Paul Magdalino et Andrei Timotin (dir.), Savoirs prédictifs et techniques divinatoires de l’Antiquité tardive à Byzance
Paul Magdalino et Andrei Timotin (dir.), Savoirs prédictifs et techniques divinatoires de l’Antiquité tardive à Byzance, Seyssel, La Pomme d’or, 2019, 510 p., 23 cm, 42 €, ISBN 978‑2-9557042‑3-3.
Texte intégral
1Une nouvelle et importante contribution vient s’ajouter à la série de publications sur les sciences ésotériques publiées par La Pomme d’or. Après le volume pionnier consacré aux sciences occultes dans le monde byzantin, édité par Paul Magdalino et Maria Mavroudi en 2006, et le récent travail de Glenn Peers sur un rouleau de parchemin magique de Trébizonde en 2018, le présent volume vise à combler une autre lacune dans les études de ces pratiques : l’analyse sur le temps long des connaissances prédictives et des techniques divinatoires, de l’Antiquité tardive au monde byzantin. Il résulte d’un colloque international organisé en 2017 à l’Université de Bucarest et à l’Institut de philosophie Alexandru Dragomir, dans le cadre du projet de recherche dirigé par A. Timotin intitulé « Theories of Divination in Late Antiquity and Early Byzantium (2nd-7th c.) ».
2Après une introduction conjointe des éditeurs, dans laquelle les lignes directrices des différentes contributions sont brièvement résumées, l’ouvrage analyse les racines philosophiques du savoir divinatoire, ses relations avec la religion (surtout à la fin de l’Antiquité) et certains développements byzantins plus tardifs. On appréciera l’effort de ne pas concentrer le propos sur la seule astrologie – branche du savoir la plus étudiée par les critiques modernes et sur laquelle nous disposons de nombreuses informations grâce à l’importante quantité de sources publiées –, à laquelle est consacrée la quatrième section thématique du livre. On ne peut que se réjouir, en outre, du choix de consacrer un large espace aux pratiques généralement considérées comme mineures, telles que la bibliomancie, la géomancie, la nécromancie et l’onirocritique. L’ouvrage est organisé en cinq volets et réunit seize contributions d’une longueur généralement homogène, rédigées par Luc Brisson, Andrei-Tudor Man, Andrei Timotin, Marilena Vlad, Aude Busine, Francesco Massa, Lucia Tissi, Paul Magdalino, Jean-Cyril Jouette, Florin Filimon, Béatrice Bakhouche, Victor Gysembergh, Adrian Pirtea, Elsa G. Simonetti, Steven Oberhelman et Francesco Monticini. Les différentes sections abordent respectivement les sujets suivants.
3I) Divination et philosophie (p. 27‑124). Cette première partie traite des relations entre divination et philosophie au cours de l’Antiquité tardive et souligne non seulement comment la divination est devenue un objet de réflexion philosophique, mais aussi la façon dont celle-ci s’est approprié les pratiques divinatoires et les a progressivement conceptualisées. La relation entre divination et philosophie trouve son origine dans deux passages du Phèdre de Platon et fut consolidée par la tradition médio-platonicienne puis par les stoïciens. L’exégèse philosophique de la tradition oraculaire (par exemple par Porphyre, Chrysippe, Jamblique et Damascius) se poursuit au xie siècle avec les travaux de Psellos et, au xve, avec ceux de Pléthon.
4II) Oracles païens et chrétiens (p. 127‑182). En s’éloignant du domaine de l’histoire de la philosophie pour entrer dans le domaine politico-religieux, l’étude examine l’appropriation des cultes oraculaires, à savoir, d’une part, la compétition entre paganisme et christianisme pendant l’Antiquité tardive et, d’autre part, le développement de tentatives syncrétiques visant à concilier les deux différentes traditions. Celles-ci, en fait, s’opposaient sur la base de la fluidité de ces cultes et de leur statut ambigu. Il s’agit en effet de deux phénomènes opposés mais coexistants : la tentative d’une tradition de remplacer l’autre et le développement d’une cohésion « symphonique ».
