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Comptes rendus

Dominique Avon, L’histoire religieuse contemporaine en France

Paris, La Découverte (« Écritures de l’histoire »), 2022
Yvon Tranvouez
p. 551-553
Référence(s) :

Dominique Avon, L’histoire religieuse contemporaine en France, Paris, La Découverte (« Écritures de l’histoire »), 2022, 24 cm, 295 p., 25 €, ISBN 978‑2-348‑03736‑8.

Texte intégral

1Un bilan historiographique est toujours un exercice impossible, surtout lorsque son amplitude chronologique est large et que, ce qui est rare, il est à une seule plume. Passe encore de traiter des débuts de l’histoire religieuse contemporaine en France, à la fin du xixe siècle : les protagonistes sont morts. Mais conduire l’étude jusqu’à nos jours, c’est prendre des risques : oublis, proportions discutables, sans même parler des appréciations, lorsqu’on se penche sur les travaux d’une corporation « d’environ cent-cinquante historiens ou historiennes » (p. 283) et même de « plusieurs centaines » de personnes si on élargit le cercle au-delà du noyau dur des universitaires (p. 284), on s’expose à fâcher et, quoi qu’on fasse, on fâche. Rien d’étonnant, donc, à ce que, depuis 2010, plusieurs auteurs putatifs aient renoncé à ce projet conçu par le directeur de la collection, François Dosse, qui trouvait que ce champ disciplinaire était de plus en plus méconnu. C’est le premier mérite de Dominique Avon que d’avoir relevé le défi, et de l’avoir fait – il était sans doute le mieux placé pour cela – en considérant toutes les religions et pas seulement le christianisme, même si ce dernier domine massivement la production du secteur.

2L’ouvrage s’organise clairement en deux parties de quatre chapitres chacune. La première, très séduisante, vise à déterminer comment la spécialité s’est structurée. Un premier chapitre distingue quatre générations d’historiens (« pionniers, bâtisseurs, ordonnateurs et héritiers ») et montre l’évolution de leur rapport à l’objet religieux et aux autorités confessionnelles. Un deuxième évoque les problèmes méthodologiques et donc les relations avec les autres sciences humaines traitant elles aussi du fait religieux. Un troisième aborde la question des concepts mis en œuvre pour penser les religions à l’épreuve de la modernité. Le dernier examine les grandes synthèses, à périmètres variables, qui ont fait date depuis plus d’un siècle et sont autant de symptômes des mutations historiographiques. La deuxième partie, moins aboutie, essaie d’échapper aux présentations habituelles qui classent les travaux en fonction de problématiques d’origine ecclésiastique, « en vase clos » (p. 161), alors que la discipline n’a de sens désormais que si elle établit en quoi le facteur religieux est présent dans des questions qui se posent aujourd’hui du dehors, si on peut dire. Il en résulte trois chapitres focalisés sur autant de « lieux » significatifs des interrogations présentes : les rapports entre confessions chrétiennes et entre le christianisme et les autres religions ; l’imbrication du politique et du religieux ; les effets de groupes dans la religion. L’inconvénient de cette distribution est de laisser de côté un certain nombre de recherches qui lui échappent et qui se trouvent dès lors regroupées, comme des varia, dans un dernier chapitre sous l’étiquette un peu désobligeante de « périphéries ». Au terme de ce livre bien mené et toujours plaisant malgré l’aridité de certains des sujets qu’il aborde, on se prend à regretter qu’il n’y ait pas quelques tableaux statistiques ou synthétiques qui auraient aidé, ici ou là, à récapituler les données du problème.

