• 1 Evelyn Waugh, Decline and Fall [1928], Londres, D. Campbell (Everyman’s library), 1993, p. 59‑60.
• 2 Voir en particulier Michel-Yves Perrin, Civitas confusionis. De la participation des fidèles aux co (...)
• 3 Ibid., p. 290 n. 966 ; Adolf von Harnack, Der kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeite (...)

1« He seems deeply interested in Church matters. Are you quite sure he is right in the head ? I have noticed again and again since I have been in the Church that lay interest in ecclesiastical matters is often a prelude to insanity »1. Le mot, ironique à plusieurs titres, d’un curé anglican dans le premier roman d’Evelyn Waugh, vaut-il aussi pour l’historien, surtout lorsqu’il ne saurait plaider l’obligation professionnelle et que – pratique passablement suspecte dans l’Université française –, il s’aventure « hors de sa période » ? En lisant, avec un intérêt soutenu d’un bout à l’autre, la somme de Michel-Yves Perrin, le moderniste doit en tout cas résister à une tentation constante, celle du rapprochement avec ses propres objets d’étude. L’auteur suggère lui-même régulièrement des parallèles, surtout avec le xvi^e siècle2. Et il rappelle en épilogue le commentaire dont Harnack, déjà, faisait suivre une longue citation d’Origène, déplorant le manque d’attention avec lequel les chrétiens suivaient les offices à l’église, où ils se bornaient à aller mécaniquement les jours de fête : « à lire ces exhortations, on se croit aux temps modernes et non au iii^e siècle »3.

• 4 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 296‑297.
• 5 Warren Pezé, intervention à la rencontre organisée par la RHR autour de Civitas confusionis, Paris, (...)
• 6 Bruno Neveu, « Orthodoxie et innovation », Orthodoxie, christianisme, histoire, dir. Susanna Elm, É (...)

2L’ultime paragraphe de Civitas confusionis dépasse le comparatisme ponctuel et invite à s’intéresser à « la longue durée de l’histoire du christianisme »4. Warren Pezé, lors de la rencontre organisée autour de l’ouvrage, disait en avoir tiré « l’irrésistible impression que le fait religieux chrétien, au-delà de la période traitée, est structurellement polémique »5 : elle ne s’impose pas moins à l’historien moderniste. Pour le dire autrement, la doctrine chrétienne, tout spécialement sous sa forme catholique, apparaît comme structurellement instable. La cause en est en partie négative : l’absence d’un critère simple et univoque de la vérité. « L’Église chrétienne, observait Bruno Neveu, ne connaissant ni Terre sainte, omphalos mundi, ni langue sacrée ni califat familial chargé du dépôt, la cohésion organique et l’opération discriminant le vrai de l’erreur reviennent à une autorité magistérielle dont les incarnations ont considérablement varié tout en conservant des traits permanents »6. Mais l’instabilité tient à la surabondance au moins autant qu’au manque : à une pluralité d’autorités doctrinales, dont aucune n’échappe à un travail herméneutique, et dont la définition même et la hiérarchie sont constamment disputées. On pourrait dire, à très gros traits, que l’histoire du christianisme latin depuis le xvi^e siècle fut rythmée par les tentatives successives pour imposer l’hégémonie d’une autorité, censée suffire par elle-même à trancher les controverses. Toutes ces tentatives « finirent mal », du point de vue de leurs promoteurs. Non seulement elles déchaînèrent les disputes au lieu de les contenir, mais par un paradoxe d’auto‑abolition, elles aboutirent à ruiner le principe même qui avait été exalté, en même temps que l’orthodoxie que l’on avait voulu asseoir sur lui. Le sola scriptura protestant du xvi^e siècle mina la certitude du texte biblique. Le culte de l’Antiquité qui prit le relais aux xvii^e et xviii^e siècles, au premier chef en France et dans l’Angleterre épiscopalienne, fit éclater le « consensus des Pères » et discrédita l’argument de tradition. L’exaltation du « Magistère infaillible », au xix^e siècle et dans la première moitié du xx^e siècle, comme seul rempart de l’Unité et du Dogme, se conclut sous nos yeux par l’imposition autoritaire d’une ecclésiologie à l’anglicane et d’un christianisme adogmatique.

• 7 Luigi Pirandello, Enrico IV, dans Sei personaggi in cerca d’autore. Enrico IV, éd. Roberto Alonge, (...)
• 8 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 48 ; voir encore p. 238, n. 752.
• 9 Ibid., p. 56‑57.
• 10 Voir infra, n. 27. Une étude systématique sur le procédé serait à mener.
• 11 Il n’est même pas sûr que les ascètes puissent être rangés parmi « les fidèles », comme le fait M.- (...)
• 12 Voir sur ce point les observations de Benjamin J. King, « Sensus fidelium », The Oxford Handbook of (...)
• 13 Histoire vécue du peuple chrétien, dir. Jean Delumeau, 2 vol., Paris, Privat, 1979. M.-Y. Perrin, C (...)
• 14 Catégorie qu’on ne confondra pas avec celle, sociologiquement plus marquée, de « simples » ou de «  (...)

