1Ce livre, dont le titre est particulièrement captivant, essaie de fournir des pistes de réflexion sur l’attitude des premiers chrétiens face au fanatisme religieux. Comme l’auteur le montre dans l’Introduction, cet ouvrage se prétend aussi ancré dans l’actualité en répondant à des questions soulevées par les attentats des dernières années. En effet, il s’agit ici de comprendre si « la croyance en un Dieu pousserait les hommes à se diviser et à se haïr », selon la définition de fanatisme qu’on peut trouver au début du livre (p. 7). Si cette problématique et d’autres semblables ont déjà fait l’objet de nombreuses études, ce livre essaie de se démarquer en proposant une double analyse : la première partie est plutôt thématique (« Les premiers chrétiens face à la vie, au corps et à l’amour »), alors que la deuxième insiste sur trois auteurs emblématiques, Tertullien, Origène et saint Augustin.

2L’ouvrage s’ouvre donc sur un chapitre portant sur le martyre chrétien. Dès le début, l’auteur vise à définir le terme « martyr » comme « quelqu’un qui est mis à mort alors qu’il n’a commis aucun crime, sauf celui d’être chrétien » (p. 13). Cette même définition serait valable aussi pour les martyrs de l’Ancien Testament, notamment les Maccabées. Cependant, l’élément central de ce chapitre porte sur un aspect bien précis : dans quelle mesure l’Église approuvait-elle les formes de martyre volontaire, qui avaient lieu après des dénonciations spontanées ? Si certains textes tels que le Martyre de Polycarpe relatent des cas de dénonciations personnelles, l’opinion générale sur cette pratique est plutôt négative. Pour montrer cela, l’auteur s’appuie notamment sur les écrits de Tertullien, Origène et Cyprien. D’après son analyse, leurs ouvrages constitueraient plutôt un encouragement pour les communautés frappées par les persécutions et un hommage aux détenus plutôt qu’une invitation au suicide. À la fin du chapitre, l’auteur insiste aussi – avec un ton particulièrement passionné – sur le fanatisme pratiqué par les juges romains (p. 47).

3Le deuxième chapitre s’intéresse quant à lui aux différentes formes d’ascèse. Tout au long de ces pages, Philippe Henne vise à montrer qu’à travers l’ascèse, les moines cherchaient une forme de liberté ultime. Sans avoir la prétention d’établir un catalogue complet des formes de monachisme (p. 78), l’auteur souligne surtout la volonté de la part du pouvoir civique et religieux de limiter l’ardeur des moines, qui connaissait parfois des excès. Pour cela, plusieurs sources anciennes sont mentionnées, telles que l’Histoire Philothée de Théodoret de Cyr ou encore l’Histoire ecclésiastique de Socrate de Constantinople. Cependant, la bibliographie utilisée semble incomplète : même dans un livre destiné au grand public, il est étonnant de ne trouver ici aucune mention des travaux de David Caner (Wandering, begging Monks : Spiritual Authority and the Promotion of Monasticism in Late Antiquity, Berkeley/Los Angeles/Londres, California University Press, 2002) et de Theresa Urbainczyk (Socrates of Constantinople. Historian of Church and State, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1997). En outre, il est contestable de placer le meurtre de la philosophe Hypatie dans le cadre de la querelle monophysite, alors que cette dernière a commencé quelques décennies plus tard (p. 77).

4Le troisième chapitre est particulièrement long (p. 83‑128) et porte sur l’importance de l’amour conjugal pour les premiers chrétiens. Selon une idée reçue, ces derniers exalteraient la chasteté au détriment du mariage, considéré comme une sorte de « remède à la concupiscence » (p. 83). En s’appuyant sur les sources, Ph. Henne essaie de nuancer une telle vision en la contextualisant. Après avoir rappelé brièvement les opinions contenues dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, il étudie l’impact des courants hérétiques sur la vision chrétienne du mariage. Si une supériorité spirituelle était souvent accordée à la chasteté, les Pères de l’Église dans leur ensemble ne dénigraient ni le mariage ni la procréation, considérés tous deux comme l’œuvre de Dieu.

5La deuxième partie de l’ouvrage est construite comme une sorte de « procès » faits à Tertullien, Origène et Augustin. Le premier est souvent connu comme un féroce polémiste, ce qui est dû en partie à son ancien métier d’avocat. Ph. Henne insiste sur le lien entre cette profession et la virulence verbale de Tertullien, qui agirait en homme de son temps. En outre, une telle ardeur serait justifiée par un contexte d’exaltation religieuse exacerbée par la montée des courants hérétiques. C’est dans ce même chapitre que l’auteur émet une affirmation discutable sur la tolérance à l’époque antique en décrivant cette période comme absolument intolérante (p. 144). Bien évidemment, cette opinion pourrait être nuancée, surtout à la lumière des plus récentes publications scientifiques sur ce sujet (voir notamment Peter Van Nuffelen, Penser la tolérance durant l’Antiquité tardive, Paris, Cerf, 2018).

6Les deux derniers chapitres portent enfin sur Origène et Augustin, le premier étant accusé de s’être automutilé et le second étant considéré comme un partisan de la violence face à l’hérésie donatiste. Dans le premier cas, Ph. Henne essaie de montrer le caractère fictif de cette légende, basée presque uniquement sur le témoignage d’Eusèbe de Césarée. Cependant, la pratique de la castration était bien réelle et condamnée par l’Église, comme le montrent les Constitutions apostoliques ou les ouvrages de Jean Chrysostome. En ce qui concerne la figure d’Augustin, l’auteur souligne plutôt la violence des circoncellions rattachés au parti donatiste. L’appel aux forces de l’ordre de la part de l’évêque d’Hippone serait donc la conséquence inéluctable de l’action violente de ses adversaires, qui constituaient un véritable danger pour l’ordre public.

7Cet ouvrage de Philippe Henne, destiné plutôt au grand public, constitue sans doute une lecture intéressante grâce à une écriture fluide. Néanmoins, on l’a vu, l’auteur devrait parfois nuancer ses propos. En outre, la bibliographie et les notes de bas de page sont insuffisantes, même pour un ouvrage de vulgarisation scientifique. Cela dit, il s’agit d’un livre de bonne qualité dans son ensemble, capable de donner aux lecteurs curieux un premier aperçu sur le thème du rapport entre religion chrétienne et fanatisme durant l’Antiquité.