Navigation – Plan du site

AccueilNuméros39DossierAndré Bazin et la guerre (1938-1944)

Dossier

André Bazin et la guerre (1938-1944)

Du critique sans cinéma au cinéma avant la critique
André Bazin and the Second World War (1938-1944). A filmmaker above all else
Baptiste Buob
p. 137-165

Résumés

Quelles furent les convictions politiques du célèbre critique de cinéma André Bazin avant et pendant la Seconde Guerre mondiale ? La lecture d’un texte passé inaperçu et la relecture de ses écrits de jeunesse brossent le portrait d’un homme désemparé qui, comme nombre de ses contemporains, hésite quant à l’attitude à adopter. D’abord convaincu de la nécessité de faire table rase d’un système politique défaillant, il pense que la défaite sera l’occasion de « conquêtes positives ». Délaissant ensuite progressivement ses premières certitudes, il rejoint la Maison des lettres et son groupe de cinéma, composés de personnes favorables à la Résistance, où il noue les relations humaines et intellectuelles grâce auxquelles il se fera, après la guerre, une place dans le monde du cinéma. Cette période fait ainsi état d’une maturation graduelle de la pensée de Bazin dont la prise en compte pourrait permettre de considérer ses activités ultérieures d’homme de cinéma selon de nouvelles perspectives.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Laborie, 1999, 46.

Il ne s’agit ni d’instruire à charge contre un suspect, ni de vénérer une statue en cherchant à préserver à tout prix l’image d’un juste, aussi attachante soit-elle1.

  • 2 Le présent article est l’occasion de révéler ce qu’il convient désormais de considérer comme le pr (...)
  • 3 Joubert-Laurencin, 2018, 37. Cette même référence et la biographie établie par Dudley Andrew (1983 (...)
  • 4 Ibid., 36.
  • 5 Azéma, 2000, cité dans Barasz, 2011, 27.
  • 6 Andrew, 1983 [1978], 66.
  • 7 Joubert-Laurencin, 2018, 21.
  • 8 Cortade, 2011, 23.
  • 9 Joubert-Laurencin, 2018, 36.
  • 10 Ibid., 37.

1Dans l’introduction de la somme qui réunit les écrits presque complets d’André Bazin2, Hervé Joubert-Laurencin rappelle à quel point il est difficile de se faire une idée des convictions politiques du futur théoricien et critique de cinéma avant et pendant la guerre3. Au vu de la rareté des sources et de la prudence que leur analyse impose, il faudrait en tout état de cause se contenter de l’affirmation minimale selon laquelle Bazin ne fut « ni résistant ni collaborateur4 » ou plutôt conviendrait-il de considérer, étant donné la versatilité de ces deux catégories, qu’il ne fut « ni un héros ni un salaud5 ». Pourtant, les historiens de la critique et du cinéma brossent généralement un portrait de Bazin « en accord avec les objectifs de la Résistance6 » en raison de son supposé « dégoût du nouveau monde pétainiste7 ». Son deuxième texte publié, traitant du système d’enseignement français et de sa réforme, paru en juillet 1941, serait ainsi une prise de position contre Vichy8 – voire « objectivement un brûlot anti-pétainiste9 » – et, s’il faut admettre qu’il n’y a presque aucune trace d’« action physique » de Bazin pendant la guerre10, le fait qu’il ait pu organiser des projections qualifiées de « clandestines » à la Maison des lettres durant l’Occupation tend également à accréditer l’hypothèse d’un homme opposé sans nuances au régime de Vichy.

  • 11 Gimello-Mesplomb, 2013, 112, en référence à de Valck et Hagener, 2005, 14, ainsi que Zimmermann et (...)
  • 12 Le Forestier, 2010, 19.
  • 13 Guy Leger rencontre Bazin à Bordeaux en 1939, lorsqu’ils sont tous deux mobilisés (Leger, 1959). T (...)
  • 14 Ibid.

2À l’instar de la « généalogie sélective » propre à certaines approches historiennes du cinéma qui privilégient les traces d’une cinéphilie cultivée11, ce substrat résistant participe du processus de statufication de Bazin en « héros et héraut de l’après-guerre12 » qu’il convient de questionner. L’examen d’un premier texte de Bazin datant de 1938 et des archives de la Maison des lettres, jusqu’à présent passés inaperçus, ainsi que le réexamen de sa correspondance adressée à un ami alors très proche, le futur dominicain et cinéphile Guy Leger13, et de son article de 1941 donnent un nouvel éclairage tant sur ses opinions politiques avant la guerre et durant l’Occupation que sur les conditions de son entrée dans le monde du cinéma. On y découvre en effet un jeune homme désemparé qui, comme bon nombre d’intellectuels de l’époque, hésita d’abord quant à l’attitude à adopter. À la Maison des lettres, une fois détaché des événements politiques, il parvint cependant à satisfaire une quête d’alacrité qui jusqu’alors lui faisait défaut et à poser les bases qui lui permirent de trouver, dès la Libération, sa place dans l’univers du 7e art. Le présent article propose ainsi des éléments susceptibles de contribuer à répondre à la question qui continue à se poser : « Comment Bazin est-il devenu Bazin14 ? »

Le « chiendent politique » et les « vieilles outres corrompues »

  • 15 Touchard, 1959, 5. En attendant l’aboutissement d’une recherche en cours sur l’itinéraire de Touch (...)
  • 16 Winock, 1996 [1975], 179 et suiv.
  • 17 Le nom, l’initiale du prénom, le souvenir relaté par Touchard, mais aussi, comme nous le verrons, (...)
  • 18 Les « cloutiers » préparaient le certificat d’aptitude au professorat des écoles normales et des é (...)
  • 19 Sur la jeunesse de Bazin et l’influence de Bergson, voir Andrew, 1983 [1978], 29-50. Les travaux d (...)

3« Nous recevons souvent à la revue Esprit des lettres de jeunes gens inconnus » : c’est par l’intermédiaire de l’une de ces lettres que le futur directeur de la Comédie-Française et acteur de la décentralisation culturelle durant l’après-guerre, Pierre-Aimé Touchard, raconte avoir fait la connaissance de Bazin15. S’il est alors toujours le chroniqueur théâtral de la revue Esprit, Touchard est, en septembre 1938, principalement occupé à diriger Le Voltigeur français, journal bimensuel né du désir de plusieurs rédacteurs de la revue fondée par Emmanuel Mounier de défendre une ligne et des actions politiquement engagées contre le nazisme et ses dangers16. Dans le quatrième numéro du Voltigeur, celui du 16 novembre 1938, en page sept, à la rubrique « Le lecteur écrit », se trouve un texte intitulé « Pas d’équivoque ». Il est signé « A. Bazin » et il n’y a pas de raisons de penser qu’il ne s’agit pas d’André Bazin17, alors tout juste âgé de 20 ans. Il s’agit probablement du premier texte publié par ce jeune catholique aux origines sociales modestes qui, sans appétence encore connue pour le cinéma et se destinant à une carrière dans l’enseignement, vient de réussir l’examen d’entrée à l’école normale supérieure de l’enseignement primaire de Saint-Cloud pour y préparer le « professorat », titre de capacité aux enseignements primaire et primaire supérieur18 – où il s’imprégnera notamment de la pensée d’Henri Bergson – après avoir mené de brillantes études à l’école normale primaire de La Rochelle, puis à celle de Versailles19.

  • 20 Pour Le Voltigeur, les accords de Munich, loin d’avoir « sauvé la paix », relèguent la France au r (...)
  • 21 Au niveau national, Le Voltigeur appelle à l’union nationale, au consensus et à la convergence des (...)
  • 22 Le Voltigeur, 1938, 1.

4En automne 1938, le contexte politique est particulièrement troublé. Les accords de Munich signés, le président du Conseil, le radical Édouard Daladier, à la tête d’un gouvernement à la majorité parlementaire instable, instaure une politique de rigueur et défait les réformes sociales acquises après la victoire du Front populaire afin de réarmer la France. Alors qu’il exprime des inquiétudes à l’égard de la situation internationale20, Le Voltigeur s’alarme également des positions nationalistes et réactionnaires qui s’exacerbent dans le pays21. Dans son deuxième éditorial, Le Voltigeur redoute « une violente réaction » au sein la société française : « Nous craignons que les Français ne cherchent des “boucs émissaires” de notre abdication spirituelle, politique et économique et qu’ils ne se méprennent sur les véritables causes de cette abdication. Nous voulons affirmer ici qu’il ne convient pas à notre avis de rendre seul tel ou tel homme politique responsable, ni tel ou tel parti politique22. » Fidèle au pluralisme d’Esprit, le journal donne cependant la parole à une voix différente en publiant la lettre de Bazin : « Nous avons dénoncé, dans un précédent numéro du Voltigeur, la tentation pour chacun de nous de rejeter sur quelque “bouc émissaire” la responsabilité de la situation actuelle. Un lecteur nous signale à son tour, et à juste titre, l’hypocrisie d’une attitude inverse, trop facile à ceux qui, ayant voulu le pouvoir, n’ont pas su l’exercer. »

  • 23 Bazin, 1938, 7 ; sauf mention contraire, les autres citations entre guillemets de cette partie son (...)

5Bazin dénonce dans son texte le « tour de passe-passe23 » de responsables politiques soumis au pouvoir de l’argent. Il s’insurge contre le gouvernement qui, au lieu de remettre en cause ses propres défaillances, désigne la population comme seule responsable de la situation, façon pernicieuse selon lui de justifier la politique de rigueur lancée pour réarmer le pays : « Pour ne pas changer l’État, on veut changer le peuple. » Il synthétise alors la position du gouvernement Daladier en parodiant son propos : « Que chacun de vous se remette au travail, fasse des enfants, prépare les sous qu’il lui reste pour le prochain emprunt, pratique en un mot toutes les vertus civiques et républicaines et la France est sauvée. » Il continue en usant toujours de l’ironie : « Point n’est besoin d’un dictateur républicain, d’un Gouvernement de Salut public, ou de réformes de structures, faites tous votre devoir et M. Daladier suffira. » Si la dénonciation est évidente, l’option que Bazin souhaite voir advenir, au-delà de la critique, n’est pas aisée à démêler. Est-ce à dire qu’il appelle à l’avènement d’un dictateur républicain, à la mise en place d’un comité de salut public ou à des réformes de structure ? Ces trois options sont bien différentes.

  • 24 La critique de l’antiparlementariste y est notamment exprimée par le philosophe Jean Lacroix (1938 (...)

6Pour Bazin, le discours gouvernemental, en pointant la défaillance morale des citoyens, masque des carences qui pourtant incombent à ceux qui le tiennent. S’il considère qu’il y a bien un problème moral, lequel nécessite, dit-il, « une rééducation civique des citoyens », la principale difficulté est selon lui avant tout d’ordre politique : « Au lieu de renouveler le véhicule, on se contente de donner quelques coups de fouet aux chevaux. Pense-t-on encore aller très loin ainsi ? Tous les sacrifices demandés au pays seront comme un vin nouveau dans de vieilles outres corrompues. » Bazin appelle à un changement qui flirte avec l’antiparlementarisme et l’antipolitisme, particulièrement prégnants à l’époque, mais régulièrement dénoncés dans Le Voltigeur24. Et le mépris qu’il exprime à l’encontre de la classe politique est tel que l’on doute qu’il croie réellement en sa capacité à changer. Bazin est empli de rancœur à l’encontre d’un système démocratique auquel il ne semble plus vraiment croire : « Épais de son histoire et solidement enraciné dans le pays par les mille petites fibres des intérêts de clocher, de la camaraderie partisane et des habitudes acquises, ce chiendent politique paraît indestructible. Ce n’est évidemment pas ceux qui mangent de cette herbe qui auront le courage de l’émonder. »

  • 25 Winock, 1996 [1975], 79 et suiv.
  • 26 Le rejet de l’individualisme, pour ne prendre que cet exemple, exprimé par Pétain dès les années 1 (...)
  • 27 Esprit était « plus qu’une revue » et s’appuyait sur un réseau de groupes provinciaux et étrangers (...)
  • 28 Troude-Chastenet, 2003.
  • 29 Comte, 1987, 409-410.
  • 30 Simon, 1938, 394, repris dans Winock, 1996 [1975], 93.

7À l’image d’un grand nombre de ses contemporains, Bazin souscrit au constat de la décadence citoyenne, politique et économique ainsi que de la faillite d’une démocratie libérale qu’il appelle à transformer. Ces critiques sont en effet partagées, selon des combinaisons variables, par divers courants politiques et idéologiques : l’individualisme, le libéralisme et le capitalisme sont les « adversaires » du personnalisme communautaire comme de multiples orientations réactionnaires25 et constitueront les piliers de la future Révolution nationale26. Bazin est alors proche, outre le personnalisme du mouvement Esprit27, où les attaques contre la démocratie peuvent être féroces28, de certains mouvements de l’Action catholique (tel celui de Marcel Légaut), dont l’idéologie s’inspire d’intellectuels croyants penseurs de la « communauté », tangents avec des positions qui s’opposent à la fois au marxisme et au matérialisme bourgeois, condamnent le désordre politique et appellent à un redressement moral et spirituel29. Or, en 1938, la ligne de partage se situe justement autour de la question de l’antiparlementarisme, « terrain piégé », carrefour à la fois « inévitable » et « dangereux » par lequel passe « la voie du fascisme », comme l’écrit alors l’homme de lettres Pierre-Henri Simon30.

  • 31 Dans le numéro d’Esprit où paraît le texte de Simon déjà mentionné, Mounier considère que l’antipa (...)
  • 32 Bazin est mobilisé du 16 septembre 1939 au 11 septembre 1940 (Archives nationales, dossier « André (...)
  • 33 Le présent article s’est nourri de la trentaine de lettres, écrites entre mai 1940 et septembre 19 (...)
  • 34 Laborie, 1999, 55.

