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Débats, chantiers et livres

Victor Karady et Peter Tibor Nagy, Sociology in Hungary. A Social, Political and Institutional History | Adela Hîncu et Victor Karady (éd.), Social Sciences in the Other Europe since 1945

Londres, Palgrave Macmillan, 2019, 198 pages | Budapest, Pasts, Inc., Central European University, 2018, 526 pages
Jean-Louis Fabiani
p. 253-259

Texte intégral

1Ces deux ouvrages sont issus du projet européen « Interco », dirigé par Gisèle Sapiro et consacré à l’histoire comparée des sciences sociales en Europe. Bien qu’ils aient des objectifs différents – Sociology in Hungary étant une solide monographie et Social Sciences in the Other Europe, un recueil foisonnant et polyphonique –, ils témoignent d’un intérêt nouveau pour la trajectoire particulière des sciences sociales en Europe centrale et orientale, marquée par l’emprise communiste pendant plus de quarante ans. Longtemps, en effet, on a tendu à occulter la dynamique historique de ces disciplines dans ces régions, au motif que la sociologie avait été définie comme une « pseudo science bourgeoise » par l’orthodoxie léniniste et stalinienne et que le matérialisme historique semblait couvrir toute la surface épistémologique défrichée par les savoirs développés à la fin du xixe siècle. Les deux livres permettent de rompre avec la caricature visant à réduire les sciences sociales au canon d’une idéologie d’État. Il faut commencer par rappeler, comme le font Karady et Nagy, que ces savoirs ont une riche histoire qui préexistait à la mainmise du communisme sur cette région du monde et qui subsiste, quoique sous des formes contraintes, tout au long de la période (qui est d’ailleurs loin d’être homogène et uniforme pour tous les pays). On sait, par exemple, que la Hongrie a vu se développer dans la première partie du xxe siècle des trajectoires intellectuelles qui ont marqué l’histoire mondiale des sciences sociales : on pense en particulier à Karl Mannheim, Karl Polanyi et Georg Lukacs. Seul ce dernier est revenu au pays après la séparation du monde en deux blocs, mais l’actualité de l’œuvre de ces intellectuels, auxquels il faudrait associer d’autres moins connus, témoigne d’une effervescence qui innerve aussi la psychanalyse, particulièrement autour de Sandor Ferenczi.

2L’histoire intellectuelle et scientifique de Budapest est sans doute moins connue que celle de Vienne, mais elle témoigne d’une richesse et d’une diversité remarquables. Comme en Europe occidentale, l’institutionnalisation et la professionnalisation des sciences sociales ont été heurtées et parfois lentes, partiellement en raison du caractère « public » de ces savoirs, longtemps indiscernables de formes d’expression journalistiques, et surtout de prises de position dans le champ politique. Le post-socialisme, qui n’a pas constitué une rupture radicale, a suscité une homogénéisation progressive des formes d’enseignement (curricula, parcours licence-maîtrise-doctorat, hégémonie des sciences sociales états-uniennes) à l’Est comme à l’Ouest, réduisant de ce fait les spécificités nationales et multipliant les échanges internationaux, lesquels étaient loin d’être inexistants avant la chute du mur de Berlin. Le processus de Bologne a constitué sur ce point un moment important, consacrant le nouveau doctorat unifié comme la clé d’accès à des positions dans l’enseignement supérieur, au détriment du système de l’aspirantura caractérisé par l’existence de deux niveaux de qualification.

