1En 2020, 1,5 milliard d’élèves dans 188 pays ont été privés d’école. Avec la pandémie de Covid-19, les systèmes éducatifs de l’ensemble de la planète ont connu un bouleversement radical. Du jour au lendemain, les écoles ont été fermées, les élèves ont été renvoyés dans leur famille, les enseignants ont dû assurer leurs cours à distance selon les moyens technologiques mis à leur disposition et leurs compétences à les utiliser. L’une des premières actions pour contenir le virus a été de fermer les écoles, mais cette mesure sanitaire a des conséquences négatives sur les élèves et leur avenir, et aura des répercussions à court et moyen terme sur les sociétés.

La durée des fermetures d’écoles selon les régions et les pays

4Tout le continent américain a connu des fermetures d’écoles très longues : 51 semaines au Canada, 58 semaines aux États-Unis, 57 semaines au Chili et au Brésil, 59 en Argentine et 60 en Bolivie.

5En Asie, la durée des fermetures d’écoles varie beaucoup selon les pays. Des nations très proches géographiquement n’ont pas fait les mêmes choix : Birmanie (60 semaines), Cambodge (42), Laos (29), Thaïlande (33), Vietnam (18). Elles ont été particulièrement longues en Inde (60 semaines) ou en Indonésie (52 semaines), beaucoup plus courtes au Japon (11 semaines). En Chine, pays où s’est déclarée l’épidémie, les écoles ont fermé durant 27 semaines.

6L’impact sanitaire de la Covid-19 en Afrique a été jusqu’à présent limité, à l’exception de deux pays : l’Afrique du Sud et la Tunisie, pays qui détient le taux le plus élevé du continent. Pour autant, la fermeture des écoles a été largement pratiquée. Un tiers des pays d’Afrique orientale et australe a fermé les écoles pendant 40 semaines ou plus et, dans certains pays, les fermetures ont duré presque une année complète entre mars 2020 et mars 2021. En Afrique centrale et du Nord, environ deux pays sur trois ont fermé leurs écoles pendant 21 à 30 semaines. Les fermetures d’écoles ont été les plus courtes en Afrique de l’Ouest, où plus de la moitié des pays (57 %) ont fermé 11 à 20 semaines.

7En Europe, les politiques ont différé selon les pays : 12 semaines en France, 13 semaines en Russie et en Espagne mais 38 semaines en Allemagne ou en Italie ; pour les pays scandinaves on constate des écarts également, avec 24 semaines en Suède et 34 semaines au Danemark. Certains pays d’Europe de l’Est ont connu des fermetures d’écoles plus importantes, comme la Pologne (43) ou la Lettonie (45).

Trente-trois pays de l’OCDE

8Le rapport de l’OCDE permet d’affiner les chiffres, même si ceux-ci portent uniquement sur les fermetures d’écoles en 2020. L’enquête a porté essentiellement sur des pays européens, avec quelques pays d’autres continents : Colombie, Costa Rica, Chili, Corée du Sud, Israël, Japon et Nouvelle-Zélande. Les choix effectués par les décideurs politiques ont été assez similaires, la plupart des pays interrogés ayant fermé toutes ou la plupart de leurs écoles de la mi-mars à la mi-mai ou la mi-juin 2020. En moyenne, dans les trente pays disposant de données comparables, les écoles pré-primaires ont été entièrement fermées pendant 42 jours, les écoles primaires pendant 54 jours, les écoles secondaires inférieures pendant 63 jours et les écoles secondaires supérieures pendant 67 jours. Cependant, ces chiffres masquent de grandes différences entre les pays et, au sein d’un même pays, entre les niveaux d’enseignement. Par exemple, en Suède, toutes les écoles primaires et la plupart des écoles secondaires inférieures sont restées ouvertes en 2020, tandis que les écoles secondaires supérieures ont eu recours principalement à l’enseignement à distance à partir de la mi-mars. Dans deux pays, la décision de fermeture a été prise à la discrétion des écoles, des districts ou des niveaux de gouvernance les plus locaux (Allemagne et Japon).

9Les écoles ont été fermées au moins 20 jours de plus pour l’enseignement secondaire supérieur que pour le primaire en Autriche, en Israël, en Lettonie, en Pologne, en République slovaque et en Suisse. En revanche, l’Irlande, la Corée du Sud et la République tchèque ont fermé leurs écoles primaires plus longtemps que leurs écoles secondaires supérieures. Les lycées généraux ont été fermés moins de 40 jours au Danemark, en France, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et en Norvège, et pendant plus de 100 jours en Colombie, au Costa Rica, en Pologne, en République slovaque et en Turquie. En Colombie, par exemple, les écoles ont été complètement fermées dans la plupart des régions entre mars et décembre 2020, entraînant la perte de 152 jours d’instruction sur cette période.