8Bazin se trouve, avec une bonne partie de la population française, au milieu de ce carrefour et va rester convaincu que seul un changement radical de régime pourra sauver la France, enclin donc à suivre la voie antiparlementariste défendue notamment par Mounier31. Cette conviction est telle qu’il continuera à redouter, durant la drôle de guerre et alors qu’il vient d’être libéré de ses obligations militaires32, la perspective d’une victoire française. Le 11 octobre 1940, il rappelle à Leger : « J’écrivais au mois de décembre dernier que la victoire m’effrayait parce que tout serait à faire et qu’on ne ferait rien33. » Pour Bazin, et d’ailleurs plusieurs personnalistes, la défaite restera longtemps considérée comme une « épreuve salutaire, voire nécessaire34 ».

« Il y aurait tout de même des conquêtes positives »

  • 35 Touchard mentionne les lettres de Bazin adressées à Leger dans sa correspondance avec Michel Winoc (...)

9Les lettres adressées à Leger par Bazin donnent accès à ses opinions politiques et confirment qu’il ne voit pas avec pessimisme l’avènement du nouveau régime. Cette correspondance met ainsi au jour le « désemparement » politique qui gagne alors des catholiques « tentés par la collaboration » avec le régime de Vichy, selon les mots employés par Touchard qui a consulté ces courriers près de trente ans après leur rédaction35.

  • 36 Ces « feuilles mal composées, mal présentées » s’apparentent davantage à des tracts de propagande (...)

10Dans son courrier du 6 octobre 1940, Bazin donne son avis sur plusieurs titres de presse. Après avoir évacué de sa réflexion Paris-Soir, La France au travail et Le Matin, « faciles à classer36 », il se concentre sur deux journaux : La Gerbe et Aujourd’hui. À propos de La Gerbe – qui tire son nom de La Gerbe des forces, hommage de la première heure à l’hitlérisme, commis par Alphonse de Châteaubriant –, Bazin écrit : « La Gerbe à la rigueur je comprends. C’est le journal de fond, le plus solide, il s’explique par Châteaubriant et son bouquin La Gerbe des forces, il a une doctrine positive. Acceptant carrément les principes racistes et totalitaristes (qu’il amalgame étrangement avec le christianisme), il mise à fond sur la collaboration franco-allemande dans une similitude d’idéologie. Leur position est logique, cohérente. Pourquoi se battre avec des gens qui nous ont apporté la bonne nouvelle, qui l’ont apportée au monde ? L’Allemagne sauve l’Europe de l’esclavage anglais, juif et capitaliste, la France s’y intègre naturellement et collabore à l’ordre nouveau. J’aurais bien quelques questions de détail à régler avec Châteaubriant mais en gros je crois saisir. »

  • 37 Sur ce « pacifiste anarchisant », l’attitude de certains pacifistes à l’égard de Vichy et le journ (...)
  • 38 Andrew, 1983 [1978], 55.

11Si ces propos autorisent le doute – faut-il lire de l’ironie notamment dans la mention des « quelques questions de détail à régler avec Châteaubriant » ? – et ne permettent pas d’affirmer que Bazin adhère sans nuances aux orientations de La Gerbe, force est de constater qu’il reconnaît la qualité de l’hebdomadaire, lequel, précise-t-il plus loin, « se tient au [point] de vue métaphysique, économique et politique ». Il loue particulièrement sa « doctrine cohérente et positive », deux qualités qu’il ne retrouve pas, au contraire, dans la « salade d’hommes et d’idées » qu’est Aujourd’hui, journal à ses yeux « essentiellement négatif ». À ce quotidien qui vient d’être autorisé par la Propaganda Abteilung et dont la rédaction est alors dirigée par l’écrivain et scénariste Henri Jeanson37, Bazin reproche l’absence de clarté idéologique : « on y trouve des articles de tout poil mais généralement “contre” ». Il attaque le journal en raison de son « manque de cohérence » et de ses « contradictions difficiles à réduire », de sa « recherche de la démocratie et du libéralisme intégral » ainsi que de son « immoralisme bombardier ». C’est alors surtout l’ambiguïté et l’opportunisme apparent des rédacteurs – lesquels pouvaient sembler mendier « des strapontins dans le nouveau régime », comme le dit Andrew38 – ainsi que le « pluralisme » du journal qui sont au centre de ses critiques. Il s’insurge notamment contre l’« équivoque soigneusement camouflée » qui « fait valoir les affinités » de la pensée de ses auteurs avec le nazisme et conduit les défenseurs d’un pacifisme intégral à adopter une position ambiguë. En négatif se lit sa rancœur à l’encontre des pacifistes, mais aussi de leur naïveté ou de leur opportunisme, et de l’inconstance qui conduit certains à faire passer leur intérêt personnel avant les idées. On comprend que pour Bazin, mieux vaut être un pétainiste cohérent qu’un intellectuel versatile, surtout si l’on a été pacifiste.

  • 39 L’extrait de cette lettre du 6 octobre 1940 fait référence, sans ambiguïté, à la « révolution » vi (...)
  • 40 L’historien Pierre Riché, par exemple, lequel a d’ailleurs pu croiser Bazin durant cette période ( (...)
  • 41 Laborie, 1999, 57.

12Le jugement positif de Bazin sur La Gerbe s’accompagne, sans qu’il fasse pour autant preuve d’ingénuité, d’une espérance indéniable dans le nouveau régime : « […] dans la révolution à venir (car elle me paraît presque inéluctable) il y aurait tout de même au moins, de notre point de vue, des conquêtes positives : la suppression de la puissance de l’argent, la plus grande hérésie moderne, l’importance nouvelle donnée à des valeurs morales perdues dans notre civilisation abstraite : celle de la terre. Je ne veux pas dire que j’accepte en bloc cette révolution, je veux seulement dire que dans un contexte que nous rejetons sans doute, il y aura tout de même des réalités que nous réclamons depuis longtemps, et que ces réalités pourront peut-être bourgeonner individuellement, servir demain de point de greffe39. » La position de Bazin rappelle celles de nombreux jeunes catholiques40 comme des « néopossibilistes » qui, à l’instar de Mounier, considèrent que la situation offre une « opportunité historique » pour faire advenir « une révolution anti-individualiste et communautaire41 ».

  • 42 Lettre de Touchard à Winock non datée, probablement de février ou mars 1974 (Institut mémoires de (...)
  • 43 Bazin est hostile à l’antisémitisme, mais comprend et explique l’attaque dont les juifs font l’obj (...)

13Vichy serait donc l’occasion de tirer définitivement un trait sur plusieurs années d’une politique délétère. Cependant Bazin hésite. Dès le 11 octobre, il opère une « volte-face » au sujet de la presse, selon l’expression de Touchard qui précise que celle-ci « montre à quel point les plus lucides étaient désemparés42 ». Alors que l’antisémitisme de La Gerbe le dégoûte43 et qu’Aujourd’hui devient le seul journal lisible à ses yeux, Bazin reste cependant « optimiste » et le discours du maréchal Pétain du même jour tend en partie à le rassurer : « Je sais bien que d’un certain point de vue c’est un beau discours de plus […]. Tout de même une déclaration comme celle-là a de l’importance. [Léon] Blum n’en avait pas dit autant. Bien sûr il y aura [toujours] des pauvres et des riches – encore que cela ait moins de sens à présent – et encore des tas d’hypocrisies ; nous avons d’autres chaînes, au moins quelques unes des anciennes sont-elles rompues et les chaînes de demain ne sont-elles pas encore tout à fait forgées. »

  • 44 Dans sa lettre au Voltigeur, Bazin écrit : « La France sentait déjà les affres de l’enfantement qu (...)
  • 45 Lettre du 11 octobre 1940 ; c’est Bazin qui souligne.
  • 46 Laborie, 1999, 46, citant Lacroix, 1940, 13. Voir également Troude-Chastenet, 2003.

14Le discours de Pétain du 11 octobre résonne avec le souhait de Bazin d’assister à la restauration de certaines valeurs mises à mal par un système politique qui a conduit à la défaite et à la dégradation de la France. D’ailleurs, dans sa correspondance avec Leger, il redit avec des mots très crus – en recourant de nouveau, après son texte de 1938, à une métaphore de l’enfantement44 – son rejet des années qui ont mené à la défaite, rejet qui confine à une forme de détestation : « [Le] drame moral de cette guerre pour nous résidait dans le monstrueux malentendu soigneusement entretenu par les officiels (laïcs et religieux) à savoir que l’on se battait pour la démocratie dépositaire de la personne humaine, que c’était la lutte des démocraties contre le totalitarisme. Or c’était faux, archifaux, ils mentaient tous […] car, si le totalitarisme d’en face était vrai, authentique, notre démocratie était indéfendable et nous n’eussions pas levé le petit doigt pour elle. Nous la protégions, cette “démocratie” comme une affreuse mère enceinte de nos espoirs, une putin [sic] dont nous ne voulions croire qu’elle n’était pas encore stérile. […] Bien que nous pensions, avec sagesse, que cette fois là encore elle se ferait avorter. On acceptait la guerre pour ce fœtus. […] Nous, on s’en foutait de la mère, on défendait une petite, une toute petite promesse d’enfant qui, pensions-nous, disparaîtrait avec elle, mais la grande masse des Français finissait par ne plus faire la distinction […]. Enfin elle est crevée, la garce, le diable ait son âme ! L’histoire montrera sans doute qu’elle s’était fait enlever les ovaires depuis longtemps ; ça ne nous surprendra pas. Le soulagement que me procure sa mort est tel qu’il a peut-être tendance à me faire trouver plus belle la réalité qui lui succède, par comparaison […]45. » Là aussi, le parallèle avec la position d’intellectuels catholiques et personnalistes est éclairant, car nombre d’entre eux ne cachent pas la satisfaction de voir « emporter “ce qui était déjà mort et pourri”46 ».

  • 47 Lettre de Touchard à Winock non datée, probablement de février ou mars 1974 (Institut mémoires de (...)
  • 48 Ibid.

15C’est donc la haine du passé qui fait espérer en des jours meilleurs sur lesquels, pour autant, Bazin ne se berce pas d’illusions. D’ailleurs, progressivement, l’adhésion à certaines idées de la Révolution nationale et la conviction initiale qu’elle pourrait conduire à des « conquêtes positives » cèdent progressivement place au doute. Le 27 octobre 1940, il en fait part à Leger : « Je suis de plus en plus perplexe et anxieux au point de vue politique. Les tentations et les dangers sont partout qui nous guettent, surtout nous qui sommes jeunes et qui voulons être chrétiens. Nous ne pouvons pas être absents d’une telle gestation. Et pourtant je ne sais plus ! » Touchard insiste, près de trente ans plus tard, sur le fait que ce « désemparement » affectait particulièrement ceux qui se trouvaient alors en zone libre où « tout paraissait mort du passé » : « On se raccrochait, si on voulait vivre, fatalement à l’avenir de ce qui paraissait subsister d’encore vierge47 », explique-t-il. Aussi, quand Bazin rejoint la zone occupée, le ton change, la tentation de l’adhésion semble s’éloigner en même temps que s’opère, comme le dit Touchard, un « virage de bord48 ». Cette transition procède d’une prise de conscience que Bazin exprime dans la lettre du 10 novembre : « Que te dirai-je de l’atmosphère parisienne ? Bien triste assurément. Les queues partout aux portes des bouchers, des crémiers, des marchands de chaussures. Les matières grasses et la viande sont difficiles à trouver. La famille moyenne de Paris est sans doute au seuil de la misère. J’ai l’impression que cette situation est voulue par les Allemands car, enfin, la vie en province n’est pas si tragique. Peu d’Allemands relativement (à côté de [Bordeaux] et [La Rochelle]). Une atmosphère nettement anglophile ([surtout] depuis que les communistes sont pour De Gaulle) pas du tout le climat “collaboration”. »

  • 49 Lettre du 6 janvier 1941.
  • 50 Lettre du 11 novembre 1940.

16Au début de l’année 1941, alors qu’il ne lit « plus guère » La Gerbe au moins depuis le mois de décembre, Bazin pense cependant que Pétain s’apprête à démissionner et que le gouvernement résiste aux Allemands : il s’inquiète alors de « la menace qui pèse sur le gouvernement de Vichy » et craint qu’il se trouve totalement soumis à l’Allemagne49. À Paris, où les conditions de vie sont plus précaires qu’en zone libre, il est d’ailleurs directement confronté aux méfaits de l’Occupation. Il est surpris de voir la mise à l’index des écrits d’Henri Bergson, constatant ainsi que le statut des juifs est plus grave qu’il ne le pensait. Alors qu’il est provisoirement installé au lycée Louis-le-Grand, car les soldats allemands ont investi les locaux de Saint-Cloud, ses livres et ses fiches de travail « sont entre les mains des autorités occupantes » et, en lieu et place de Raymond Aron et Henri Dreyfus Le Foyer, les enseignements de philosophie sont assurés par Henri Gouhier, « malheureusement plus rasoir que ses articles50 ». En outre, ses perspectives professionnelles se trouvent profondément assombries par les transformations du système d’enseignement en cours.

« Un marais qui stagne depuis 50 ans »

  • 51 Fontaine, 2015, 71.
  • 52 Handourtzel, 1985, 103.
  • 53 Fontaine, 2015, 71.
  • 54 Il n’est pas nécessaire de détailler ici cette organisation du système éducatif, retenons que jusq (...)
  • 55 Leger, 1959, 2-3.
  • 56 « Rencontres » n’était pas « un petit périodique de la résistance » comme le dit Andrew (1983 [197 (...)