3Le premier ouvrage a l’aspect d’une monographie classique, fondée sur le déroulement chronologique des relations entre la sociologie et le pouvoir. L’histoire de la discipline est en effet avant tout une histoire politique, qui témoigne de l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale, celle des intellectuels, dont la définition de la position paradoxale dans la structure sociale occupera le jeune Mannheim. Le premier chapitre du livre est consacré à l’apparition d’une masse critique d’intellectuels en Hongrie autour de 1900. On y retrouve le thème – longuement exploré par Karady dans d’autres travaux – de l’émergence d’une intelligentsia juive dans un pays à la fois multi-ethnique et multi-religieux (les différentes Églises chrétiennes se trouvant en compétition sur le marché des biens de salut). La Hongrie a connu une modernisation rapide dans la deuxième moitié du xixe siècle, accentuant la disparité entre les villes et les campagnes et exacerbant les contradictions liées à l’exercice monarchique du pouvoir dans une période de développement accéléré du capitalisme. Celui-ci s’appuie sur l’expansion remarquable du système d’enseignement, dont le produit à Budapest est équivalent à celui de Vienne et des capitales de l’Europe occidentale. La qualité de l’information statistique permet de mesurer la puissance et la rapidité de la croissance de la qualification scolaire, au moins dans la capitale de la Hongrie : entre 1873 et 1903, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur double et le niveau d’études moyen de la population augmente rapidement, essentiellement chez les garçons, encore que le nombre de jeunes filles éduquées croisse également, comme en témoigne l’émergence de cercles féministes. La description de la période, qui associe transformations industrielles et urbaines et émergence d’une masse critique d’intellectuels, est tout à fait remarquable. Le rôle original de l’Académie des sciences, créée en 1925 dans une perspective de construction de la nation, doit être souligné. Dès 1869, en effet, une place est assignée à la science sociale, associée à l’histoire, largement avant la demande de création de niches institutionnelles. Le tournant du siècle voit l’apparition de nombreuses sociétés savantes, souvent indépendantes de l’Université : ce sont autant d’indicateurs d’un bouillonnement qui concerne simultanément, et quelquefois de manière indiscernable, les demandes de réforme sociale et l’exploration de nouveaux territoires du savoir. La Société pour la science sociale voit le jour à Budapest en 1901, mais développe rapidement de nombreuses antennes en province : elle est animée par un projet pluraliste et réformiste, dans lequel juifs et non-juifs coopèrent à parts égales. Toutefois, l’idée de science sociale ne donne pas lieu à la constitution d’un cadre épistémologique spécifique. C’est plutôt du côté de la vulgarisation et de l’action dans la sphère publique que portent les efforts de la Société, comme en témoigne la création d’une Bibliothèque de science sociale. Créé en 1908, le cercle Galilée est le principal lieu de rencontre pour les jeunes intellectuels radicaux sous la présidence de Polanyi ; il réunit de talentueux jeunes gens qui feront, le plus souvent sous d’autres cieux, la réputation de la Hongrie intellectuelle. Pour la sociologie, le personnage dominant est sans conteste Oszkár Jászi, auteur de Art et moralité et acteur majeur de la gauche radicale.

4L’effervescence intellectuelle se heurte jusqu’en 1918 à la surproduction de nouveaux diplômés et à la vigueur de la crise politique : ces obstacles stimulent la créativité de la production, qui fait l’objet du deuxième chapitre. Comme Vienne, Budapest est le théâtre d’une série d’innovations qui touchent aussi bien la vie artistique et culturelle que l’organisation de la vie scientifique. Un clivage se développe entre, d’un côté, la revendication d’un nationalisme chrétien qui entend limiter les effets idéologiques des transformations induites par l’essor économique et, de l’autre, l’affirmation croissante d’un universalisme aux couleurs diverses, à égale distance entre la franc-maçonnerie et l’intérêt pour le bolchevisme. Ce contraste se maintiendra et aura des effets structurants jusqu’à nos jours. L’échec de la brève révolution de 1918-1919 met fin à l’effervescence intellectuelle et sociale de l’avant-guerre et par conséquent à l’activité des cercles sociologiques. Jászi, qui a occupé des fonctions ministérielles durant la révolution, est l’un des premiers à émigrer et à faire carrière aux États-Unis, en tant qu’historien à Oberlin College. Il sera suivi par la plupart des autres grands intellectuels hongrois, qui fuient en majorité vers l’Ouest, mais aussi, pour une minorité, vers l’Union soviétique, comme Lukacs. Entre 1920 et 1945, la domination politique du « régime chrétien », nationaliste et conservateur, tend à refermer l’intense débat public qui s’était instauré dans la période précédente. L’intérêt pour la sociologie se concentre au sein du Bureau central de la statistique, qui regroupe des centaines de collaborateurs et où s’accumulent des compétences. Toutefois, l’absence des intellectuels juifs exilés pèse lourdement sur la qualité du débat intellectuel, et c’est plutôt la démographie historique, à l’abri des controverses sur l’état de la société, qui prend de l’importance. Parallèlement, l’intérêt croissant pour le monde rural permet de développer un genre au croisement de la littérature et de l’ethnographie. Pendant la guerre, en 1942, des chaires sont créées pour des sociologues, comme Istvan Dekany – dont la théorie sociale coïncide avec l’idéologie du régime – ou Bela Kovrid, l’un des pères du système de sécurité sociale mis au point dans l’entre-deux-guerres.

