Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Prefazione di Étienne Fouillloux
Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Prefazione di Étienne Fouillloux, Rome, Edizioni Studium, 2022, 256 p., 21 cm, 23,75 €, ISBN 978‑88‑382‑5258‑7.
Texte intégral
1L’historiographie consacrée à l’Algérie coloniale et spécialement à la guerre d’Algérie s’est peu intéressée au catholicisme : religion des colonisateurs, facilement considérée comme une sorte de folklore colonial, le catholicisme en Algérie n’est pas apparu comme un champ de recherche prioritaire. Pourtant l’Église catholique représente l’un des piliers de l’ordre colonial en Algérie, et elle rassemble des acteurs qu’il est à ce titre fondamental d’étudier. Oissila Saaidia y a consacré des travaux centrés sur la période d’avant 1914. L’approfondissement de la période de la guerre d’Algérie, cependant, reste d’autant plus nécessaire que s’y cristallisent des antagonismes entre l’Église d’Algérie, la société coloniale et la métropole. C’est à ce travail que s’attelle l’ouvrage de Marialuisa Lucia Sergio, écrit en italien mais aussi disponible dans sa traduction anglaise chez Routledge.
2Le livre de M. L. Sergio se donne pour ambition de proposer des analyses paradigmatiques d’une réflexion sur l’Église et la décolonisation qui dépasse le cas algérien. Il s’inscrit ainsi dans une historiographie plus large, illustrée notamment par les travaux récents d’Elizabeth A. Foster sur l’Église à l’heure de la décolonisation en Afrique française. Les recherches de M. L. Sergio sont également nourries d’une historiographie en plein renouvellement sur la confrontation de l’islam à la colonisation.
3Toutefois, par les références citées, le livre s’inscrit d’abord dans le champ de recherche dynamique des archives vaticanes, en plein renouvellement depuis l’ouverture, en 2020, des fonds du pontificat de Pie XII (1939‑1958). Si le livre ne se concentre pas sur le Saint-Siège à proprement parler, il est fondé sur le dépouillement de ses archives – en particulier celles de la nonciature de Paris, de la Congrégation de Propaganda fide et de la secrétairerie d’État –, et c’est de ces fonds inédits qu’il tire son originalité.
4M. L. Sergio enrichit ainsi l’analyse de la politique coloniale et missionnaire du Saint-Siège sous Pie XII, notamment en se penchant de manière inattendue sur la genèse de l’encyclique Fidei donum (1957) qui encourage les prêtres diocésains à partir en mission outre-mer pour un temps limité, et que l’autrice présente comme la réponse à une sollicitation de Mgr Duval, archevêque d’Alger, venu à Rome en 1956 demander des prêtres pour l’Algérie. Le livre apporte aussi de l’eau au moulin des réflexions qui sont au premier plan des recherches sur la période, comme les fameux « silences » de Pie XII, ici non au sujet de la Seconde Guerre mondiale, mais de la décolonisation et des violences en Algérie.
5Le livre de M. L. Sergio apporte des analyses nouvelles dans trois domaines principaux : la stratégie de l’Église à l’égard de la décolonisation, l’éclatement du monde missionnaire entre acteurs à l’engagement parfois opposé, et une réévaluation de la position de Mgr Duval. En voici quelques éléments choisis.
6En ce qui concerne la stratégie de l’Église, l’autrice montre, après E. A. Foster, qu’une partie du monde missionnaire est animé par deux craintes : la propagation de l’islam et celle du communisme. Mgr Marcel Lefebvre, archevêque de Dakar et délégué apostolique en Afrique française, compte parmi ceux qui dénoncent avec le plus de véhémence ce double péril islamique et communiste, deux dangers qu’il assimile l’un à l’autre. Selon M. L. Sergio, Rome partage cette crainte ; le maintien du pouvoir colonial français lui apparaît à la fois comme un garde-fou et comme un facteur aggravant, le gouvernement français étant jugé trop faible à l’égard de ces deux menaces. L’autrice souligne l’appréciation négative du Saint-Siège à l’égard des gouvernements d’après-guerre – en particulier ceux de De Gaulle – en raison de leur politique coloniale jugée trop favorable aux revendications d’autonomie politique : M. L. Sergio interprète la nomination à Dakar de Mgr Lefebvre, notoirement conservateur à cet égard, comme un signe de cette méfiance.