17La première réforme de Vichy est celle de l’école – « symbole par excellence de la Troisième République » et bouc émissaire « pratique » –, où le régime ambitionne de restaurer l’ordre, l’autorité et la hiérarchie selon un projet nationaliste pensé depuis le milieu des années 192051. Visant la « dérépublicanisation » du système scolaire52, cette réforme touche d’abord à l’école primaire, tant au niveau du contenu des enseignements (refonte au profit d’une conception communautaire de la société) que de la formation des instituteurs (suppression des écoles normales primaires) et de certaines organisations (dissolution du syndicat national des instituteurs)53. La nouvelle législation modifie également la finalité des écoles normales supérieures de Fontenay et Saint-Cloud, où se trouve alors Bazin, au sein desquelles il ne s’agit désormais plus de préparer des professeurs pour assurer la formation au sein des écoles normales primaires, mais pour enseigner en collège54. Le cahier Responsabilités de l’école de la collection « Rencontres », qui paraît en juillet 1941, contribue au débat et c’est là, comme nous l’apprend Leger55, que Bazin publie, sous le pseudonyme d’André Basselin, un article intitulé « L’enseignement primaire supérieur56 ».

  • 57 Quand il rédige son texte pour « Rencontres », Bazin écrit à Leger : « Le jeu de passion personnel (...)
  • 58 Basselin, 1941, 66.
  • 59 Dans une lettre qu’il adresse à Leger le 11 avril 1941, Bazin fait état de ses difficultés d’écrit (...)
  • 60 Basselin, 1941, 61.
  • 61 Ibid., 62.

18En ce qui concerne la situation et la réforme des enseignants de primaire, ce texte témoigne d’une position ambivalente, à la fois défense des instituteurs, dénonciation des critiques abusives dont ils font l’objet et attaque contre une partie d’entre eux57 : « Certains instituteurs ont pu, dans leur commune, être un ferment de discorde politique, ils ont pu parfois méconnaître les exigences de leur métier ; mais nous ne cesserons pas de répéter que ces regrettables exceptions ne justifient en aucune manière la généralisation abusive que nous connaissons trop bien. L’ensemble du corps enseignant accomplissait honnêtement une tâche difficile, malgré de pénibles conditions matérielles et morales58. » Malgré quelques paroles laudatrices, la formulation de reproches à l’endroit du système éducatif reste l’objectif principal assigné au texte59. Bazin y dénonce en effet, de façon brutale, les instituteurs tentés par le « fonctionnariat », dénués de suffisamment d’« esprit national » et qui désertent les départements ruraux – il dénonce également le « cancre rural (comparable à celui du cancre bourgeois du lycée)60 » qu’il conviendrait de réorienter hors du système d’enseignement. Ce texte défend certes la figure de l’instituteur, mais critique en même temps certains d’entre eux qui seraient des « ronds-de-cuir sans avenir61 ». Bazin attaque également sérieusement le système d’éducation dans son ensemble en raison notamment de son manque d’intérêt pour la pédagogie et de ses incohérences dans la formation des maîtres (trop de structures, trop disparates et inégales).

  • 62 Bergeron, 1940, 1.
  • 63 Basselin, 1941, 62.
  • 64 Dans son article, Bazin est cependant loin d’adhérer à l’ensemble des positions réactionnaires sou (...)

19Sa critique de la réforme n’est donc pas tant de fond que de méthode et concerne particulièrement la décision prise de supprimer les écoles normales primaires ainsi que de réformer l’enseignement primaire supérieur ; cette décision l’affecte directement puisqu’il se trouve à l’école normale supérieure de Saint-Cloud, en sursis, au moment où il rédige son texte. Pour bien comprendre, il convient de préciser que les écoles normales primaires sont alors sous le feu des attaques des nouveaux gouvernants et de leurs soutiens qui, par voie de presse, en font des lieux de prosélytisme politique et électoral où la jeunesse serait formée à un savoir uniquement livresque au détriment du « goût des travaux de la terre62 ». Or, l’un des arguments auquel recourt Bazin pour défendre ces écoles et les instituteurs est d’affirmer que, contrairement aux idées répandues, une école comme Saint-Cloud enseigne les « disciplines secondaires » (sport, musique, dessin, agriculture, nautique, puériculture, couture, etc.) et que celles-ci préparent bien, mais de façon trop hétérogène, « à la connaissance et à l’amour de sa région63 ». S’il aurait mieux fallu selon lui améliorer les choses plutôt que de supprimer les écoles normales d’instituteurs en raison de présupposés erronés, il soutient pleinement ce retour aux valeurs de la « terre64 ».

  • 65 Sur la récupération des idées du personnalisme communautaire et leur porosité avec celles de la Ré (...)
  • 66 Basselin, 1941, 66.
  • 67 Ibid., 68.

20Ainsi, rien dans le texte n’indique que Bazin s’oppose frontalement à l’esprit qui guide la réforme. La référence faite à Charles Péguy, dont on sait à quel point la pensée, comme d’ailleurs le personnalisme communautaire qui s’en inspire, est alors largement digérée par Vichy, ne le place pas en porte-à-faux des valeurs de la Révolution nationale65. Si Bazin exprime des reproches et refuse d’imputer la responsabilité à l’instituteur dans la défaite – il la récuse même quand il affirme que l’instituteur aurait prétendument « failli à sa tâche comme le veut une vague rumeur66 » –, il ne défend pas pour autant une conception qui va totalement à l’encontre de son dessein, affirmant qu’il faut restaurer la juste place de l’instituteur dans la communauté nationale : « L’instituteur doit être, dans la France de demain, un facteur essentiel de relèvement national. Il faut qu’il redevienne le “maître d’école”, qu’il retrouve dans le village, au milieu de la communauté paysanne, le vrai sens de sa vocation67. »

  • 68 Andrew affirme que Bazin était très peu amène à l’égard du système éducatif français et qu’il le c (...)
  • 69 Lettre de Bazin à Leger du 22 février 1941.

21À la lecture de la correspondance de Bazin avec Leger, le texte paru dans « Rencontres » apparaît d’ailleurs plutôt tempéré, car il ne témoigne que modérément de la conception négative que se fait Bazin du système d’enseignement : dans une lettre du 22 février 1941, il le décrit comme un « marais qui stagne depuis 50 ans » et a progressivement gagné les écoles normales primaires et l’école de Saint-Cloud, où les professeurs sont « soit de vieux instituteurs venus là on ne sait comment, soit des ratés de l’enseignement secondaire68 ». Cependant, cette réforme est une sérieuse déception pour Bazin, alors particulièrement « mauvais » en raison de la disparition des écoles normales primaires et surtout des transformations imposées à Saint-Cloud : « Dans ces conditions-là, j’aime mieux être instituteur69. »

« Comme si une idée n’était pas toujours ambivalente »

  • 70 Arrivés parallèlement à Esprit, Touchard et Humeau y effectuent d’abord des activités de « factotu (...)
  • 71 Laborie, 1999, 53, citant Mounier, 1999 [1940], 66.
  • 72 La lettre du 24 juillet 1940 adressée à Leger nous apprend que Bazin lit alors Le Mur de Sartre et (...)
  • 73 C’est notamment ce qui transparaît des reproches qu’il exprime à Leger au sujet d’un de leurs amis (...)
  • 74 « En tous cas ils ont l’air fin, à présent, les évêques ! Après avoir prêché la croisade, voilà le (...)

22Le réseau des connaissances de Bazin dessine alors un monde complexe où se croisent différents intellectuels et personnalités, souvent catholiques (Marcel Légaut, Henri Guillemin, Augustin Maydieu, etc.). Durant la guerre, Bazin sera aussi en contact régulier avec des animateurs d’Esprit, peu ou pas du tout croyants, marqués à gauche et engagés dans des actions de résistance, tels Touchard et Edmond Humeau70, deux hommes qui font partie de ceux qui mèneront des activités clandestines tout en exerçant des fonctions officielles, considérant, comme le dit Mounier, que « la priorité n’est plus à mettre de l’ordre dans les régimes de liberté », mais à « trouver la place de la liberté dans des régimes autoritaires71 ». La position de Bazin, alors lecteur aussi bien de Jean-Paul Sartre que de Pierre Drieu La Rochelle72, est cependant différente. S’il a pu regretter la collaboration avec Vichy de certains de ses proches73 et dénoncer le fourvoiement et la versatilité politiques de plusieurs ecclésiastiques74, l’effondrement occasionné par la défaite ne le conduit pas, on en a déjà eu des indices, à rejeter en bloc ceux qui témoignent d’une sympathie pour plusieurs idées de ce régime et certaines formes de collaboration.

  • 75 Bazin rencontre Daniel-Rops, écrivain et historien catholique, lorsqu’il fait ses classes à Bordea (...)
  • 76 Ce constat contredit l’affirmation d’Andrew qui relate que Bazin aurait rompu toute relation avec (...)

23Une personnalité en particulier permet d’éclairer plus précisément la position de Bazin au début de l’Occupation : Henri Petiot, dit Daniel-Rops75. La lecture des lettres adressées à Leger nous apprend que Bazin a été informé assez tôt des orientations collaborationnistes de cet écrivain et historien catholique. Après de premiers indices fournis par le professeur de lettres Henri Guillemin dès juillet 1940, il en a la confirmation par Daniel-Rops lui-même, comme il l’écrit à Leger le 8 décembre : « Je n’ai pas pu parler longtemps avec lui de sorte que je n’ai pas multiplié les sondages. Il est collaborationniste évidemment mais ceci ne t’apprend rien. Il me paraît en relation avec M. Déat mais jusqu’où cela va-t-il ? Il dit que les Allemands ont un sincère désir de collaboration mais que, chez eux aussi il y a des tendances très diverses et que ce qui semble démentir leur sincérité vient des éléments anti-collaborationnistes qu’ils possèdent tout comme nous. » Bazin cependant ne coupera pas les ponts et continuera à prendre régulièrement de ses nouvelles et à échanger avec lui tout en s’enquérant de sa position à l’égard du régime76. Il relate l’une de ces discussions dans une lettre du 14 novembre 1941, près d’un an après avoir été informé de ses accointances avec la collaboration : « J’ai vu récemment Daniel Rops […]. Nous avons peu parlé politique mais à quelques mots j’ai compris qu’il avait sensiblement évolué au point de vue de la “Collaboration”. Toujours d’accord sur le principe mais il la juge inopportune : nous sommes encore trop “les vaincus”. Dans ces conditions sa position devient acceptable. »

24Là encore, c’est la question de la cohérence de la pensée qui prédomine. On comprend que si Bazin pouvait ne pas adhérer à la collaboration, il ne rejetait pas pour autant tous ceux qui s’y engageaient à condition que la logique de leur implication soit « constructive », conforme à leurs engagements antérieurs et qu’il la juge clairvoyante. Alors que ses espoirs en la capacité de Vichy de résister aux Allemands se sont évanouis, Bazin loue ceux qui s’engagent dans un travail avec le régime sans visées opportunistes : « Les collaborationnistes sont soit des lâches platement intéressés soit au contraire des gens qui me semblent plus intelligents ou plus courageux que les anglophiles. »

25Cette lettre du 13 août 1941 renseigne aussi sur la position de Bazin à l’égard du gaullisme et de la Résistance. Son opinion est alors comparable à celle qu’il a pour la collaboration. D’une part, il méprise l’adhésion mécanique des « anglophiles » : « Je suis décidément de plus en plus sceptique sur la valeur des idées qui divisent actuellement la France. Je crois qu’en général c’est l’anglophilie qui est le plus bêtement représentée mais cela tient à ce que 75 % du Français moyen en est. » D’autre part, il respecte au plus haut point ceux qui, parmi les résistants, font preuve d’un engagement sans faille. Toujours dans cette lettre, on apprend que le directeur de l’école de Saint-Cloud, Oscar Auriac, fait lire à Bazin des courriers faisant suite au décès de son fils, Jean Auriac, qui, le 18 juillet 1940, a préféré se suicider plutôt que de dénoncer des camarades engagés avec lui dans la résistance active. Cette figure de fidélité dans l’engagement fascine Bazin : Jean Auriac, écrit-il, « était à sa manière une espèce de Saint. Une vie d’une pureté et d’une droiture extraordinaire. »

  • 77 Lettre de Touchard à Winock du 11 mars 1974 (Institut mémoires de l’édition contemporaine, fonds E (...)
  • 78 Selon les termes employés par Winock à propos des implications de Mounier au sein de Jeune France (...)
  • 79 Lettre de Touchard à Leger de juin 1974 (bibliothèque du Saulchoir, fonds Leger, V714-7).

26Touchard, « charnellement » résistant et jamais tenté par l’adhésion au projet idéologique vichyste77, ne juge pas, rétrospectivement, trop durement ses divergences de vues avec Bazin, car, à cette époque, nombreux étaient les intellectuels à être « désemparés » et beaucoup d’entre eux ont accepté d’œuvrer dans le régime à la fois pour le contrer et lui survivre78. Lui-même, comme nous le verrons, a pris la direction d’une création de Vichy, la Maison des lettres, convaincu qu’il pourrait y insuffler un esprit de liberté et de lutte. Les réflexions de Touchard, témoin de cette époque, très proche de Bazin et du milieu qu’il fréquente alors, sonnent particulièrement justes. À la lecture des lettres que Bazin adresse à Leger, Touchard, nous l’avons vu, a été frappé par l’évolution de sa position à l’occasion de son arrivée en zone occupée, par son désarroi, puis sa prise de conscience79. Mais ce qui l’a le plus marqué, c’est l’attachement que Bazin manifeste finalement aux formes de l’engagement. Aussi voit-il un point d’accord avec ses propres convictions dans ces propos que Bazin adresse à Leger le 13 août 1941 : « Plus que les idées, me paraît à présent intéressante une certaine manière d’avoir ces idées, un certain style politique. Or le style du Français moyen, qu’il soit gaulliste ou déaiste ou pétainiste est décidément minable. C’est cela qui compte, cette alacrité, comme dit je crois Péguy à propos des Français de 89. Cette alacrité de la France, de toutes façons, je ne la vois guère, or la révolution, elle se fait d’abord dans les esprits, c’est à dire dans le style plus encore que dans les institutions. J’admire comme les gens ont actuellement vite fait de se juger les uns les autres sur leur degré de collaborationnisme. […] Comme si une idée n’était pas toujours ambivalente. Il n’y a que les hommes qui comptent. »

  • 80 La correspondance avec Leger fait alors principalement état des difficultés sentimentales et spiri (...)
  • 81 Témoignage de Françoise Burgaud à Pagliano (1988).
  • 82 Aux critiques que Bazin exprime à l’endroit du système éducatif s’ajoute l’échec à l’oral de franç (...)
  • 83 Avant de quitter La Rochelle, Bazin ne s’intéresse pas au cinéma : « Ma vie scolaire, mes goûts d’ (...)