3Il faut pourtant se défier, pour reprendre une formule pirandellienne, d’« une certaine élasticité analogique, caractéristique de tout délire systématique »7. Le risque est grand d’oublier « la différence des temps et des lieux », que M.-Y. Perrin appelle à faire « servir de garde-fou » au comparatisme8. Il souligne l’absence dans les premiers siècles d’une distinction rigoureuse entre clercs et laïcs, notamment du fait de « l’absence dans l’antiquité d’une formation cléricale spécifique » – et c’est pourquoi il emploie, plutôt que « laïcs », le terme de « fidèles », qu’il juge « plus souple »9. Il est frappant de voir un historien du xvii^e siècle classer expressément comme « laïc » un solitaire qui n’était pas qualifié ainsi dans les sources antiques10. Les modernistes seront reconnaissants à M.-Y. Perrin d’attirer leur attention sur ce glissement, dont la portée risquait de leur échapper11. S’agissant, en revanche, de leur propre période, c’est plutôt « fidèles » qui leur paraîtra problématique, en raison de ses connotations théologiques et même, spécifiquement, théologiques catholiques12. Ne parlons pas de « peuple chrétien », qui eut son quart d’heure de gloire dans les années 1970 et qu’il aurait mieux valu laisser à l’animation pastorale13. Pour la France des xvii^e et xviii^e siècles, si l’on voulait employer les catégories des contemporains, celle qui correspondrait le mieux à ce dont parle M.-Y. Perrin serait sans doute « simples fidèles », par opposition à la fois au clergé et aux théologiens14.

• 15 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 184.
• 16 Ibid., p. 292 ; W. Pezé, « La participation des fidèles », n. 45.
• 17 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 172, n. 529.
• 18 Pierre Jurieu, L’Esprit de Mr. Arnaud, 2 vol., Deventer, héritiers de Jean Colombius, 1684, t. II, (...)

4Aux temps modernes, la théologie est une discipline universitaire, et le rapport entre « inclination pour un sujet et compétence effective pour en parler ou en juger »15, « compétence » et « appétence »16, s’en trouve profondément modifié. La participation de laïcs à des controverses doctrinales est perçue comme la transgression des frontières et de la hiérarchie des savoirs. M.-Y. Perrin, adepte de la longue mémoire historiographique, cite les Exercitationes in Baronium d’Isaac Casaubon17. La différence considérable de leurs doctrines du sacerdoce n’empêcha pas des théologiens de toutes les Églises de s’accorder à dénigrer ce dernier comme « un Grammairien, un demi-Theologien », un « philologue » qui avait « outrepassé les frontières de son domaine », un « ignorant » qui avait mis « le nez dans la Theologie, de laquelle il n’avoit jamais ouy parler qu’à la mesme façon que nous oyons discourir du Royaume de Catay »18.

• 19 Pierre Matthieu, Histoire de France et des choses memorables, advenues aux provinces estrangeres du (...)
• 20 Voir M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 186‑187 et 236‑238.
• 21 P. Sarpi, Istoria del Concilio Tridentino, éd. Corrado Vivanti, 2 vol., Turin, Einaudi, 1974, t. I, (...)

5Ces réactions étaient d’autant plus vives que, en raison de la tendance massive à l’historicisation des controverses, les clercs, qui n’avaient plus depuis longtemps le monopole de la culture, se voyaient menacés de perdre désormais celui de la culture sacrée. La conférence de Fontainebleau du 4 mai 1600, qui mit solennellement aux prises, devant Henri IV et sa Cour, Du Plessis-Mornay (« le capitaine Du Plessis » comme disaient dédaigneusement les controversistes catholiques) et le futur cardinal Du Perron, alors évêque d’Évreux, fut arbitrée par des commissaires exclusivement laïcs – surtout des juristes, le président Jacques-Auguste de Thou, François Pithou, Philippe Canaye de Fresnes, président de la chambre mi-partie de Castres, mais aussi Casaubon, et Jean Martin, médecin du roi –, au motif qu’il n’y s’agissait pas de discuter du sens des passages patristiques, mais seulement d’en vérifier la lettre. Pour une telle tâche, l’habitude des disputes de l’École était même disqualifiante : « Il n’estoit pas question de dresser une dispute pleine d’animosité, sujecte aux cavillations des Sophistes, dont tousjours en y a eu un bon nombre, ains seulement d’avoir personnes qui eussent l’œil clair, et l’oreille bien nette, pour verifier les passages s’ils estoient alleguez à faux, d’examiner si les mots estoient alterez ou mutilez. C’est pourquoy on n’y appella point de Theologiens »19. Se radicalisent en même temps la tension et le conflit potentiel – attestés dès les premiers siècles, M.-Y. Perrin le montre clairement20 – entre compétence des experts et autorité hiérarchique. C’est le sens de la page sarcastique de Sarpi, citée dans Civitas confusionis, sur l’embarras où les divergences entre écoles sur la nature du péché originel plongèrent les Pères du concile de Trente, « dont très peu connaissaient la théologie, mais qui étaient ou des juristes ou des littérateurs de cour ». Comme aussi bien peut-être les notes du P. Congar sur Vatican II, que M.-Y. Perrin en rapproche, le texte exprime les conceptions du théologien au moins autant qu’il ne documente le « niveau » réel des évêques21.

