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Dossier - Travailler en collaboration à l’école

L’apprentissage collaboratif en Afrique : le cas du Rwanda

Collaborative learning in Africa: The Rwandan case
El aprendizaje colaborativo en África: el caso de Ruanda
Masengesho Kamuzinzi
p. 107-115

Résumés

Cet article montre que le modèle d’enseignement simultané sur lequel sont bâtis la plupart des systèmes éducatifs des États modernes s’oppose à l’intelligence de l’enfant qui le pousse vers plus d’exploration, plus d’interaction, de soutien mutuel et de coopération dans la résolution des problèmes qu’il rencontre sur le chemin de la vie. Il discute ensuite de la plus-value du modèle d’apprentissage collaboratif en explorant surtout son potentiel en contexte africain où les élèves et étudiants partagent des sphères importantes de la vie sociale qui pourraient être mises à contribution pour améliorer leurs compétences sociales de coopération et enrichir ainsi le processus d’apprentissage. L’auteur s’appuie sur des exemples tirés du contexte africain et plus spécifiquement du système éducatif rwandais.

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Texte intégral

Enseignement collaboratif vs enseignement simultané

1L’apprentissage collaboratif est un terme générique désignant une variété d’approches et des pratiques éducatives impliquant des efforts intellectuels conjoints des élèves se soutenant mutuellement ou travaillant ensemble à la recherche d’une solution à un problème complexe, à l’initiation d’un nouveau projet ou à la recherche d’une signification d’un nouveau phénomène (Laal et Laal, 2012). Ce modèle centré sur l’élève, ou disons plutôt sur un groupe d’élèves qui se soutiennent mutuellement dans le processus d’apprentissage, est souvent mis en opposition avec l’enseignement simultané, qui, au fil du temps s’est affiné et a fini par s’imposer comme le modèle dominant d’organisation des systèmes éducatifs des États modernes. De nos jours, l’enseignement simultané est tellement répandu dans le monde que les enseignants ont fini par croire que c’est la forme naturelle d’organisation et d’évaluation des apprentissages. Certains pensent même que c’est le plus ancien modèle d’apprentissage que l’homme ait jamais inventé, alors qu’il est plus récent que la plupart d’autres formes d’enseignement-apprentissage, y compris le modèle d’apprentissage collaboratif (Kahn et Roland, 2021).

2Dans le système d’enseignement simultané, les enfants inscrits dans une même année et qui sont censés être de même niveau et de même âge environ suivent un même curriculum conçu comme une succession de leçons couvrant différentes matières et dont le déroulement reste strictement à la discrétion de l’enseignant. Par extension, les enfants de même âge fréquentant différentes écoles dans un même pays sont censés suivre le même curriculum prescrit par les autorités éducatives. Les élèves n’ont donc aucune possibilité de négocier ni son contenu ni la méthode d’apprentissage. À l’échelle de la classe, seul le maître se charge de traduire ce curriculum en leçons. C’est lui qui définit les éléments à apprendre, leur succession, le temps nécessaire pour apprendre les éléments de chaque leçon et surtout, c’est lui qui établit les critères de réussite et d’échec et les applique indistinctement à tous les élèves, pour les ranger du plus fort au plus faible, alors qu’on sait bien que le modèle d’enseignement simultané qui sous-tend ces pratiques ne permet de capter qu’une fine partie de la complexité du processus d’apprentissage.

