Le temps, une ressource pédagogique à préserver : une analyse dans dix pays d’Afrique subsaharienne
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- 1 Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie.
- 2 Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, République du Congo, Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal, Tchad (...)
- 3 Il aurait été souhaitable, bien sûr, d’utiliser les données du Pasec 2019, mais les résultats et l (...)
1Lancé en 1993, le Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la Confemen1 (Pasec) a adopté, en 2014, une nouvelle formule pour ses évaluations internationales des acquis des élèves en fin de primaire, qui ont concerné alors dix pays d’Afrique subsaharienne2. Un nouveau groupe de pays a été étudié en 2019 ; les résultats devraient être disponibles en 20213. Le Pasec 2014 a donc été la première édition d’une série d’évaluations internationales régulières. La mise en relation des informations contextuelles recueillies lors des enquêtes avec les résultats des élèves aux tests fournit des points de repère sur les facteurs ayant un impact sur la qualité des apprentissages, et permet d’orienter l’action éducative. Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement au temps de fonctionnement de l’école, de la classe et à ses conséquences sur les apprentissages.
2Le temps est un élément crucial dans le processus scolaire, autant pour les apprentissages des élèves que pour les enseignants et pour l’administration. Cet aspect constitue des pans entiers des recherches en éducation. Ce qui nous intéresse ici est le temps de la classe, et non dans la classe. Dans certains cas, dans les pays du Nord, le temps de la classe peut être perturbé par des absences d’enseignants (mal ou pas du tout remplacés). Dans les pays d’Afrique subsaharienne, la durée effective de fonctionnement des écoles peut connaître des variations significatives, d’une part, d’un pays à l’autre, du fait de décisions nationales et, d’autre part, d’une école à l’autre à l’intérieur d’un même pays, du fait de dysfonctionnements divers.
3Les données du Pasec 2014 permettent, d’une part, d’estimer les dates de début et de fin de fonctionnement des écoles au cours de l’année 2013-2014 et apportent, d’autre part, des informations sur les enseignants qui quittent leurs classes quelques jours chaque mois pour aller percevoir leur salaire à la banque (souvent éloignée du lieu où ils enseignent). Comme l’enquête documente par ailleurs les conditions générales d’enseignement dans chaque école, les caractéristiques sociales des élèves ainsi que leur niveau d’acquisitions en fin d’année, il est possible de mesurer l’ampleur des pertes quantitatives en matière de temps scolaire ainsi que leur impact net sur les apprentissages dans chacun des pays considérés.
Variabilité du temps scolaire offert et disparités sociales
- 4 Une variable a été construite pour disposer d’une transcription numérique de cette date. Elle mesu (...)
- 5 Ce peut être d’un à trois jours (parfois davantage), mais la durée n’est pas documentée.
4Il n’est pas certain que toutes les écoles primaires des dix pays de l’échantillon offrent à leurs élèves le même temps de fonctionnement effectif sur l’année scolaire ; il est par ailleurs possible que cela ait alors un impact sur leurs résultats d’apprentissages. L’information sur le temps scolaire effectif des différentes écoles n’est pas directement disponible dans les enquêtes du Pasec. On y dispose toutefois de la déclaration de la date à laquelle les cours ont commencé au début de l’année scolaire4, et d’une variable (0/1) qui indique si les enseignants s’absentent chaque mois pour aller percevoir leur salaire5. Cela constitue une première approche, bien qu’imparfaite, de la mesure du temps scolaire disponible sur l’année, les fins des classes intervenant sans qu’il soit tenu compte des dates de rentrée.
5Selon les déclarations des directeurs d’école, il existe un écart de plus de deux mois (voire près de trois mois) entre les écoles pour lesquelles la rentrée scolaire a été la plus précoce (1er septembre) et celles où elle a été la plus tardive (courant/fin du mois de novembre). De façon globale, il est estimé que la variance de la date de la rentrée scolaire au sein de l’échantillon tient pour 73 % à des différences moyennes entre pays et pour 27 % à des différences entre écoles au sein d’un même pays.
6En moyenne, la rentrée scolaire a lieu le 2 octobre dans les dix pays, mais avec une grande variation d’un pays à l’autre. C’est au Cameroun que la rentrée scolaire est en moyenne la plus précoce (5 septembre) et au Niger, au Sénégal et au Togo qu’elle est la plus tardive (deuxième quinzaine d’octobre). Au total, le Cameroun et le Burundi ont pris les dispositions les plus favorables pour une rentrée scolaire précoce et pour limiter la variabilité de la date de rentrée entre les écoles. Le Niger et le Sénégal connaissent des circonstances moins favorables en ce sens qu’on trouve en même temps une date de rentrée tardive et de larges disparités de cette date entre les écoles.