  • 1 Voir Mespoulet, M., « Quelle sociologie derrière le “rideau de fer” ? », Revue d’histoire des scie (...)

5La fin du conflit voit renaître l’espoir d’une véritable institutionnalisation de la sociologie, soutenue par le retour de nombreux émigrés, de l’Ouest aussi bien que de l’Union soviétique. On assiste à une courte période d’expansion universitaire. Mais l’instauration du parti unique en 1948 inaugure le retour des purges et des quotas d’admission. Les sciences sociales sont considérées comme l’expression savante de l’idéologie bourgeoise et la doctrine marxiste-léniniste s’impose comme grille de lecture unique du monde social. Les auteurs décrivent la nouvelle situation en évoquant un blocage absolu (deadlock). Toutefois, la situation universitaire connaît une nouvelle dynamique, animée par des mesures de discrimination positive qui gonflent la population étudiante. Pendant la période stalinienne, la sociologie disparaît presque entièrement de l’espace universitaire, qui devient exclusivement hétéronome, y compris dans ses formes les plus anciennement légitimes, comme l’Académie des sciences. Les disciplines des sciences sociales sont, selon les auteurs, les grandes perdantes de ce jeu de massacre, comme en témoignent les persécutions dont fait l’objet le professeur Alexander Szalai, pourtant marxiste avéré1. L’ethnologie, adossée à une perspective folkloriste, reste la seule tolérée, une caractéristique commune aux pays du socialisme réel. Pendant la période, sous l’égide de représentants des sciences de la nature, un régime dual est mis en place, réservant de manière tendancielle les activités de recherche à des institutions indépendantes de l’Université comme l’Académie des sciences, où prospèrent des « chercheurs professionnels » aux moyens souvent importants.

6La déstalinisation permet le retour des sciences sociales dans le contexte particulier du pouvoir exercé par Janos Kadar. La sociologie connaît alors une pleine institutionnalisation au milieu des années 1970, avec deux départements universitaires, une revue et une association professionnelle. L’autonomie relative de ces disciplines est une réalité dès le milieu des années 1960, au prix de phases de durcissement et de regel partiel : c’est la rançon de ce que les auteurs appellent opportunément le « Kadarist deal », qui induit un espace permanent de négociation avec le pouvoir, mais où ce dernier a toujours le dernier mot, dans un contexte toutefois plus pragmatique que doctrinaire. Une problématique de modernisation est indissociable de l’ouverture relative et, de ce fait, des outils techniques d’observation du monde social peuvent être mis à profit pour sortir des impasses de la période stalinienne. La sociologie se dépolitise tout en se technicisant, un processus favorisé par la politique officielle d’échanges avec l’Ouest, d’où provient l’ensemble des techniques d’investigation scientifique de la réalité sociale. Le mouvement est encouragé par le développement du Bureau central de la statistique, mis en sommeil pendant la période stalinienne. Cependant, la sociologie ne pas devient une discipline dominante dans le champ des sciences sociales : en 1988, on compte seulement cent vingt enseignants de cette spécialité. Qui plus est, le pouvoir ne se prive jamais de mettre au pas ceux qu’il considère comme dangereux : c’est le cas d’Andras Hegedüs, pourtant ex-stalinien, qui doit prendre une retraite anticipée ; des disciples de Lukacs, dont le marxisme est considéré comme dissident ; et surtout d’Istvan Szelenyi, auteur avec György Konrad du célèbre mais proscrit La marche au pouvoir des intellectuels : le manuscrit est confisqué par la police et Szelenyi doit s’exiler, entamant une brillante carrière internationale qui le conduira à l’université de Yale.

