Problématiques africaines

1Jusque dans les années 2000, la difficulté majeure que rencontraient les chercheurs et praticiens de l’éducation en Afrique tenait surtout au faible accès à des connaissances actualisées issues de publications récentes dans un temps raisonnable. Une série de facteurs contribuaient au faible accès des intellectuels africains à l’avancement des connaissances en temps réel. Le premier avait trait à la faible connectivité de la plupart des pays africains à des outils de communication rapide dont l’internet. De nos jours, il est très difficile d’expliquer à un étudiant qui dispose d’un accès individuel à l’internet et aux médias sociaux via un simple smartphone que deux décennies plus tôt, beaucoup d’universités africaines n’avaient tout simplement pas de connexion internet ou que les meilleures d’entre elles n’avaient qu’un petit centre informatique, avec une dizaine d’ordinateurs mal connectés. Un autre facteur important avait trait au faible approvisionnement des bibliothèques scolaires et universitaires en nouvelles publications, car leurs systèmes d’achats étaient la plupart du temps irréguliers et dépendaient de financements ad hoc. En outre, les librairies commerciales ne se hasardaient pas à commander des livres ou des revues scientifiques, pour la simple raison que ces derniers se vendaient mal en raison de leur prix élevé et du nombre limité de clients intéressés.

2Mais de nos jours, ce problème d’accès limité aux nouvelles connaissances ne se pose plus avec la même acuité. En effet, nombre d’universités africaines ont désormais accès à une panoplie de plateformes électroniques publiant des recherches académiques de grande qualité et dont certaines comportent des options d’accès gratuit ouvert spécifiquement aux universités du Sud. Ces plateformes de publication numérique comportent souvent des systèmes d’alerte instantanée, qui informent les chercheurs en temps réel de la sortie des nouvelles publications dans leur domaine. Aussi, de plus en plus de maisons d’édition offrent un accès électronique gratuit à des livres de synthèse numérisés (plus connus en anglais sous le nom de Handbooks) qui permettent aux chercheurs d’embrasser d’un coup les progrès accomplis dans leurs domaines de recherche. Enfin, on remarque de plus en plus d’initiatives de publication électronique comme l’African Online Journals, qui sont dédiées exclusivement à la diffusion du savoir produit par des chercheurs africains. Ces plateformes permettent notamment de se faire une idée claire des problématiques de recherche qui intéressent les chercheurs du Sud et des progrès accomplis dans divers domaines d’investigation scientifique en contexte africain. D’autres initiatives plus ponctuelles promeuvent l’accès des chercheurs africains aux nouvelles publications et aux diverses banques de données scientifiques constituées par des universités du Nord. On cite comme exemple le nouveau concept de « science ouverte aux pays du Sud » promu en France par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en collaboration avec l’Unesco, et dont le premier colloque a été organisé à Dakar du 23 au 25 octobre 2019.

3Mais en quoi cet accès rapide aux nouvelles publications contribue-t-il à améliorer la pratique sur le terrain de l’action ? Plus concrètement, dans quelle mesure les nouvelles connaissances en éducation produites en contexte africain impactent-elles les pratiques d’enseignement-apprentissage ? En observant de plus près les pratiques d’enseignement à l’échelle universitaire, on remarque que même lorsqu’ils sont pertinents et adaptés au contexte, trop peu d’enseignants-chercheurs utilisent les travaux de leurs collègues africains dans leurs propres cours comme ils le font tout naturellement pour les travaux produits par leurs collègues du Nord ! De même, les réflexions théoriques sur des questions de société développées par des chercheurs africains ne reçoivent pas souvent l’attention qu’elles méritent réellement de la part de leurs collègues du Sud. On remarque parfois que même les travaux des grands penseurs africains, qui sont très bien connus en Occident et sont utilisés par leurs collègues du Nord dans leurs enseignements, sont peu utilisés dans leurs pays d’origine !

