1L’ouvrage a pour but d’étudier la « médiation cléricale » (p. 8) et, plus précisément, « le rôle des curés dans la résolution des conflits entre personnes, en marge ou en amont de la justice institutionnelle, dans la France d’Ancien Régime » (p. 9). Les sources sont variées : textes normatifs, œuvres littéraires telles que biographies à tendance hagiographique, sermons, sentences arbitrales de la paroisse de Songeons (60) et du tribunal consulaire de Paris, à l’exclusion des procès des communautés, des fabriques ou des membres du clergé. Les trois premiers chapitres sont consacrés à des études de cas, à l’échelle d’une paroisse ou d’un diocèse ; les trois suivants placent les accommodements des curés dans leur contexte : impulsions dévotes, missions intérieures et données politico-judiciaires ; enfin les deux derniers, à l’aide de modèles idéaux et de cas concrets, s’attachent à la pratique des accommodements dans l’exercice pastoral ordinaire du curé. Quant à l’aire étudiée, elle concerne principalement quatre diocèses : Châlons, Auxerre, Montpellier et celui de Beauvais, que l’auteure connaît bien, lui ayant consacré un ouvrage : L’esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais, 1535‑1650 (Paris, Cerf, 1999). Ils ont fourni « une documentation abondante sur la résolution des différends par les curés ». Pourtant « ce sont des circonscriptions de tailles diverses […] qui ne sont pas administrées et visitées de la même manière » (p. 22). Regrettons l’absence d’un index final.

2Enfin la chronologie est l’Ancien Régime qui, en principe couvre trois siècles. Or l’auteure reconnaît avoir été « obligée à renoncer au xvi^e siècle » faute de sources et annonce que les années 1660 « constitueront donc le point de départ de l’étude » (p. 23). Par ailleurs si l’Ancien Régime s’achève avec la Révolution, la recherche de notre auteure s’est arrêtée au milieu du siècle des Lumières : « J’ai évité d’aller trop avant dans un xviii^e siècle déjà trop étudié » (p. 23). De fait les vingt-sept documents présentés en annexe le confirment : sur les seize qui sont datés, un est de 1647 et un de 1649, les quatorze autres vont de 1668 à 1747. Pourquoi dès lors ne pas avoir plutôt indiqué les dates extrêmes de la période étudiée, globalement 1650‑1750, comme l’auteure l’avait fait pour son ouvrage cité ci-dessus ?

3Il faut reconnaître à l’auteure le courage du chercheur. Certes, une partie de sa documentation est imprimée et l’écriture de cette période est d’accès plus aisée que celle du siècle précédent. Néanmoins nombre des manuscrits utilisés n’ont sans doute pas été simples à déchiffrer. À cet égard, il est regrettable que le lecteur ne soit pas à même d’en apprécier la difficulté en l’absence de toute reproduction photographique de tels documents, les six donnés en annexe difficilement lisibles le sont non pas tant par leur écriture que par leur dimension réduite et leur faible définition. La dispersion des sources et le nombre relativement peu élevé d’accommodements impliquant le curé de la paroisse augmentent encore la difficulté. Des quatre principaux journaux de curés exploités, tous rédigés durant le règne de Louis XIV, à savoir ceux de Rumegies (59), le plus connu, de Saint-Jean-les-Deux-Jumeaux (77), Sennely (45) et du Brignon (43), seul ce dernier, dont l’auteur, Hugues Aulanier, assura cette fonction de 1638 à 1691, offre la redoutable richesse de 18 registres de 200 folios et la mention de 111 accommodements dans lesquels il fut impliqué comme témoin, en lien avec les parties ou sans lien, mais nous ignorons leur nombre total pour les quatre diocèses. La rentabilité du dépouillement s’avère mince. Il faut en être d’autant plus reconnaissant à l’auteure, dont l’objectif constitua une gageure.

4Le clergé séculier, évêques et curés, est résidant et il a été formé dans les séminaires ; plusieurs curés sont même gradués de l’Université. Il semble respecter le célibat. Le courant janséniste y est fortement présent, ainsi que l’influence des réseaux dévots. Les curés, parfois originaires de la paroisse ou y ayant des liens, proviennent du diocèse et ils exercent parfois pendant plusieurs décennies. Les instituts séculiers, tels que jésuites, lazaristes, sulpiciens et oratoriens, auxquels s’ajoutent les moines capucins, se répandent dans les campagnes en brigades de conversion pour des « missions intérieures ». Enfin, le protestantisme est reconnu en France depuis l’édit de Nantes de 1598 mais il ne concerne que le diocèse de Montpellier et il fut interdit dans le royaume en 1685.

