mars 2009, consulté le 27 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/terrain/2618 ; DOI : 10.4000/terrain.2618, p. 24.

3 Archives de la Société des Nations (ASDN), Journal officiel, Résolution du Conseil du 23 avril 1923, 24e résolution, p. 604. Le terme administré a été adopté par le conseil de la Société des Nations pour désigner le statut juridique des habitants des territoires sous-mandat le 23 avril 1923.

4 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1945, Mayenne, Éditions Cujas, 1971, p. 250.

5 Capul Maurice et Pineau Jacques, « Introduction », dans Capul Maurice (dir.), L’invention de l’enfance inadaptée. L’exemple de Toulouse Saint-Simon (1950-1975), Toulouse, érès, « L’éducation spécialisée au quotidien », 2010, p. 19.

6 Archives nationales de Yaoundé (ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 11283/D. Protection de l’enfance malheureuse ou déficiente. Rapports à fournir au département.

7 Espagne Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, p. 6.

8 Dans cette catégorie, seuls les enfants métis délaissés par leurs géniteurs blancs sont identifiés. Dans la culture des sociétés du Cameroun, un enfant orphelin était pris en charge par l’un des membres de sa famille.

9 Espagne Michel, Les transferts culturels franco-allemands…, op. cit., p. 20.

10 Schmitt Jean, « L’histoire des marginaux », dans Le Goff Jacques (dir.), La Nouvelle Histoire, Bruxelles, Editions Complexe, 2006, p. 200.

11 Capul Maurice et Pineau Jacques, « Introduction »…, op. cit., p. 21.

12 Mbandji Mbéna Étienne, Les droits fondamentaux de l’enfant en droit camerounais, doctorat en droit privé, université de Toulouse et université de Douala, 2013, p. 4.

13 Rossignol Christian, « Quelques éléments pour l’histoire du “Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral” de 1943 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », no 1, 1998, p. 24.

14 Lehalle Henri et Mellier Daniel, Psychologie du développement, Paris, Dunod, 2002, p. 10.

15 Le Cour Grandmaison Olivier, L’Empire des hygiénistes. Faire vivre aux colonies, Domont, Fayard, 2014, p. 16.

16 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Orphelins indigènes 1927-1930.

17 Tiquet Romain, « Maintien de l’ordre colonial et administration du quotidien en Afrique », [en ligne], Vingtième Siècle, 2018/4 (no 140), p. 3-13, p. 4.

18 ASDN, 6 A 14 388, Statut des femmes dans les territoires sous-mandat, correspondances et lois diverses.

19 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Orphelins indigènes 1927-1930.

20 Archives des Religieuses à Nogent-sur-Marne (ARNM), Diaire des religieuses spiritaines de Douala.

21 ANY, APA12065/M. Protection de l’enfance. Lettre du chef de service de santé du Cameroun, le médecin principal de 2e classe Mul du 14 juin 1929 à M. le commissaire de la République, p. 1.

22 Ibid.

23 ARNM, Diaire des religieuses spiritaines de Douala.

24 ANY, APA12065/M, Lettre du chef de service de santé…, op. cit., p. 1.

25 Ibid., p. 4-5.

26 Joseph Richard, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC, Paris, Karthala, 1986, p. 151.

27 ANY, APA12065/M. Lettre-circulaire de la direction du service de santé du 20 janvier 1930.

28 Lettre du chef de circonscription de Yaoundé du 9 avril 1929 au commissaire de la République, p. 4.

29 Lettre-circulaire de la direction du service de santé du 20 janvier 1930, op. cit.

30 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée : comprendre l’histoire des réclusions continentales », dans Bernault Florence (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du xixe siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999, p. 35.

31 Journal officiel des territoires occupés de l’ancien Cameroun, arrêté du 13 octobre 1918 organisant le régime de la prison de Douala, p. 158.

32 Journal officiel du Cameroun, arrêté du 17 septembre 1929.

33 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1944…, op. cit., p. 254-256.

34 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun sous-administration française, 1916-1960, doctorat, université de Yaoundé I, 2006, p. 254.

35 ANY, APA, 10115/B, Prisons (1933-1940), Colonie pénitentiaire de Malimba.

36 Lettre du ministre des colonies à MM. les gouverneurs généraux des Colonies, commissaires de la République au Togo et au Cameroun du 5 novembre 1934, p. 1.

