Yvan Loskoutoff (dir.), Héraldique et papauté. Moyen Âge – Temps modernes
Yvan Loskoutoff (dir.), Héraldique et papauté. Moyen Âge – Temps modernes, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2020, 368 p., 24 cm, 27 €, ISBN 979‑10‑240‑1318‑3.
Texte intégral
1Le volume Héraldique et papauté rassemble les contributions présentées lors d’un colloque organisé à l’École française de Rome en mai 2016. Il apporte un éclairage original sur l’histoire de la papauté entre la fin du xiiie et le xviiie siècle. Les treize études réunies, divisées en deux grandes parties (« Moyen Âge » et « Temps modernes »), analysent le discours construit à travers l’emblématique par les papes, les cardinaux et leur entourage, mais aussi par leurs soutiens et leurs détracteurs. Le répertoire emblématique abordé dans ces études recouvre à la fois les armes familiales des prélats, celles de la papauté (les clefs et la tiare), celles de charges (les armes d’un diocèse, par exemple), ainsi que des emblèmes personnels qui apparaissent au xve siècle, notamment les devises. Si la cour pontificale adopte les signes héraldiques plus tardivement que les cours laïques, à partir de Nicolas III (1277‑1280), elle développe rapidement des pratiques en partie communes avec les usages princiers, et en partie propres. La prise en compte d’une chronologie longue permet de souligner des éléments de continuité entre le Moyen Âge et les Temps modernes (avec certains échos jusqu’aux xixe et xxe siècles, cf. la contribution de Gentile), mais aussi certaines inflexions du discours emblématique dans le contexte de l’opposition entre l’Europe réformée et l’Église romaine (cf. les contributions de Loskoutoff, Couhault et Blanchard).
2L’introduction d’Yvan Loskoutoff inscrit les enjeux du colloque dans un cadre historiographique dynamique, marqué par les publications récentes d’Édouard Bouyé et de Michel Popoff. L’article de Christian de Mérindol, qui ouvre la partie consacrée au Moyen Âge, est malheureusement privé d’illustrations ainsi que d’un appareil critique adéquat. Il s’intéresse en particulier à deux décors liés à la figure de Pierre Roger, alias Clément VI, un prélat dont l’auteur souligne l’intérêt pour l’héraldique et pour le luxe, en phase avec les pratiques seigneuriales. Le premier décor, présentant une colonnade en trompe-l’œil, des scènes de chasse et des motifs héraldiques, orne la grande salle de la Livrée Gaillard de la Motte. Il est probablement lié au projet de croisade promu par Pierre Roger sous Jean XII et Benoît XII, entre 1332 et 1336. Le décor documenté dans le palais du maréchal de la cour et époux de la nièce de Clément VI, Hugues de La Roche, au sud-est du palais des papes, met en image la famille du pontife et ses alliances. L’auteur évoque également d’autres décors héraldiques, à Avignon et à la Chaise-Dieu, dus à une commande directe de Clément VI. La cour avignonnaise est à nouveau au cœur de l’article d’Emmanuel Moureau, consacré à la commande artistique de quatre prélats nommés au cardinalat par Clément V et Jean XII : Arnaud d’Aux, Gaucelme de Jean, Bertrand du Pouget et Pierre des Prés. Tous les quatre sont nés dans des familles modestes du midi de la France et ont contribué, grâce à leur carrière, à l’ascension de tout leur lignage. Cette promotion récente s’illustre dans le décor héraldique des établissements religieux à vocation mémorielle qu’ils fondèrent dans leurs terres natales. On se permettra ici de souligner que des procédés similaires avaient déjà été déployés au début du xive siècle par les prélats ecclésiastiques d’une famille auvergnate ayant connu une ascension récente, les Aycelin (Haude Morvan, « La tombe du cardinal Hugues Aycelin († 1297) à Clermont : le manifeste d’une famille au faîte de son ascension », Revue d’Histoire Ecclésiastique, n° 112, 2017, p. 53‑86). Dans une contribution appuyée sur une réflexion méthodologique rigoureuse et sur une grande variété de sources, Jean-Vincent Jourd’heuil s’intéresse à la période complexe du Grand Schisme, pour infirmer l’idée d’une damnatio memoriae héraldique de Clément VII, Benoît XIII et Alexandre V, qui repose, selon lui, sur une « approche anachronique, impressionniste ou romancée ». Son article s’attache en particulier à la commande de deux clercs berrichons proches du duc Jean de Berry : Guillaume Boisratier et Pierre Trousseau. La contribution suivante, qui est plutôt une note brève (cinq pages), est la seule à sortir du cadre de l’Europe occidentale : Jean-Bernard de Vaivre montre comment les armoiries visibles sur la cathédrale et les ouvrages défensifs de Rhodes aux xive et xve siècles illustrent les bonnes relations entre l’ordre des Hospitaliers et les papes, en même temps qu’elles permettent de dater les phases de construction. L’article de Laurent Hablot envisage sur le temps long (milieu xiiie-milieu xvie siècle) le partage des armoiries pontificales, qu’il s’agisse des armoiries personnelles d’un pape ou des armes de l’Église. Les bénéficiaires sont souvent des officiers pontificaux, des parents du pape par voie féminine ou des membres de sa familia. L. Hablot soulève de nombreuses questions qui attendent encore d’être approfondies. Il souligne que les usages héraldiques des papes, en particulier la concession d’armoiries, ne diffèrent pas fondamentalement de celles des souverains laïcs. L’article de Luisa Gentile va dans le même sens : l’ajout du « chef de saint Pierre » (les clefs croisées) dans les armes des papes à partir d’Avignon, mais aussi dans celles de leur entourage, reprend des pratiques courantes dans l’Empire germanique et à la cour des Angevins de Naples. Toutefois, contrairement à ces deux contextes, l’utilisation du chef de saint Pierre découle d’une politique visuelle intentionnelle, qui entretient l’ambivalence sur sa signification (tantôt l’Église, tantôt la papauté, tantôt les États pontificaux).
