1En Roumanie, la fermeture des établissements scolaires du 11 mars aux vacances d’été 2020 puis du 6 novembre au 8 février 2021 a eu des conséquences profondes sur l’éducation, non seulement en raison du faible degré de préparation à l’enseignement en ligne de nombre des acteurs concernés (élèves, enseignants, parents), mais aussi parce que, précisément du fait des écarts importants existant en termes de ressources, la fermeture physique des établissements ne s’est pas accompagnée, du moins au début, d’une réglementation claire de l’enseignement en ligne.
2Début 2020, la Roumanie figurait en bas du classement européen en ce qui concerne la numérisation, d’après l’indice DESI (Digital Economy and Society Index) de la Commission européenne, notamment au dernier rang dans l’utilisation des services en ligne par les citoyens et de la numérisation des services public.
3Dans le contexte de pandémie, le secteur éducatif a donc principalement été affecté par des problèmes d’accès, qui ont empêché de nombreux enfants de participer à l’enseignement en ligne. Selon une étude réalisée au début de la période de confinement pour le ministère de l’éducation, 23 % des enfants n’avaient pas accès à une connexion internet viable et fonctionnelle ; 48 % ne savaient pas utiliser les équipements pour les cours en ligne ; plus de la moitié (54 %) n’utilisaient pas ces équipements de façon individuelle ; 55 % devaient les partager avec d’autres membres de la famille ; 68 % n’avaient pas accès à une imprimante2. Selon une étude de Save the Children (2020), 43 % des enseignants ne disposaient pas des ressources nécessaires pour enseigner en ligne.
4Les inégalités éducatives ont été exacerbées pendant le confinement et du fait de la répartition inégale des compétences numériques des élèves et des enseignants. Selon l’étude TALIS 2018, la dotation en équipements numériques était le problème le plus fréquemment signalé par les chefs d’établissement en Roumanie.
5Les différences dans les niveaux de compétences numériques affectent également la capacité des élèves et des enseignants à acquérir et à transmettre des connaissances. Selon une étude menée par l’Université de Bucarest3, la plupart des élèves roumains se plaignent d’un manque d’habitude pour l’apprentissage à l’aide des nouvelles technologies (71 %), du niveau insuffisant des compétences numériques (68 %), de l’absence de contrôle et de suivi réguliers de leur activité (65 %) et du manque de soutien/d’intérêt des adultes (59 %). D’autre part, selon une enquête menée auprès de plus de 3 000 enseignants en avril 2020, seuls 10 % des enseignants ont reçu une formation pour l’enseignement à distance. Sur une échelle de 0 à 10, les enseignants ont évalué à 5 la difficulté de la transition à l’enseignement à distance et à 7 leur niveau de compétences et de connaissances pour ce mode d’enseignement.
6Cependant, l’intervention de l’État pour résoudre ces problèmes se trouve limitée par une faible capacité de contrôle et une mauvaise connaissance de la situation. Ainsi, sur la base d’une évaluation réalisée en avril 2020, au cours de laquelle 230 000 élèves ont rapporté des difficultés d’accès, le ministère de l’éducation et de la recherche a acheté et distribué des tablettes à tous les élèves ayant signalé des problèmes. Dans une nouvelle enquête, ouverte depuis décembre 2020, 280 000 élèves ont de nouveau rapporté des difficultés d’accès et 65 000 élèves risquent en outre de ne pas voir leur situation se résoudre faute d’un accès à l’enseignement en ligne4.
7Les inégalités d’accès et de compétences numériques sont liées aux différences de statut socio-économique, comme le montrent toutes les études sur ce sujet.
8Selon l’enquête Eurostat 2020, la Roumanie se classe au premier rang de l’Union européenne en termes d’exclusion économique et sociale : 38 % des enfants de moins de 16 ans et 38 % des jeunes de 16 à 24 ans présentent un risque d’exclusion sociale5. Parmi les familles à faibles revenus, seules 6 sur 10 ont accès à internet, alors que toutes les familles à revenus moyens ou supérieurs y ont accès. Seules 50 % des personnes menacées de pauvreté extrême utilisent internet au quotidien. Ainsi, les élèves défavorisés ont un accès limité à internet, de plus faibles compétences numériques et les établissements qu’ils fréquentent disposent de ressources numériques plus limitées (Țoc et Florian, 2020).
9Les personnes appartenant à ces catégories sont en outre moins favorablement disposées à l’égard de la technologie numérique. Selon un rapport récent (Velicu, 2021), les parents dont le statut socio-économique est inférieur à la moyenne apprécient moins son utilité et dénoncent davantage son effet négatif sur la vie familiale que ceux dont les revenus sont supérieurs à la moyenne.
10Ces inégalités numériques suivent de près la répartition des inégalités sociales, qui sont corrélées avec le milieu de résidence (rural/urbain) mais aussi l’appartenance ethnique. Les statistiques indiquent une dotation en équipement et un accès à internet nettement plus faibles, ainsi qu’un niveau de compétences numériques des familles et des enseignants plus faibles dans les zones rurales que dans les zones urbaines, mais aussi dans le cas des enfants des communautés roms, en particulier ceux des zones rurales, qui sont la catégorie présentant le plus grand risque de pauvreté et d’exclusion sociale (Unicef, 2020). Les déficits sont plus importants dans l’enseignement primaire et préscolaire que dans le secondaire (de plus de 10 %). Il est clair que l’enseignement en ligne semble plus adapté aux enfants et aux jeunes du secondaire supérieur6.