Les limites de l’enseignement simultané en contexte africain

3En Afrique, l’introduction du modèle d’enseignement simultané à la faveur de la colonisation a été un choc culturel. Alors que les anciens étaient habitués à s’offrir en exemple en faisant eux-mêmes et en faisant participer activement les enfants à leurs apprentissages, la responsabilité de définir ce qui était bon pour les enfants des colonies a été confiée à des experts pédagogiques venus des métropoles qui étaient censés être capables de sélectionner les éléments de connaissances utiles pour préparer les enfants indigènes à la modernité. L’aspiration des métropoles à contrôler ce qui se passait dans les colonies a conduit de nombreux pays colonisateurs à opter pour l’imposition d’un même curriculum prescrit, souvent calqué sur le modèle de la métropole. Des inspecteurs ont été recrutés pour assurer le contrôle de sa mise en œuvre et, dans les colonies, la responsabilité des directeurs d’école s’est progressivement rétrécie pour se focaliser sur la supervision du travail des maîtres, afin de s’assurer de la conformité de leur enseignement avec le curriculum officiel. En conséquence, les éducateurs ont perdu leur liberté de choisir ce qui était utile et intéressant pour les enfants et, avec le temps, leur liberté pédagogique. Leur responsabilité se limitait à transmettre les contenus des matières inscrites au programme officiel et à procéder à leur évaluation par des questions extraites du vaste programme d’enseignement. Dans ces nouveaux systèmes, les élèves ont été réduits au rang de « récepteurs passifs » d’un ensemble d’éléments du curriculum définis par des personnes qui ne savaient rien de leur quotidien, de leurs préoccupations ni de leur façon de préparer l’avenir. Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi tel ou tel élément figurait au programme alors qu’ils n’en voyaient pas d’écho dans leur propre société et encore moins d’utilité dans leur propre vie. Dans la mesure où les systèmes éducatifs mis en place dans les colonies avaient pour vocation de former une « élite » locale au service de la colonisation, le choix des contenus à enseigner était moins dicté par l’intérêt des peuples colonisés que par celui des dirigeants des métropoles.

4En outre, les systèmes éducatifs mis en place dans les colonies ne se préoccupaient pas d’éduquer les masses mais plutôt d’en sélectionner une partie chargée d’aider à faire fonctionner l’administration coloniale. En lisant les rapports éducatifs de cette période, on est frappé du rétrécissement drastique des effectifs d’élèves qui passaient d’une classe à l’autre. Seule une minorité d’entre eux parvenait à finir le cycle primaire et une infime partie parvenait jusqu’au secondaire. Le nombre très limité des places dans les écoles secondaires des colonies induisait souvent une sélection très sévère, avec, comme corollaire, la mise en concurrence des élèves pour l’obtention des meilleures places au classement. Mais il ne leur était pas dit que cette sélection à outrance répondait plus aux besoins du système qu’elle n’était due à leurs propres potentialités intellectuelles ! Les enseignants formés au même modèle leur projetaient l’image que seule une minorité des apprenants étaient réellement méritants, les autres ayant vocation à retourner à la vie traditionnelle. Les exclus sortaient du système éducatif avec un profond sentiment d’impuissance et de culpabilité d’avoir raté la marche vers la vie moderne.

5Après les indépendances, les systèmes éducatifs africains ont évolué vers plus d’ouverture jusqu’à ce que, trois décennies plus tard, la plupart d’entre eux aient enfin intégré l’idée que l’éducation de base est un droit pour tous les enfants d’âge scolaire et que, s’ils sont bien encadrés, la majorité d’entre eux peut achever au moins le niveau de base, c’est-à-dire le cycle primaire et secondaire. En conséquence, les systèmes éducatifs africains ont ouvert grand leurs portes, dans ce qui est connu en Afrique comme la promotion de l’« éducation de base pour tous ». Mais comme la construction des nouvelles classes et le recrutement des nouveaux enseignants ne réussit pas à suivre un taux de natalité toujours élevé dans de nombreux pays, les enseignants se retrouvent face à des classes aux effectifs pléthoriques qu’ils ne savent ou ne peuvent encadrer, d’où une proportion d’élèves de plus en plus importante qui avance d’une classe à l’autre sans avoir acquis les connaissances de base. Dans certains cas extrêmes, des élèves terminent le cycle primaire sans savoir écrire ni calculer. On remarque cependant que beaucoup d’enseignants, dans ces écoles d’éducation de base pour tous, continuent à associer l’apprentissage à l’idée de la compétition, et à penser qu’ils ont sur les bras des élèves totalement démotivés ! Dans les écoles dites « d’élite », les enseignants comme les parents pensent que le meilleur moyen de renforcer la qualité de l’éducation (ou d’y revenir, selon certains) est de renforcer la compétition. La concurrence pour les meilleures places y est tellement exacerbée que l’obtention des meilleures notes prime parfois sur le plaisir d’apprendre. Les élèves classés comme moins performants sont si terrifiés par la perspective de l’échec que l’apprentissage devient pour eux un calvaire et que les élèves habitués à figurer parmi les premiers de leur classe connaissent panique et parfois détresse lorsque leurs rivaux commencent à les dépasser.