5La raison du conflit n’est pas toujours indiquée. Ces gens se révèlent très procéduriers : « On est frappé par la modestie des enjeux : un cheval, un mouton, une marmite, un tonneau, une échelle, prêtés ou saisis, disparus ou égarés, se trouvent bien souvent à l’origine de procès » (p. 44). C’est que bien souvent ce qui est en jeu est l’honneur. Ce sont surtout des affaires familiales (injures, violences, successions), fiscales (répartition de la taille) ou de voisinage. Le prêtre peut offrir ses services ou être appelé à divers stades : en amont, avant toute procédure, au cours de celle-ci pour l’accompagner, la suspendre ou l’interrompre ou même après la sentence.

6Le curé peut être requis par la justice qui s’en décharge ainsi et, s’il parvient à une solution, celle-ci a toute chance d’être homologuée par le tribunal. Le curé vit en son presbytère : il est quotidiennement en contact avec ses paroissiens qui, de plus, sont tenus de se confesser à lui au moins une fois l’an. Il peut conseiller les parties et les inviter à une conciliation. Un paroissien en difficulté avec un autre peut demander à son curé de servir d’intermédiaire : il a bien conscience d’éviter aussi bien les frais de justice, d’autant plus élevés que les procès traînent en longueur, se transmettant parfois d’une génération à l’autre. Le curé s’entretient d’abord séparément avec chacun des protagonistes, faisant éventuellement croire que l’autre est prêt à composer, puis il réunit les deux pour aboutir à un accord… ou non. L’appel au notaire permet de confirmer l’accord (p. 164). Le but du curé est d’obtenir la réconciliation, ce rôle étant de plus en plus intégré dans sa mission pastorale : le bon curé pacifie sa paroisse. Ainsi Nicolas Prévost, curé de Songeons (60) de 1655 à 1673 a réglé trente-cinq affaires. Le rôle du curé varie selon les circonstances : il peut être arbitre, ou médiateur ou encore seulement témoin.

7L’intérêt de cet ouvrage tient à la plongée qu’il opère au cœur de la paroisse rurale en faisant découvrir le rôle peu connu du curé pacificateur de ses ouailles. Il permet aussi de se poser quelques questions. Tout d’abord celle de la représentativité, récurrente à toute étude historique. La mode de l’histoire quantitative est passée. Néanmoins c’est par le nombre qu’il est possible d’aboutir à une connaissance à peu près assurée quand il s’agit d’une pratique comme celle qui est ici étudiée. La France compte alors 130 diocèses et quelque 40 000 paroisses ; les quatre diocèses étudiés en totalisent 1 065, qui n’ont pas toutes été prises en compte. La revue Quaderni storici (La prova, n° 85, 1994) posait la question : qu’est-ce que la preuve en histoire ? La représentativité d’une réalité ne tient-elle pas à son extension ? L’auteure a eu conscience de la difficulté comme le montre la multiplication des expressions prudentes : « Texte qui pourrait avoir été conçu… » (p. 135) ; « Parmi les habitués […] sans doute… » (p. 136) ; « Un certain nombre de préoccupations et sans doute de relations… » (p. 141) ; « Peut-être ce recueil a-t-il servi de matrice… » (p. 143) ; « Sans doute… » (p. 154, 195) ; « Probablement… » (p. 184) ; « Rien n’exclut que… » (p. 218) ; « Il est difficile de considérer son cas comme représentatif » (p. 271), etc. Il est dès lors quelque peu risqué de déclarer que les quatre diocèses étudiés « offrent un reflet à peu près juste de la diversité du royaume de France à la fin du xvii^e siècle » (p. 22). La formule de François Simiand serait-elle obsolète : « L’historien mesure, compte, et pèse » ? Mais l’ouvrage précise de temps à autre le nombre d’habitants ou de communiants, d’accommodements réalisés, etc. La démonstration garde toute sa valeur ; l’extrapolation surprend.

8Par ailleurs, la position du curé médiateur s’avère ambiguë, « à la fois solidaire de sa paroisse et intercesseur auprès des pouvoirs » (p. 271). Il peut de plus avoir des parents ou des amis sur place ou parmi les autorités : comment être impartial en cas de litige ? Il est d’ailleurs lui-même souvent en procès. En outre, confessant ses ouailles, il se trouve dans une situation délicate. Il peut en effet priver des sacrements le pénitent qui refuse la réconciliation. Mais si le conflit n’est pas public, comment peut-il y procéder sans violer le secret de la confession ? Le problème n’est pas évoqué. De même, à propos des sermons, se pose la question de la langue : le prédicateur, curé ou missionnaire, parlait-il en français ? Peut-être était-il compris dans les trois autres diocèses, encore que le patois local y fût le parler quotidien, mais dans celui de Montpellier en pays d’oc ? Enfin il est surprenant de trouver des chapitres consacrés à des évêques ou des missionnaires membres d’instituts séculiers, dans un ouvrage consacré au « clergé paroissial ».