11Cependant, plus de la moitié des pays ont signalé des efforts dans au moins un niveau d’enseignement pour améliorer l’accès aux infrastructures des élèves dans les régions éloignées (67 %), soutenir les apprenants handicapés (59 %), établir des accords avec les opérateurs de télécommunication pour éliminer les obstacles à l’accessibilité (56 %), améliorer l’accès aux infrastructures pour les apprenants dans les zones urbaines à forte densité (56 %), ou fournir un soutien supplémentaire, y compris économique, aux ménages à faible revenu. L’effort a été moindre pour les enfants migrants et déplacés, y compris pour ceux vivant dans des camps (44 %), moins de la moitié des pays ont déclaré avoir entrepris des efforts particuliers pour rendre leur apprentissage en ligne plus accessible (44 %) et pour concevoir des matériels d’apprentissage pour les locuteurs de langues minoritaires (26 %).

La mise en place d’un enseignement à distance

12Pour pallier les fermetures des écoles, l’apprentissage en ligne a été présenté comme une solution efficace pour beaucoup de pays, mais cette solution n’est pas à la portée de tous, notamment pour les pays d’Afrique subsaharienne, où la grande majorité des élèves n’a pas accès aux ordinateurs et à internet et, dans une moindre mesure, en Afrique du Nord où en moyenne 4 à 5 élèves sur 10 n’y ont pas accès.

13L’enquête menée par l’OCDE auprès de 33 pays révèle des différences importantes dans l’accès à l’enseignement à distance en raison d’approches différenciées selon le niveau d’enseignement, de la durée des fermetures d’écoles, de variations géographiques dans les politiques et les pratiques. Pendant la première période de fermeture des écoles, tous les élèves ont suivi un enseignement à distance dans huit pays aux niveaux primaire et secondaire inférieur, ainsi que dans douze pays au niveau secondaire supérieur général. Dans la deuxième période de fermeture des écoles, les élèves de trois pays seulement (Lettonie, Pays-Bas, Slovénie) ont reçu un enseignement à distance à tous les niveaux ; ce fut le cas pour l’Autriche, le Danemark et l’Estonie au niveau secondaire supérieur. Durant la troisième période de fermeture, seuls la Lettonie et les Pays-Bas ont déclaré que tous les élèves ont suivi un enseignement à distance à tous les niveaux.

14L’apprentissage hybride (mixte d’enseignement en présentiel et à distance) s’est beaucoup développé après la première vague épidémique. Il est considéré dans de nombreux pays comme la voie à suivre pour s’adapter aux nouvelles conditions sanitaires. Mais tous les élèves ne sont pas égaux devant les conditions d’études. Les élèves de milieux défavorisés n’ont pas accès aux outils numériques et très souvent n’ont pas d’endroit tranquille pour étudier chez eux. C’est le cas pour 9 % des élèves de 15 ans en moyenne dans les pays de l’OCDE (PISA, 2018). Ainsi, en Corée du Sud, pays considéré comme l’un des plus performants par l’enquête PISA, parmi les écoles accueillant les élèves les plus défavorisés un élève sur cinq n’a pas de place pour étudier à la maison et pas d’ordinateur.

Les pertes d’apprentissage des élèves et les conséquences économiques

16Les pertes d’apprentissage dues à la fermeture des établissements scolaires n’affectent pas les élèves de la même manière ; elles amplifient et accélèrent les inégalités sociales. Avant la Covid-19, les inégalités en matière d’éducation avaient été le défi le plus redoutable auquel les systèmes éducatifs étaient confrontés. Ces inégalités se sont renforcées et, d’après les analyses fournies par l’OCDE, la crise sanitaire n’a pas seulement augmenté les inégalités en matière d’éducation à l’intérieur des pays, mais elle risque d’amplifier l’écart de performance entre les pays.

18Les deux économistes se centrent sur les effets de l’absence de cours sur les élèves en matière d’acquisition des compétences cognitives plus que sur les contenus non appris, considérant que c’est l’absence de ces compétences qui est le plus nuisible à l’insertion dans le monde du travail. Selon eux, les élèves touchés par les fermetures d’écoles pourraient connaître une baisse de leurs revenus sur toute leur durée de vie d’environ 3 % tous les trois mois de temps d’apprentissage perdu. Par ailleurs, ils ont estimé que la perte d’une année de scolarité signifie un PIB inférieur de 4,3 %, en moyenne, pendant le reste du siècle.

21Avec la pandémie, au niveau mondial, le nombre d’enfants non compétents en troisième année (9 ans environ) devrait passer de 54 à 68 millions et le pourcentage d’enfants compétents serait alors seulement de 49 % (59 % en 2019).