4On observe la même tendance en ce qui concerne notamment l’usage des résultats de recherche produits en contexte africain pour améliorer la pratique d’enseignement-apprentissage. Il est très rare qu’une réforme de grande envergure prenne appui sur des nouveaux savoirs produits en contexte africain. Dans la plupart des cas, les acteurs politiques se réapproprient des modèles de changement qui ont fait leurs preuves dans les pays du Nord et les appliquent, moyennant quelques ajustements imposés par le contexte. Dans beaucoup de cas, ces réformes sont perçues par les praticiens comme des « changements parachutés » et sont mises en œuvre sans réelle adhésion de leur part. Cette attitude « d’extériorité et de détachement » affichée par des praticiens réticents limite sensiblement les améliorations attendues de ces réformes en matière d’enseignement-apprentissage.

6La discussion amorcée au premier point concerne essentiellement le niveau universitaire où les professeurs ont le double statut de chercheur et d’enseignant. Dans le point suivant, nous nous focalisons sur le regard porté par les enseignants de niveau inférieur (primaire et secondaire) sur les propositions des chercheurs.

L’accueil par les enseignants des nouveaux savoirs et innovations proposés par les chercheurs

7Si les premières expériences réussies d’enseignement-apprentissage héritées du passé étaient souvent l’œuvre de grandes figures de l’éducation qui se sont fiées à leur intuition et à leur volonté d’offrir le meilleur aux nouvelles générations, de nos jours, nous disposons de milliers de publications scientifiques qui permettraient d’innover sur la base de résultats validés par la recherche. En d’autres mots, il existe des bases scientifiques solides au montage de dispositifs pratiques d’enseignement-apprentissage censés être plus opérants en matière d’assimilation des nouvelles matières, de résolution des problèmes qui en découlent, et plus motivants pour les apprenants. Mais si l’on se penche sur ce qui se passe réellement en situation de classe, force est de constater que la recherche en éducation a peu d’incidence. Les enseignants ont tendance à répliquer leurs propres modèles de formation sur les nouvelles générations, même quand les nouvelles connaissances issues de la recherche en éducation montrent clairement qu’ils ne sont plus adaptés au contexte. Pourquoi la recherche peine-t-elle à influer sur les pratiques d’enseignement-apprentissage ?

8Comme le montrent Ginsburg et Gorostiaga (2001), la déconnexion entre le monde de la recherche et celui de la pratique tient d’abord aux logiques et cultures antagonistes qui les sous-tendent. En effet, les chercheurs sont guidés par la logique de la découverte. Et par nature, on ne découvre pas ce qui relève du sens commun, mais plutôt ce qui est nouveau et original. Par voie de conséquence, les chercheurs s’intéressent à ce qui est rare, surprenant ou même exceptionnel, alors que les praticiens sont plutôt préoccupés par des problèmes connus qui se posent au quotidien. Dans la plupart des cas, ces problèmes sont dénoncés sans que pour autant soient apportées des solutions satisfaisantes. Dans beaucoup de systèmes africains marqués, ces dernières années, par une sorte de « marche forcée » vers l’éducation de base pour tous les enfants d’âge scolaire, les préoccupations quotidiennes des enseignants touchent à des questions élémentaires qui sont très éloignées de la quête de nouvelles idées ou de nouvelles expériences. Ce qui les préoccupe par-dessus tout, c’est de savoir comment se faire entendre dans des classes d’élèves nombreux de surcroît peu motivés, comment évaluer les acquis, réduire l’absentéisme, l’abandon, etc. Bref, hormis une minorité d’enseignants qui exercent leur métier par passion, peu sont intéressés à tenter de nouvelles expériences, qu’elles soient suggérées par des chercheurs indépendants ou imposées par des réformes institutionnelles. Comme le montrent Carnus et al. (2019), ce manque d’intérêt pour les nouvelles idées pourrait s’expliquer par le fait que le monde de la recherche et celui de l’enseignement-apprentissage sont « habités par des besoins antagonistes, oscillant entre nécessité pratique et réflexivité sur les pratiques ».