• 22 Prediche sopra gl’Evangelii di Quaresima del Reverendissimo Monsignor Panigarola vescovo d’Asti […] (...)
• 23 Pierre de L’Estoile, Mémoires-journaux, éd. G. Brunet et alii, 12 vol., Paris, Lemerre, 1875‑1896, (...)

6L’analogie est beaucoup moins hasardeuse dès lors qu’elle peut s’appuyer sur une base textuelle précise. Quoi qu’il en soit de la différence des temps, il est incontestable que beaucoup des sources patristiques analysées par Civitas confusionis furent abondamment citées et commentées aux temps modernes. Le rapprochement qu’inspiraient à Harnack les plaintes d’Origène pourrait passer pour une impression subjective du professeur de Berlin : il devient beaucoup plus probant pour qui sait la fortune du passage chez les prédicateurs des xvi^e et xvii^e siècles, ainsi dans les sermons de Francesco Panigarola, qui circulèrent beaucoup dans l’Europe de la Réforme catholique22. S’agissant des querelles doctrinales, le jeu de miroir entre hérétiques des premiers siècles et adversaires contemporains était constant, non seulement chez les controversistes de profession, mais dans la bouche des laïcs instruits. Le plus bel exemple en est peut-être le mot féroce du médecin Martin, anti-protestant virulent, au lendemain de la conférence de Fontainebleau, à l’annonce que Du Plessis-Mornay avait été pris de vomissements durant la nuit et était incapable de continuer le débat : Caueat sibi ab exitu Arii. Pierre de L’Estoile consigne le mot sans commentaire dans son journal23. De telles références faisaient alors partie de la culture savante commune.

• 24 Voir ibid., p. 69, 87‑88 et passim.
• 25 Sous réserve de recherches plus poussées, le genre semble propre à l’anti-jansénisme. Voir [Gilles (...)
• 26 BNF, Ms. Français 22105, f. 106r, 110r (dossier de Bourdin, procureur au Châtelet), 209r et 216r (Q (...)
• 27 Les Hexaples ou les six colomnes sur la constitution Unigenitus, 7 vol., Amsterdam, N. Potgieter, 1 (...)
• 28 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 235‑236, n. 744.

7En un âge confessionnel où les clergés des différentes Églises se souciaient au moins autant qu’aux premiers siècles d’inculquer ce que M.-Y. Perrin désigne excellemment comme « l’éthos hérésiologique »24, l’histoire était un instrument privilégié. Les comparaisons explicites qui revenaient sans cesse dans la littérature de controverse ou dans les sermons, les allusions plus ou moins voilées des livres d’histoire, l’existence même d’espèces de manuels d’éthologie, qui tiraient des sources patristiques, à des fins de polémique contemporaine, de longues listes de « caractères de l’erreur » ou d’« artifices de l’hérésie »25, tout invitait à transposer l’histoire des controverses antiques en modèle de comportement et de combat pour les controverses présentes. Au xviii^e siècle, il faut souligner le rôle de vulgarisation tenu par les multiples rééditions de l’Histoire ecclésiastique de l’abbé Fleury. Un conseiller au Châtelet et un simple procureur, mis à la Bastille quelques mois en 1754 pour s’être immiscés dans la querelle des refus de sacrements, se font apporter deux par deux les volumes de l’ouvrage26. On y trouvait des précédents à l’intervention des laïcs dans les querelles doctrinales. Les grandes Hexaples de 1721, somme des meilleurs théologiens jansénistes contre la bulle Unigenitus, rappellent d’après Fleury comment le saint moine Aphraate, sous l’empereur arien Valens, « avoit quitté sa solitude, pour venir au secours de l’Eglise, quoique simple laïque »27 – Civitas confusionis mentionne l’épisode pour illustrer le rôle des moines dans les controverses du iv^e siècle28. Pour justifier l’inclusion de quelques laïcs dans son monumental recueil des actes d’appel, Gabriel-Nicolas Nivelle, un des collaborateurs des Hexaples, cita Fleury, ainsi que Tillemont et Baillet, sur le rôle de « deux vertueux Laïques, Flavien et Diodore » à la tête du parti nicéen à Antioche :

• 30 Acte dans Nivelle, La Constitution Unigenitus, op. cit., t. III, p. 613‑614 : y est en outre invoqu (...)