27La fin des hésitations de Bazin (du moins n’y en a-t-il plus trace après l’automne 194180) correspond au renforcement de la collaboration du gouvernement français avec l’occupant et à son entrée au sein de la Maison des lettres. Bazin y baignera dans une atmosphère résistante et hostile à Vichy, entretenue par des personnes aux convictions politiques et aux formes d’engagement variées, animée par Touchard, qui le prendra alors sous sa protection morale et intellectuelle81. Sans doute y satisfera-t-il sa quête d’« alacrité » et que c’est grâce à elle qu’il pourra évacuer les multiples déceptions éprouvées à Saint-Cloud82, en se consacrant pleinement à la découverte du cinéma83 et d’une partie de son monde.

De la petite à la grande école du spectateur

  • 84 Sauf mention contraire, toutes les informations concernant la Maison des lettres sont issues du fo (...)
  • 85 Touchard, 1966-1979 [été 1978 (2)], 4.
  • 86 Les « cercles d’études » s’apparentent à des « conversations dirigées » destinées à initier, de fa (...)

28En août 1941, Touchard est nommé directeur de la Maison des lettres, une des cinq maisons de facultés créées par le Service des étudiants parisiens afin d’assurer la formation civique et morale des étudiants de la faculté des lettres de la Sorbonne et de diffuser les idées de la Révolution nationale84. Il décide d’en accepter la direction avec la conviction qu’il parviendra à tourner la situation à son avantage : la Maison des lettres devient effectivement à la fois un lieu traversé par divers engagements résistants et un « foyer de pensée libre85 ». À côté des camps organisés hors de Paris, des causeries et des conférences animées par divers intellectuels (dont nombreux étaient proches du mouvement naissant de l’éducation populaire et artistique, de la revue Esprit et de l’association Jeune France), la vie des étudiants est alors scandée par des événements artistiques (lectures, concerts, représentations théâtrales, expositions de peinture), l’animation de « cercles d’études86 » et les réunions régulières de nombreux « groupes d’études » qui se retrouvent autour de pratiques et thématiques diverses (littérature, musique, peinture, philosophie, poésie, politique, théâtre, radio, etc.).

Fig. 1 : André Bazin vers 1941-1942

Fig. 1 : André Bazin vers 1941-1942

Photographie de Bazin figurant sur un certificat médical, non daté et non renseigné, alors qu’il est surveillant d’internat à l’école Jean-Baptiste-Say.

Source : Archives nationales, dossier « André Bazin » du rectorat de l’académie de Paris, 20140530/13.

  • 87 À l’automne 1941, Bazin est surveillant d’internat – « pion » dans le langage courant –, d’abord a (...)
  • 88 Témoignage de Burgaud à Pagliano (1988).
  • 89 Touchard, 1959, 7.
  • 90 Pagliano, 1988.
  • 91 Bazin et Chartier, 2018 [1942], 72.
  • 92 Nous rappelons que, sauf mention contraire, toutes les informations concernant la Maison des lettr (...)
  • 93 Comme suggéré, il s’agit plus probablement de l’année 1942.

29Alors qu’il vient d’obtenir le certificat d’aptitude au professorat des écoles normales primaires et des écoles primaires supérieures, mais continue à vivre de pionicat87, Bazin est probablement parmi les premiers à rejoindre cette Maison88, où le cinéma est d’emblée envisagé comme pouvant faire partie des instruments de culture artistique. Ce n’est cependant, semble-t-il, qu’à la rentrée universitaire de 1942 que se constitue officiellement un groupe qui lui est consacré. Celui-ci fut fréquenté et animé durant la guerre (et après, mais cela dépasse le sujet du présent article) par de nombreuses personnes aux convictions et aux parcours variés. S’y sont notamment côtoyés, sans que l’on puisse être précis sur la coprésence des uns et des autres, des hommes qui firent ensuite carrière dans le monde des médias et du cinéma : Bazin, Jean-Pierre Chartier, Pierre Dumayet, Pierre Kast, Jean-Pierre Marchand ainsi qu’Alain Resnais89. Conformément au projet élaboré par les deux fondateurs et premiers responsables, Bazin et Chartier90, le groupe avait une ambition avant tout intellectuelle. Il visait, dans un premier temps, à questionner les gens de métier, afin de forger une culture technique, avant, dans un second temps, d’étudier l’esthétique propre à cet art alors dédaigné91. Une feuille volante92 relate ainsi l’élargissement progressif des activités du groupe : « Depuis 194193, un groupe d’étude s’est constitué à la Maison des lettres, ayant pour but de définir et d’approfondir la culture cinématographique. Il fit appel à des techniciens et à des comédiens pour des cycles de conférences, il constitua une bibliothèque, il tint des réunions d’études et organisa à l’intérieur de la Maison des lettres ou chez des camarades des séances rétrospectives clandestines. Au bout d’un an, cette activité se révéla insuffisante et elle fut complétée par des manifestations cinématographiques, auxquelles se prêtèrent quelques producteurs. »

  • 94 Tallenay, 1959, 10.
  • 95 La présence de Daquin est au conditionnel car L’Information universitaire, où les noms des interve (...)
  • 96 Cette intervention n’a cependant peut-être pas été organisée dans le cadre des activités du groupe (...)

30L’intervention que la mémoire a retenue comme acte fondateur est celle de l’homme et critique de cinéma Roger Leenhardt – très proche d’Esprit et parmi les animateurs de l’association Jeune France avant leur dissolution par Vichy –, lorsqu’il donna, le 30 janvier 1943, une conférence intitulée « Le cinéma est-il un spectacle ? » : « Précis, étincelant, paradoxal […], il nous conquit ce jour-là définitivement », se souviendra Chartier94. Cependant, le responsable de la chronique cinématographique de la revue Esprit avant la guerre ne fut pas alors le seul intervenant, ni d’ailleurs le premier. Le secrétaire général du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC), Robert Buron, donne, le 20 janvier 1943, une conférence intitulée « Les servitudes industrielles du cinéma ». Le 17 février, c’est probablement Louis Daquin qui présente son point de vue de metteur en scène sur la fabrication d’un film95. Le mois suivant, Paul Barbellion, chef de la section des études techniques et artistiques du COIC, traite de la réalisation d’un film du point de vue technique puis, le 20 mars, l’une des deux plumes de la chronique cinématographique du journal Comœdia, le monteur de films Arthur Hoérée, présente, dans la salle du COIC, avenue des Champs-Élysées, une conférence accompagnée de projections sur la musique au cinéma. Enfin, Lucien Aguettant aborde la question du décor à la fin du mois de mars et Henri Rollan propose une intervention sur les relations entre l’acteur et le metteur en scène environ deux mois plus tard96.

  • 97 Les connexions avec le COIC ont peut-être été établies par l’intermédiaire de Touchard, qui connai (...)

31Les réflexions du groupe bénéficient donc des relations qui s’établissent avec des professionnels de la réalisation et des institutions cinématographiques officielles. Il profite en effet du concours du COIC, organisme créé durant l’hiver 1940 qui avait la charge d’encadrer les activités de l’industrie cinématographique et de prendre les mesures utiles dans tous les domaines du secteur (économique, technique, social et professionnel)97. C’est avec son soutien que le groupe organise plusieurs projections ouvertes au public, d’abord dans les locaux du COIC, puis à la Maison des lettres, laquelle a quitté l’appartement du 11 de la rue Soufflot vers la fin du mois d’avril 1943 pour s’installer dans un petit hôtel particulier au 5 de la rue des Ursulines. Cette nouvelle adresse offre des conditions propices à l’organisation de projections et c’est là que se déroule, toujours avec l’aide du COIC, en juin 1943, un cycle de spectacles rétrospectifs. C’est peut-être encore grâce à son soutien que le groupe semble s’être essayé à la réalisation – à l’occasion de la fête de rentrée du mois de novembre, il présente un film réalisé lors de la kermesse du mois de juin – et peut assister à des tournages professionnels en studio.

  • 98 Ce cadrage exclusif sur Bazin est notamment étayé par une lettre qu’il adresse, le 26 avril 1943, (...)
  • 99 Bazin, 1943a, p. 4.
  • 100 Liandrat-Guigues et Leutrat, 2006, 186 ; Marchand, 2018, 6.

32Parallèlement à ces multiples conférences et activités, le groupe préparait un plan de travail sur l’esthétique cinématographique, menait des travaux bibliographiques et des exposés, comme celui du 14 avril : « Le cinéma est-il un art ? » Ce groupe de cinéma, comme son nom l’indique, est une œuvre collective, même si Bazin y joue indéniablement un rôle moteur. Cette dimension plurielle est cependant généralement passée sous silence et le travail intellectuel est exclusivement attribué au futur critique98. Le premier texte que Bazin signe dans L’Information universitaire du 26 juin 1943, « Redécouvrons le cinéma », est pourtant bien présenté comme la synthèse d’une conférence faite par le groupe et non par un seul homme99. Ces réflexions internes pouvaient s’accompagner de la projection de films dans les locaux de la Maison des lettres ou au domicile de certains. Là aussi, on a retenu que Bazin était seul responsable de la projection de films difficiles d’accès et censurés par l’occupant. Or, Resnais et Marchand relatent l’avoir fait dans des conditions strictement identiques100.

  • 101 Andrew, 1983 [1978], 155.
  • 102 Touchard, 1959, 7.
  • 103 Andrew, 1983 [1978], 66.
  • 104 Témoignage de Resnais dans Chancel, 2002.
  • 105 Touchard, 1966-1979 [été 1978 (2)], 3-4.
  • 106 Kast, 1945, 6.
  • 107 Touchard, 1955, np.

33Les films projetés pouvant être interdits par Vichy, ces séances nécessitaient beaucoup de prudence. Ainsi que le note avec justesse Andrew, il n’était pas question de faire de ces moments de projection « des armes de résistance101 », mais ce n’était pas tant le fait, tel qu’il le suggère, d’une décision du seul Bazin qu’une nécessité pour ne pas mettre en danger la Maison dans son ensemble, comme le rapporte Touchard : « Les réunions devaient se faire clandestines et les risques étaient assez gros en raison des autres activités subversives des groupes de résistants. Nous étions toujours à la merci d’une perquisition qui eût dirigé beaucoup d’étudiants vers les camps de déportation102. » En effet, les activités officielles de la Maison des lettres ne devaient pas trop attirer l’attention pour ne pas risquer de menacer d’autres actions proprement résistantes. D’ailleurs, rien n’atteste, ni dans les archives ni dans les témoignages, que les activités du groupe de cinéma aient jamais été découvertes ou interrompues par les autorités, contrairement à ce que soutient Andrew103, et il est probablement plus juste de considérer, avec Resnais, que ces séances étaient « semi-clandestines104 ». Il convient en outre de préciser que c’est le Service parisien des étudiants qui était le plus susceptible d’exercer un contrôle sur ces activités. Or celui-ci, comme l’écrit Touchard, était dirigé par des fidèles du maréchal Pétain qui étaient « farouchement anti-allemands » et détournaient le regard des activités subversives105. Et, à en croire Kast, l’entourage des maisons de facultés était tellement « caporalisé » que la Maison des lettres n’était pas suspectée : « personne ne venait dans leur boutique106 ». Les autorités étaient cependant susceptibles d’intervenir directement, ce dont Touchard rend compte à propos de l’activité du groupe littéraire : « Quand le nom des auteurs ainsi étudiés risquait de provoquer des difficultés, nous nous efforcions de camoufler le thème des débats. Pourtant, un jour, quelques heures avant la réunion du groupe d’études sur Malraux, un commissaire de police dûment stylé vint nous notifier l’interdiction de parler de “Clément Marot, auteur communiste”. Ces incidents étaient assez fréquents et avaient pour effet de ranimer l’esprit frondeur des étudiants. Il faut rappeler pour ceux qui auraient oublié le climat intellectuel de l’époque, que nous devions nous cacher pour projeter, sous la direction d’André Bazin, les films de Charlot107 ! »

  • 108 Lettre de Bazin à Leger du 27 octobre  1940.
  • 109 Andrew, 1983 [1978], 66.
  • 110 Il s’agit probablement d’un congrès qui allait se tenir en parallèle des Dix jours du film.