9Même quand les résultats de recherche suggèrent des pistes de solutions intéressantes, beaucoup d’enseignants ont des difficultés à extraire des publications purement académiques les éléments utiles qui leur permettront de résoudre des problèmes pratiques. Cette difficulté tient à la traduction des savoirs savants en savoirs effectivement enseignés. En effet, les travaux scientifiques sont souvent écrits dans un langage jugé obscur par les praticiens. En outre, ils contiennent trop de détails d’ordre théorique et méthodologique, qui ne présentent pas beaucoup d’intérêt pour eux (Hirschkorn et Geelan, 2008). Le but premier de ces descriptions n’est pas de fournir des clarifications sur la façon de se servir de ces résultats pour améliorer la pratique mais plutôt de convaincre les autres chercheurs de la validité de la démarche d’investigation utilisée et de l’originalité des résultats atteints !

10D’autres facteurs entrent en jeu dans l’explication de la résistance des enseignants à acquérir des savoirs nouveaux ou à tenter de faire usage des nouveaux dispositifs pédagogiques proposés par les chercheurs. Même quand ils en perçoivent l’intérêt pédagogique, de nombreux enseignants, surtout ceux œuvrant dans les écoles aux classes pléthoriques et peu motivées, hésitent à tenter de nouvelles expériences tout simplement parce que toute nouvelle initiative demande des efforts supplémentaires alors que ce qu’ils savent déjà est mis en œuvre au minimum ! Toute nouvelle expérience pédagogique s’ajoutant à une surcharge du travail déjà ingérable est perçue, souvent, comme une contrainte plutôt qu’une opportunité. Dans un tel contexte, beaucoup préfèrent continuer à reproduire leurs leçons de la même manière sans se soucier de leur efficacité, tout simplement parce que cela ne leur demande pas d’efforts supplémentaires !

Tenir compte de la réceptivité des apprenants et des parents

11Cela fait déjà plus d’un siècle que le rôle central des apprenants dans la réussite de l’enseignement-apprentissage est reconnu, principalement grâce aux travaux des pionniers des méthodes actives. Cependant, même à l’époque actuelle, trop peu d’analystes des systèmes éducatifs reconnaissent aux élèves le statut d’acteurs clés de l’éducation tels que les enseignants, les parents, les propriétaires d’écoles, les gestionnaires de l’éducation et les décideurs politiques. Pourtant, leur réceptivité aux nouvelles réformes ou aux nouveaux savoirs est primordiale dans la réussite de l’acte d’enseignement-apprentissage. L’appréciation positive ou négative de ces changements par les parents influe beaucoup sur leur acceptabilité par les élèves.

12Deux exemples montrent clairement que la faible réceptivité des élèves et des parents aux nouvelles réformes peut avoir raison des changements entrepris, quels que soient la volonté et les efforts fournis par les autres parties prenantes. Le premier exemple fait référence à une série de réformes éducatives entreprises dans les années 1970-1980, sous l’impulsion de l’Unesco, et qui visaient entre autres la promotion des langues maternelles comme premières langues d’enseignement, la valorisation de la culture traditionnelle et la ruralisation de l’enseignement pour, disait-on à l’époque, permettre aux milliers d’enfants recalés au concours d’admission au secondaire de se réadapter à la vie paysanne !

