Jean-Baptiste Amadieu et Simon Icard (dir.), Du jansénisme au modernisme. La bulle Auctorem fidei, 1794, pivot du magistère romain
Jean-Baptiste Amadieu et Simon Icard (dir.), Du jansénisme au modernisme. La bulle Auctorem fidei, 1794, pivot du magistère romain, Paris, Beauchesne (« Théologie historique », 129), 2021, 318 p., 21,5 cm, 32 €, ISBN 978‑2-7010‑2293‑2.
Texte intégral
1Le 31 août 1794, Giovanni Renzoni, curseur apostolique, faisait afficher dans Rome le texte de la bulle Auctorem fidei, fulminée trois jours plus tôt par le pape Pie VI. Elle portait condamnation des actes du synode organisé par l’évêque de Pistoie, Scipione de Ricci, en septembre 1786. Il était reproché à celui-ci d’avoir promu une ecclésiologie d’inspiration « janséniste », destructrice de la hiérarchie ecclésiastique. Le synode de Pistoie avait statué en matière de foi, en affirmant que ce sujet était de la compétence du clergé rassemblé autour de son évêque. Le synode s’en était également pris à la « monarchie » ecclésiastique, pour mieux défendre le principe d’une Église nationale, élément spirituel du gouvernement civil, permettant de mieux accompagner les fidèles. Autant de positions jugées inacceptables du point de vue romain. Cette bulle Auctorem fidei, pièce centrale de l’intransigeance catholique au xixe siècle, a longtemps été la clé de lecture utilisée par les apologistes de la suprématie pontificale pour écrire une histoire du xviiie siècle marquée du sceau de la décadence et de l’erreur doctrinale, mais aussi pour mieux souligner le rôle providentiel du magistère romain rétabli à la faveur de la crise révolutionnaire. Longtemps négligées par les historiens francophones, son importance et son influence avaient été réévaluées par un article de Philippe Boutry publié dans les Mélanges de l’École française de Rome, à l’occasion du bicentenaire de la bulle, en 1994. Il s’attachait notamment à la fortune de ce texte au sein du clergé français du xixe siècle par l’entremise de la traduction effectuée par l’évêque de La Rochelle Clément Villecourt en 1850. En 2004, paraissait l’importante thèse de Gérard Pelletier consacrée à l’attitude de Rome face à la Révolution française. La fulmination de la bulle Auctorem fidei était désormais précisément contextualisée : dans le temps long des condamnations romaines du jansénisme, le synode de Pistoie avait été plus précisément condamné à la lumière des événements révolutionnaires français, comme anticipation de la Constitution civile du clergé et comme manifestation d’un plan de destruction de l’Église qui aurait été concerté, selon une vision complotiste de l’actualité politique, par les protestants, les jansénistes et les philosophes.
2Ce volume réunit les contributions à un colloque organisé en novembre 2016 à l’École normale supérieure de Paris par Jean-Baptiste Amadieu et Simon Icard, qui souhaitaient poser un regard élargi sur la bulle Auctorem fidei, dans le temps long de l’histoire de la théologie, du début du xviiie à l’aube du xxe siècle, entre la bulle Unigenitus (1713) et la crise moderniste. Simon Icard ouvre le propos en revenant sur la 1re proposition condamnée par Auctorem fidei, proposition relative à « l’obscurcissement de la vérité », thème cher aux théologiens jansénistes du xviie siècle et repris dans le décret du synode sur la grâce. Il n’échappe pas à la censure romaine qui considère la thèse de l’obscurcissement comme hérétique, car présenté comme « général », ce qui sous-entend de la part de Ricci et de ses partisans que l’Église elle-même est corrompue et doit être ramenée à « ses purs principes primitifs ». Même précieuse remise en contexte sous la plume de Sylvio De Franceschi qui s’attarde sur la 76e proposition censurée par Auctorem fidei, celle attribuant à la scolastique « l’invention de nouveaux systèmes théologiques » conduisant « au probabilisme et au laxisme ». Pour Rome, comme dans le cas précédent, cette proposition est condamnable parce que trop générale : les abus sont le fait de théologiens particuliers, pas de la scolastique dans son ensemble. Rien de vraiment neuf dans la réaction romaine, qui s’inscrit dans un long combat théologique contre le jansénisme, pas plus que chez les théologiens jansénistes qui, comme le jurisconsulte belge Josse Le Plat, dénoncent Auctorem fidei en reprenant leurs arguments habituels contre la dégénérescence théologique produite par la scolastique. La contribution de Wolfgang Mager sur la consultation (1728) des cinquante avocats du parlement de Paris contre le concile d’Embrun qui avait condamné l’évêque appelant Jean Soanen donne de la profondeur historique aux enjeux ecclésiologiques du synode de Pistoie. Qualifiée « d’étape majeure des débats sur la réception des actes magistériels dans l’Église », cette consultation permet de comprendre pourquoi la 2e proposition condamnée par Auctorem fidei est justement celle sur la dépendance du pouvoir des pasteurs à l’égard de la communauté des fidèles.