5III) Les pratiques divinatoires à Byzance (p. 185‑301). Les auteurs insistent sur la permanence des pratiques prédictives même à l’époque byzantine (malgré les condamnations ecclésiastiques et du droit civil) et sur leur remarquable variabilité. Ces pratiques, en effet, se mêlent à certaines formes de piété traditionnelle et souvent le langage utilisé par les sources hagiographiques, dans le style prophétique, reprend celui utilisé par les oracles païens. Deux cas pris dans les périodes mésobyzantine et tardo-byzantine sont ensuite examinés, illustrant une nouvelle fois la longue durée du phénomène.
6IV) L’astrologie de Rome à Byzance (p. 305‑365). Cette section se concentre sur l’étude de l’astrologie et sa portée au sein des connaissances prédictives depuis la Rome de Cicéron jusqu’à la fin de l’Empire byzantin. Cette longue influence est due notamment à sa capacité de s’adapter à différents contextes religieux, ainsi qu’à sa fonction politique. Sont abordées successivement la figure de l’astrologue à Rome puis la continuité de la transmission des textes astrologiques de l’Antiquité à Byzance (de façon directe, par la récupération des textes classiques, et de façon indirecte par la médiation arabe), illustrant la perméabilité entre astrologie et astronomie et entre monde byzantin et monde arabo-musulman.
7V) Oniromancie païenne et chrétienne (p. 369‑446). Cette dernière partie est consacrée à l’interprétation des rêves, un art qui, comme l’astrologie, était très populaire à Byzance, et dont la validité scientifique était fortement revendiquée. La circulation des manuels onirocritiques et la renaissance des textes anciens à Byzance à une époque plus tardive sont probablement dues à des motivations politiques et sociales liées aux contingences et aux incertitudes historiques, politiques, ou économiques que traversa l’empire. Le volume se clôt par une vaste bibliographie générale, primaire et secondaire (p. 447‑501) et un index thématique et des noms propres (p. 503‑510).
8Les différents volets constituant ce volume peuvent être regroupés en deux grandes parties : les trois premiers sont organisés de manière chronologique, les deux derniers suivant un critère thématique. Quant à l’organisation du texte, chaque section est ouverte par une contribution plus large présentant les différents sujets, indiquant les axes de recherche et anticipant certains des cas abordés plus tard ; cette contribution est suivie de deux ou trois articles consacrés à l’étude de cas particuliers. Cette structure, ainsi que les références croisées entre les chapitres (abondantes dans la seconde moitié du volume, cependant presque absentes dans certaines contributions) renforce non seulement la cohésion du livre, mais favorise surtout une bonne compréhension des études présentées à destination des non-spécialistes. On relèvera, cependant, deux défauts mineurs. D’une part, on remarque par endroits le chevauchement de différentes contributions eu égard à leur contenu ; d’autre part, certaines contributions ont conservé le style d’une communication orale, qui aurait pu bénéficier d’un polissage formel supplémentaire. Les erreurs typographiques sont peu nombreuses, tout comme les divergences dans la manière de citer les sources primaires : les œuvres sont indiquées tantôt par le titre dans la langue originale, tantôt en translittération.
9La variété des questions abordées par les auteurs de ce volume suffit à en attester la richesse. L’enquête, accompagnée d’une étude précise de nombreuses sources et d’une analyse multidisciplinaire de ces dernières, met en évidence le rôle central de la divination dans l’Antiquité tardive, qui s’est maintenu à l’époque byzantine. Les auteurs offrent une analyse étendue de la matière en question, à partir de différents points de vue (historiques, religieux, philosophiques, scientifiques, philologiques) et ils en soulignent la complexité et les différentes nuances. Dans l’ensemble, le volume atteint son objectif et sera autant un point de départ précieux pour de futures études qu’un outil de travail utile pour les chercheurs.
Pour citer cet article
Référence papier
Luca Farina, « Paul Magdalino et Andrei Timotin (dir.), Savoirs prédictifs et techniques divinatoires de l’Antiquité tardive à Byzance », Revue de l’histoire des religions, 1 | 2023, 151-154.
Référence électronique
Luca Farina, « Paul Magdalino et Andrei Timotin (dir.), Savoirs prédictifs et techniques divinatoires de l’Antiquité tardive à Byzance », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 20 mars 2023, consulté le 29 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/12330 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhr.12330
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