3Dans la conclusion, Dominique Avon ne fait pas mystère des difficultés qu’il a rencontrées pour faire le tour d’une matière aussi énorme, et il s’excuse par avance pour les erreurs ou omissions qui lui auraient échappé. Le lecteur attentif trouvera sans doute à reprendre quelques détails. Ce n’est pas ici le lieu d’égrener les corrections minimes qui seraient à faire : mieux vaut les signaler directement à l’auteur pour une possible deuxième édition. Notons juste que les plus imparables sont dans les parenthèses qui, après la première évocation de tel ou tel historien, indiquent une seule date – l’année de naissance – à laquelle il faudra au fur et à mesure, hélas, adjoindre celle de l’année de décès : déjà certains ne survivent dans l’ouvrage que par distraction de l’auteur ou en raison d’une disparition récente. Au demeurant, il est de fait qu’on ne peut pas tout lire, et ce n’est pas le moindre intérêt de ce livre que de montrer à quel point les comptes rendus publiés dans les revues scientifiques sont utiles à qui doit brasser large en peu de temps. Il y a là un genre littéraire dont certains recenseurs assidus, comme Gérard Cholvy ou Émile Poulat, ont fait une sorte d’œuvre dans l’œuvre, qui mériterait anthologie posthume (l’auteur de la présente recension y réfléchit pour le second nommé).

4Dominique Avon dit son regret d’avoir dû renoncer – faute de place, croit-on comprendre – à traiter de l’internationalisation de la recherche et des réseaux qui la structurent, ou encore de certaines thématiques émergentes. Il pose aussi la question lancinante de l’avenir de la discipline, dont plusieurs observateurs s’accordent à dire qu’elle aurait connu son apogée dans les années 1980 et 1990 et que son déclin se lit aujourd’hui dans la diminution du nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs qui s’y consacrent. Le livre montre bien qu’il faut nuancer. On ne saurait nier la baisse des postes affectés à l’histoire du catholicisme, mais il y a parfois des transferts, que l’on s’explique aisément, vers celle de l’islam. Par ailleurs, le religieux se maintient, mais dans une configuration différente, dès lors qu’il est réinvesti dans des interrogations d’ordre politique, économique, social ou culturel, comme on le voit, pour ne prendre qu’un exemple, dans les travaux de Caroline Muller sur le genre. Ceci étant, il y aurait à réfléchir sur l’effet boomerang de l’autonomisation du champ. René Rémond et Jean-Marie Mayeur ne devaient pas leur réputation à la seule histoire religieuse : leur compétence dans le domaine de l’histoire proprement politique comptait tout autant. Le relatif enfermement qui s’est produit après eux a contribué à marginaliser les spécialistes du religieux, parfois réduits à être les supplétifs de service, sur le mode : et Dieu là-dedans ? Un prolongement intéressant serait d’étudier de plus près l’évolution institutionnelle de la spécialité. Il faudrait faire des coupes, quinquennales par exemple, permettant de dresser des tableaux des chercheurs en poste : combien ? dans quelles universités ou autres structures (EPHE, EHESS, CNRS) ? dans quels laboratoires ? Il faudrait encore regarder de plus près l’envers de ce portrait de famille : au-delà de l’intérêt commun pour le développement de l’histoire religieuse contemporaine, quelles lignes de faille traversent le milieu ? Il y a des questions de principe et de méthode : l’auteur évoque (p. 48 sq.) la controverse qui l’oppose à Michel Fourcade sur la question de l’engagement ou du dégagement du chercheur. Il y a aussi des conflits de personnalités, qui peuvent se décliner en querelles d’écoles. René Rémond, Émile Poulat, ou le tandem formé par Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, autant de noms drapeaux qui furent aussi des casaques favorables ou discriminantes lors des recrutements. Il y a également les polémiques exemplaires, surgissant autour de tel ou tel livre qui fonctionne comme un révélateur des conflits d’interprétation : ainsi pour Comment notre monde a cessé d’être chrétien, de Guillaume Cuchet, en 2018 ; ce fut auparavant, en 1977, le cas de Église contre Bourgeoisie, d’Émile Poulat ; plus avant encore, en 1969, celui de Politique sociale et christianisme, de Paul Droulers : comme il est ici rappelé (p. 242), Michel Launay utilisa alors une suggestive distinction entre le réel et le vrai en histoire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yvon Tranvouez, « Dominique Avon, L’histoire religieuse contemporaine en France »Revue de l’histoire des religions, 3 | 2023, 551-553.

Référence électronique

Yvon Tranvouez, « Dominique Avon, L’histoire religieuse contemporaine en France »Revue de l’histoire des religions [En ligne], 3 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 02 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/12819 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhr.12819

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Auteur

Yvon Tranvouez

Université de Bretagne Occidentale, Brest.

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