11Les effets éducatifs les plus significatifs de la pandémie sont les effets indirects, en lien avec la fermeture des établissements scolaires et le passage à l’enseignement à distance. Il n’existe à l’heure actuelle aucune estimation factuelle de ces effets, seulement des évaluations par les parties prenantes interrogées dans le cadre d’enquêtes (généralement des parents, des enseignants ou des élèves). La plupart de ces évaluations font état de l’impact négatif de la transformation de l’éducation pendant la pandémie.
12La plupart des partenaires éducatifs considèrent qu’à l’heure actuelle, l’acte pédagogique à l’école est d’une qualité moindre qu’avant la crise du Covid-19 : c’est l’opinion de 46 % des élèves, de 45 % des parents et de 44 % des enseignants (Save the Children, 2020).
13Selon l’enquête réalisée par Save the Children (2020), 23 % des élèves sont en retard dans l’enseignement en ligne et plus de la moitié d’entre eux estiment qu’ils auront besoin d’une aide supplémentaire pour récupérer le matériel scolaire.
14Les anticipations négatives concernant l’enseignement en ligne sont plus marquées pour certaines matières, certains types d’activités et certaines catégories d’élèves. Parmi les impacts négatifs de l’enseignement en ligne, les enseignants identifient les effets sur le soutien personnalisé apporté aux élèves à besoins éducatifs spéciaux (64 %) et le suivi du rythme d’apprentissage (52 %). Sans surprise, de nombreux motifs d’inquiétude sont liés aux dommages psychologiques et relationnels causés par la fermeture des établissements. L’enquête menée par l’Université de Bucarest auprès des enseignants met en évidence la perception d’un impact négatif de l’enseignement en ligne sur la communication authentique/les relations humaines (65 %). L’isolement, l’anxiété, notamment causés par la pandémie, et l’ennui figurent également parmi les conséquences psychologiques négatives mises en avant dans toutes les discussions sur le sujet7.
- 8 Smahel D. et al. (2020). EU Kids Online 2020: Survey results from 19 countries. EU Kids Online. DO (...)
- 9 Voir note 3.
15Tous ces effets sont corrélés au phénomène inquiétant de l’augmentation du nombre d’heures que les élèves passent en ligne et devant des écrans. Avant la pandémie, un élève roumain âgé de 9 à 11 ans passait en moyenne près de 3 heures par jour en ligne8 et l’augmentation de cet indicateur ne fait que souligner l’impact considérable des nouvelles technologies sur la vie des enfants et des adolescents9. La fatigue numérique est ressentie par plus de la moitié des familles interrogées (Velicu, 2021).
16Bien que les effets négatifs dominent dans la perception des acteurs éducatifs, les différentes évaluations identifient également des effets positifs potentiels de cette période de pandémie et d’enseignement en ligne. Chacune constate que cette situation indésirable est une opportunité importante pour la numérisation de l’éducation et l’amélioration des compétences numériques des enseignants, des élèves, mais aussi des parents (voir par exemple l’étude IRES 202110). De nombreux acteurs éducatifs insistent sur le fait que la sortie de l’état d’urgence ne doit pas signifier un retour pur et simple aux formes d’enseignement qui prévalaient avant mars 2020 : le développement des plateformes d’enseignement en ligne, les compétences développées pour y travailler, les compétences de création et de partage de contenus éducatifs numériques, mais également l’abondance des contenus développés au cours de cette année de pandémie doivent être valorisés et exploités plus avant.
- 11 C. Petrescu (dir.). Bunastarea copilului din mediul rural 2020 Cercetare implementată de World Vis (...)
17Les élèves, quant à eux, apprécient d’avoir plus de temps à consacrer à leurs propres intérêts et loisirs (National Center for Educational Policy and Evaluation, 2020), les temps de déplacement et de préparation pour l’école étant raccourcis. Dans les faits, selon les estimations de certaines enquêtes, le pourcentage de ceux ayant acheté moins de fournitures et de manuels scolaires a atteint 38 % en 2020 (contre 21 % en 2018), ce qui représente une réduction des coûts directs de l’éducation11.
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18La Roumanie était mal préparée pour atténuer le choc des mesures prises contre la pandémie sur le secteur éducatif. Les déficits en matière d’accès aux TIC et de compétences numériques, mais aussi la répartition inégale de ces problèmes d’accès et de compétences se sont incontestablement traduits par des dommages éducatifs considérables. Si les efforts des autorités centrales et locales, mais aussi des enfants et de leurs parents, ont déjà permis une transition massive vers la numérisation de l’éducation, qui représente par ailleurs une source de bénéfices à long terme et doit être poursuivie, les effets, principalement négatifs, de l’instruction à domicile obligatoire sur les dimensions psychologiques et relationnelles du bien-être des enfants, ou encore sur les modes de vie, la consommation culturelle et la santé, ne doivent cependant pas être ignorés.
19La pandémie a également mis en évidence de graves problèmes en termes de capacité administrative de l’État, à travers le faible potentiel d’évaluation des besoins et de suivi des processus éducatifs en situation de crise. Une amélioration significative des institutions et des instruments poursuivant ces objectifs dans le champ éducatif serait un résultat positif inattendu de la pandémie.