34Selon les témoins de l’époque, divers films furent projetés par le groupe, réalisés par Buster Keaton, Charlie Chaplin, Georg Wilhelm Pabst, Fritz Lang, Douglas Fairbanks, etc. Cette programmation marque par son éclectisme et son aspect non consensuel : l’expressionnisme allemand est susceptible de heurter les plus résistants, les films américains (interdits), les communistes et les moins téméraires. Elle reflète également bien la distance de Bazin face à la situation politique puisque, pour lui, projeter des films expressionnistes allemands n’est alors pas plus problématique que de voir des films allemands tout court108 ; comme le dit Andrew, Bazin « refusait de sacrifier son étude et son amour du cinéma à une position politique109 ». D’ailleurs, au début du mois de septembre 1943, la secrétaire de la Maison des lettres lui adresse un message dans lequel elle fait part d’une proposition du Secrétariat général à la jeunesse de Vichy de participer au congrès cinématographique étudiant de Bâle110. Malgré le soutien des « dirigeants du cinéma », Bazin et celui qui est présenté comme son assistant, Resnais, n’obtiennent pas leurs passeports et doivent abandonner ce voyage en raison, officiellement, de contingences administratives. Ce fut pour eux une occasion ratée de représenter les étudiants français auprès d’autres, suisses, allemands et italiens.

  • 111 L’étude de différentes sources d’archives vient corroborer et enrichir les informations fournies à (...)

35Au début de l’année 1943, le groupe de cinéma se réorganise puisque Chartier est parti au printemps pour le maquis, où il deviendra capitaine et directeur des cadres du réseau Périclès – réseau qui, en relation directe avec la Maison des lettres, sera rejoint par nombre d’étudiants normaliens réfractaires au Service du travail obligatoire111. En parallèle de ses activités officielles, la Maison des lettres est traversée par une multitude d’actions résistantes : outre les départs vers le maquis, Touchard est notamment agent occasionnel du réseau Cohors-Asturies, auquel il transmet des informations utiles à ses actions immédiates, tandis que Kast, pour ne mentionner plus que lui, est secrétaire national des étudiants communistes depuis 1942 et membre actif du Front national des étudiants.

  • 112 Bazin, 1943b.

36Bazin et le groupe de cinéma entreprennent en cette rentrée universitaire 1943 de s’attacher, après les problèmes d’ordre technique, aux questions esthétiques et sociologiques en planifiant de reprendre les séances de projection à partir du mois de novembre. Cependant, dès le mois d’octobre, Bazin publie la première de ses critiques cinématographiques dans « La page des étudiants » de L’Information universitaire, rubrique réservée au Service des étudiants parisiens qui rend notamment compte des activités des maisons de facultés. Le travail intellectuel, qui commence donc à s’adresser par écrit à un public plus large, est toujours accompagné de la volonté de nouer des relations avec les institutions en place, ainsi que Bazin le précise lui-même : « On sait que le groupe de cinéma de la Maison des lettres a organisé l’an dernier, indépendamment de son travail intérieur, un cycle de conférences d’initiation à la technique et à l’esthétique du 7e art. Nous nous faisons un plaisir de remercier ici M. le Secrétaire général du C.O.I.C. pour l’appui matériel et moral que nous n’avons cessé de trouver auprès de lui et nous remercions d’avance l’Institut des hautes études cinématographiques pour l’intérêt qu’il a promis de nous porter. Notre travail d’information continuera cette année mais sera de plus en plus doublé d’un effort autonome pour dégager les conclusions qui, déjà, commencent à se faire jour du point de vue esthétique, sociologique et technique112. »

  • 113 Dans le sillage de « Ciné jeunesse », le CATJC est fondé en mars 1941 par le Secrétariat général à (...)
  • 114 Lo Duca, 1942. Il est à noter que Lo Duca fera partie, avec Bazin, des fondateurs des Cahiers du C (...)
  • 115 « Tablettes du Cinéma », Comœdia, 8 janvier 1944, 4.

37Sous la direction de Marcel L’Herbier, le Centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJC), renommé Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) en octobre 1943 et placé désormais sous l’égide de la Direction générale de la cinématographie nationale (et donc du Secrétariat d’État à l’information), renforce ses activités pédagogiques et se transforme en véritable école des métiers du cinéma113. Cependant, l’Idhec maintient les autres activités initiales du centre, notamment celles de son service d’expansion de la culture cinématographique qui, comme son nom l’indique, a pour objectif de sensibiliser les publics, et plus particulièrement la jeunesse et le corps enseignant, au cinéma. C’est dans ce cadre, étendu désormais à la zone occupée (l’Idhec s’installe rue de Penthièvre à Paris), que se met en place une collaboration avec le groupe de la Maison des lettres qui, « plus actif que jamais », invite, les 4 et 18 décembre, Pierre Gérin puis Joseph-Marie Lo Duca. Le premier, alors secrétaire général de l’Idhec (et qui remplace probablement L’Herbier au pied levé), donne, à l’occasion d’une « causerie du samedi », une conférence intitulée « Cinéma et culture » devant un large public. Quinze jours plus tard, le second présente probablement, au Studio des Ursulines – dont la mise à disposition a été obtenue par Bazin –, son Histoire du cinéma114, en prenant peut-être appui sur la projection de films de 1900115, avant la diffusion de Tabou de Robert Flaherty.

  • 116 Bazin, 1944a, 6.
  • 117 Une recherche historique sérieuse sur le cinéma universitaire à Paris durant l’Occupation ne peut (...)
  • 118 Bazin, 1944b, 4.

38La collaboration avec l’Idhec va se poursuivre durant le reste de l’année. Dans L’Information universitaire du 8 janvier 1944, Bazin annonce l’organisation d’un « gala du dessin animé116 » qui se déroulera effectivement le mois suivant au Studio des Ursulines en lien avec la Maison des beaux-arts et grâce au concours de l’Idhec. Les activités du groupe s’étendent donc au-delà de la Maison des lettres puisque des « générales », qui s’adressent à tous les étudiants de l’université, ont désormais lieu sous les auspices de l’Idhec et du Service des étudiants parisiens : le 27 février, Jean Grémillon et Raoul Ploquin présentent Le Ciel est à vous puis, le 5 mars, Daquin assiste à la projection de Premier de Cordées. Cette série de galas, interrompue en raison des restrictions d’électricité, reprend le 7 mai par la projection de La Nuit fantastique en présence de L’Herbier. Avec le rapprochement de différentes activités cinématographiques qui se développent alors à Paris, notamment au sein de l’université et dans d’autres maisons de facultés117, les séances de projection remplissent désormais des salles de cinéma et c’est, comme le dit Bazin, « tout un mouvement universitaire qui semble se dessiner en faveur du cinéma118 ».

  • 119 Selon l’expression qu’emploie Bazin (1944c, 4) en référence au titre de la chronique de cinéma ten (...)
  • 120 Durant la guerre, la Maison des lettres a connu une importante activité radiophonique en relation (...)
  • 121 Fondateur du Parisien libéré, Claude Bellanger fut responsable du Centre d’entr’aide (sic) aux étu (...)
  • 122 De premiers jalons de Travail et culture (TEC) – association à laquelle était fédérée celle des Je (...)

39Quand, après la Libération, Bazin reprend la responsabilité du groupe avec Marchand, l’« école du spectateur » de la Maison des lettres et leurs animateurs ont bien grandi119. Dans des locaux trop étroits, mais où il est désormais possible de projeter des films sans crainte, et alors que le groupe propose de s’intéresser au cinéma depuis la guerre dans une démarche rétrospective, Bazin est devenu conférencier et se charge de la rubrique cinéma d’un journal parlé d’actualité dont il partage l’animation avec des noms plus connus120. Cependant, c’est désormais hors de ce berceau que vont continuer à se déployer les relations qu’il a pu y nouer, des relations qui vont d’ailleurs largement au-delà du seul monde du cinéma, puisque c’est également grâce à la Maison des lettres, et toujours par l’intermédiaire de Touchard, que s’ouvrent à lui les portes de la presse121 et des mouvements d’éducation populaire122.

Le refus de conclure

  • 123 Narboni, 1998 [1983], 14.
  • 124 Andrew, 1983 [1978], 55.
  • 125 Bédarida et Bédarida, 1966, 6-7.
  • 126 Laborie, 1999, 59.
  • 127 Témoignage de Burgaud à Pagliano (1988).
  • 128 Touchard, 1959, 8.

40La première plume de Bazin est bien différente de celle « dénuée d’aigreur et de jubilation méchante123 » qui caractérisera ses critiques cinématographiques. Ses écrits de jeunesse sont mâtinés d’une acrimonie qui est à la hauteur de sa colère à l’égard de la situation sociale et politique, de « cette démocratie bouffie d’orgueil et ce capitalisme rapace », selon les mots d’Andrew124. À la fin des années 1930, Bazin est tenté de désigner les boucs émissaires qu’il convient de sacrifier pour remettre la France en bon ordre. Cette colère et ce désir de redressement du pays expliquent qu’il exprime ensuite, comme beaucoup de Français, de l’optimisme quand le gouvernement de Vichy se propose de rompre avec le modèle de la Troisième République. Après la défaite et au début de l’Occupation, le jeune tala, sensible aux attraits de la Révolution nationale, adopte ainsi une perspective partagée par beaucoup de chrétiens, en particulier ceux demeurant en zone libre comme lui125, et, à l’instar de Mounier et nombre d’intellectuels, « semble ne pouvoir penser le futur qu’en fonction du passé126 ». Cependant, il passe rapidement, en un sens, du statut d’arroseur à celui d’arrosé lorsqu’il rejoint la zone occupée où il est directement concerné par la réforme du système d’enseignement primaire et primaire supérieur. Cette déception, accompagnée d’autres, et la confrontation plus directe aux forfaits du régime de Vichy vont dégrader la confiance qu’il lui portait. Au cours de l’année 1941, Bazin se détache progressivement des considérations politiques, interrogeant alors davantage le sens de l’engagement, autrement dit le « style politique », que la valeur des idées. Quand, à la Maison des lettres, il rencontre une jeunesse principalement favorable à la Résistance et découvre le cinéma et son monde, il ne s’engage pas contre le régime. Il met alors à profit sa présence pour y développer des réflexions sur le cinéma et nouer des relations avec des organismes officiels. Si sa santé l’a peut-être dissuadé de s’engager dans la Résistance127, il semble plus juste de penser qu’il a alors adopté une posture qui le plaçait « au-delà de ces problèmes de politique ou d’opportunité128 ».

  • 129 Baecque, 2003, 86.
  • 130 Lettre de Bazin à Leger du 13 août 1941.
  • 131 L’échec de Bazin aux épreuves orales du certificat d’aptitude au professorat dans les écoles prima (...)
  • 132 Laborie, 1999, 58.

41Comme l’écrit Antoine de Baecque, Bazin est « historiquement […] lié aux milieux intellectuels et culturels issus de la Résistance129 », mais il n’a pas pour autant fait partie des acteurs de la résistance intellectuelle. La correspondance avec Leger et les deux textes de 1938 et 1941 rendent en effet compte de la transformation d’un jeune homme initialement tenté par l’adhésion au régime de Vichy qui, au fil des événements, se détache des considérations politiques. Une pensée qui prend conscience des impasses où peuvent conduire certaines façons de juger : « J’ai particulièrement souffert ces temps-ci de voir des gens intelligents se mépriser pour leurs idées, des gens intelligents qui raisonnent tout à coup comme Dupont Durant quand ils parlaient politique130. » Pour Bazin, le choc de cette période ne fut probablement pas tant d’avoir échoué à l’oral d’un examen131 que d’avoir eu à faire le constat de son manque de discernement politique, de ne pas avoir eu conscience, au moment de la défaite et au début de l’Occupation, comme une grande partie de la population et plusieurs animateurs de la revue Esprit dont il était intellectuellement proche, que « critiquer la démocratie en démocratie n’est pas la même chose que continuer à la dénoncer dans un pays vaincu par les nazis, sous le contrôle et avec l’accord d’un régime qui en nie précisément les valeurs132 ».

  • 133 Il est très certainement possible – et c’est l’un des objectifs d’une recherche en cours – d’établ (...)
  • 134 Suffert, 1959, 836-837.

42Avant de devenir un critique de films, Bazin a donc d’abord été critique à l’encontre de la situation politique, un critique qui, après avoir été juge véhément, s’est progressivement mis en quête d’épochè en adoptant une position plus esthétique – voire plus « stylistique » – que politique. Ce parcours participe probablement de la singularité du regard que Bazin portera plus tard sur le cinéma133 et que plusieurs de ses exégètes et contemporains n’ont pas manqué de souligner : « Étrange critique ! Étrange méthode que celle-là ; Bazin en vérité n’était pas un critique de cinéma. Qu’un film soit bon ou mauvais, à la limite il s’en moquait. Tout le monde se souvient l’avoir entendu, après une admirable description d’un film, conclure par : “On peut donc défendre... ou l’on peut condamner... à condition...” Rien de moins normand que ce refus de conclure. Simplement la perception d’une vérité qui se situe au-delà de ce type de jugement134. »

Haut de page

Bibliographie

Andrew, D., 1983 [1978], André Bazin, traduit de l’anglais par S. Grünberg, Paris, Cahiers du cinéma/Cinémathèque française.

Azéma, J.-P., 2000, « Vichy, la Résistance, enfin la vérité », entretien avec Laurent Joffrin, Le Nouvel Observateur, 1 878, 2 novembre, p. 14-18.

Baecque, A. de, 2003, La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture (1944-1968), Paris, Fayard.

Barasz, J., 2011, « De Vichy à la Résistance : les vichysto-résistants 1940-1944 », Guerres mondiales et conflits contemporains, 242, p. 27-50.

Barreau, J.-M., 1998, « Valeurs “nationales” contre valeurs républicaines. Vichy et l’école : instinct, tradition, sélection », Spirale. Revue de recherches en éducation, 21, p. 73-82.

Basselin, A., 1941, « L’enseignement primaire supérieur », dans Raynaud de Lage, G. et al., Responsabilités de l’école, Paris, Éditions du Cerf (« Rencontres », 3) et Éditions de l’Abeille (« Rencontres », 2), p. 58-69.