37 ANY, APA, 11283/D I. Principes, justice enfance coupable.

38 Lettre du ministre des Colonies à messieurs les gouverneurs…, op. cit., p. 4.

39 I. Principes, justice enfance coupable, op. cit.

40 I. Principes, justice enfance coupable, op. cit..

41 Foucault Michel, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975, p. 314.

42 ANY, APA, 11283/D. Lettre de Marius Moutet à MM. les gouverneurs généraux, gouverneurs des colonies, commissaires de la république au Togo et au Cameroun et l’administrateur des îles Saint-Pierre et Miquelon, no 1080 du 28 octobre 1937.

43 Joseph Richard, Le mouvement nationaliste au Cameroun…, op. cit., p. 123.

44 ANY, 1AC.602. Centre de rééducation de la jeunesse délinquante, 1947. Lettre du chef de service de l’enseignement au directeur des affaires politiques et administratives du 27 mai 1947.

45 ANY, 1AC.602. Lettre du procureur de la République G. Hochapfel à M. le Haut-commissaire du 3 juin 1947, p. 1.

46 ANY, 1AC.602. Lettre du Directeur de la sûreté générale à M. le Haut-commissaire du 11 avril 1947.

47 ANY, 1AC.602. Lettre du procureur de la République…, op. cit., p. 1.

48 Ibid., p. 2.

49 Ibid., p. 3.

50 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 5.

51 Mama Touna, L’économie camerounaise. Pour un nouveau départ, Yaoundé, Afrédit, 2008, p. 210.

52 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 1.

53 Ce changement a eu lieu en 1953 au Cameroun.

54 Khaïat Lucette, « La défense des droits de l’enfant, un combat inachevé », https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2010-6-page-20.htm, consulté le 25 novembre 2019.

55 ARNM, Diaire des religieuses spiritaines de Douala, ANY, APA, 12065//M. Protection de l’enfance. Lettre du secrétaire de la MPA Johnston à monsieur le commissaire Marchand du 6 février 1929, p. 2.

56 Grimmer Claude, « De L’adaptabilité des lois françaises dans les colonies, à travers le destin d’une jeune métisse camerounaise dans les années 1920 », dans Spenky Martine (dir.), Le contrôle du corps des femmes dans les Empires coloniaux. Empires, genre et biopolitiques, Paris, Karthala, 2015, p. 230.

57 Saada Emmanuelle, Les enfants de la colonie, les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, Éditions de la découverte, 2007, p. 94.

58 Grimmer Claude, « De l’adaptabilité des lois françaises dans les colonies… », op. cit., p. 231.

59 Saada Emmanuelle, Les enfants de la colonie…, op. cit., p. 94.

60 ANY, FA341.7 Stand der Mischlingsbevolkerung (État de la population métisse au Cameroun 1903-1904).

61 ARNM, Journal du samedi 9 novembre 1929.

62 Stoler Ann Laura, La chair de l’empire…, op. cit., p. 108.

63 ARNM, Journal du samedi 9 novembre 1929.

64 ANY, APA, 11283/D. Arrêté no 283 du 10 novembre 1933 attribuant une subvention à madame de Charny (en religion, sœur Firmin).

65 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun, Yaoundé, Imprimerie du gouvernement, 1936, p. 159.

66 Martin Gustave, L’existence au Cameroun. Études sociales, études médicales, études d’hygiène et de prophylaxie, Paris, Larose, 1921, p. vii.

67 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun…, op. cit., p. 166.

68 Le Cour Grandmaison Olivier, L’empire des hygiénistes…, op. cit., p. 21.

69 ANY, APA, 11283/D. Œuvre du berceau indigène, Circulaire no 83 du commissaire de la République Bonnecarrère à Messiers les chefs de service et chefs de circonscription du 4 novembre 1932, p. 2.

70 Ibid.

71 Ibid. Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, p. 2.

72 Ibid. Mesures prises pour la protection de l’enfance malheureuse, p. 2.

73 Les œuvres de charité au Cameroun, p. 3.

74 Ibid.

75 Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, op. cit., p. 2.

76 Chauleur Pierre, L’œuvre de la France au Cameroun…, op. cit., p. 166.

77 ANY, APA, 11283/D. Principes. Œuvres privées de bienfaisances et d’assistance sociale, p. 2.

78 Ibid. Article 1 de l’arrêté du haut-commissaire de la République française au Cameroun du 24 octobre 1939 plaçant l’Œuvre du berceau indigène sous son contrôle administratif et financier.

79 ANY, APA, 11283/D. Les œuvres de charité au Cameroun, p. 3.

80 Circulaire no 48 du commissaire Bonnecarrère du 23 mai 1933 à MM. Les chefs de circonscription de Garoua, Maroua, Mokolo, Ngaoundéré, Fort-Fourreau.