6Pourtant, en observant de près les enfants en train d’interagir dans des circonstances naturelles, on ne remarque rien de tel dans leur comportement. Lorsqu’ils rencontrent une situation inconnue, cela les excite et les stimule pour expérimenter des solutions, alors qu’en contexte de classe d’enseignement simultané, cela leur fait peur ! Il suffit pour s’en convaincre d’observer les enfants en train d’affronter de nouveaux problèmes une fois qu’ils sont en dehors de la situation de classe. Leurs interactions s’installent sans grand effort. Ils échangent, discutent, agissent, échouent et reprennent l’expérience jusqu’à trouver la solution ou, le cas échéant, aller chercher du soutien ailleurs, souvent auprès des autres enfants jugés plus expérimentés. La nature interactive des apprentissages hors classe se remarque encore plus nettement chez les enfants africains qui partagent encore des sphères importantes de la vie sociale, comme ceux qui vivent dans les milieux ruraux ou dans les zones périurbaines et passent une grande partie de leur temps libre ensemble, dans la rue ou sur des terrains vagues, sans le contrôle des adultes.

  • 1 Voir M. Kamuzinzi, « De la “communauté classe” aux systèmes “globalisés” : l’évolution des systèmes (...)

7La nature collaborative des apprentissages informels est encore plus patente dans certaines sociétés d’Afrique où le mode de vie est encore largement traditionnel et où l’accès à l’enseignement simultané à travers l’école moderne est encore très limité. C’est ce qu’on observe par exemple chez les enfants des éleveurs massaï, des Karamojong ou des Turkana qui vivent encore en communauté ou même chez les chasseurs-cueilleurs pygmées de la forêt équatoriale, où le mode d’éducation traditionnelle reste dominant1. Dans leurs interactions, l’entraide et l’association des efforts sont les véritables moteurs de l’apprentissage informel, qui est par nature partagé. Bien que ces sociétés aient un accès limité aux multiples connaissances rendues possibles par le développement de la science et de la technologie, les potentialités qu’offrent leurs modèles éducatifs collaboratifs sont non négligeables. En effet, l’apprentissage y est directement orienté vers la résolution des problèmes auxquels les enfants et plus généralement les membres de la société font face au quotidien. En observant, par exemple, la façon dont les enfants issus des communautés des éleveurs habituées à quantifier le lait avant de le vendre apprennent plus facilement les mesures de capacité ou dont les enfants des petits commerçants apprennent plus facilement le comptage de la monnaie, on voit bien que le mode d’apprentissage traditionnel facilite l’acquisition des opérations fondamentales en les liant concrètement à la résolution des problèmes qui se posent dans la vie (Tape, 1994). En effet, ces enfants mobilisent plus facilement les connaissances acquises dans diverses circonstances que ne le font les élèves formés au modèle d’enseignement simultané. Il en est de même de l’aptitude à transférer des compétences acquises dans une situation donnée à des situations différentes mais qui font appel à des compétences de même nature.

