1Le paysage éducatif de la Hongrie s’est profondément transformé depuis qu’en avril 2010 le Fidesz, le parti dirigé par Viktor Orbán, ainsi qu’une petite formation politique de droite sont arrivés au pouvoir. Les changements politiques intervenus après les élections législatives de cette année ont été interprétés par Imre Vörös, un ancien juge de la Cour constitutionnelle, comme un coup d’État constitutionnel, puisque les forces politiques ayant obtenu au Parlement une majorité absolue ont procédé en peu de temps à une transformation rapide et radicale du système politique – sans que les électeurs aient été avertis avant les élections des intentions politiques des soutiens de M. Orbán et sans inclure dans l’élaboration de la nouvelle Constitution les partis d’opposition.

3Dans les années qui ont suivi la ré-étatisation des écoles de Hongrie, il était fortement question de revaloriser la fonction enseignante, mais les autorités n’ont pas tenu leur promesse. Un plan prévoyant une augmentation sensible des salaires enseignants a été élaboré, mais par la suite, les barèmes de ceux-ci ont été modifiés à la baisse. Au même moment, un nouveau statut du personnel scolaire entrait en vigueur, et cela allait de pair avec la mise en place d’une instance corporative à laquelle les enseignants devaient obligatoirement adhérer et que les autorités avaient et ont tendance à considérer comme leur partenaire privilégié, au détriment des syndicats. Notons à ce sujet que, durant la crise de la Covid-19, les syndicats enseignants ont voulu participer à l’élaboration des règles à suivre au sein des écoles, mais que le ministère a refusé de les associer à leur mise en place, tandis que le secrétaire d’État à l’éducation publique rejetait les critiques formulées par les représentants des enseignants au sujet de la gestion de la pandémie dans ces termes :

5Ces derniers temps, la dévalorisation des professeurs est devenue si importante qu’à la fin de l’année 2021, les syndicats enseignants ont décidé d’organiser une grève d’avertissement ; le lancement de cette action a cependant été beaucoup retardé par les délais pris par les responsables ministériels eux-mêmes pour définir les règles à suivre lors d’une grève organisée en temps de pandémie. Comme tous les délais légaux de l’élaboration du protocole en question avaient été dépassés par le ministère, les syndicats ont finalement organisé une grève d’avertissement de deux heures. Le ministère ne s’est pas contenté de déclarer que celle-ci était illégale, il a également intenté un procès aux organisateurs. En février 2022, en plein état d’exception instauré en raison de la pandémie, le gouvernement a adopté un décret qui a rendu pratiquement impossible l’organisation d’une grève dans les écoles, puisque ce texte stipulait que les différents groupes d’élèves ne pouvaient être regroupés en cas de grève. Si l’état d’urgence introduit en référence à la pandémie a finalement été levé fin mai 2022, un nouvel état d’exception, cette fois-ci « martial », a été instauré au début du mois suivant, sous prétexte que des événements guerriers affectaient un pays voisin de la Hongrie, à savoir l’Ukraine. Un paragraphe de la nouvelle loi relative à l’état d’urgence reprend mot pour mot les dispositions du décret précédent : ainsi, lors des grèves, les élèves appartenant à des groupes scolaires différents ne peuvent toujours pas être rassemblés. Si auparavant le risque de contagion était avancé lorsqu’il s’agissait de légitimer le décret gouvernemental en question, on ne voit pas bien pour quelle raison il faudrait éviter les regroupements d’élèves lorsqu’une grève a lieu à un moment où des opérations militaires affectent un pays voisin. Il est à noter que la Cour suprême estime, dans une décision rendue au début du mois de juillet 2022, que le ministère chargé des questions éducatives a injustement qualifié d’illicite la grève d’avertissement organisée en janvier. (Cette décision défavorable au gouvernement ainsi que plusieurs autres décisions de justice témoignent du fait que la Hongrie ne peut pas – encore – être considérée comme un pays entièrement dictatorial.)

6La perte d’autonomie des enseignants et des équipes pédagogiques s’est également traduite par des changements intervenus dans le domaine des contenus scolaires. Si, après la chute du mur de Berlin, un marché des livres scolaires a été créé, sous le nouveau système politique autoritaire, les enseignants des différentes disciplines ne peuvent choisir qu’entre deux manuels d’État dont la qualité et le contenu sont souvent critiqués. Ainsi, afin de présenter aux écoliers un passé national glorieux, les auteurs d’un livre d’histoire ont omis d’évoquer la dévastation de la Hongrie par les Mongols survenue en 1241, tandis que certains livres scolaires récents contiennent des affirmations dévalorisant les filles. Signalons aussi que le régime en place attaque de front ceux qui remettent en cause les représentations et les rôles traditionnellement attribués aux femmes, au point qu’un décret gouvernemental a interdit en 2018 à l’université ELTE, la première université du pays, de maintenir son master axé sur l’étude des genres sociaux. Plus récemment, une nouvelle loi qui amalgame la pédophilie et l’homosexualité n’autorise les médias à diffuser des contenus évoquant l’homosexualité que tardivement. Parallèlement à cela, le texte impose aux organisations non gouvernementales intervenant dans les écoles l’obtention d’un agrément délivré par les autorités. Comme la loi déclare que seuls les parents peuvent décider de l’éducation sexuelle de leurs enfants, il est fort probable que les quelques associations LGBTQ qui intervenaient jusqu’à présent dans des établissements scolaires ne pourront plus le faire. Comme, selon des études scientifiques, se percevoir comme gay est susceptible de provoquer chez l’adolescent de l’anxiété et une dépression pouvant mener à des pensées et actions suicidaires, et comme en Hongrie, les pédiatres, les psychologues scolaires et les enseignants sont peu préparés à s’occuper de ces questions, il est à craindre que les mesures récentes puissent avoir des conséquences déplorables.