8Les auteurs des Hexaples étaient tous des clercs. Mais on trouve les mêmes références alléguées directement par un ancien officier des galères du roi, Gassendi de Campagne, retiré dans le diocèse d’Aix, pour justifier son appel, en 1721, à la fois de la bulle Unigenitus et du mandement de son archevêque ordonnant de s’y soumettre sous peine d’excommunication30.

• 31 Jean Buvat, Journal de la Régence (1715‑1723), 2 vol., Paris, Plon, 1865, t. II, p. 331 (on notera (...)
• 32 Edmond-Jean-François Barbier, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718‑1763) ou Journa (...)
• 33 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 51‑54, 95, 263‑266.

9L’appropriation de la controverse de l’Unigenitus par des laïcs de tous les milieux sociaux est bien connue du côté janséniste. L’épisode de la servante qui, en janvier 1722, au faubourg Saint-Antoine, se met à genoux devant le viatique porté par un prêtre constitutionnaire en s’écriant : « Je vous adore, ô mon Dieu, quoique vous soyez entre les mains d’un hérétique »31, ou la notation de l’avocat Barbier en octobre 1728 : « le gros de Paris, hommes, femmes, petits enfants, est janséniste, c’est-à-dire en gros, sans savoir la matière, contre la cour de Rome et les Jésuites »32, sont des classiques de l’historiographie. Personne ne s’est jusqu’ici intéressé aux laïcs anti-jansénistes, en particulier à ceux qui vivaient dans les diocèses d’évêques appelants et qui, pour peu qu’ils prissent au pied de la lettre le discours ecclésiastique officiel, devaient tenir leur diocésain pour hérétique, séparé de la communion du pape, et privé de toute juridiction. M.-Y. Perrin ayant choisi de laisser de côté le problème de la violence, déjà bien étudié33, on passera rapidement sur la mésaventure de l’évêque appelant de Boulogne, Pierre de Langle, chassé par une émeute, en août 1720, d’un village où il prétendait imposer un curé janséniste. D’après l’évêque, les violences auraient été exclusivement le fait des « femmes et filles » :

• 36 Lettre à Monseigneur l’Evesque de Boulogne, s.l.n.d., p. 2.
• 37 Ibid., p. 2‑3 et 9. Voir M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 88‑94, qui analyse l’un et l’autre é (...)

10L’affaire eut un grand retentissement et fut le point de départ de longs échanges polémiques, sur le mode clérical et savant, entre l’évêque de Boulogne et son confrère constitutionnaire de Soissons : le débat y dévia très vite sur des points comme l’autorité de Bossuet, sans aucun rapport avec ce qui s’était passé, comme si cette irruption brutale de femmes du peuple embarrassait les deux partis et devait être immédiatement recouverte par le discours codifié de la théologie. Un pamphlet anonyme prit cependant la défense des villageois : « Ont-elles tort, dis-je, ces infortunées brebis qui ont eû le malheur de vous être confiées ; si elles vous résistent et si elles tâchent par tous moyens de vous faire prendre la fuite. Les vrais fideles n’en ont-ils pas usé ainsi dans tous les tems à l’égard des Héretiques ; ne les ont-ils pas fuis et detestez ; n’ont-ils pas témoigné dès le premier siecle l’horreur qu’ils en avoient »36 ? Et l’auteur de produire une longue série d’exemples de ce « rejet physique des “hérétiques” » dont M.-Y. Perrin a montré la signification anthropologique : l’apôtre Jean, au rapport d’Irénée de Lyon, s’enfuit des thermes en apprenant que Cérinthe s’y trouvait ; les habitants de Samosate agirent de même, d’après Théodoret, à l’encontre de l’évêque arien intrus Eunome…37

• 38 Outre le gros dossier conservé aux Archives de la congrégation pour la Doctrine de la Foi [ACDF], S (...)

11Les laïcs qui, sans aller jusqu’à la violence physique, entendaient pratiquer ce rejet des hérétiques ne trouvèrent aucun soutien à Rome, en partie pour des raisons politiques, mais aussi parce qu’ils revendiquaient de fait, fût-ce au nom d’une vision hyper-hiérarchique de l’Église, une autonomie et une capacité à s’affranchir des structures institutionnelles, en jouant des divergences internes du clergé, qui paraissaient suspectes. Les plus radicaux en vinrent à se séparer, non seulement des appelants, mais de tous ceux qui communiquaient avec des appelants. À Paris, le petit groupe des « catholiques incommunicans » avait pour chef un certain Gaullier, « contrôleur général et provincial des décimes du Clergé de France » : ceux qui le pouvaient quittaient le diocèse à Pâques pour aller communier dans celui de Laon, les autres préféraient s’abstenir entièrement des sacrements. Les écrits qu’ils rédigèrent pour leur défense invoquent des précédents de l’histoire ecclésiastique, surtout empruntés au « schisme d’Acace », quant au devoir absolu de fuir toute communication avec les hérétiques et schismatiques38.