Quelques évidences scientifiques sur la plus-value de l’apprentissage collaboratif en contexte africain

8Les désillusions du contrôle à distance de ce qui se passe en situation de classe ont progressivement ravivé l’intérêt des experts des institutions internationales et des chercheurs à explorer – ou plutôt à revenir sur – les potentialités du modèle collaboratif d’apprentissage. Dans la pratique de classe, l’apprentissage collaboratif se matérialise par une diversité d’initiatives difficiles à résumer dans cet article. Par exemple, Johnson et al. (2000) ont passé en revue 164 études empiriques se réclamant de l’apprentissage collaboratif et ont identifié jusqu’à huit variantes différentes du modèle surtout développées dans le monde anglo-saxon. Smith et MacGregor (1992) proposent une autre forme de catégorisation des apprentissages collaboratifs en distinguant notamment ce qu’ils appellent : l’apprentissage coopératif, l’apprentissage centré sur la résolution des problèmes, les groupes de rédaction, l’enseignement par les pairs, les groupes de discussion et enfin les « communautés d’apprenants ».

9Sur le plan de la recherche en contexte africain, deux articles ont particulièrement attiré notre attention. La recherche de Kolawole (2008) conduite au Nigeria sur l’apprentissage des mathématiques et celle de Kibirige et Lehong (2016), conduite en Afrique du Sud sur l’apprentissage de la physique, indiquent que le modèle collaboratif produit de meilleurs résultats et est plus adapté aux enfants africains, dans la mesure où ils passent plus de temps ensemble sans la surveillance des adultes et sont habitués à tenter de nouvelles choses dans le contexte extrascolaire.

L’apprentissage collaboratif en contexte rwandais

10Dans le cas du Rwanda, l’introduction du système modulaire (modular scheme) en 2007 par le Haut Conseil de l’enseignement supérieur marque un tournant dans la promotion du modèle d’apprentissage collaboratif à l’université. En effet, cette nouvelle réforme consacre 70 % du temps d’enseignement au travail des étudiants et seulement 30 % au contact avec l’enseignant en classe. Plus spécifiquement, cette réforme promeut le travail en collaboration comme le meilleur moyen d’améliorer la qualité des apprentissages et de promouvoir les compétences sociales de coopération, de travail en équipe et d’entraide, qui manquent beaucoup dans l’enseignement simultané. Actuellement, aucune recherche de grande envergure n’a été conduite pour évaluer l’impact de cette réforme et surtout la plus-value d’accorder plus de temps aux étudiants pour leur autoformation et le travail en groupe. Mais quelques recherches plus localisées, conduites par des chercheurs indépendants, offrent des résultats intéressants. Par exemple, la recherche de Mutwarasibo (2013) sur les acquis de l’apprentissage collaboratif dans la rédaction des essais littéraires en anglais montre que l’apprentissage collaboratif améliore à la fois les compétences individuelles et la qualité des interactions dans le groupe. Chaque participant à la rédaction en groupe est tenu de proposer des idées, de les commenter et de les transformer en phrases, en espérant qu’elles feront partie de l’essai. Mais en même temps, il reste à l’écoute des arguments des autres participants. En ce sens, l’apprentissage collaboratif améliore à la fois le talent oratoire et les compétences en rédaction. La plus grande réserve émise par les étudiants est que cette méthode prend du temps et demande de la patience car les membres du groupe n’avancent pas au même rythme. En outre, il arrive que les discussions se bloquent car chacun veut faire prévaloir son point de vue, ce qui peut aboutir à des conflits paralysants. La recherche de Mukama (2010) sur l’apprentissage collaboratif dans l’usage des nouvelles technologies de l’information dans l’enseignement montre que les groupes de pairs fonctionnant très bien sont ceux où une aide mutuelle est apportée à ceux qui n’ont pas bien maîtrisé la manipulation de l’outil informatique pendant l’exposé de l’enseignant en classe à prolonger leur réflexion et à pousser les recherches plus loin sur internet, pour trouver de nouvelles solutions aux problèmes non encore résolus. Malgré le mérite du modèle, les deux chercheurs suggèrent que l’enseignant doit se montrer prompt à apporter le recadrage nécessaire ou à aider à débloquer des situations de conflit ou d’incompréhension des consignes, qui empêchent le groupe d’avancer.