7L’ouvrage apporte ainsi des nuances importantes à l’idée selon laquelle le Saint-Siège aurait pris un parti favorable à la décolonisation dès l’après-guerre. Pour M. L. Sergio, les radio-messages de Pie XII de Noël 1952 et 1955, qui appellent à une autonomie par étapes, sont avant tout motivés par la volonté de contrecarrer le communisme et expriment au fond le souhait que les puissances continuent d’exercer un rôle de tuteur le plus longtemps possible. L’autrice souligne d’ailleurs que les prises de position anticoloniales (en particulier contre la torture) de revues « progressistes » comme Témoignage chrétien ou La Quinzaine constituent l’une des raisons de leurs condamnations répétées par le Saint-Office dans les années 1950. Un tournant serait plutôt perceptible à partir de l’élection de Jean XXIII, fin 1958, le Saint-Siège s’engageant plus nettement, à partir de 1959, dans la condamnation des violences commises par l’armée française en Algérie et en faveur des réfugiés.
8En second lieu, l’ouvrage, qui fait intervenir de nombreux acteurs, rappelle la diversité des positions des catholiques à l’égard de la guerre d’Algérie. Celle-ci apparaît comme une période matricielle aussi bien pour le progressisme que pour le traditionalisme catholique au xxe siècle, et joue un rôle fondamental dans la polarisation du catholicisme français. L’ouvrage apporte aussi des nuances bienvenues sur les approches des différents acteurs du monde missionnaire à l’égard de la colonisation. Il met en regard des textes de Mgr Lefebvre et de certains Pères blancs – notamment le P. André Demeerseman, vicaire général de l’archidiocèse de Carthage – qui se montrent ouverts à une forme de dialogue avec l’islam et, dans le cadre des débats constitutionnels de 1946, à une réflexion sur les droits politiques des Algériens.
9Enfin, l’un des apports principaux du livre de M. L. Sergio réside dans la réévaluation du rôle de l’archevêque d’Alger, Mgr Duval. L’autrice ébranle la légende dorée d’un prélat progressiste, engagé en faveur de la décolonisation, dénonciateur héroïque du « silence » de l’épiscopat métropolitain sur la guerre d’Algérie et la torture. M. L. Sergio montre que Mgr Duval, à l’unisson de la majeure partie de la hiérarchie catholique, partageait la crainte de l’expansion de l’islam et du communisme, et rejetait les courants anticoloniaux catholiques jugés progressistes.
10Certes, l’archevêque a pris parti publiquement, à partir de 1954, en faveur de la paix et d’une évolution politique. Cependant l’autrice révèle que Mgr Duval s’inscrit, au sujet des violences commises en Algérie, dans la stratégie du « silence » qui est aussi celle du Saint-Siège et d’une certaine manière celle du gouvernement. L’archevêque d’Alger défend la nécessité de déployer un apostolat de la paix sur le plan strictement religieux. Rejetant toute « politisation » du conflit, il refuse de reconnaître l’existence d’une guerre sur le territoire de son diocèse et s’efforce d’empêcher toute prise de parole de l’épiscopat sur l’Algérie. Il entre notamment en conflit à ce sujet en 1954 avec le mouvement Pax Christi et avec le cardinal Feltin, archevêque de Paris.
11Le « silence » de l’épiscopat est donc en partie le fruit de la stratégie de Mgr Duval, qui défend fermement les prérogatives des évêques d’Afrique du Nord contre les volontés d’ingérence de leurs confrères de métropole. M. L. Sergio montre qu’à travers la nonciature apostolique, le Saint-Siège soutient cette stratégie : le nonce Paolo Marella transmet à l’épiscopat des consignes de discrétion de la part de Mgr Duval et rappelle à l’ordre les évêques qui se risquent à des prises de position anticoloniales, notamment Mgr Chappoulie, évêque d’Angers, à l’occasion d’une rencontre de Pax Christi à Lille en 1955.
12Outre les archives vaticanes, M. L. Sergio a travaillé au Centre national des archives de l’Église de France et chez les Pères blancs. En revanche, l’autrice n’utilise pas les archives coloniales ni les archives locales, en particulier celles des diocèses algériens. Pourtant, une étude à nouveaux frais des fonds relatifs à Mgr Duval, notamment, pourrait être fructueuse. L’usage des archives locales permettrait sans doute aussi de faire émerger d’autres acteurs, moins institutionnels, de cette histoire. Cela doit constituer une invitation à poursuivre la recherche sur des problématiques que l’ouvrage, bien évidemment, ne saurait épuiser.
Pour citer cet article
Référence papier
Édouard Coquet, « Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Prefazione di Étienne Fouillloux », Revue de l’histoire des religions, 2 | 2025, 285-288.
Référence électronique
Édouard Coquet, « Marialuisa Lucia Sergio, Pio XII e l’indipendenza algerina. La Chiesa cattolica nella decolonizzazione dell’Africa francese, Prefazione di Étienne Fouillloux », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 2 | 2025, mis en ligne le 01 juin 2025, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhr/13844 ; DOI : https://doi.org/10.4000/141vl
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