• 39 « Cas à consulter », dans Recueil de pieces nouvelles et interessantes, Avignon, s. n., 1759, p. 1‑ (...)
• 40 ACDF, Saint-Office, Stanza Storica, F 5-f, f. 332r-359v.
• 41 « Réflexions sur la Décision d’un Cas de conscience, etc. », dans Recueil de pieces, op. cit., p. 4 (...)

13Il n’assiste pas à la messe de paroisse, n’y fait pas ses pâques, n’envoie pas ses enfants au catéchisme et leur a fait faire leur première communion dans la paroisse du curé acceptant. « S’étant trouvé en danger de mort, il n’a point voulu recevoir les derniers Sacremens que son Curé lui a offert de lui administrer, et il étoit disposé à mourir sans Sacremens, plutôt que de les recevoir de la main de son Pasteur ». Douze docteurs, dont le syndic de la Faculté, condamnèrent la conduite de Titius comme « entierement irréguliere, scandaleuse, et tendante a former un schisme. Il ne convient à aucun simple Fidele de vouloir être plus sage ou plus éclairé que l’Eglise même ». Or « l’Eglise n’a pas jugé à propos jusqu’ici de dépouiller le Curé de Titius de sa jurisdiction ». Dès lors, « la conduite de Titius, en se séparant de son Curé, blâme et censure celle que l’Eglise tient à l’égard de ce même Curé »39. Le Saint-Office, saisi, préféra laisser l’affaire sans suite – le consulteur auquel le dossier avait été soumis donna même raison aux docteurs40. Leur résolution fut pourtant attaquée en France. Un mémoire pour Titius protesta que, si l’apôtre Jean n’avait pas voulu rester aux thermes avec Cérinthe, Titius était bien fondé à se séparer de son curé janséniste41.

• 42 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 34‑39 ; [John Henry Newman], « On Consulting the Faithful in (...)
• 43 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 37, n. 81, et p. 38, n. 84.
• 44 Elle a été esquissée dans une communication restée inédite, « “Ceci est mon corps”. Sens littéral e (...)

14Il n’est donc pas surprenant que la France des xvii^e et xviii^e siècles ait vu s’élaborer des réflexions originales, inspirées par la polémique mais aussi nourries d’une connaissance intime de l’Antiquité chrétienne, sur le rôle des simples fidèles comme lieu théologique. M.-Y. Perrin est un historien qui s’intéresse à la théologie : il n’en a pas, en l’espèce, été intellectuellement récompensé. Dans son prologue historiographique, il insiste sur le fameux article publié par Newman en 1859, « On Consulting the Faithful in Matters of Doctrine »42. Il a consulté des études plus récentes, dans le sillage de Newman, sur le sensus fidelium, ainsi qu’un théologien du xvi^e siècle, le dominicain Melchior Cano, « souvent considéré dans la théologie catholique comme l’un des Pères de cette notion » – et qui, on le verra, était invoqué par Newman43. Il n’a manifestement pas tiré grand-chose de ces lectures théologiques, ce qui est tout à l’honneur de sa rigueur d’historien. Il aurait trouvé des analyses beaucoup plus topiques chez les gallicans de l’âge classique. Une étude précise reste à mener44, mais deux monuments se détachent clairement : la Perpétuité de la foy d’Arnauld et Nicole, tout d’abord, l’œuvre de Bossuet controversiste, ensuite.

• 45 [Pierre Nicole], « Traité sur l’Eucharistie, où l’on fait voir la perpetuité de la Foy de l’Eglise (...)
• 46 Ibid., p. 24‑25 et 92.
• 47 Ibid., p. 38.
• 48 Ibid., p. 38‑39. Voir aussi [Pierre Nicole et Antoine Arnauld], La Perpetuité de la Foy de l’Eglise (...)
• 49 Voir Arnauld et Nicole, Perpetuité deffendue, p. 15, 788, 835 ; l. X, p. 50.

15Pour montrer l’impossibilité d’un « changement insensible » de croyance sur l’eucharistie entre les origines chrétiennes et le onzième siècle – où, de l’aveu des protestants, le corps de l’Église avait sur la présence réelle la même foi que l’Église romaine d’à présent –, les port-royalistes font valoir que « le Mystere de l’Eucharistie n’est pas du nombre de ceux qui ne sont connus distinctement que de peu de personnes, plus instruites dans la science de l’Eglise ». « Tous les Fideles » savaient nécessairement ce qu’ils recevaient quand ils communiaient45. La doctrine de la présence réelle n’aurait donc pu être introduite « sans contradiction » et « sans bruit »46. « On voit dans l’Histoire de tous les siecles de l’Eglise, que la moindre question qui ait divisé les fidelles, a toûjours excité de tres-grands troubles »47. La nature humaine le veut ainsi. Dès lors, « pour s’imaginer que toute l’Église ait pû vivre dans une profonde paix pendant que tous les Fidelles estoient partagez entr’eux par une si estrange diversité de créance », les uns croyant encore « l’absence réelle », les autres étant déjà passés à la présence réelle, « il faut aussi s’imaginer que les hommes de ce temps-là estoient d’une autre espece que ceux de ce siecle, et qu’ils n’estoient pas sujets aux mesmes mouvemens, et aux mesmes passions »48. L’absence de « révolte » et de « soulèvement » contre la doctrine de la présence réelle, et même contre celle de la transsubstantiation, prouve rétrospectivement que telle était la foi primitive49.