Bazin, A., 1938, « Pas d’équivoque », Le Voltigeur français, 4, 16 novembre, p. 7.

Bazin, A., 1943a, « Redécouvrons le cinéma », L’Information universitaire, 1 145, 26 juin, p. 4.

Bazin, A., 1943b, « Adieu… Léonard », L’Information universitaire, 1 159, 2 octobre, p. 3.

Bazin, A., 1944a, « Le Gala du dessin animé », L’Information universitaire, 1 175, 8 janvier, p. 6.

Bazin, A., 1944b, « Créer un public », L’Information universitaire, 1 185, 18 mars, p. 4.

Bazin, A., 1944c, « Bilan », L’Information universitaire, 1 202, 8 juillet, p. 4.

Bazin, A., 1955, « La Reine Christine », France-Observateur, 249, 17 février, p. 30-31.

Bazin, A. et Chartier, J.-P., 2018 [1942], « Peut-on s’intéresser au cinéma ? », dans Joubert-Laurencin, H. (éd.), André Bazin. Écrits complets, vol. 1, Paris, Éditions Macula, p. 72-73.

Bédarida, F., et Bédarida, R., 1966, « Une résistance spirituelle : aux origines du “Témoignage chrétien” (1941-1942) », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, 61, p. 3-33.

Bellanger, C., 1961, Presse clandestine 1940-1944, Paris, Armand Colin.

Bergeron, E., 1940, « Formons une belle jeunesse », Le Journal, 17 448, 28 juillet, p. 1.

Bouvier, L., 2013, La providence des étudiants parisiens : histoire administrative du Comité parisien des œuvres universitaires (CO-PAR) de 1936 à 1955, mémoire de master 2 d’histoire contemporaine, sous la direction de J.-N. Luc, université Paris-Sorbonne.

Bruneau, J.-B., 2010, « La réception des romans de Drieu La Rochelle dans les années d’entre-deux-guerres », dans Durand-Le Guern, I. (dir.), Roman et Politique. Que peut la littérature ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 315-328.

Burgaud, F., 1990, « Pierre-Aimé Touchard à la Maison des Lettres », Revue d’histoire du théâtre, 165-166, p. 31-42.

Chancel, J., 2002, Alain Resnais, France Inter (« Radioscopie »), 56 minutes.

Cohen, A., 2012, De Vichy à la Communauté européenne, Paris, Presses universitaires de France.

Comte, B., 1987, L’école nationale des cadres d’Uriage. Une communauté éducative non conformiste à l’époque de la Révolution nationale (1940-1942), suivi d’un épilogue : L’équipe d’Uriage dans les combats de la Libération (1943-1946), thèse de doctorat en histoire, université Louis Lumière-Lyon 2.

Cortade, L., 2011, « Cinema Across Fault Lines : Bazin and the French School of Geography », dans Andrew, D., et Joubert-Laurencin, H. (éd.), Opening Bazin. Postwar Film Theory and Its Afterlife, Oxford, Oxford University Press, p. 13-31.

Cortade, L., 2017a, « André Bazin. Une ontologie négative du cinéma ? », French Forum, 42 (2), p. 313-326.

Cortade, L., 2017b, « André Bazin, le cinéma et l’historiographie française », French Cultural Studies, 28 (2), p. 198-208.

Cournil, P., 1941, « L’enseignement primaire élémentaire », dans Responsabilités de l’école, Paris, Éditions du Cerf (« Rencontres », 3) et Éditions de l’Abeille (« Rencontres », 2), p. 49-57.

Crisp, C., 1993, The Classic French Cinema, 1930-1960, Indianapolis, Indiana University Press.

Deloye, Y., 1994, École et citoyenneté. L’individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Fontaine, J., 2015, « Réformer l’école sous Vichy. Changements et permanences de l’institution scolaire dans la France occupée (1940-1944) », Éducation et sociétés, 36, p. 67-81.

Fouilloux, É., 2018, Les Éditions dominicaines du Cerf (1918-1965), Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Gimello-Mesplomb, F., 2013, Objectif 49. Cocteau et la nouvelle avant-garde, Paris, Séguier.

Giolitto, P., 1991, Histoire de la jeunesse sous Vichy, Paris, Perrin.

Handourtzel, R., 1985, « La politique scolaire et les instituteurs (1940-1944) », Les cahiers de l’animation, 49-50, p. 99-106.

Humeau, J.-M., 1999, « Biographie incomplète d’Edmond Humeau », Les Feux de la Tour, 2, p. 81-83.

Israël, S., 2005, Les études et la guerre. Les normaliens dans la tourmente (1939-1945), Paris, Éditions rue d’Ulm.

Jamet, M., 1984, « Contribution à une sociologie de l’inspection primaire : les élèves-inspecteurs de l’École normale supérieure de Saint-Cloud (1921-1974) », Revue française de pédagogie, 66, p. 39-54.

Jeanneret, S., 1941, « Un navrant état d’esprit », Voix françaises, 24 octobre, p. 10.

Joubert-Laurencin, H., 2018, « Éloge de la dispersion. Petite introduction à la lecture de Bazin », dans Joubert-Laurencin, H. (éd.), André Bazin. Écrits complets, vol. 1, Paris, Éditions Macula, p. 15-64.

Kast, P., 1945, « La France, la guerre et le fauteuil », Le courrier des étudiants, 11, p. 6 et 8.

Laborie, P., 1999, « “Esprit” en 1940 : de l’usage de la défaite », Esprit, 254, p. 44-60.

Lacroix, J., 1938, « La crise de la démocratie. Antiparlementarisme », Le Voltigeur français, 3, p. 3.

Lacroix, J., 1940, « Nation et révolution », Esprit, 94, p. 11-16.

Le Forestier, L., 2017, La transformation Bazin, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Le Forestier, L., 2010, « La “transformation Bazin” ou Pour une histoire de la critique sans critique », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [en ligne], 62, DOI : 10.4000/1895.3777.

Leger, G., 1959, « C’était la drôle de guerre », Cahiers du cinéma, 91, p. 2-4.

Léglise, P., 1977, Histoire de la politique du cinéma français. 2. Entre deux républiques (1940-1946), Paris, Filméditions-Pierre Lherminier éditeur.

Le Voltigeur, 1938, « Collaboration avec Hitler ? », Le Voltigeur français, 2, p. 1.

Liandrat-Guigues, S. et Leutrat, J.-L., 2006, Alain Resnais. Liaisons secrètes, accords vagabonds, Paris, Cahiers du cinéma.

Lo Duca, J.-M., 1942, Histoire du cinéma, Paris, Presses universitaires de France.

Luc, J.-N., et Barbé, A., 1982, Des normaliens : histoire de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Marchand, N., 2018, Jean-Pierre Marchand 20 mars 1924 – 4 novembre 2018. Livret d’hommage, en ligne : https://online.fliphtml5.com/lvzjt/vkfx/#p=1 (consulté le 3 septembre 2021).

Madaule, J., 1938, « Cherche-t-on la guerre civile ? », Le Voltigeur français, 3, p. 7.

Martin, L., 2005, « Collaboration “chaude” ou collaboration “froide” ? Le cas d’Henri Jeanson (1938-1947) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 86, p. 91-106.

Mounier, E., 1938, « Appel à un rassemblement pour une démocratie personnaliste », Esprit, 75, p. 424-432.

Mounier, E., 1999 [1940], « Lettre de France », Esprit, 254, p. 61-67.

Narboni, J., 1998 [1983], « Le style de Bazin », dans Narboni, J. (éd.), André Bazin. Le cinéma français de la Libération à la Nouvelle vague (1945-1958), Paris, Cahiers du cinéma, p. 11-19.

Pagliano, J.-P., 1988, André Bazin. Première partie, France Culture (« À profil perdu »), 59 minutes.

Riché, P., 2008, C’était un autre millénaire. Souvenirs d’un professeur de la communale à Nanterre, Paris, Tallandier.

Simon, P.-H., 1938, « Équivoques de l’antiparlementarisme », Esprit, 75, p. 339-401.

Suffert, G., 1959, « Cet homme qui parle », Esprit, 273, p. 835-838.

Tallenay, J.-L., 1959, « La Maison des Lettres », Cahiers du cinéma, 91, p. 9-12.

Touchard, P.-A., 1945, « Le théâtre, le cinéma et la société », dans Cinéma. Cours et conférences de l’Institut des hautes études cinématographiques, vol. 1, Issoudun/Paris, Laboureur & Cie, p. 63-68.

Touchard, P.-A., 1955, « Quelques souvenirs sur la Maison des Lettres pendant l’Occupation », Centre national des œuvres universitaires et scolaire. Bulletin d’information, 71, np.

Touchard, P.-A., 1959, « D’“Esprit” au “Parisien libéré” », Cahiers du cinéma, 91, p. 5-8.

Touchard, P.-A., 1966-1979, Un accident de l’univers. Journal de deux ans, inédit.

Troude-Chastenet, P., 2003, « La critique de la démocratie dans les écrits personnalistes des années 1930 : Esprit et Ordre nouveau », Cités, 16, p. 161-176.

Valck, M. de et Hagener, M. (dir.), 2005, Cinephilia : Movies, Love and Memory, Amsterdam, Amsterdam University Press.

Winock, M., 1996 [1975], « Esprit ». Des intellectuels dans la cité (1930-1950), Paris, Éditions du Seuil.

Zimmermann, P., et Hudson, D., 2009, « Cinephilia, technophilia and collaborative remix zones », Screen, 50, p. 135-146.

Haut de page

Notes

1 Laborie, 1999, 46.

2 Le présent article est l’occasion de révéler ce qu’il convient désormais de considérer comme le premier texte publié par Bazin.

3 Joubert-Laurencin, 2018, 37. Cette même référence et la biographie établie par Dudley Andrew (1983 [1978]) proposent des synthèses très complètes des éléments biographiques concernant ce théoricien du cinéma, figure incontournable de la critique cinématographique française de l’après-guerre qui participa du développement des ciné-clubs et de la presse cinématographique, faisant notamment partie de l’équipe des fondateurs des Cahiers du cinéma.

4 Ibid., 36.

5 Azéma, 2000, cité dans Barasz, 2011, 27.

6 Andrew, 1983 [1978], 66.

7 Joubert-Laurencin, 2018, 21.

8 Cortade, 2011, 23.

9 Joubert-Laurencin, 2018, 36.

10 Ibid., 37.

11 Gimello-Mesplomb, 2013, 112, en référence à de Valck et Hagener, 2005, 14, ainsi que Zimmermann et Hudson, 2009.

12 Le Forestier, 2010, 19.

13 Guy Leger rencontre Bazin à Bordeaux en 1939, lorsqu’ils sont tous deux mobilisés (Leger, 1959). Titulaire d’une licence de lettres et d’un diplôme d’études supérieures obtenus à Bordeaux avant la guerre, Guy Leger prend l’habit au début de l’année 1943, alors qu’il enseigne la grammaire et les lettres au lycée Henri-IV. Tout au long de sa vie, il associera prêtrise, enseignement et recherche en philosophie ainsi que réflexions et projets dans le monde du cinéma (il sera notamment employé par l’Institut national de l’audiovisuel durant les années 1970). Sur le parcours biographique de Leger, voir le fonds le concernant conservé à la bibliothèque du Saulchoir (en particulier la cote V714-1) ; on y apprend que son nom s’orthographie Leger et non Léger comme il est courant de le lire.

14 Ibid.

15 Touchard, 1959, 5. En attendant l’aboutissement d’une recherche en cours sur l’itinéraire de Touchard (1903-1987) jusqu’à la fin des années 1940, voir notamment le dossier que lui a consacré, en 1990, la Revue d’histoire du théâtre (numéro 165-166).

16 Winock, 1996 [1975], 179 et suiv.

17 Le nom, l’initiale du prénom, le souvenir relaté par Touchard, mais aussi, comme nous le verrons, l’écho du contenu de ce texte avec d’autres écrits ultérieurs de Bazin ne laissent pas de place au doute.

18 Les « cloutiers » préparaient le certificat d’aptitude au professorat des écoles normales et des écoles primaires supérieures grâce auquel ils pouvaient ensuite former les instituteurs et institutrices du primaire et du primaire supérieur, voire devenir inspecteurs ou directeurs d’écoles normales primaires ou d’écoles primaires supérieures. Sur l’enseignement primaire supérieur, voir notamment le texte de Bazin lui-même (Basselin, 1941). Sur le fonctionnement de l’école normale supérieure de Saint-Cloud destinée, sous la Troisième République, à former les cadres de l’enseignement populaire (à distinguer donc de l’école normale de la rue d’Ulm au recrutement plus élitiste et formant des cadres du secondaire), voir Luc et Barbé, 1982 ; Jamet, 1984.

19 Sur la jeunesse de Bazin et l’influence de Bergson, voir Andrew, 1983 [1978], 29-50. Les travaux de Ludovic Cortade ont quant à eux mis au jour la matrice chrétienne de sa conception du cinéma ainsi que les influences exercées par les enseignements suivis en historiographie, en cartographie et en géologie (2011, 2017a, 2017b). Indépendamment de ses relations avec des penseurs catholiques, évoquées plus loin dans le texte, et de sa fréquentation insatisfaisante des milieux jécistes au sein notamment de la paroisse universitaire, la présente recherche n’a pas permis d’obtenir des informations précises sur la socialisation de Bazin à Saint-Cloud ; les sources mobilisées apprennent tout au plus qu’il portait un regard souvent désabusé sur ses enseignants. D’ailleurs, rejoignant certaines des préoccupations de Laurent Le Forestier (2017), le présent texte vise davantage à questionner le milieu humain dans lequel évolue Bazin – susceptible de déboucher sur l’étude future de certaines idées en circulation ayant pu participer de l’élaboration de son approche du cinéma – qu’à établir rétrospectivement des « influences » intellectuelles.

