Jack Roskilly, De très savants pasteurs. Conceptions et pratiques de l’autorité des évêques dans la société byzantine des xie-xiie siècles
Jack Roskilly, De très savants pasteurs. Conceptions et pratiques de l’autorité des évêques dans la société byzantine des xie-xiie siècles, Paris, Éditions de la Sorbonne (« Byzantina Sorbonensia », 32), 2022, 407 p., 24 cm, 38 €, ISBN 979‑10‑351‑0793‑2.
Texte intégral
1Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat préparée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, soutenue en 2017. L’auteur part du constat que l’histoire sociale des évêques a été peu étudiée par l’historiographie, dont un rapide résumé est présenté dans l’introduction. En effet, les historiens se sont surtout penchés sur l’institution et les structures épiscopales, ou sur les origines aristocratiques des évêques. D’autres travaux se sont intéressés à la formation intellectuelle des évêques, particulièrement pour la deuxième moitié du xie siècle ou pour le xiie siècle, au moment où se constitue un milieu intellectuel constantinopolitain, mais sans faire le lien entre leurs fonctions épiscopales et leur renommée intellectuelle. Ce lien constitue précisément l’angle d’approche de l’auteur. La périodisation choisie est justifiée par l’expansion territoriale de l’empire byzantin, qui se traduit notamment par une influence croissante de son Église aux marges de l’empire, en Arménie, à Kiev et en Bulgarie, jusqu’à la fragmentation de l’empire en 1204, qui provoque une réorganisation profonde de l’épiscopat byzantin.
2L’objet de l’ouvrage est d’étudier les composantes de l’autorité épiscopale aux xie et xiie siècles, autorité à la fois spirituelle, car issue de la grâce divine reçue au moment de l’ordination, pragmatique, car répondant à des besoins administratifs, mais aussi – et c’est l’apport original de cet ouvrage – intellectuelle ; l’auteur veut montrer la mise en place, dans la période considérée, d’une nouvelle composante de l’autorité épiscopale, le modèle intellectuel, qui ajoute une dimension charismatique spécifique aux fonctions institutionnelles de l’évêque.
3L’un des mérites de ce travail est d’avoir su rassembler une documentation variée, déjà connue mais jusqu’alors dispersée. Les principales sources mobilisées par l’auteur, plus abondantes à partir du xie siècle sont les lettres, les discours prononcés par les évêques et les homélies adressées aux fidèles lors des fêtes liturgiques. D’autres sources sont mobilisées. L’étude des sceaux permet de compléter les données prosopographiques, et les sources juridiques et canoniques, ainsi que les archives monastiques, sont indispensables à la compréhension des pratiques de gouvernement et d’enseignement des évêques. Ainsi rassemblée, cette documentation permet d’étudier à la fois les origines et la formation des évêques, dans une première partie, puis leurs pratiques de gouvernement et leurs relations avec les autorités ecclésiastiques et impériales de Constantinople, dans une seconde partie.
4L’auteur étudie d’abord, dans un premier chapitre, les origines sociales et géographiques des évêques. Si l’origine aristocratique des évêques peut sembler une évidence, il montre que la plupart des évêques sont issus de « familles aristocratiques de second rang » n’ayant, pour la plupart, pas de liens avec la région où ils officient. L’auteur s’attache ensuite à répertorier les différentes étapes et modalités de la formation des futurs évêques, formation commencée le plus souvent en province, dans les écoles tenues par les évêques, puis poursuivie à Constantinople. Dans la capitale, les aspirants à une carrière épiscopale nouent aussi et surtout les relations sociales indispensables à leur ascension. Certains évêques dérogent toutefois à ce parcours classique en commençant leur carrière comme moines ou comme membres du clergé provincial.
5Le deuxième chapitre porte sur l’élection et l’ordination des évêques. L’auteur rappelle les règles canoniques et les lois impériales qui concernent ce sujet et les confronte à d’autres sources et aux données prosopographiques, afin de mettre en évidence d’éventuelles évolutions propres à la période. Il montre notamment l’ingérence grandissante non seulement de l’empereur, mais également des autorités laïques locales – dans les régions mal contrôlées par le pouvoir impérial – sur le choix des patriarches, des métropolites et des évêques suffragants. On constate une certaine souplesse dans ce processus, les candidats à l’épiscopat pouvant, de fait sinon de droit, refuser ou négocier leurs nominations. Ce chapitre se termine par un rappel des différentes étapes qui ponctuent la période allant de l’élection à l’ordination et décrit cette dernière cérémonie ; l’évolution la plus significative de la période à ce sujet est certainement le serment de fidélité qui s’ajoute à la profession de foi à partir de 1171.