• 50 [Antoine Arnauld], « Réfutation de la Réponse d’un Ministre, au precedent Traité », dans Perpetuité (...)
• 51 Arnauld et Nicole, Perpetuité deffendue, p. 65‑69.

16Arnauld et Nicole soulignent que l’argument ne vaut que pour « les mystères populaires ». « Dans les mysteres populaires et qui doivent estre connus de tous les fideles d’une foy distincte, la foy du peuple est la veritable foy. Le Corps de l’Eglise ne peut errer, mais il est tres-possible qu’un particulier s’égare »50. Les port-royalistes distinguent donc « une infaillibilité de grace et de privilege », dont l’Église jouit sur tous les articles de foi, et une « infaillibilité populaire », propre à des mystères comme celui de l’Eucharistie, et fondée sur l’impossibilité naturelle du changement51 :

• 53 Jacques-Bénigne Bossuet, « Fragmens sur des matières de controverse pour servir de réponse à plusie (...)
• 54 Jacques-Bénigne Bossuet, Les Passages éclaircis, ou Réponse au livre intitulé : les principales pro (...)
• 55 Jacques-Bénigne Bossuet, Remarques sur la Réponse de M. l’Archevesque de Cambray, à la Relation sur (...)

17On repère aisément des échos de ces idées port-royalistes chez Bossuet, qui fut du reste un des approbateurs des trois volumes de la Perpétuité défendue (la « grande Perpétuité ») de 1669‑1674. Mais, alors que l’argumentation d’Arnauld et Nicole se fonde explicitement sur une psychologie naturelle, Bossuet en appelle à un « instinct de la foi »53, imprimé dans l’esprit : « l’impression de la foy commune »54, « l’impression solide et perseverante de la tradition »55. Cet instinct n’est jamais défini en termes techniques – Bossuet s’inscrit, contre les protestants puis contre Fénelon, dans la stratégie de « littérarisation » des controverses caractéristique du xvii^e siècle français et qui fait précisément émerger « le public », en bonne partie laïc, comme juge de fait des controverses. On reconnaît pourtant l’habitus de foi de Thomas d’Aquin :

• 57 Ibid., t. I, p. 301. Voir encore t. II, p. 128, n. 497, et Excursus X, p. 288‑290. L’auteur fait to (...)

18Le traitement de cette doctrine par les commentateurs des xvi^e et xvii^e siècles reste à étudier. Un thomiste très conservateur du xx^e siècle, en tout cas – les travaux de Bruno Neveu ont rendu cette référence moins incongrue pour un historien du catholicisme moderne –, décrit cet habitus de foi comme un instinct intérieur : l’infaillibilité « appartient à toute l’Église, en ce sens que les fidèles eux-mêmes ont un certain “instinct intérieur” qui les prévient de l’erreur »57.

• 58 Bossuet, Les Passages éclaircis, op. cit., p. 74.
• 59 Jacques-Bénigne Bossuet, Défense de la Tradition et des Saints Peres, dans Œuvres posthumes, 3 vol. (...)
• 60 Bossuet, Remarques sur la Réponse, op. cit., p. 197.
• 61 Jacques-Bénigne Bossuet, Premier Avertissement aux Protestans sur les lettres du Ministre Jurieu co (...)
• 62 Ibid., p. 77‑78.
• 63 Bossuet, Remarques sur la Réponse, op. cit., p. 158.

