Matteo Al Kalak, Mangiare Dio. Una storia dell’eucarestia
Matteo Al Kalak, Mangiare Dio. Una storia dell’eucarestia, Turin, Einaudi (« Einaudi storia »), 2021, xx-252 p., 24 cm, 28 €, ISBN 978‑88‑06‑25220‑5.
Texte intégral
1Lorsque l’avion de l’équipe de rugby uruguayenne, les Old Christians Club, s’écrase dans la cordillère des Andes, le 13 octobre 1972, les survivants se retrouvent confrontés à la pressante question de l’absence de vivres. La solution du cannibalisme exercé sur les personnes décédées est rapidement posée afin de survivre au froid, à la faim et aux plaies. Face à ce dilemme, plusieurs personnes, se souvenant de leur éducation catholique, avancent la similitude entre l’acte cannibale et l’ingestion de la « chair invisible du Christ-Hostie ». C’est à partir de ce fait divers spectaculaire et riche de symboles que l’historien Matteo Al Kalak décide de réfléchir sur l’eucharistie. L’auteur entend montrer le plus concrètement possible comment le sacrement entre dans la vie des croyants en parcourant les pratiques et les croyances qui se sont élaborées autour de l’eucharistie. Cette recherche intervient dans un champ qui, s’il n’est pas dépourvu de travaux – il suffit de penser à ceux de John Bossy, de Pietro Camporesi ou d’Anselm Schubert –, n’en demeure pas moins peu exploré dans sa dimension concrète et matérielle. L’auteur souhaite apporter sa contribution en proposant une histoire culturelle à partir du cas italien. Il faut ici signaler que le sous-titre pourrait induire le lecteur en erreur : il ne s’agit pas tant d’une histoire de l’eucharistie de la Cène à nos jours que d’une étude du cas italien à l’époque moderne. La justification avancée est que l’Italie tridentine constitue un laboratoire des pratiques et des croyances autour de l’eucharistie et qu’à ce titre elle offre un point d’observation privilégié des dynamiques que se propose d’analyser Matteo Al Kalak. Il faut néanmoins savoir gré à l’auteur d’offrir une brève mais efficace synthèse des enjeux théologiques, ecclésiologiques et sacramentaires concernant l’eucharistie depuis la Cène jusqu’à la fin du Moyen Âge au cours du premier chapitre. Le huitième et dernier chapitre conclut sur la période contemporaine en gardant comme cadre géographique la péninsule italienne. Il accorde une place importante au xixe siècle sans pour autant négliger l’œuvre de Vatican II et ses prolongements. Il comporte également d’intéressants développements sur la matérialité de l’eucharistie aujourd’hui. Ainsi, si la chair de Jésus est le résultat d’un phénomène de transsubstantiation réalisé à partir d’un pain azyme fait avec de la farine de grain, les céréales OGM, c’est-à-dire génétiquement modifiées, peuvent-elles être utilisées pour l’eucharistie ? De même, faut-il concevoir des hosties sans gluten pour les personnes qui y sont diagnostiquées intolérantes ? La réponse à cette dernière question est mitigée puisqu’ôter le gluten reviendrait à enlever un ingrédient indispensable à la confection de l’hostie – la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements a cependant adressé une note aux évêques à la demande du pape François précisant que les hosties pouvaient en être partiellement privées. Ces deux exemples contemporains illustrent l’importance de la matérialité de la transsubstantiation, que l’auteur développe d’abondance dans les six chapitres qui forment le cœur de sa démonstration.