13Bien que la recherche scientifique ait prouvé sans équivoque, en ce qui concerne l’enseignement formel, que les premiers apprentissages de l’enfant dans sa langue maternelle présentent des avantages non négligeables en termes de conceptualisation des nouveaux savoirs, beaucoup d’apprenants et de parents ont vécu négativement le retour aux langues nationales comme médium d’enseignement. Pourtant, le contexte politique semblait favorable, car ces réformes avaient été initiées quelques années seulement après la conquête des indépendances politiques et étaient légitimées par les nouveaux dirigeants comme étant un pas de plus vers l’indépendance culturelle. Mais les élèves et leurs parents avaient d’autres aspirations. Ils étaient conscients que seules une éducation de qualité, une bonne maîtrise des langues étrangères et des compétences spécialisées pouvaient ouvrir la voie à des emplois ou à des métiers modernes. Après une décennie d’essais infructueux, ces réformes furent progressivement abandonnées.

14Le second exemple réunit plusieurs initiatives récentes observées dans plusieurs systèmes éducatifs africains ayant connu un changement de paradigme, avec le passage d’un enseignement essentiellement dirigé et contrôlé par le maître vers un enseignement accordant plus de place au travail autonome des apprenants, afin que ces derniers construisent eux-mêmes leurs propres compétences. De notre point de vue, la promotion de l’approche par compétence et l’adoption par certains pays, dont le Rwanda, de l’enseignement modulaire qui réserve les deux tiers du temps aux travaux effectués de manière autonome par les étudiants, sont deux exemples illustratifs d’une telle évolution. Mais lorsque l’on observe attentivement le comportement des élèves, on remarque qu’ils ont encore du mal à se départir de l’image de l’« enseignant-guide ». Beaucoup d’entre eux continuent à penser et même à souhaiter que leurs professeurs gardent un œil attentif sur le processus d’enseignement-apprentissage et distribuent des récompenses (des bons points) et des sanctions (perçues comme des échecs) en fonction de la performance des élèves, et cela pour les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce second exemple montre que, même lorsqu’ils sont prouvés scientifiquement, l’accueil des nouveaux dispositifs pédagogiques ne va pas de soi, car dans le domaine de l’enseignement-apprentissage, les habitudes ont la peau dure !

15En ce qui concerne la question du rapport aux nouveaux savoirs, il est intéressant d’observer les étudiants en train de mener leur propre recherche (leurs mémoires de licence ou leurs thèses de maîtrise notamment). Presque tous les livres de méthodologie de recherche reviennent sans équivoque sur le fait que faire de la recherche, c’est essayer de penser autrement et de manière originale, en espérant que le chercheur reviendra du terrain avec de nouvelles explications du phénomène étudié ou tout au moins avec de nouvelles pistes de réflexion. Mais une fois que les étudiants quittent le cours et commencent à concevoir leurs propres projets de recherche, il est surprenant de voir combien la grande majorité « cherchent à faire comme les autres étudiants ont fait avant eux », au risque de répéter les mêmes erreurs de collecte, d’analyse et d’interprétation des résultats.

16La même réticence face à de nouveaux savoirs issus de la recherche s’observe par exemple lorsque l’on propose aux étudiants de lire de nouveaux articles scientifiques pour s’en inspirer ensuite dans la réalisation des travaux pratiques à exposer en cours. Hormis ceux qui été habitués très tôt, dès l’école, à résumer des articles ou des chapitres de livres et à en apprécier l’originalité, pour beaucoup d’autres, ce travail est ressenti comme une corvée. Dans notre cas, nous avons remarqué que certains étudiants ont tendance à laisser de côté les articles ou les chapitres qui leur sont proposés (car cela prend beaucoup de temps de les comprendre et de les résumer) et recourent à des moteurs de recherche ou à des encyclopédies en ligne comme Wikipédia, qui offrent des résumés tout faits et plus simples à comprendre sur les mêmes concepts. Et quand leurs travaux sont soumis à des logiciels de traçage des contenus plagiés, on remarque aussi que, loin de ressentir de la culpabilité, certains étudiants se sentent plutôt harcelés par des professeurs qu’ils jugent très regardants. Ce phénomène a pris de l’ampleur avec l’avènement de la « culture de l’instantané » rendue possible par l’accès aux réseaux sociaux, qui incitent à passer d’un sujet à l’autre sans prendre le temps de faire le point sur ce que l’on vient d’apprendre de nouveau et de l’intégrer dans un schème de pensée et d’action. Une éducation intelligente à leur usage nous semble nécessaire pour amener les nouvelles générations à profiter de leur immense potentiel d’accès aux nouvelles connaissances, susceptibles de leur permettre de construire de nouvelles compétences utiles pour la vie, au lieu de se contenter d’être de simples réceptacles des vidéos et contenus « viraux » qui y circulent.