7La période post-socialiste ne marque pas de rupture radicale, dans la mesure où il n’y a pas de purge et où l’autonomie relative des sciences sociales aussi bien que leur ouverture sur le monde occidental se trouvent renforcées. La fondation Soros est active depuis 1984 et a comme objectif affiché l’inclusion des élites intellectuelles des pays de l’Est dans un monde globalisé et orienté par des valeurs libérales. L’effervescence post-communiste a certainement des points communs avec celle qui a marqué le début du xxe siècle, quoiqu’il soit difficile de confirmer un véritable engouement étudiant pour les sciences sociales. Le recrutement semble majoritairement féminin et provincial. L’un des faits les plus importants de l’après-socialisme est incontestablement la création, en 1991, avec les fonds de George Soros, de l’université d’Europe centrale (Central European University ou CEU) à Budapest – un établissement privé, mais offrant des financements à la grande majorité des étudiants –, devenue après un quart de siècle l’un des pôles européens de la recherche en sciences sociales. Karady a d’ailleurs été l’un des professeurs les plus en vue de cette institution, témoignant du retour d’universitaires longtemps exilés et venant contribuer au nouvel essor du domaine en Hongrie. L’expulsion de CEU par le pouvoir et son installation à Vienne en 2020 constituent le meilleur indicateur du tournant autoritaire de la politique du Premier ministre Viktor Orban, ancien libéral converti à l’illibéralisme et au nationalisme, qui reprend certaines thématiques du « régime chrétien » et voue les sciences sociales aux gémonies. Par une ironie de l’histoire, la sociologie – qui était condamnée comme science bourgeoise durant la période stalinienne – devient l’agent subversif d’un cosmopolitisme aux accents islamophiles, pure fiction qui augure mal du maintien de son autonomie épistémologique. Plus généralement, les attaques réitérées contre l’Académie des sciences, haut lieu d’autonomie, et la mise au pas des universités publiques (où les autorités élues par les pairs doivent s’accommoder de la nomination de fonctionnaires d’appareil qui détiennent le véritable pouvoir) en témoignent également.

8Sociology in Hungary est un livre remarquable et une contribution de premier ordre à une histoire disciplinaire. La sociologie est une discipline à la fois critique et réformiste. Quand elle réussit à se mettre à distance de la pression idéologique et de la demande sociale, elle est susceptible de fournir des outils d’intelligibilité incomparables. Toutefois, son caractère éminemment politique la fragilise dans l’espace public : elle peut être envahie par les chimères d’une posture radicale comme elle peut succomber aux sirènes du pouvoir. Si les auteurs du livre ne s’expriment pas en ces termes, le lecteur éveillé ne peut qu’être conforté dans l’idée selon laquelle la quête de l’autonomie est une nécessité impérieuse pour la sociologie. L’histoire de la sociologie hongroise est une histoire tragique : à des années fécondes durant lesquelles sont apparues des penseurs qui continuent de nous inspirer, comme Mannheim, Polanyi et, dans une certaine mesure, Lukacs, ont succédé des décennies d’hétéronomie et de répression plus ou moins forte, mais toujours dommageable. La leçon hongroise doit être méditée par toutes celles et tous ceux à qui importe le modèle d’intelligibilité qu’offre la sociologie.

9Le deuxième ouvrage – Social Sciences in the Other Europe since 1945 – est tout aussi intéressant, mais ouvre des perspectives différentes. Il porte sur les sciences sociales dans « l’autre Europe », c’est-à-dire « l’autre » de l’Europe de l’Ouest, un artefact produit par le stalinisme, mais qui ne correspond à aucune réalité épistémologique et culturelle. Les contributeurs appartiennent à une génération de chercheurs dont la carrière a commencé après l’extinction du socialisme réel et qui vivent simultanément les espoirs et les frustrations du passage à un ordre qui semble majoritairement néo-libéral, mais qui voit se développer des formes illibérales, néo-nationalistes et autoritaires. Cet ouvrage, comme le précédent, suit un plan chronologique, commençant par la soviétisation. La seconde partie couvre les années 1960 et 1970 ; la troisième partie, les années 1980 ; et la quatrième, probablement la moins réussie, car elle s’appuie sur des données plus fragiles, aborde le post-socialisme dans sa redoutable complexité. L’étude porte sur la Pologne (2 chapitres), la Hongrie (5), la Roumanie (2), la Yougoslavie (1), la Tchécoslovaquie (2), la Bulgarie (1), les Balkans (1) et l’École de Tartu (1). À cet ensemble s’ajoute un chapitre transversal consacré à la démographie.