22Le rapport de la Banque mondiale, précédemment cité, fournit des chiffres alarmants. Selon des estimations, la « pauvreté d’apprentissage » pourrait augmenter de 20 %, avec environ deux élèves sur trois au niveau primaire incapables de lire ou de comprendre un texte simple adapté à leur âge. À titre d’exemple, en Argentine, le pourcentage des élèves âgés de 10 ans ne sachant pas lire et comprendre un texte simple est passé de 54 % à 66 % en 2020. Et 71 % des élèves du premier cycle du secondaire pourraient se situer en dessous des niveaux de compétence minimaux (évaluation PISA), par rapport à un niveau de référence de 55 %, avec plus de deux élèves sur trois du premier cycle du secondaire qui ne seraient pas en mesure de comprendre un texte de longueur moyenne.

23Les régions d’Asie centrale, du Sud, de l’Est et du Sud-Est sont les régions les plus touchées en chiffres absolus. Sur 100 millions d’enfants qui passeraient sous le seuil de compétence, 34 millions seraient des enfants d’Asie centrale et du Sud, et 29 millions d’Asie de l’Est et du Sud-Est.

24Les pertes d’apprentissage seront moindres en Afrique subsaharienne car la majorité des élèves (plus de 8 sur 10) n’avait pas atteint les niveaux de compétence minimaux en lecture (88 %) et en mathématiques (84 %) avant la pandémie. Les dernières données montrent que la part des élèves du primaire et du secondaire inférieur atteignant la maîtrise de la lecture a diminué de 12 % à 16 % respectivement en 2020.

25Pour atténuer les pertes d’apprentissage, en particulier aux niveaux inférieurs de l’enseignement, des mesures ont été prises. D’après l’enquête de l’OCDE sur 33 pays, 86 % des pays ont déclaré fournir des mesures correctives pour réduire les écarts d’apprentissage au niveau primaire, 75 % au premier cycle du secondaire et 73 % au deuxième cycle du secondaire. Plus de 60 % des pays ont introduit des mesures spécifiques axées sur les élèves défavorisés, tandis qu’environ 40 % des mesures ciblaient les immigrants, les réfugiés, les minorités ethniques ou les groupes autochtones.

Préconisations des organisations internationales

26Dans les mois à venir, des travaux d’analyse beaucoup plus poussés verront le jour. Pour l’Unesco, l’une des principales inconnues est la capacité des systèmes scolaires à « rattraper » ou à accélérer l’apprentissage afin de retrouver les niveaux d’apprentissage précédents.

27Les dernières évaluations PISA de l’OCDE avaient montré une absence d’amélioration globale des résultats des élèves dans les pays de l’OCDE ces deux dernières décennies, alors même que les États avaient mis en place de nombreuses réformes éducatives en augmentant les dépenses. La fermeture des écoles durant de longs mois et la perte d’apprentissage des élèves ne font qu’aggraver la situation. Tous les rapports cités précédemment appellent les gouvernements à avoir une réponse à la hauteur des enjeux : augmentation des budgets, développement d’environnements numériques accessibles aux élèves comme aux enseignants, renforcement de la formation continue des enseignants et prise en compte des inégalités d’apprentissage des élèves de milieux défavorisés.

28Le point de vigilance fondamental est d’ordre financier. L’enquête de l’OCDE montre qu’en 2020, une grande partie des pays de l’OCDE (65 %) ont augmenté le budget consacré à l’éducation, mais est-ce durable ? Les budgets de l’éducation pourraient diminuer en raison des effets économiques de la pandémie avec des répercussions en cascade, comme celui sur les rémunérations des enseignants et par suite sur l’attractivité de la profession ainsi que sur les investissements en matière de matériel éducatif. La réduction des dépenses consacrées aux programmes de repas scolaires pourrait également avoir des conséquences négatives très graves sur le développement physique et cognitif des enfants issus de ménages pauvres.

29Dans le scénario élaboré par les chercheurs de l’ISU, le retour au niveau de compétences des élèves avant l’épidémie pourrait se faire en 2027 plutôt qu’en 2030. Il faut pour cela que les élèves apprennent 10 % de plus qu’au cours d’une année normale d’apprentissage, afin de rattraper le niveau qu’ils auraient atteint sans la pandémie. Une des rares conséquences positives de la fermeture des écoles a été de montrer à tous – élèves, familles et société tout entière – l’importance décisive des enseignants et d’un espace commun qui réunisse ces derniers, la communauté des élèves, et qui donne accès à un ensemble de services offerts par les écoles, impossibles à remplacer par l’enseignement à distance. Cette prise de conscience publique de l’importance des écoles et des enseignants devrait inciter les gouvernements à augmenter les moyens mis à la disposition des systèmes éducatifs et à « renforcer l’engagement et le soutien des communautés et des parents pour les écoles et les enseignants » (OCDE, 2021).