L’usage des nouveaux savoirs par les acteurs politiques en temps de réformes

17Ordinairement, les acteurs politiques s’intéressent rarement à ce qui se passe dans la classe. Ils préfèrent ne pas avoir à intervenir, dès lors qu’ils n’ont pas les moyens de corriger les insuffisances observées dans l’acte d’enseignement-apprentissage. Mais les choses se passent autrement en temps de réformes. Les acteurs politiques s’y intéressent, soit parce qu’ils en sont à l’initiative et ne peuvent se dérober des débats souvent électriques qui s’ensuivent, soit parce qu’ils espèrent retirer des bénéfices politiques de leur position de soutien ou de contestation de ces réformes. Dans ce monde de plus en plus globalisé, les réformes éducatives les plus importantes sont souvent initiées à l’échelle supranationale et partagées par des pays appartenant aux mêmes blocs politiques ou économiques. On citer, entre autres, le processus de Bologne partagé par les pays de l’Union européenne, le système d’évaluation externe des apprentissages à partir des enquêtes Pisa partagé par les pays de l’OCDE ou la promotion de l’éducation de base de qualité pour tous, largement partagée par les pays en développement.

18En principe, ces cadres d’action sont non contraignants et se voient parfois présentés comme des engagements volontaires des pays concernés. Mais dans les faits, il est très difficile de s’y soustraire car ils sont implicitement considérés comme des critères de crédibilité lorsque ces pays cherchent à obtenir le soutien financier de grands bailleurs tels que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque africaine de développement (BAD) et les autres agences de coopération bilatérales (Kamuzinzi et al., 2009). En outre, ces dernières années, ces institutions ont adopté une approche holistique dans leur stratégie de lutte contre la pauvreté, de telle manière qu’elles demandent aux pays en développement désireux de recevoir de l’aide ou du prêt de définir un cadre stratégique unique incluant toutes les politiques et programmes de l’État. En ce sens, ne pas adhérer à une réforme telle que, par exemple, la promotion d’une éducation de qualité pour tous prônée par ces institutions, peut être considéré comme un critère de crédibilité non satisfait, et peut influer sur la réalisation des autres programmes. C’est la raison pour laquelle les pays qui comptent beaucoup sur une aide financière externe pour réaliser leurs programmes produisent souvent des stratégies de lutte contre la pauvreté et des plans d’action quasi similaires, même quand ils opèrent dans des contextes très différents (Kamuzinzi, 2016).

19Mais si les choix à retenir sont à ce point prévisibles, pourquoi ces pays persistent-ils à conduire des études de base préalables à ces réformes ? Il a été remarqué que ces mêmes bailleurs octroient aisément les frais de recherche y afférents. Dans les faits, ces études ne servent pas principalement à guider les choix futurs mais à légitimer ceux qui existent déjà ! Les recherches de ce type sont qualifiées par Lingard (2013) de « research for policy ». En ce sens, elles obéissent à une logique autre que les recherches purement académiques (qualifiées par cet auteur de « research of policy »), qui procèdent souvent par la déconstruction de leur objet d’étude et n’hésitent pas à relever les incohérences observées entre les choix retenus et les actions censées les traduire en actes. Les recherches qui accompagnement les nouvelles réformes sont, pour la plupart, conçues comme des commandes confiées à des experts qui ont souvent des liens étroits avec ces institutions de financement. Souvent, leur mission n’est pas de critiquer ou d’évaluer la pertinence des choix retenus, mais de faciliter leur acceptation par les parties impliquées, notamment les acteurs de terrain. Considérant que toute nouvelle réforme provoque régulièrement une levée de boucliers de la part des praticiens et que les acteurs politiques n’ont pas, la plupart du temps, les moyens de satisfaire effectivement leurs doléances ou de faire face à leur résistance, il va sans dire que ces études commanditées, dont la visée centrale est la légitimation des choix retenus, ont les faveurs des acteurs politiques. En ce sens, on peut dire que les acteurs politiques font un usage « orienté » des résultats de recherche pour faire passer des choix politiques qui ne requièrent pas nécessairement l’unanimité.

