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Comptes rendus

Thomas Galoppin et Cécile Guillaume-Pey (dir.), Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs

Liège, Presses universitaires de Liège (« Religions : Comparatisme – Histoire – Anthropologie », 12), 2021
William Pillot
p. 253-255
Référence(s) :

Thomas Galoppin et Cécile Guillaume-Pey (dir.), Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs, Liège, Presses universitaires de Liège (« Religions : Comparatisme – Histoire – Anthropologie », 12), 2021, 292 p., 24 cm, 16 €, ISBN 978‑2-87562‑273‑0.

Texte intégral

1L’ouvrage est issu des actes d’un colloque organisé à l’Institut national d’histoire de l’art en juin 2017 par Thomas Galoppin, historien du monde grec antique, postdoctorant, spécialiste des lapidaires grecs antiques et des rituels magiques impliquant les pierres, et Cécile Guillaume-Pey, anthropologue, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique, dont l’expertise porte, elle, sur les pratiques religieuses des Sora, un groupe d’agriculteurs tribaux du centre-est de l’Inde actuelle. Comme l’explique l’introduction, très dense, de l’ouvrage, le point de départ de cette rencontre intellectuelle, à l’origine du colloque et des actes publiés, réside dans un constat partagé : malgré deux disciplines et deux « terrains » différents (sources écrites du monde grec antique et enquête ethnologique auprès de populations contemporaines), un même objet d’étude réunit ces deux chercheurs, ainsi que les différents contributeurs au colloque et au volume publié. Il s’agit bien en effet pour chacun d’eux d’interroger à chaque fois le rapport empreint de religiosité que tissent des communautés humaines avec des « matières lithiques » (pierres, gemmes, parois rocheuses) auxquelles ces communautés prêtent une agentivité ou une sensibilité qui remet en question les limites des conceptions « naturalistes » (au sens de Philippe Descola) du vivant. Le cadre théorique ainsi posé permet au volume de conserver une réelle cohérence, de même que le choix de répartir les différentes contributions en trois thématiques qui toutes font l’objet d’un chapitre de synthèse, permettant une respiration bienvenue au sein de l’ouvrage.

2La première partie traite de la question des « matières animées » : elle interroge la façon dont des pierres peuvent, par des rituels spécifiques, influer sur des processus vitaux. Quatre contributions déclinent de manière très complémentaire cette problématique. Christopher Faraone compare les perceptions grecques et égyptiennes des magnétites telles qu’il parvient à les dissocier dans les sources papyrologiques de l’époque hellénistique (en grec et en démotique) : selon lui, il est possible de distinguer une conception spécifiquement grecque de l’aimant, doté de son propre souffle (psychè) et d’une vitalité spécifique (éros), tandis que, pour les Égyptiens, cette vitalité n’est pas intrinsèque, mais doit être insufflée par un agent extérieur dans le cadre d’un rituel, au cours duquel le souffle (humain ou solaire) est placé dans la pierre. Cette première contribution relative à l’Antiquité est comme mise en perspective par les trois contributions suivantes, qui sont toutes anthropologiques cette fois. Isabel Yaya McKenzie pose la question des « émotions minérales », à propos de la « Pierre fatiguée » dans le monde inca. Cette pierre, une andésite réputée pleurer des larmes de sang, est utilisée comme marqueur territorial et identitaire permettant, là encore par le biais de rituels spécifiques, de garantir protection au territoire et prospérité à la communauté. Ce même rôle de marqueur territorial et de protection de la communauté se retrouve dans les processus de « lithomorphoses » impliquant des « pierres puissantes », étudiées par Valérie Robin Azevedo dans les Andes péruviennes, sur le temps long, dans une démarche de comparatisme diachronique : l’autrice décèle, dans les pratiques contemporaines d’offrandes rituelles aux pierres appelées ramaderos, des éléments de survivance de l’ancien culte préhispanique des monolithes wankas. L’enquête menée par Ludovic Coupaye à propos des pierres secrètes maatu des Papous Abelam de Nouvelle-Guinée révèle des enjeux similaires, ces pierres reliques de héros fondateurs étant utilisées dans des rituels consistant à faire circuler de la chaleur entre pierre et végétal pour favoriser la croissance des ignames et nourrir les os des ancêtres. Il revient à Perig Pitrou de proposer une synthèse de cette première partie, en posant de manière surplombante la question de la différence entre « pierres vivantes » et « pierres qui font vivre », à partir des études de cas précédentes, auxquelles il ajoute celle de Ph. Descola auprès des Achuar. Reprenant les concepts lévi-straussiens de « théories de la vie » et de « science du concret », l’auteur montre que les rites et l’agentivité humaine sont toujours centraux dans le processus qui aboutit à faire circuler la puissance vitale entre les pierres et leur environnement, que les pierres soient pensées comme « systèmes biologiques » ou « agents sociaux ».