6Le troisième chapitre, sur les diverses formes de l’autorité de l’évêque, apporte les éléments les plus nouveaux de la première partie. L’auteur montre que l’autorité épiscopale repose non seulement sur les fonctions institutionnelles du prélat – exprimées par certains marqueurs visibles comme les vêtements ou les sceaux –, mais aussi sur ce qu’il nomme « la compétence intellectuelle » de l’évêque, à savoir l’enseignement de la foi, la maîtrise de la rhétorique et de l’art oratoire, et, pour certains, la connaissance de la philosophie antique ; ce dernier point aurait pu toutefois être plus développé. Ce chapitre se termine par une analyse des éventuels concurrents spirituels des évêques, en particulier les moines.
7La seconde partie porte sur les fonctions et le pouvoir des évêques. L’auteur, dans le quatrième chapitre, met l’accent sur « l’ancrage provincial des évêques », à savoir les modalités pratiques de l’administration des diocèses dont la géographie est précisée et parfois corrigée ; les cartes ecclésiastiques placées en annexe sont appréciables. Un tableau général des biens des évêchés est ensuite esquissé, afin d’en montrer la constante augmentation, et l’auteur détaille leurs diverses formes de revenus. Les problèmes dus au charisticariat et à l’indépendance grandissante des monastères devaient nécessairement être évoqués, mais ces deux points ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux. Plus nouvelle est son analyse des conflits des évêques avec les autres puissants et avec le fisc ; nous voyons que les évêques, soumis aux aléas des exemptions fiscales, ont tenté de faire jouer leurs réseaux constantinopolitains pour obtenir et conserver la protection impériale.
8Le gouvernement et l’administration de l’évêché sont étudiés dans un cinquième chapitre, qui porte en particulier sur les relations du prélat, localement avec les membres de son synode et les fidèles du diocèse et, au-delà, avec les membres de son réseau. L’auteur précise les diverses fonctions des évêques, comme la promotion des cultes de saints locaux, la régulation des conflits et la lutte contre les hérésies, qui prend une importance grandissante aux xie-xiie siècles. Plusieurs exemples montrent que les évêques continuent à assumer leur rôle de défenseur du diocèse lors des menaces militaires, bien que l’auteur relève une « érosion relative de la fonction de protection épiscopale ». Ce chapitre se termine par une réflexion originale sur les difficultés de la sainteté épiscopale à la période considérée, difficultés liées, selon l’auteur, au scepticisme des élites lettrées dont faisaient partie les évêques.
9Le sixième chapitre porte sur les évêques présents à Constantinople. L’auteur tente de relativiser, sans toutefois le remettre en question, le « tropisme constantinopolitain » du xie siècle – considéré comme acquis par l’historiographie en raison des pertes territoriales byzantines –, en étudiant les listes de présence au synode de Constantinople et en rappelant les efforts d’Alexis ier et de Manuel ier Comnène pour maintenir les structures ecclésiastiques provinciales. Il revient ensuite sur l’organisation et le fonctionnement du synode permanent pour en souligner l’importance à l’échelle du monde byzantin et le contrôle renforcé qu’y exercent les empereurs de la période ; le débat sur le Pater major Me, qu’impose Manuel Ier Comnène en 1166, en est sans doute la meilleure illustration. Ce chapitre se termine par une analyse de la place des évêques à la cour impériale, assez limitée du fait de la présence dominante des moines, malgré un rôle politique et diplomatique avéré dont l’auteur nous présente plusieurs exemples.
10En conclusion, cet ouvrage a pour mérite, d’abord, de rassembler des éléments jusqu’alors dispersés sur le recrutement des évêques, leurs fonctions et les composantes de leur autorité, puis d’y ajouter une analyse nouvelle sur les ressorts intellectuels de cette autorité. La bibliographie y est généralement renouvelée, bien que manquent certains travaux récents sur l’autorité spirituelle des moines et les relations des évêques avec les grands monastères indépendants. Les annexes, sur la géographie ecclésiastique et sur la prosopographie de l’épiscopat byzantin, seront très appréciées des historiens de l’Église byzantine.
Pour citer cet article
Référence papier
Rosa Benoît-Meggenis, « Jack Roskilly, De très savants pasteurs. Conceptions et pratiques de l’autorité des évêques dans la société byzantine des xie-xiie siècles », Revue de l’histoire des religions, 1 | 2025, 128-131.
Référence électronique
Rosa Benoît-Meggenis, « Jack Roskilly, De très savants pasteurs. Conceptions et pratiques de l’autorité des évêques dans la société byzantine des xie-xiie siècles », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2025, mis en ligne le 01 mars 2025, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhr/13646 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13ewe
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page