20 Pour Le Voltigeur, les accords de Munich, loin d’avoir « sauvé la paix », relèguent la France au rang de « seconde puissance » au sein de l’Europe. Toujours dans son deuxième éditorial, il invite à faire le dos rond – il serait encore possible de construire une Europe fédérale, « non pas imposée par la violence, mais librement voulue par les peuples » –, et si l’issue guerrière n’est pas clairement dans les esprits, le refus d’un quelconque dialogue avec l’Italie et l’Allemagne est explicite : « Refusons aujourd’hui de “collaborer” avec le nazisme ou avec le fascisme, sous peine d’accepter un esclavage spirituel et matériel. » (Le Voltigeur, 1938, 1)

21 Au niveau national, Le Voltigeur appelle à l’union nationale, au consensus et à la convergence des partis, au-delà donc de la représentation parlementaire en crise, afin de « remettre la France sur pied » (Winock, 1996 [1975], 191-192).

22 Le Voltigeur, 1938, 1.

23 Bazin, 1938, 7 ; sauf mention contraire, les autres citations entre guillemets de cette partie sont extraites de ce même texte qui tient en une seule page.

24 La critique de l’antiparlementariste y est notamment exprimée par le philosophe Jean Lacroix (1938, 3).

25 Winock, 1996 [1975], 79 et suiv.

26 Le rejet de l’individualisme, pour ne prendre que cet exemple, exprimé par Pétain dès les années 1930, se retrouvera au cœur de l’idéologie de Vichy : « Responsable de la crise morale de la société française, l’individualisme républicain est unanimement présenté comme atomisant et corrodant tout groupe social. » (Deloye, 1994, 351)

27 Esprit était « plus qu’une revue » et s’appuyait sur un réseau de groupes provinciaux et étrangers (Winock, 1996 [1975], 168-175). Fortement influencé par plusieurs membres du mouvement (Mounier, Roger Leenhardt, Jacques Maritain), Bazin a probablement créé un groupe Esprit à La Rochelle avant la guerre et invité Mounier à Saint-Cloud (Andrew, 1983 [1978], 43-48). Cependant, ses premiers contacts avec le personnalisme semblent s’être établis dès 1935 par l’intermédiaire du groupe bordelais qui s’était constitué autour de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul (Le Forestier, 2017, 330).

28 Troude-Chastenet, 2003.

29 Comte, 1987, 409-410.

30 Simon, 1938, 394, repris dans Winock, 1996 [1975], 93.

31 Dans le numéro d’Esprit où paraît le texte de Simon déjà mentionné, Mounier considère que l’antiparlementarisme peut conduire à « une liberté effective et garantie » et à « une représentation sincère et multipliée » (Mounier, 1938, 429, repris dans Troude-Chastenet, 2003, 168).

32 Bazin est mobilisé du 16 septembre 1939 au 11 septembre 1940 (Archives nationales, dossier « André Bazin » du rectorat de l’académie de Paris, 20140530/13). Il fait ses classes à la caserne de Xantrailles, à Bordeaux, avant de rejoindre la garnison de Pau (Andrew, 1983 [1978], 53-55).

33 Le présent article s’est nourri de la trentaine de lettres, écrites entre mai 1940 et septembre 1943, qui composent la majeure partie de la correspondance de Bazin adressée à Leger (bibliothèque du Saulchoir, fonds Leger, V714-6).

34 Laborie, 1999, 55.

35 Touchard mentionne les lettres de Bazin adressées à Leger dans sa correspondance avec Michel Winock (Institut mémoires de l’édition contemporaine, fonds Esprit, ESP2.A1-01.13), qui préparait son ouvrage sur la revue Esprit (1996 [1975]). Sans qu’il y fasse toujours explicitement référence, Andrew utilise abondamment le contenu de cette correspondance pour établir sa biographie de Bazin (1983 [1978]), mais il élude presque tous les extraits repris ici ou, lorsqu’il en fait état, c’est de façon parfois improbe.

36 Ces « feuilles mal composées, mal présentées » s’apparentent davantage à des tracts de propagande qu’à des journaux, comme l’écrit Claude Bellanger (1961, 15).

37 Sur ce « pacifiste anarchisant », l’attitude de certains pacifistes à l’égard de Vichy et le journal Aujourd’hui, voir Martin, 2005.

38 Andrew, 1983 [1978], 55.

39 L’extrait de cette lettre du 6 octobre 1940 fait référence, sans ambiguïté, à la « révolution » vichyste en cours, contradictoirement à la lecture qu’en fait Andrew (1983 [1978], 42).

40 L’historien Pierre Riché, par exemple, lequel a d’ailleurs pu croiser Bazin durant cette période (il fréquente comme lui les jécistes universitaires et assistera à quelques événements à la Maison des lettres), témoigne en toute transparence : « Comme des millions de Français, j’avais adhéré à la Révolution nationale. […] Plutôt que d’entrer dans la Résistance […], j’étais “attentiste” et, me rappelant l’exemple de la Prusse après la victoire de Napoléon, j’espérais que notre défaite provoquerait un choc salutaire pour une réforme morale et intellectuelle. Je gardais de mauvais souvenirs de la France d’avant-guerre. » (Riché, 2008, 46)

41 Laborie, 1999, 57.

42 Lettre de Touchard à Winock non datée, probablement de février ou mars 1974 (Institut mémoires de l’édition contemporaine, fonds Esprit, ESP2.A1-01.13).

43 Bazin est hostile à l’antisémitisme, mais comprend et explique l’attaque dont les juifs font l’objet du fait de la malhonnêteté de leurs « représentants » : « Je plains les juifs honnêtes, non pas seulement des persécutions, mais d’avoir dans leur race des représentants si lamentables. L’antisémitisme procède d’une réaction analogue à l’anticléricalisme. Toujours les problèmes mal posés auxquels l’histoire ne peut jamais trouver de solution. » (Lettre du 11 octobre 1940)

44 Dans sa lettre au Voltigeur, Bazin écrit : « La France sentait déjà les affres de l’enfantement quand le discours de Monsieur Daladier lui annonça dans le plus pur style parlementaire que ce n’était qu’une fausse couche. » (1938, 7)

45 Lettre du 11 octobre 1940 ; c’est Bazin qui souligne.

46 Laborie, 1999, 46, citant Lacroix, 1940, 13. Voir également Troude-Chastenet, 2003.

47 Lettre de Touchard à Winock non datée, probablement de février ou mars 1974 (Institut mémoires de l’édition contemporaine, fonds Esprit, ESP2.A1-01.13).

48 Ibid.

49 Lettre du 6 janvier 1941.

50 Lettre du 11 novembre 1940.

51 Fontaine, 2015, 71.

52 Handourtzel, 1985, 103.

53 Fontaine, 2015, 71.

54 Il n’est pas nécessaire de détailler ici cette organisation du système éducatif, retenons que jusqu’alors les instituteurs étaient formés dans les écoles normales primaires et dans les écoles primaires supérieures par des professeurs qui pouvaient être issus de l’école normale supérieure de Saint-Cloud. Sur le système éducatif et les réformes de Vichy, voir notamment Giolitto, 1991, 213-263. Sur les transformations à Saint-Cloud, voir Jamet, 1984.

55 Leger, 1959, 2-3.

56 « Rencontres » n’était pas « un petit périodique de la résistance » comme le dit Andrew (1983 [1978], 58). À l’image de toutes les publications autorisées, contrôlées par la censure, cette collection ne pouvait que témoigner d’une certaine adhésion aux orientations du nouveau régime : « Si les cahiers “Rencontres” ne font aucune concession à la “révolution nationale-socialiste” allemande, on y relève, au moins au début, d’assez nombreuses convergences avec la “Révolution nationale” de Vichy, qu’il s’agisse du travail, de la jeunesse ou de la famille ; mais aussi des réserves, mises en évidence par les critiques qu’elles suscitent : refus d’accabler, voire même de nommer, les coupables de la défaite, ou supposés tels ; volonté de maintenir le pluralisme et des espaces de liberté dans la réorganisation communautaire du pays. » (Fouilloux, 2018, 157) Ainsi, l’article de Pierre Cournil (1941) paru dans le cahier Responsabilités de l’école suscita justement une polémique pour ne pas avoir explicitement désigné, contrairement à ce que la lecture de son titre pourrait conduire à penser, « la responsabilité des instituteurs dans la défaite » (Jeanneret, 1941, 10, mentionné dans Fouilloux, 2018, 154). Par ailleurs, à rebours encore une fois des affirmations d’Andrew, la correspondance avec Leger montre que Bazin ne fut pas le responsable de ce numéro – « je fais vaguement partie de l’équipe de préparation en ce qui regarde l’école primaire » (lettre du 22 février 1941), « je suis vaguement du groupe de rédaction du Cahier sur l’enseignement » (lettre du 14 mars 1941) – même s’il relate avoir participé à des réunions de travail avec Maurice de Gandillac, Jacques Madaule et Roger Pons, contributeurs du cahier, ainsi que le père Augustin Maydieu, responsable de la collection (lettre du 11 avril 1941), dont il était alors proche.

57 Quand il rédige son texte pour « Rencontres », Bazin écrit à Leger : « Le jeu de passion personnelle qui m’est laissé je le consume en des colères gratuites sur le pharisaïsme des réformateurs de l’enseignement ou le paternalisme aussi écœurant des autres. » Cette ambivalence explique que ce texte ait pu faire l’objet de deux lectures antinomiques : Andrew y voit une « attaque en règle contre le type d’éducation que prodiguait l’École Normale » (1983 [1978], 58) et Joubert-Laurencin un « éloge dithyrambique […] de l’instituteur et de son rôle dans la nation » (2018, 36).

58 Basselin, 1941, 66.

59 Dans une lettre qu’il adresse à Leger le 11 avril 1941, Bazin fait état de ses difficultés d’écriture et précise l’objectif principal de son texte : « Il ne s’agissait que de faire une critique en 7 ou 8 pages de l’enseignement primaire supérieur. Je me suis vite aperçu que pour ne pas dire trop de sottises il fallait être abondamment documenté. À présent je pourrais faire pour moitié un volume sur la question, mais je me débats pitoyablement dans de mortifiantes questions de style et j’ai honte de ce que j’écris. »

60 Basselin, 1941, 61.

61 Ibid., 62.

62 Bergeron, 1940, 1.

63 Basselin, 1941, 62.

64 Dans son article, Bazin est cependant loin d’adhérer à l’ensemble des positions réactionnaires soutenues en haut lieu. Pour lui, la défense de cette « culture » régionale ne doit pas se faire au détriment de la « science », comme le souhaitent au contraire les promoteurs de la réforme qui en appellent au développement de l’« instinct » des élèves et non de leur « raison » (Barreau, 1998, 597).

65 Sur la récupération des idées du personnalisme communautaire et leur porosité avec celles de la Révolution nationale, voir notamment Cohen, 2012.

66 Basselin, 1941, 66.

67 Ibid., 68.

68 Andrew affirme que Bazin était très peu amène à l’égard du système éducatif français et qu’il le concevait même comme « une institution débilitante et gaspilleuse d’énergie » (1983 [1978], 56). Cette lecture, critiquée par Joubert-Laurencin (2018, 37), semble pourtant être la plus proche de la réalité : l’école de Saint-Cloud serait devenue une « petite caserne d’imbéciles », écrit Bazin à Leger le 6 janvier 1941.

69 Lettre de Bazin à Leger du 22 février 1941.

70 Arrivés parallèlement à Esprit, Touchard et Humeau y effectuent d’abord des activités de « factotums » avant de devenir rédacteurs réguliers (Winock, 1996 [1975], 149). Humeau sera impliqué dans la résistance administrative depuis le service du « chômage intellectuel » du ministère du Travail (Humeau, 1999, 82), non sans relation avec Touchard dont les actions seront évoquées plus loin.

71 Laborie, 1999, 53, citant Mounier, 1999 [1940], 66.

72 La lettre du 24 juillet 1940 adressée à Leger nous apprend que Bazin lit alors Le Mur de Sartre et qu’il cherche à acquérir Gilles de Drieu La Rochelle ainsi que, peut-être, les écrits d’Hermann Rauschning dont le Hilter m’a dit est récemment paru ; peut-être, car l’orthographe laisse place au doute : « Impossible par contre de trouver un bouquin de Rauchnig [sic]. » Trois mois plus tard, il a pu se procurer Gilles, livre dont les qualités littéraires le déçoivent en regard de Rêveuse bourgeoisie du même auteur qui l’a enthousiasmé (lettre du 27 octobre 1940). Il ne faudrait pas cependant déduire une posture idéologique de ces lectures pour le moins contrastées, et ce d’autant plus que la lecture de Drieu La Rochelle ne se fait pas encore au prisme de la situation politique (Bruneau, 2010).

73 C’est notamment ce qui transparaît des reproches qu’il exprime à Leger au sujet d’un de leurs amis communs : « Cazaux est rédacteur de 3e classe au ministère […]. Il fait une navette avantageuse et serviable entre Paris et Vichy. [Toujours] le [même] quoi ! Je n’ose pas lui écrire. Ça m’ennuie de l’engueuler… » (Lettre du 6 janvier 1941)

74 « En tous cas ils ont l’air fin, à présent, les évêques ! Après avoir prêché la croisade, voilà le successeur du Cardinal Verdier qui nous demande de faire confiance à “l’Ordre nouveau” en présence des autorités allemandes officieusement représentées. Combien de temps mettront-ils à comprendre que c’est bien assez de s’occuper du spirituel ! » (Lettre du 11 octobre 1940)

75 Bazin rencontre Daniel-Rops, écrivain et historien catholique, lorsqu’il fait ses classes à Bordeaux (Leger, 1959, 3).