19Chez Bossuet, sans doute, l’instinct de la foi n’est pas exclusivement négatif. Il fait parler « naturellement » comme l’Église – la tradition pour Bossuet est d’abord une langue58. Il dicte les mots de la prière – et pas seulement, notons-le, de la prière publique. « Il y a un instinct dans l’Eglise pour demander à Dieu, chacun pour soi, et tous pour tous, non pas le simple pouvoir, mais le faire : il y a encore un instinct pour lui rendre une action de graces particuliere du bien que font ceux qui font bien. […] Cet instinct vient de l’esprit de la Foi, puisqu’il est dans toute l’Eglise. C’est donc un dogme constant et un article de Foi, que sans blesser le libre arbitre, Dieu le tourne comme il lui plaît, par les voies qui lui sont connues »59. Mais la manifestation la plus visible de cet instinct reste « le soulevement […] universel » qui ne manque jamais « contre toutes les erreurs naissantes »60. Alors qu’Arnauld et Nicole ne faisaient qu’une place négative aux « soulèvements », présentés comme l’inévitable effet des passions humaines, l’évêque de Meaux célèbre « le cri de la foi ». La réaction indignée de « tous les peuples » – Bossuet l’illustre à grand renfort de citations conciliaires et patristiques –, contre les ariens, les nestoriens, les eutychiens et autres hérétiques montre « que c’estoit-là la preuve commune donnée à l’Eglise contre toutes les nouveautez. Car si on s’est récrié à la nouveauté lors que ces nouvelles doctrines ont commencé à paroistre, on se seroit récrié de mesme à toute autre innovation. La doctrine qui est donc venuë sans jamais avoir excité ce cri de surprise et d’aversion, porte la marque certaine d’une doctrine qui a toûjours esté »61. On objecterait à tort que la multitude est ignorante. Il faut distinguer « la multitude abandonnée à elle-mesme, et livrée à son ignorance par un juste jugement de Dieu, de la multitude choisie, de la multitude séparée, de la multitude promise et benie, conduite par conséquent avec un soin special de Dieu et de son esprit »62. Cette exaltation du « premier cri de la foy blessée »63 culmine, littérairement en tout cas, dans la Relation sur le Quiétisme :

• 65 Jean-Louis Quantin, « Les limites de l’argument de tradition : sur les autorités dans la controvers (...)

20Ce morceau de bravoure devint au siècle suivant une référence favorite des jansénistes, qui en faisaient l’application à la résistance à la bulle Unigenitus65. Jusqu’à quel point cette récupération rendit-elle suspectes les formules de Bossuet, voire la notion même d’un instinct de résistance des laïcs ? Il faudrait suivre la fortune ultérieure de celle-ci en milieu catholique. On est tenté d’en trouver un écho dans une belle page de Mgr Duchesne sur les origines de l’arianisme :

• 67 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 39, n. 85. Comparer en particulier Paul Le Guichaoua, « Mémoi (...)
• 68 Louis Duchesne, Lettre à un ami à propos de l’Histoire ancienne de l’Église (épreuve confidentielle (...)

21Duchesne produisit le passage pour sa défense, après qu’il eut été accusé de réduire les controverses christologiques des premiers siècles à des chicanes de théologiens – bien des passages de l’Histoire ancienne de l’Église donnent de fait cette impression, et M.-Y. Perrin en a réuni un petit florilège, qui recoupe celui qu’avaient autrefois dressé les polémistes anti-modernistes et les censeurs romains67. « Je dis que l’arianisme se heurte à la pierre angulaire de l’enseignement chrétien […]. Et l’on me fait dire que l’arianisme est au fond conforme à la tradition commune. Peut-on mentir plus effrontément68 ? »

• 69 Newman, « On Consulting the Faithful », op. cit., p. 226. Voir The Ecclesiastical History of M. l’a (...)
• 70 William Tuckwell, Reminiscences of Oxford, 2^e éd., Londres, Smith, Elder and Co., 1907, p. 143.
• 71 Gregorio de Valencia, Analysis fidei catholicae, hoc est, ratio methodica eam in uniuersum fidem ex (...)
• 72 Comparer Perrone, De immaculato conceptu, op. cit., p. 143‑144 et 156, et Newman, « On Consulting t (...)
• 73 L’absence, dans ces historiques, de toute référence à Thomas d’Aquin remonte à Perrone. On hésite, (...)
• 74 Gustave Thils, L’infaillibilité du peuple chrétien « in credendo ». Notes de théologie posttridenti (...)
• 75 Voir par exemple Dario Vitali, Sensus fidelium : una funzione ecclesiale di intelligenza della fede(...)

22Newman ignorait-il cette tradition gallicane et janséniste, qui avait eu un fort retentissement en Angleterre, parmi les anglicans comme les recusants ? On voit assez, en tout cas, qu’il n’aurait pu s’y référer dans un article qui était d’abord un mémoire en défense, contre ceux, dans l’épiscopat anglais et à Rome, qui mettaient en doute son orthodoxie. Tout au plus s’autorisa-t-il une très discrète référence à l’Histoire ecclésiastique de Fleury, « Oxf. translation », c’est-à-dire à la traduction révisée qu’en avait donnée une équipe de jeunes oxoniens, sous sa propre direction, dans ses dernières années anglicanes69. Le Mouvement d’Oxford faisait grand cas du vieux gallican et, dans les années 1850, E. B. Pusey tranchait encore : « the best ecclesiastical history is Fleury’s »70. En théologie, Newman alla chercher un garant au-dessus de tout soupçon, le jésuite Giovanni Perrone, alors préfet des études au Collège romain, qui avait brièvement traité du communis fidelium sensus dans un traité de 1847 destiné à préparer la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Perrone fournissait quelques citations de recentiores theologi : un passage très vague de Melchior Cano, un autre du jésuite Gregorio de Valencia, plus intéressant, mais cité hors de tout contexte – le consensus des fidèles peut se manifester, soit par un culte communément reçu, « soit par le scandale que cause une opinion71 » –, deux extraits des Dogmata theologica du P. Denis Petau. Newman ne fit que les reprendre telles quelles72. Les mêmes références se retrouvent jusqu’à nos jours dans la production catholique, tout juste complétées par de brefs textes équivalents de Bellarmin ou de Suárez73. Même chez un auteur qui prétend traiter ex professo de la théologie post-tridentine, dans un esprit, il est vrai, fort peu historique, on cherche en vain une mention de Port-Royal ou de Bossuet74. Sur ce point comme sur d’autres, la théologie d’après Vatican II n’a fait que reprendre le corpus extrêmement étroit jadis construit sous Pie IX, quitte à en déplorer ensuite « l’étroitesse de perspective » pour mieux exalter « le printemps du Concile »75.