81 Mesures prises pour la protection de l’enfance malheureuse ou déficiente, op. cit., p. 1.

82 Circulaire no 48 du commissaire Bonnecarrère ; Journal officiel du Cameroun du 1er novembre 1933, l’arrêté du 18 octobre 1933 instituant au Cameroun, un centre d’éducation pour les métis et noirs orphelins ou abandonnés, p. 236.

83 ANY, APA, 11283. Télégramme de Bonnecarrère no 683 aux chefs des circonscriptions…, op. cit.

84 Assembe Ndi Alvine Henriette, « Statut, droits et intégration des métis au Cameroun sous administration française », dans Denéchère Yves (dir.), Enjeux postcoloniaux de l’enfance et de la jeunesse. Espace francophone (1945-1980), Bruxelles, Peter Lang, 2019, p. 91.

85 Stoler Ann Laura et Cooper Frederick, Repenser le colonialisme, Paris, Payot, 2013, p. 19.

86 Assembe Ndi Alvine Henriette, « Statut, droits et intégration… », op. cit.

87 ANY, APA, 10932, Plan décennal 1950, p. 8.

88 Ibid., p. 10 et 12.

89 Établissements d’éducation rurale pour l’enfance abandonnée, p. 1.

90 Ibid., p. 3.

91 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 59.

92 Foucault Michel, Surveiller et punir…, op. cit., p. 200.

93 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 19.

94 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 254.

95 ANY, APA.10115/B Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.

96 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale : les premières écoles pénitentiaires du Sénégal, 1888-1927 », dans Bernault Florence (dir.), Enfermement, prison et châtiments…, op. cit., p. 212.

97 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 256.

98 ANY, APA 11283/D. Mesures prises pour la protection de l’enfance…, op. cit.

99 Lettre du procureur de la République du 23 mars 1934 à monsieur le commissaire de la République.

100 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 17.

101 ANY, APA.10115/B Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.

102 Journal Officiel du Cameroun Français, arrêté du 8 juillet 1933 réglementant le régime pénitentiaire au Cameroun, p. 386.

103 ANY, APA 11283/D. Mesures prises pour la protection de l’enfance…, op. cit.

104 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale… », op. cit., p. 218.

105 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 270.

106 ANY, APA.10115/B. Prisons (1933-40). Colonie pénitentiaire de Malimba.

107 Idrissou Alioum, Les prisons au Cameroun, op. cit., p. 272.

108 ANY.1AC602, Centre de rééducation de la jeunesse délinquante, 1947. Lettre du haut-commissaire Hoffherr au directeur de la Sûreté générale du 8 mai 1947.

109 Lettre du directeur des Finances au directeur des Travaux publics du 11 août 1947.

110 Note du directeur des Affaires politiques et administratives du 23 juillet 1947 au directeur des Finances.

111 Lettre du chef de service de l’enseignement au directeur des Affaires politiques et administratives du 27 mai 1947.

112 Lettre du directeur de la Sûreté générale de Douala du 11 avril 1947, p. 2-3.

113 ANY, APA 10932, Plan décennal, 1950.

114 Archives du ministère des Affaires sociales (AMINAS), Carton Betamba. Bref historique de l’institution camerounaise de l’enfance de Betamba, p. 1.

115 Ibid., p. 4.

116 Ibid., p. 3.

117 Ibid., p. 5.

118 Gaillac Henri, Les maisons de correction, 1830-1944…, op. cit., p. 280.

119 Bernault Florence, « De l’Afrique ouverte à l’Afrique fermée… », op. cit., p. 19.

120 AMINAS, Carton, Centre d’accueil et d’observation de Bépanda.

121 Thioub Ibrahima, « Marginalité juvénile et enfermement à l’époque coloniale… », op. cit., p. 206.

122 Ibid., p. 206 et 213.

123 AMINAS, Carton, Centre d’accueil et d’observation de Bépanda.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alvine Henriette Assembe Ndi, « Entre action charitable et bénéfice matériel : la politique de l’enfance « inadaptée » au Cameroun sous administration française (1928-1960) »Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 22 | 2020, 47-66.

Référence électronique

Alvine Henriette Assembe Ndi, « Entre action charitable et bénéfice matériel : la politique de l’enfance « inadaptée » au Cameroun sous administration française (1928-1960) »Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » [En ligne], 22 | 2020, mis en ligne le 25 novembre 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rhei/5156 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhei.5156

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Auteur

Alvine Henriette Assembe Ndi

Historienne, assistante à l’université de Douala, secrétaire exécutive adjointe de la Société camerounaise d’Histoire.

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Droits d’auteur

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