Tableau 1. Moyenne jours de rentrée après le 1er septembre et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur salaire par pays

7L’absence, quelques jours chaque mois, pour aller percevoir son salaire concerne environ un tiers des enseignants des dix pays. Peu fréquente au Bénin (13 %), elle l’est davantage au Congo (22 %), en Côte d’Ivoire (24 %) ou au Togo (27 %). Mais c’est surtout au Cameroun et au Tchad (40 %), et plus encore au Niger (62 %), que cette pratique est très développée. Cependant, s’il existe bien une tendance à ce que cette pratique soit plus fréquente dans les pays qui ont une large population rurale, les différences entre pays vont au-delà de cet aspect.
Tableau 2. Date de la rentrée scolaire et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur salaire selon le milieu géographique et le quintile moyen de richesse du public d’élèves

8En consolidant les pertes en temps scolaire dues aux rentrées tardives et à l’absentéisme de l’enseignant pour percevoir leur salaire, on aboutit à des écarts en moyenne de près d’un mois sur l’année scolaire ; ils peuvent atteindre un trimestre entre les situations les plus favorables ou défavorables sur ces deux plans. Les chiffres du tableau 2, supra, montrent clairement, en outre, que ce sont les populations dont la scolarisation est la plus fragile (ruraux/populations pauvres) qui souffrent le plus d’un moindre temps d’enseignement effectif sur l’année scolaire.
L’incidence des pertes de temps scolaires sur les apprentissages
- 6 À titre de référence, réduire le ratio élèves-enseignants de dix élèves ne conduirait qu’à une aug (...)
9Le fait que ces perturbations dans le temps scolaire effectif proposé soient plus fortes pour les élèves qui ont des caractéristiques défavorables dans la société en général et en ce qui concerne leur scolarité interroge l’équité au plan des conditions d’enseignement offertes. Il interroge en outre l’efficacité car ces perturbations ont aussi des incidences sur les apprentissages réalisés. En effet, en contrôlant les caractéristiques géographiques et sociales des élèves et les intrants mobilisés au niveau de chaque école, il est estimé qu’un mois de plus sur la date de la rentrée est associé à une diminution de 14 points du score moyen de la classe. De même, l’incidence de l’absence mensuelle de l’enseignant pour percevoir son salaire est estimée à 23 points sur le score de l’élève en fin d’année scolaire6.
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10Une analyse consolidée des phénomènes étudiés suggère que les perturbations organisationnelles du temps scolaire considérées dans cet article ne sont pas anodines pour plusieurs des dix pays considérés. Pour trois d’entre eux, le Niger, le Sénégal et le Tchad, elles méritent sans doute que des dispositions fermes soient prises pour les traiter ; en effet, dans ces trois pays, environ 15 % du temps imparti n’est pas effectué. Outre le gaspillage de ressources associé, les effets négatifs connexes en matière d’équité et de qualité sont notables.
Notes
1 Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie.
2 Bénin, Burkina-Faso, Burundi, Cameroun, République du Congo, Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal, Tchad et Togo.
3 Il aurait été souhaitable, bien sûr, d’utiliser les données du Pasec 2019, mais les résultats et les bases n’étaient encore pas publiés au moment de la rédaction de cet article.
4 Une variable a été construite pour disposer d’une transcription numérique de cette date. Elle mesure le nombre de jours où celle-ci se situe après une référence choisie au 1er septembre.
5 Ce peut être d’un à trois jours (parfois davantage), mais la durée n’est pas documentée.
6 À titre de référence, réduire le ratio élèves-enseignants de dix élèves ne conduirait qu’à une augmentation de l’ordre de 3 points du score moyen, tout en impliquant une augmentation de plus de 20 % des dépenses courantes.
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Titre | Tableau 1. Moyenne jours de rentrée après le 1er septembre et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur salaire par pays |
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Titre | Tableau 2. Date de la rentrée scolaire et pourcentage d’enseignants s’absentant pour percevoir leur salaire selon le milieu géographique et le quintile moyen de richesse du public d’élèves |
URL | http://journals.openedition.org/ries/docannexe/image/10298/img-2.jpg |
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Pour citer cet article
Référence papier
Rosa Mahdjoub, « Le temps, une ressource pédagogique à préserver : une analyse dans dix pays d’Afrique subsaharienne », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 86 | 2021, 19-22.
Référence électronique
Rosa Mahdjoub, « Le temps, une ressource pédagogique à préserver : une analyse dans dix pays d’Afrique subsaharienne », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 86 | avril 2021, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 10 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ries/10298
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