• 76 M.-Y. Perrin, Civitas confusionis, p. 47. Le jugement intéressé de Louis Duchesne en 1882 sur Newma (...)
• 77 Newman, « On Consulting the Faithful », op. cit., p. 213 : « the history of Arianism, […] which I i (...)
• 78 B. King, « Sensus fidelium », op. cit., p. 264‑283, insiste sur le caractère rhétorique de l’appel (...)
• 79 Perrone, De immaculato conceptu, op. cit., p. 139 : « Quocirca perperam nonnulli solent ad infician (...)
• 80 Newman, « On Consulting the Faithful », op. cit., p. 206 : « Father Perrone, on the other hand, not (...)
• 81 Newman, « On Consulting the Faithful », op. cit., p. 213 : « I fairly own, that if I go to writers, (...)
• 82 Voir l’aveu par dénégation d’Yves Congar, La Tradition et les traditions. Essai historique, Paris, (...)

23Faut-il vraiment créditer Newman, dans son article de 1859 sur le sensus fidelium, d’une « intuition historiographique »76, ou n’est-ce pas là faire erreur sur la nature de ce texte et, plus précisément, de la section qui y est consacrée à l’histoire de l’arianisme, « à titre d’illustration de la vérité et de l’importance de la thèse sur laquelle j’insiste »77 ? Laissons la question aux spécialistes de Newman – nous ne disons pas à ses hagiographes78. On soulignera plutôt – et c’est ici la différence fondamentale avec Bossuet – que le sensus fidelium se voit explicitement attribuer une fonction de suppléance. C’était déjà le cas chez Perrone, contraint de reconnaître que, même gonflé par une critique d’authenticité des moins rigoureuses, le dossier patristique en faveur de la pia sententia sur l’Immaculée Conception n’était guère décisif. C’est à tort, protesta-t-il, que « certains ont coutume de prendre argument du silence des Pères pour nier l’existence d’une tradition […]. Et si ce silence est en quelque façon compensé ou suppléé » par d’autres moyens de faire apparaître la tradition, tels la liturgie, le communis fidelium sensus, « le magistère perpétuel et vivant de l’Église »79 ? Newman développa l’idée en l’articulant à sa théorie du développement doctrinal, telle qu’il s’était efforcé, une décennie plus tôt, de la faire sanctionner par Perrone à Rome. Le nouveau converti aurait alors eu l’impression que, tandis que d’autres théologiens romains étaient adeptes d’un concordisme patristique dans le style de la Defensio fidei Nicaenae de George Bull, Perrone insistait sur le consensus fidelium « à titre de compensation à ce qu’il pourrait y avoir de déficient dans le témoignage patristique en faveur de certains points du dogme catholique »80. Le futur cardinal s’exprime ici en termes remarquablement tortueux – il s’agissait de placer sous le patronage de Perrone des idées que celui-ci n’avait pas, ou pas vraiment, sans s’exposer au reproche de lui faire dire ce qu’il n’avait jamais dit. Newman est plus clair quand il en vient à l’histoire de l’arianisme : « j’avoue franchement que, si je me tourne vers les auteurs, je me trouve dans l’embarras lorsque je dois mettre le texte littéral de Justin, de Clément et d’Hippolyte en harmonie avec les docteurs nicéens ; et ce qui me ranime et me rétablit, pour ce qui est de l’histoire, c’est la foi du peuple »81. Ce n’est pas ici le lieu de commenter cet « aveu » calculé. On ne peut, en tout cas, se défendre de penser que, si les thèses de « On Consulting the Faithful in Matters of Doctrine », tout comme celles, connexes, de An Essay on the Development of Christian Doctrine, ont fini, malgré de très vives réticences initiales, par passer au rang de lieux communs dans l’Église catholique romaine, ce fut pour les irrésistibles facilités apologétiques qu’elles offraient82.