3La deuxième partie, « Combinaisons savantes : textes, images, ingrédients », propose de questionner la frontière entre savoirs « naturalistes » et pensée magique ou religieuse dans les rituels permettant l’activation de la puissance des pierres. À partir de l’étude d’un hymne sumérien à Ninurta, Anne-Caroline Rendu Loisel présente la façon dont certaines pierres sont utilisées dans la Mésopotamie antique pour conjurer les attaques de sorcellerie. La dimension apotropaïque des rituels impliquant des pierres se retrouve également dans la contribution, très richement illustrée, de Véronique Dasen, consacrée aux rituels thérapeutiques associant glyptique et inscriptions en grec sur des gemmes à l’époque de l’Empire romain. Jean-Charles Coulon, quant à lui, présente une étude des savoirs qui circulent entre mondes latin et arabe et associent pierres et astrologie, tout en entretenant des relations complexes, parfois conflictuelles, avec les autorités religieuses. Jean-Pierre Albert propose une synthèse de ces trois contributions autour du concept de magie, en soulignant l’ambiguïté de ce concept : la magie apparaît essentiellement comme un ensemble de rituels qui sortent des cadres normatifs de la religion, sans que l’on puisse toujours la séparer du discours scientifique ni des pratiques médicales, reposant sur un savoir spécifique et des gestes techniques.

4La troisième et dernière partie, intitulée « Manifester l’autorité : paroles, espaces, souverainetés », regroupe trois contributions très différentes mais que la synthèse d’Adeline Grand-Clément parvient à réunir dans une problématique commune. Avec Manon Ramez, on retrouve le dieu sumérien Ninurta, mais cette fois dans son rôle de distributeur des fonctions sociales et cosmiques des pierres révoltées. Le « jugement des pierres » par Ninurta intervient dans le mythe cosmogonique sumérien du Lugal-e où les pierres, après s’être liguées autour d’une pierre-plante contre le dieu Ninurta, sont finalement vaincues, et se voient assigner par leur vainqueur leur place dans le monde. Ce lien privilégié entre certaines pierres et certaines divinités se retrouve dans le monde romain, pour lequel Nicolas Corre présente une étude comparative de deux pierres, le lapis manalis et le lapis silex. La première, de forme cylindrique, est utilisée dans des rituels permettant de faire tomber la pluie, tandis que l’autre, directement liée à Jupiter, est une « pierre de serment », de forme et de fonction différentes. Toutes deux cependant ont en commun de ne pouvoir être « activées » que par les pontifes. On retrouve ici la question du rôle toujours central du rituel et de l’agentivité humaine dans la puissance des pierres, qui n’est jamais per se. Les critères de différenciation des pierres par leur forme et leur fonction sont également au cœur de la dernière étude de cas de cette partie, que Dana Rappoport consacre à deux types de pierres qu’elle a pu étudier au sein des populations de langue lamaholot de l’île de Flores (Indonésie) : les guna déwa, ou « pierres-esprits », petits galets transportables, et les nuba nara, ou « pierres-lieux », plus imposantes et ancrées dans le sol, avec une fonction de marquage et de défense du territoire. La synthèse lumineuse proposée par A. Grand-Clément en conclusion de cette dernière partie offre une telle hauteur de vue qu’elle pourrait aussi faire office, par certains aspects, de conclusion générale du volume. Reprenant la méthode comparatiste prônée en introduction, l’autrice y propose une mise en perspective historique et anthropologique des trois précédentes contributions à l’aune du monde grec antique, en étudiant notamment les usages du lithos (pierre, marbre) en Grèce ancienne. Cette synthèse fait écho à plusieurs réflexions formulées dans l’introduction générale, comme le rapprochement entre les pierres nourries et la pratique du kolossos grec jadis étudiée par Jean-Pierre Vernant.

5L’objectif revendiqué par T. Galoppin et C. Guillaume-Pey en introduction est donc largement atteint : les rapprochements envisagés dans leur perspective comparatiste, qui peuvent parfois sembler bien périlleux, s’avèrent le plus souvent féconds. Ce volume offre ainsi un modèle de méthodologie interdisciplinaire, croisant différentes périodes chronologiques et aires culturelles de manière efficace, autour d’un objet d’étude original et clairement défini.

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Pour citer cet article

Référence papier

William Pillot, « Thomas Galoppin et Cécile Guillaume-Pey (dir.), Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs »Revue de l’histoire des religions, 2 | 2025, 253-255.

Référence électronique

William Pillot, « Thomas Galoppin et Cécile Guillaume-Pey (dir.), Ce que peuvent les pierres. Vie et puissance des matières lithiques entre rites et savoirs »Revue de l’histoire des religions [En ligne], 2 | 2025, mis en ligne le 01 juin 2025, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhr/13724 ; DOI : https://doi.org/10.4000/141va

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Auteur

William Pillot

Université d’Angers.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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