1En 2015, M. Metzger, professeur émérite de l’Université de Strasbourg, donnait chez le même éditeur le premier volume de sa somme sur les origines du culte chrétien. Voici l’ouvrage terminé, pour le plus grand profit des liturgistes, confirmés ou apprentis. Tandis que le t. I (Revue de l’histoire des religions, t. 235, 2018, p. 542) présentait « Les institutions » de la liturgie (c’est-à-dire, après la documentation, les lieux, les assemblées, les fonctions et les personnes), le t. II s’occupe des « célébrations », reprenant classiquement les différents types de rites pratiqués dans les communautés depuis les temps apostoliques jusqu’à l’âge de Grégoire ou d’Isidore, en considérant le monde romain, même après la disparition du titre impérial en Occident, comme un espace à la fois uni et bilingue, en tout cas sans frontière hermétique entre les grands sièges de Méditerranée orientale et les régions latinophones polarisées par Rome. C’est donc une « histoire totale » du culte chrétien antique que propose l’auteur, dans le cadre de ce qui est finalement une Antiquité tardive à l’anglo-saxonne.

2Cette histoire commence par un long examen (250 p.) de ce qui rassemble chaque semaine les chrétiens, à savoir l’eucharistie. Seulement ensuite vient le développement d’un calendrier festif commémorant les différents actes de l’histoire du salut, et après cela une suite de monographies relatives aux actes cultuels uniques ou rares à l’échelle d’une vie : baptême, pénitence, ordinations, mariage, onction des malades, liturgie de la mort, dédicace des églises… Cette organisation des chapitres manifeste clairement l’ambition phénoménologique de l’œuvre : décrire ce que la documentation permet de connaître des pratiques anciennes – avec une très précieuse attention au vocabulaire grec et latin de la ritualité, à ses vraies et fausses synonymies. Le projet ne comporte pas (en tout cas pas explicitement) la dimension théologique qui ferait dépendre la chaîne des rites soit de la Pâque comme événement fondateur à partir duquel tout s’organiserait, soit du baptême comme premier acte d’une initiation sacramentelle dans laquelle l’eucharistie, même régulièrement célébrée et reçue, n’est qu’une étape. C’est toute la différence entre « le Metzger » et « le Martimort » (L’Église en prière, Paris, Desclée, 1961 ; puis éd. augmentée en 4 t., Paris, 1983‑1984), dont la forte coloration historisante n’excluait pas un principe structurant nettement théologique.

3Comme dans le t. I, l’un des points forts de la méthode adoptée par M. Metzger est la grande proximité de l’exposé avec la lettre de la documentation. Chaque paragraphe ou chapitre est un véritable « dossier », dans lequel on trouvera (en traduction) les principaux textes normatifs, eucologiques ou narratifs, au point qu’on peut légitimement considérer l’ensemble comme une anthologie raisonnée autant que comme un récit critique. Ce choix rendra des services considérables pour l’enseignement et la vérification des sources. Il a ses contreparties : une extrême division de la matière, amie de la clarté mais pas toujours de la fluidité, et surtout une préférence bibliographique pour les Quellen au détriment de la Sekundarliteratur. Les notes sont majoritairement occupées par des renvois aux éditions de référence ; les études ponctuelles ne font pas l’objet d’un relevé systématique, qui aurait pourtant eu une grande valeur. Sur une question comme celle de la dédicace des églises, par exemple, on ne peut s’empêcher de regretter que tout le travail récent des médiévistes sur ce rite capital, la plupart du temps ancré dans une analyse des premiers ordines disponibles, soit laissé de côté. On dirait de même sur le problème très étudié du rit milanais. Globalement, la bibliographie n’est pas le meilleur de l’entreprise : donnée en bloc en tête du t. I, sans subdivisions thématiques, elle est curieusement complétée en tête du t. II par neuf pages d’addenda, qui indiquent à la fois des parutions récentes et des travaux nettement plus anciens omis dans la première liste. Il est bien normal que M. Metzger ait mesuré en mettant au point sa deuxième salve de chapitres l’importance de certaines publications, mais il aurait évité le désagrément d’une double liste en optant pour des bibliographies thématiques de partie ou de chapitre, comme chez Aimé-Georges Martimort, infiniment plus commodes pour les utilisateurs.

4La structure retenue a parfois tendance à séparer aussi des problèmes dont on voudrait voir la proximité mieux honorée. C’est particulièrement le cas pour la question des ministères, d’abord examinée pour elle-même dans la cinquième partie (t. I), puis reprise à partir des différents rites d’ordination ou d’institution dans la huitième partie (t. II). On sait pourtant que la théologie des ministères, dans l’Église ancienne, a pour source principale les prières et les gestes par lesquels les ministres sont investis de leur charge. Il est vrai que l’inconvénient vaut surtout pour ceux qui ont dépouillé l’ouvrage à parution, avec une attente de plusieurs années entre les deux volumes. Ceux qui désormais s’en empareront sur les rayons des bibliothèques pourront circuler plus facilement entre les chapitres. Les uns et les autres, toutefois, seront sans doute un peu déçus par les dernières pages : dix-huit, pas une de plus, pour évoquer « les traditions des pèlerinages et des monastères » ! Les moines sont bien les grands absents de la synthèse de M. Metzger. Dès le iv^e siècle, pourtant, leur influence est décisive pour la mise en place d’un encadrement liturgique de la vie chrétienne, et c’est de leurs maisons que proviennent un nombre considérable de manuscrits anciens. On se frotte les yeux en trouvant comme unique référence sur l’opus Dei chez Benoît un opuscule d’édification publié par un éditeur du « Renouveau charismatique » ! Il faut vraiment que l’impeccable savant et le critique légitimement exigeant qu’est M. Metzger ait peu de goût pour le monachisme pour s’en débarrasser avec tant de légèreté.

5Ce ne sont là que péchés véniels, qui n’imposeront pas au savant auteur l’aride itinéraire de la pénitence quadragésimale. Son livre aura, à n’en pas douter, une aussi longue vie que ses grands prédécesseurs des années 1960. Débarrassé du souci apologétique qui animait ces clercs lettrés d’hier, soucieux de justifier les révisions drastiques des années postconciliaires et prêts à tordre un peu l’histoire pour la bonne cause, M. Metzger, lui, offre à ses lecteurs une analyse sereine, solide, qui fait systématiquement le choix de la rigueur contre un brio facile mais souvent trompeur. Il se donne ainsi toutes les garanties pour accéder à la catégorie enviable des classiques.