• 1 Kalifa Dominique, « “Chez les Apaches”. Un texte de Paul Matter, Revue politique et littéraire (190 (...)

1Un texte de Paul Matter, Revue politique et littéraire (1907)1.

• 2 Victor Morris du Matin selon Latzarus (L.), « Les malfaiteurs parisiens », Revue de Paris, 1^er juin (...)
• 3 Le secrétaire du commissariat de Belleville qui aurait un jour déclaré à un voyou : « Mais ce sont (...)
• 4 Interrogatoire de Mercier (J.), dit « La souris de Belleville », par le commissaire Pelatan, le Mat (...)

3Publié dans la Revue politique et littéraire (la fameuse Revue bleue) en octobre 1907, au plus fort de l’hystérie anti-apache qui avait déclenchée le projet gouvernemental d’abolition de la peine de mort, « Chez les Apaches » de Paul Matter est très représentatif de ce voyeurisme journalistique qu’affichaient alors quotidiens et magazines. À l’exception de l’origine du terme Apache, dont la paternité était très discutée (ici un chroniqueur du Palais, mais on cita aussi des journalistes2, un policier3, et d’autres estimaient que le terme avait jailli spontanément dans le milieu des rôdeurs de l’Est parisien4), le récit a recours à tous les poncifs habituellement utilisés pour décrire voyous et vauriens. Outre la figure de l’Apache, désormais bien fixée (jeune, lâche et cynique), il associe comme cela était d’usage le traditionnel exotisme des bas-fonds (les mystères du « Paris Apache », ses mœurs, sa topographie) et un alarmisme à l’emporte-pièce, distillant auprès d’un public mi- apeuré, mi-médusé une admiration pour le moins équivoque. C’était dans les deux cas refuser de s’interroger sur les causes réelles du phénomène au profit de quelques impératifs de représentation qui faisaient de « l’apacherie » un état clos, autonome, et désormais détaché, pensait-on, du monde ouvrier. Avec des accents plus ou moins prononcés, c’est ce même discours qui est à l’œuvre dans la quasi-totalité des « histoires d’apaches ». Pour la littérature populaire ou certaines avant-gardes culturelles comme la bohème montmartroise, l’apache pouvait incarner tout le mystère et la poésie de cette version nouvelle de la Cour des Miracles. Peuplé de voyous au sang chaud, de rôdeurs de barrières et de forts en muscles, son monde était une jungle cruelle et désabusée sur laquelle se profilait, dans une tenace odeur d’absinthe, l’ombre des « Bat d’Af », de la guillotine ou de Cayenne. Dans la presse quotidienne, à l’inverse, l’accent fut rapidement porté sur le péril national que représentait cette crapule méprisable et irrécupérable, ce parasite social jugé responsable de toutes les formes de criminalité juvénile. Dans la surenchère quotidienne de ses campagnes tapageuses se profilait déjà le ton exaspéré du discours sécuritaire. Synthèse des diverses mesures réclamées depuis une dizaine d’années par les tenants d’une répression plus « musclée », le programme de « Salut Public » publié ci-après est un bon exemple de ces débordements émanant pour l’essentiel d’hommes politiques (Georges Berry), de juristes et surtout de conseillers municipaux parisiens (Oudin, Massard), les dix-sept vœux qui le composent venaient clôturer une très active campagne « Pour la sécurité de Paris », lancée à l’instigation d’Excelsior, le journal de Pierre Laffite. Si certaines mesures apparaissent légitimes (augmentation des effectifs et modernisation de l’appareil policier), les appels à une pénalité plus sévère et surtout plus « exemplaire » (relégation, châtiments corporels !) doivent tout au climat souvent hystérique que la presse populaire entretenait autour de l’apache depuis le début du siècle. En 1912, en effet, au plus fort des exploits de la « bande Bonnot », la mode apache et son folklore pittoresque n’étaient plus guerre de mise. Seules demeuraient l’exaspération et la progressive exploitation politique du thème. La Grande Guerre coupa court à cette évolution. Pour les Apaches, dont bon nombre finirent dans les tranchées de Verdun ou de la Somme, elle devait être aussi la dernière des guerres indiennes.