3Une série de contributions revient ensuite sur la réception de la bulle, sur le temps court, comme sur le temps long. Reprenant, en les approfondissant, les apports de sa thèse, Gérard Pelletier retrace avec minutie les étapes du travail des deux congrégations de théologiens réunies par le pape pour statuer sur les actes du synode de Pistoie. Dans le contexte incertain de la Révolution française, la bulle Auctorem fidei apparaît comme beaucoup plus prudente et précise dans ses condamnations que la bulle Unigenitus. Gérard Pelletier n’hésite pas à parler, avec des arguments solides, « d’un équilibre rigoureux et d’une précision chirurgicale » destinés à souligner la solidité et la tempérance du magistère romain dans un contexte politico-religieux pour le moins troublé. Pie VI et ses cardinaux parient sur l’avenir en publiant un texte de référence, qui sera, de fait, l’un des principaux points d’appui de l’intransigeantisme au xixe siècle. Dans l’histoire de la réception de la bulle Auctorem fidei, Marco Rochini comble une lacune en se penchant sur l’espace lombardo-vénétien, territoire clé, véritable carrefour de l’Europe catholique, au cœur des polémiques religieuses de la fin du xviiie siècle : abondamment diffusée, commentée et enseignée, la bulle pontificale y remplit parfaitement ses objectifs, mettant à mal l’unité du camp janséniste, incapable d’opposer une résistance efficace face à ce texte de combat très bien calibré. Grazia Grasso se penche de son côté sur la résistance à la bulle en Ligurie, autour de Benedetto Solari, évêque de Noli, seul prélat de la péninsule italienne à contester ouvertement la décision romaine. Il est soutenu dans son combat par trois grandes figures de l’antiromanisme doctrinal, Eustachio Degola, Vincenzo Palmieri et Vittore Sopranzi. Ce dernier publie anonymement des Réflexions en défense de Scipione de Ricci, contre-argumentaire détaillé de la bulle Auctorem fidei, fidèle au principe d’un gouvernement collégial de l’Église contre le « despotisme » romain. Jean Dubray revient sur les convergences entre les principes réformateurs du synode de Pistoie et la pensée d’Henri Grégoire. La démonstration s’appuie sur l’édition par Jean Dubray (Classiques Garnier, 2015) d’un manuscrit anonyme trouvé dans les papiers Grégoire qu’il attribue à l’évêque constitutionnel de Blois. Sans apporter d’éléments nouveaux permettant de renforcer une fragile attribution, il est permis au lecteur de prendre avec la plus grande prudence l’analyse déployée ici, qui souffre par ailleurs d’un manque criant de contextualisation : il reste difficile de travailler sur le cas Grégoire sans connaître le milieu des gallicans français auquel il appartient. Sortir du « grégoriocentrisme » induit par la richesse exceptionnelle des archives Grégoire permettrait de mieux saisir la réception en France de la bulle Auctorem fidei, que ce soit dans les cercles de l’Église réfractaire et ceux de l’Église constitutionnelle, dans toute leur diversité. Consacrée à la place d’Auctorem fidei dans les débats entre gallicans et anti-gallicans en France dans la première moitié du xixe siècle, la contribution de Rémy Hême de Lacotte est, quant à elle, beaucoup plus assurée. Elle permet de connaître les acteurs de ce débat, leurs positions et d’éclairer finement le contexte de traduction de la bulle par Mgr Villecourt en 1850. En étudiant trois cas de censure littéraire par la Congrégation de l’Index, entre 1836 et 1863, Jean-Baptiste Amadieu démontre que la bulle Auctorem fidei, dont le champ d’application s’est progressivement élargi, sert à condamner plus largement toute forme de religiosité « romantique » ou toute innovation suspecte.
4Dans ses conclusions, qui résument l’ensemble des contributions, Philippe Boutry souligne l’importance des trois temporalités qui permettent une bonne compréhension historique de la bulle Auctorem fidei : le contexte immédiat de la crise révolutionnaire, le temps long de la querelle janséniste et la postérité d’un texte fondateur de l’intransigeantisme au xixe siècle. Il invite aussi le lecteur à suivre de nouvelles pistes de recherche, notamment celle de la forte dimension eschatologique du préambule d’un texte romain publié dans une période de profonde remise en cause de la place de l’Église dans l’ordre politique et social. Une riche bibliographie et un précieux index des noms viennent clore un volume qui rendra incontestablement de grands services aux spécialistes d’histoire religieuse des xviiie-xixe siècles.
Pour citer cet article
Référence papier
Paul Chopelin, « Jean-Baptiste Amadieu et Simon Icard (dir.), Du jansénisme au modernisme. La bulle Auctorem fidei, 1794, pivot du magistère romain », Revue de l’histoire des religions, 3 | 2023, 548-551.
Référence électronique
Paul Chopelin, « Jean-Baptiste Amadieu et Simon Icard (dir.), Du jansénisme au modernisme. La bulle Auctorem fidei, 1794, pivot du magistère romain », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 3 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 30 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/12805 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhr.12805
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