La recherche pour améliorer la pratique d’enseignement-apprentissage

20Dans cet article, nous avons discuté une série de problématiques qui handicapent encore la production et la réappropriation des nouveaux savoirs issus de la recherche par les praticiens. Pourtant, tous les acteurs clés de l’éducation sont unanimes sur le fait que les nouvelles connaissances devraient profiter aux enseignants et aux élèves et contribuer ainsi à améliorer le processus d’enseignement-apprentissage. Nous pensons qu’il est tout à fait possible de prendre appui sur une série d’ouvertures effleurées dans différents points de l’article et qui, à notre sens, peuvent faciliter la réappropriation des nouveaux savoirs par les praticiens. Comme nous l’avons dit au premier point, l’ouverture épistémologique rendue possible par l’émergence des paradigmes alternatifs au positivisme et post-positivisme, dont notamment l’« interprétativisme » et le socioconstructivisme, offre la possibilité de produire des connaissances tout à fait adaptées au contexte africain et facilement transférables dans la pratique. Une telle évolution a des incidences non négligeables sur la réappropriation et la contextualisation des orientations définies à l’échelle supranationale par les pays africains. S’il est reconnu que les mêmes choix peuvent avoir des sens différents d’un contexte à l’autre ou d’un public à l’autre, on peut alors considérer que ces cadres supranationaux peuvent être retravaillés pour les faire correspondre à la réalité de chaque pays, sans nécessairement mettre en cause leurs fondements de base qui sont, la plupart du temps, conçus comme de nobles aspirations auxquelles chaque pays devrait adhérer (par exemple, offrir une éducation de base de qualité pour tous les enfants d’âge scolaire sans discrimination liée à la classe sociale, au genre, au handicap, etc.). En outre, si l’on considère que les réalités sociales et leurs significations évoluent, il est tout fait possible de travailler avec les différentes parties prenantes afin de créer progressivement un sens partagé des objectifs de la réforme et d’en tirer ainsi le meilleur pour les élèves.

21En ce qui concerne la réticence des enseignants et des élèves à faire usage des nouveaux savoirs par peur de la surcharge de travail, ou tout simplement parce qu’ils les trouvent difficiles à comprendre et à assimiler, les chercheurs devraient garder à l’esprit qu’au-delà de l’objectif de publication, leurs résultats devraient faire l’objet d’un travail supplémentaire de réécriture pour en faire ressortir les implications pratiques susceptibles d’intéresser les praticiens. Aussi, pour que la réappropriation des savoirs issus de la recherche soit une réalité, les détenteurs du pouvoir politique devraient se résoudre à l’idée que tout changement jugé utile ne devrait pas être imposé de facto à tout le système d’éducation. Les ministères de l’Éducation devraient mettre en place un cadre d’expérimentation structurant permettant aux chercheurs et aux enseignants volontaires d’expérimenter les implications pratiques des nouveaux savoirs issus de la recherche et d’en apprécier les bénéfices dans le processus d’enseignement-apprentissage. Ce sont ces éclaireurs qui se chargeraient par la suite de convaincre leurs collègues du bien-fondé de les incorporer dans leurs propres pratiques.