2Matteo Al Kalak s’intéresse au quotidien d’un acte qui est administré des milliers de fois chaque jour. Ce postulat se traduit par une option méthodologique se reflétant dans l’écriture de l’ouvrage, à savoir la multiplication des exemples et des cas retenus et développés par l’auteur. Le deuxième chapitre s’intéresse à la dimension miraculeuse de l’eucharistie : hostie qui devient chair ou bien à l’origine des nouvelles fondations religieuses. Le troisième chapitre est consacré à l’hostie comme objet de prédication. Il aborde sa place dans les traités et les manuels destinés au prêche. L’hostie est un argument utilisé afin de susciter et de renforcer la dévotion des fidèles. La question de la communion fréquente commence d’être abordée dans ce domaine. À cet égard, les réflexions de l’archevêque de Milan, Charles Borromée, s’avèrent en ce domaine, comme en d’autres, séminales. Le quatrième chapitre aborde les questions liturgiques en analysant les normes en vigueur dans le déroulement du sacrement de l’eucharistie et les abus qu’elles ne manquent pas d’entraîner. Le cinquième chapitre fonctionne comme le pendant du précédent en étudiant la diffusion du sacrement dans l’espace à travers plusieurs processions telle celle du Corpus Christi, l’administration du viatique aux malades ou encore les usages de l’eucharistie par les confraternités laïques. L’espace vécu et les liens sociaux sont saturés par la présence de l’eucharistie. Pour le dire rapidement, l’eucharistie est partout, dans les villes et dans les champs, dans les églises et aux armées. Le sacrement de réconciliation devient alors le pain des guerriers, à l’instar de plusieurs textes publiés au moment de la guerre de Morée (1684‑1699) qui voit les Vénitiens affronter les Ottomans. Ce chapitre montre la plasticité de l’eucharistie qui semble revêtir un nombre croissant de fonctions. Le sixième chapitre déplace la focale en abordant la question des représentations de l’eucharistie. Tous les arts se sont intéressés à la figuration de l’hostie pour en traduire le mystère. Ce chapitre propose quelques exemples, peut-être rapidement esquissés, des tentatives pour représenter le sacrement. C’est l’occasion de rappeler les diverses possibilités qui s’offrent aux artistes pour rendre visible le message divin aux fidèles, tout comme l’importance des images dans l’entreprise d’édification d’une société catholique par l’Église de la Contre-Réforme. Enfin, le dernier chapitre explore les contestations et les affrontements autour de l’eucharistie qui sont légion avec la diffusion de la réforme protestante. L’importance du sacrement dans la vie quotidienne des gens explique qu’il devienne un abcès de fixation des différentes conceptions théologiques. Il suffit de rappeler les accusations polémiques de cannibalisme formulées à l’encontre des catholiques par les protestants. Ce rôle prédominant explique aussi l’attention avec laquelle les gardiens de l’institution, à commencer par l’Inquisition, veillent au respect de l’orthodoxie au sujet de l’eucharistie.
3En conclusion, Matteo Al Kalak reprend une distinction de Rudolf Otto entre les buts affichés de la religion, qui souhaite représenter le divin de manière rationnelle et son essence qui ne se résumera jamais à ces expressions rationnelles – c’est le sacré que Rudolf Otto définit comme le « non-rationnel ». Il s’agit de distinguer une expression normée et régulée par l’Église de la conception et des usages de l’eucharistie des pratiques diverses et « désordonnées » dont le sacrement fait l’objet. L’hostie traverse de part en part la société italienne et constitue un formidable instrument de construction du social pour l’Église, au risque que celui-ci puisse lui échapper. C’est également par l’hostie que les fidèles touchent du doigt le rapport entre matière et esprit au moyen de la transsubstantiation. L’idée directrice de l’ouvrage ne doit pas faire oublier les développements suggestifs sur la diffusion et l’intensification des dévotions eucharistiques, dont une des plus significatives est la prière des Quarante Heures, sur le développement de « théâtres eucharistiques » où l’hostie est présentée aux fidèles ou encore sur la place de l’hostie dans la poésie. Mangiare Dio est un livre passionnant qui ouvre de nombreuses pistes. On peut toutefois se demander, malgré les précisions apportées en introduction, s’il n’était pas nécessaire de procéder, même de façon succincte, à des comparaisons avec d’autres espaces européens et extra-européens. L’analyse du cas italien en serait sortie renforcée par une contextualisation accrue à l’échelle du monde, qui aurait encore renforcé la multiplicité des usages de l’hostie, même si l’Italie présente un laboratoire judicieux de pratiques variées. Tout l’intérêt de l’ouvrage est de montrer la lente consolidation de ces dernières dans le temps et la place qu’a occupée la période tridentine dans cette élaboration sociale, culturelle et religieuse.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean Sénié, « Matteo Al Kalak, Mangiare Dio. Una storia dell’eucarestia », Revue de l’histoire des religions, 3 | 2023, 539-542.
Référence électronique
Jean Sénié, « Matteo Al Kalak, Mangiare Dio. Una storia dell’eucarestia », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 3 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 02 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/12783 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhr.12783
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