3La pratique des concessions héraldiques se poursuit à l’époque moderne, avec des évolutions que mettent en évidence les deux premières contributions de la seconde partie. Andreas Rehberg se concentre sur les pontificats de Sixte IV, Jules II et Léon X. Les concessions d’armes mais aussi du nom sont documentées, mais très peu de formulaires officiels conservés dans les archives vaticanes en témoignent. L’auteur s’interroge si cela traduit une lacune des archives, ou une pratique de concessions orales. L’augmentation héraldique était le plus souvent demandée par le bénéficiaire, et pouvait être abandonnée après la mort du pape régnant. Elle trouve de nouveaux usages dans le contexte de la Contre-Réforme : Yvan Loskoutoff présente plusieurs cas de concessions héraldiques à des individus ou des villes pour renforcer les fidélités catholiques dans les terres touchées par la Réforme. Les deux contributions suivantes relèvent plus directement de l’histoire de l’art et de l’iconographie. Elli Doulkaridou-Ramantani se penche sur des livres liturgiques commandés par les cardinaux Jules de Médicis et Pompeo Colonna pour éclairer le décor symbolique complexe et raffiné qui se déploie dans les cadres et les lettrines. Pierre Couhault revient sur le contexte de la Réforme, abordé par Yvan Loskoutoff, à travers un corpus de gravures protestantes satiriques qui tournent en dérision les armes de l’Église. Cette propagande par l’image, davantage centrée sur les armes de l’Église (les clefs et la tiare) que sur les armes de tel ou tel pape, fait écho au discours théologique et ecclésiologique sur la potestas clavium développé par Luther. La contribution de Jean-Christophe Blanchard, consacrée aux cardinaux de Lorraine et de Guise, montre comment les armoiries mais surtout les devises traduisent non seulement une appartenance à un lignage, mais aussi un discours militant sur la défense de la monarchie, de la foi et de la sacralité de la fonction cardinalice, qui fait sens dans le contexte tridentin. L’article de Rocco Ronzani introduit encore de nouveaux enjeux, cette fois-ci cultuels, qui peuvent sous-tendre les politiques emblématiques pontificales. Sous Urbain VIII, l’utilisation des abeilles, symboles des Barberini, permit d’entretenir les réseaux familiaux en Ombrie et de lier le culte de Rita de Cascia, morte en 1457 et canonisée en 1628, à la famille Barberini. En effet, au xviie siècle, un motif hagiographique absent des sources du xve siècle fut intégré à la légende de la sainte : des abeilles seraient entrées et sorties de la bouche de Rita encore nouveau-née. L’ouvrage se clôt par une contribution très générale de Martine Boiteux sur les fêtes de la Rome pontificale à l’époque moderne : funérailles d’un pape ou d’un membre de sa famille, cérémonie d’investiture d’un pape, de prise de possession d’une ville, canonisation, fête pour l’investiture d’un cardinal, fête urbaine (comme les carnavals), accueil d’un souverain… Tous ces événements sont l’occasion du déploiement dans l’espace urbain d’un discours emblématique simple, destiné à être saisi par le plus grand nombre.
4À travers des approches larges ou au contraire focalisées sur un personnage ou une famille, ce livre très riche ouvre des perspectives de recherche nombreuses et variées, entre histoire et histoire de l’art, Moyen Âge et Temps modernes, à l’échelle de plusieurs pays européens.
Pour citer cet article
Référence papier
Haude Morvan, « Yvan Loskoutoff (dir.), Héraldique et papauté. Moyen Âge – Temps modernes », Revue de l’histoire des religions, 1 | 2023, 166-169.
Référence électronique
Haude Morvan, « Yvan Loskoutoff (dir.), Héraldique et papauté. Moyen Âge – Temps modernes », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 20 mars 2023, consulté le 29 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/12379 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhr.12379
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