10Dans l’introduction, Hîncu rappelle que « l’autre Europe » doit être analysée à partir d’« observations périphériques » (p. 3), la notion de périphérie étant utilisée par les sociologues « indigènes » eux-mêmes. La première partie est sans doute la plus intéressante : elle comporte quatre chapitres sur la sociologie, la géographie humaine et l’historiographie. On y découvre, particulièrement dans l’analyse qu’Agata Zysiak consacre à la sociologie en Pologne, une critique documentée de la perspective unifiée de la soviétisation au profit de la notion de « misalignment » (mauvais alignement). Les travaux de Zysiak et de Zoltan Ginelli traitant de la géographie humaine mettent en question de manière convaincante la conception d’un bloc de l’Est homogène et soumis également à la loi d’airain de Moscou. Un concept autrefois indiscuté est donc aujourd’hui sérieusement réévalué au profit de la mise au jour de formes diverses de réaction à l’alignement soviétique. Les concepts de retard (backwardness) et de modernisation sont soumis à la même investigation critique. Ainsi, les continuités ou discontinuités entre l’avant-guerre et le moment communiste doivent être étudiées au cas par cas, car elles dépendent à la fois des formes de capital accumulé, des modes d’organisation universitaire spécifiques et des possibilités d’alliance et de parrainage, lesquelles se développent plutôt après la déstalinisation. Toutes les recherches insistent sur la question cruciale des formes d’échange ou de confrontation entre l’Est et l’Ouest dès la période de l’après-guerre : la question de l’ouverture à la littérature scientifique de l’Ouest est apparue décisive dans l’ouvrage de Karady et Nagy ; elle est ici abordée dans la complexité des appropriations multiples et des ambivalences idéologiques.

11La sociologie qualifiée de pseudo-science bourgeoise n’en a pas moins fait une carrière significative à partir des années 1960. On constate qu’il y a de l’agentivité même lorsque les contraintes structurelles ne sont pas celles de la démocratie libérale et qu’elles semblent exclure a priori la possibilité d’autonomie. Le plus grand mérite de ces diverses contributions est de nous inviter à utiliser de manière subtile la notion d’autonomie développée par Pierre Bourdieu pour penser l’articulation du savoir et du pouvoir dans des contextes de fortes contraintes où les stratégies officielles doivent être analysées en référence à une forme de vie clandestine des organisations, fondée sur des interactions qui ne laissent pas nécessairement de traces et des rapports de force qui expriment simultanément des ressources différenciées en capital (scientifique ou politique), mais aussi sur le sens du jeu des agents (et quelquefois leur duplicité ou à tout le moins leur capacité d’agir dans plusieurs mondes). La sociologie est ainsi devenue, en dépit des contraintes, l’un des fers de lance de la critique sociale dans les dernières décennies du communisme.

12Ces deux ouvrages ouvrent de nouvelles perspectives pour l’histoire des sciences humaines et sociales, particulièrement pour les lecteurs « occidentaux » qui ont souvent tendance à se satisfaire de visions simplistes de l’activité scientifique durant le socialisme réel. La richesse des situations analysées et la dimension réflexive affichée, particulièrement dans le volume dirigé par Hîncu et Karady, rendent la lecture constamment stimulante. Si l’ouvrage collectif est nécessairement inégal, il n’en suscite pas moins d’importantes questions historiographiques, à l’intersection de l’épistémologie et de l’analyse du pouvoir politique.

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Notes

1 Voir Mespoulet, M., « Quelle sociologie derrière le “rideau de fer” ? », Revue d’histoire des sciences humaines, 16, 2007, p. 3-10.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Fabiani, « Victor Karady et Peter Tibor Nagy, Sociology in Hungary. A Social, Political and Institutional History | Adela Hîncu et Victor Karady (éd.), Social Sciences in the Other Europe since 1945 »Revue d’histoire des sciences humaines, 39 | -1, 253-259.

Référence électronique

Jean-Louis Fabiani, « Victor Karady et Peter Tibor Nagy, Sociology in Hungary. A Social, Political and Institutional History | Adela Hîncu et Victor Karady (éd.), Social Sciences in the Other Europe since 1945 »Revue d’histoire des sciences humaines [En ligne], 39 | 2021, mis en ligne le 05 novembre 2021, consulté le 19 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/rhsh/6717 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhsh.6717

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Auteur

Jean-Louis Fabiani

Central European University (Budapest), École des hautes études en sciences sociales (Paris)

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