76 Ce constat contredit l’affirmation d’Andrew qui relate que Bazin aurait rompu toute relation avec Daniel-Rops lorsqu’il découvrit qu’il « était un collaborateur, sinon actif, du moins en esprit », et qui va jusqu’à dire que Bazin serait sorti « blanc de rage » de l’entrevue au cours de laquelle il l’aurait appris (1983 [1978], 62).

77 Lettre de Touchard à Winock du 11 mars 1974 (Institut mémoires de l’édition contemporaine, fonds Esprit, ESP2.A1-01.13).

78 Selon les termes employés par Winock à propos des implications de Mounier au sein de Jeune France et de l’École des cadres d’Uriage (1996 [1975], 234).

79 Lettre de Touchard à Leger de juin 1974 (bibliothèque du Saulchoir, fonds Leger, V714-7).

80 La correspondance avec Leger fait alors principalement état des difficultés sentimentales et spirituelles de Bazin.

81 Témoignage de Françoise Burgaud à Pagliano (1988).

82 Aux critiques que Bazin exprime à l’endroit du système éducatif s’ajoute l’échec à l’oral de français de l’examen du certificat d’aptitude au professorat dans les écoles primaires supérieures, en raison de son bégaiement, et donc la déception de devoir passer une nouvelle année à Saint-Cloud (lettre du 3 octobre 1941).

83 Avant de quitter La Rochelle, Bazin ne s’intéresse pas au cinéma : « Ma vie scolaire, mes goûts d’alors, les films qu’on pouvait voir en province ne m’inclinaient pas encore à la passion ou à la réflexion cinématographiques » (Bazin, 1955, repris dans Cortade, 2017a, 314). Il commence à fréquenter régulièrement les salles lorsqu’il fait ses classes à Bordeaux, où il exerce déjà un esprit critique et exprime des velléités théoriques (Leger, 1959, 54). Cependant, sa correspondance avec Leger montre que ses goûts se concentrent, au début de l’Occupation, presque exclusivement sur la littérature (en cohérence avec ses études à Saint-Cloud) et le théâtre (il assiste à de nombreuses pièces et fait montre d’un esprit critique aiguisé dans le domaine). Le 27 octobre 1940, Bazin raconte toutefois à Leger être allé voir deux films allemands ainsi que Le jour se lève de Marcel Carné. Il rédige à cette occasion ce que l’on pourrait considérer comme ses premières proto-critiques cinématographiques : « J’ai vu deux films allemands. “La Belle Hongroise” en particulier. Zara[h] Leander joue bien et a une poitrine formidable mais c’est insuffisant pour faire un film : quelle pauvreté de scénario ! Vu “Le jour se lève”. On y voit Arletty à poil si ça t’intéresse, le film a d’ailleurs des qualités plus sérieuses mais il faudra que Carné se renouvelle. »

84 Sauf mention contraire, toutes les informations concernant la Maison des lettres sont issues du fonds « Comité parisien des œuvres scolaires et universitaires (CO-PAR) et du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Paris », conservé aux Archives départementales de Paris (3874W), et de L’Information universitaire, où la plupart des activités ouvertes au public sont également indiquées. En attendant l’aboutissement d’une recherche en cours sur la Maison des lettres, voir principalement Burgaud, 1990, et, sur l’histoire administrative des « œuvres en faveur de la jeunesse universitaire » à Paris durant l’Occupation, Bouvier, 2013.

85 Touchard, 1966-1979 [été 1978 (2)], 4.

86 Les « cercles d’études » s’apparentent à des « conversations dirigées » destinées à initier, de façon dialoguée, des personnes n’appartement pas au milieu académique, notamment issues des milieux ouvriers, à des sujets divers (« Technique du cercle d’études », L’Information universitaire, 1 135, 29 mai 1943, p. 3-4). Une recherche sur les réflexions et les expérimentations pédagogiques de cette période permettrait peut-être d’établir une filiation avec les méthodes que Bazin utilisera après la guerre pour diffuser le savoir sur le cinéma dans différents milieux, quand il sera devenu le « secrétaire général directeur » de l’association Jeunesses cinématographiques – Culture et initiation cinématographiques, fédérée à l’association Travail et culture (et soutenue par l’Institut des hautes études cinématographiques et la Fédération française des ciné-clubs), mais juridiquement autonome.

87 À l’automne 1941, Bazin est surveillant d’internat – « pion » dans le langage courant –, d’abord au collège Chaptal (lettre du 3 octobre 1940) puis à l’école Jean-Baptiste-Say (lettre du 19 octobre 1941). Son dossier administratif du rectorat de l’académie de Paris confirme ces informations et apprend en outre qu’il a finalement été classé premier aux épreuves orales et pratiques du certificat d’aptitude au professorat dans les écoles primaires supérieures (deuxième et dernière partie) durant l’été 1942 et qu’il obtient l’autorisation de demeurer surveillant dans la capitale afin de poursuivre un « traitement médico-rééducateur » pour soigner son bégaiement – à cause duquel il avait échoué à ce même examen l’année précédente – et suivre une licence de lettres (Archives nationales, 20140530/13).

88 Témoignage de Burgaud à Pagliano (1988).

89 Touchard, 1959, 7.

90 Pagliano, 1988.

91 Bazin et Chartier, 2018 [1942], 72.

92 Nous rappelons que, sauf mention contraire, toutes les informations concernant la Maison des lettres sont issues du fonds « Comité parisien des œuvres scolaires et universitaires (CO-PAR) et du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de l’académie de Paris », conservé aux Archives départementales de Paris (3874W).

93 Comme suggéré, il s’agit plus probablement de l’année 1942.

94 Tallenay, 1959, 10.

95 La présence de Daquin est au conditionnel car L’Information universitaire, où les noms des intervenants sont souvent écorchés, indique l’intervention de monsieur « Daguin ».

96 Cette intervention n’a cependant peut-être pas été organisée dans le cadre des activités du groupe de cinéma.

97 Les connexions avec le COIC ont peut-être été établies par l’intermédiaire de Touchard, qui connaissait bien son directeur général, Louis-Émile Galey, également directeur général de la cinématographie nationale et ancien animateur de l’association Jeune France, pour l’avoir côtoyé lors des réunions du groupe Esprit et au sein du mouvement politique Troisième force dans les années 1930. Sur ce comité, voir notamment le travail de Paul Léglise (1977), lequel fut d’ailleurs coresponsable du groupe de cinéma de la Maison des lettres en 1946.

98 Ce cadrage exclusif sur Bazin est notamment étayé par une lettre qu’il adresse, le 26 avril 1943, à Denise Buttoni : « Je suis prêt à écrire une thèse sur le cinéma ; au moins un petit livre sur l’histoire, avec un autre sur la technique et un troisième sur l’esthétique, avec en plus une grosse bibliographie. » (Cité dans Andrew, 1983 [1978], 73)

99 Bazin, 1943a, p. 4.

100 Liandrat-Guigues et Leutrat, 2006, 186 ; Marchand, 2018, 6.

101 Andrew, 1983 [1978], 155.

102 Touchard, 1959, 7.

103 Andrew, 1983 [1978], 66.

104 Témoignage de Resnais dans Chancel, 2002.

105 Touchard, 1966-1979 [été 1978 (2)], 3-4.

106 Kast, 1945, 6.

107 Touchard, 1955, np.

108 Lettre de Bazin à Leger du 27 octobre  1940.

109 Andrew, 1983 [1978], 66.

110 Il s’agit probablement d’un congrès qui allait se tenir en parallèle des Dix jours du film.

111 L’étude de différentes sources d’archives vient corroborer et enrichir les informations fournies à ce propos par Stéphane Israël (2005, 227-228).

112 Bazin, 1943b.

113 Dans le sillage de « Ciné jeunesse », le CATJC est fondé en mars 1941 par le Secrétariat général à la jeunesse de Vichy dans le périmètre de l’association Jeune France, avant la dissolution de cette dernière en mars 1942 ; outre Pierre Schaeffer, Leenhardt et Pierre Barbier – deux proches d’Esprit et de Touchard – font notamment partie de son premier conseil d’administration. Installé d’abord à Castellaras, avant de rejoindre Nice, le centre se donne les moyens de rénover la corporation cinématographique par la formation de stagiaires à la technique et la réalisation – en recrutant notamment parmi les diplômés de l’École de photographie et de cinématographie de la rue de Vaugirard (la future École nationale supérieure Louis-Lumière) –, mais aussi par la réalisation de films, la diffusion de la culture cinématographique ainsi que le développement d’activités de recherche : organisation de causeries et de cercles d’études, attribution de bourses, responsabilité d’une chaire de cinéma au Centre universitaire méditerranéen et projets de publications. Sur le CATJC et l’Idhec, voir notamment Crisp, 1993.

114 Lo Duca, 1942. Il est à noter que Lo Duca fera partie, avec Bazin, des fondateurs des Cahiers du Cinéma.

115 « Tablettes du Cinéma », Comœdia, 8 janvier 1944, 4.

116 Bazin, 1944a, 6.

117 Une recherche historique sérieuse sur le cinéma universitaire à Paris durant l’Occupation ne peut évidemment pas se satisfaire du seul regard porté sur la Maison des lettres.

118 Bazin, 1944b, 4.

119 Selon l’expression qu’emploie Bazin (1944c, 4) en référence au titre de la chronique de cinéma tenue par Leenhardt dans la revue Esprit (« La petite école du spectateur »).

120 Durant la guerre, la Maison des lettres a connu une importante activité radiophonique en relation avec le Studio d’essai fondé par Schaeffer. Signalant l’émergence du mouvement en faveur de ce nouveau média, le « journal d’actualité parlé » de la Maison des lettres, sans doute très éphémère, avait deux autres rubriques, une sur l’actualité politique, animée par Madaule et Jean Beaufre, une autre sur l’actualité dramatique, animée par Touchard.

121 Fondateur du Parisien libéré, Claude Bellanger fut responsable du Centre d’entr’aide (sic) aux étudiants mobilisés et prisonniers du Comité supérieur des œuvres en faveur des étudiants, proche du Comité parisien et de la Maison des lettres. À la Libération, il sollicite Touchard pour trouver des plumes susceptibles de remplir les colonnes du nouveau journal ; ce dernier suggère alors d’impliquer plusieurs membres de la Maison des lettres (Touchard, 1959, 9).

122 De premiers jalons de Travail et culture (TEC) – association à laquelle était fédérée celle des Jeunesses cinématographiques, dont Bazin fut le secrétaire général – sont posés en mars 1944 avec la création d’un Centre de culture populaire au sein des Maisons des beaux-arts et des lettres, auquel participent déjà les futurs animateurs du TEC : Jean-Marie Serreau, Maurice Delarue, Jean-Marie Conty ainsi que Humeau et Touchard, lequel sera d’ailleurs son premier directeur.

123 Narboni, 1998 [1983], 14.

124 Andrew, 1983 [1978], 55.

125 Bédarida et Bédarida, 1966, 6-7.

126 Laborie, 1999, 59.

127 Témoignage de Burgaud à Pagliano (1988).

128 Touchard, 1959, 8.

129 Baecque, 2003, 86.

130 Lettre de Bazin à Leger du 13 août 1941.

131 L’échec de Bazin aux épreuves orales du certificat d’aptitude au professorat dans les écoles primaires supérieures est souvent présenté, à la suite de Leger, 1959, 3, comme l’événement traumatisant de cette période. Mais cette « catastrophe » – selon le terme qu’emploie Bazin lui-même (lettre du 3 octobre 1941) – ne l’empêcha pas d’obtenir brillamment cet examen durant l’été 1942 (Archives nationales, dossier « André Bazin » du rectorat de l’académie de Paris, 20140530/13). En outre, la correspondance avec Leger montre, d’une part, que le traumatisme ne semble pas avoir été si fort et, d’autre part, que la carrière d’enseignant qui se dessinait ne l’enthousiasmait guère.

132 Laborie, 1999, 58.

133 Il est très certainement possible – et c’est l’un des objectifs d’une recherche en cours – d’établir des « connexions entre Bazin et certains discours hors du champ du cinéma », non seulement parmi les personnalistes durant le milieu des années 1930 (Le Forestier, 2017, 330), mais aussi avec les idées, à la croisée des arts et de l’éducation populaire, qui bourgeonnent au sein de la Maison des lettres. En particulier, la « perspective anthropologique » adoptée par Touchard à l’égard du théâtre, suivant la proposition de Le Forestier, a également pu orienter l’approche de Bazin puisqu’il ne s’agit pas pour Touchard « de juger les pièces et les auteurs convoqués, mais de comprendre leur rapport à la société » (Le Forestier, 2017, 289, en référence à Touchard, 1945).

134 Suffert, 1959, 836-837.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1 : André Bazin vers 1941-1942
Légende Photographie de Bazin figurant sur un certificat médical, non daté et non renseigné, alors qu’il est surveillant d’internat à l’école Jean-Baptiste-Say.
Crédits Source : Archives nationales, dossier « André Bazin » du rectorat de l’académie de Paris, 20140530/13.
URL http://journals.openedition.org/rhsh/docannexe/image/6552/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 932k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Baptiste Buob, « André Bazin et la guerre (1938-1944) »Revue d’histoire des sciences humaines, 39 | -1, 137-165.

Référence électronique

Baptiste Buob, « André Bazin et la guerre (1938-1944) »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 39 | 2021, mis en ligne le 05 novembre 2021, consulté le 03 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhsh/6552 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhsh.6552

Haut de page

Auteur

Baptiste Buob

Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (UMR 7186), Université Paris Nanterre, CNRS

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search