11Il nous semble qu’à l’école primaire et secondaire, l’adoption du modèle collaboratif dépend en grande partie du type d’école. Le système éducatif rwandais comporte trois grandes catégories d’établissements. La première inclut les écoles dites « d’élite » qui sont, pour la plupart, fréquentées par des élèves venant de familles riches ou d’une classe moyenne au niveau d’éducation élevé. Ces écoles offrent une éducation d’excellente qualité. La recherche de l’excellence et la compétition font partie de leur culture et la majorité des élèves qui les fréquentent le supportent bien, car cela ouvre à une grande partie d’entre eux les portes des meilleures filières à l’université. La deuxième catégorie est constituée d’écoles que l’on peut qualifier d’intermédiaires. Elles offrent une éducation d’assez bonne qualité, car une partie des élèves qui les fréquentent vont aussi jusqu’à l’université. Elles accueillent le plus souvent des élèves n’ayant pas trouvé de place dans les écoles d’élite, en raison des critères de sélection ou du coût financier élevé. La troisième catégorie est constituée d’écoles dites d’« éducation de base pour tous », dont l’accès est souvent gratuit et les critères d’accès moins contraignants. Ces écoles ont souvent des effectifs pléthoriques et démotivés, dont une proportion importante avance d’une classe à l’autre et d’un niveau à l’autre, sans avoir nécessairement acquis les compétences de base nécessaires pour la suite du programme.

12Ces différentes catégories d’écoles se positionnent différemment vis-à-vis de l’apprentissage collaboratif. L’ouverture sur le monde observée surtout dans les écoles d’élite fait qu’elles adoptent plus facilement de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner qui ont fait leurs preuves ailleurs. C’est dans ce réseau que l’on rencontre les initiatives les plus abouties s’inspirant des principes de l’apprentissage collaboratif. Dans des écoles d’élite, comme la Gashora Girls Academic, qui figure parmi les meilleures écoles du pays, nous avons observé que les élèves sont souvent invitées à développer des projets communs tels que de petites unités de production utilisant les moyens de l’école dans le cadre du cours d’entreprenariat ou des rédactions d’essais de groupe sur des questions de sociétés, pour développer leur capacité de réflexion et leur pensée critique. Mais en observant les groupes d’élèves au travail, on note que l’esprit de compétition y est omniprésent. Au lieu de s’écouter, de se soutenir mutuellement et de construire une intelligibilité partagée, certaines élèves entrent en rivalité, chacune voulant faire passer son idée. Et lorsque vient le temps de présenter les résultats du projet commun, elles cherchent à montrer aux enseignants que leur contribution a été déterminante ou tout au moins significative et valorisent rarement la contribution d’autrui. Les enseignants utilisant le modèle collaboratif pourraient partir des carences de ce genre d’expériences pour faire prendre conscience aux élèves des limites de la rivalité et de la performance individuelle et les pousser progressivement à développer des compétences sociales de collaboration, de coopération et de soutien mutuel pour la réussite de projets complexes.

13Dans la deuxième catégorie d’écoles qualifiées d’intermédiaires, l’apprentissage collaboratif se limite le plus souvent aux travaux de groupe, où les enseignants définissent souvent les questions auxquelles les élèves vont répondre, la méthode à suivre et les autres éléments du dispositif qui guideront le travail des élèves. Bien que ce genre d’exercices ne reflète pas l’apprentissage collaboratif à proprement parler, ils constituent autant d’ouvertures pouvant faciliter le développement de l’approche dans ce genre d’établissements. Ici, les enseignants gagneraient à définir clairement les résultats attendus du travail en commun et à laisser les élèves définir eux-mêmes la manière d’y parvenir.

14L’apprentissage collaboratif est quasi inexistant dans la troisième catégorie, celle des écoles dites d’« éducation de base pour tous ». Les enseignants qui travaillent dans ce réseau sont souvent pessimistes à l’idée de laisser des élèves qui affichent clairement leur démotivation travailler de manière autonome, sans supervision et sans consignes claires. Pourtant, on remarque qu’une fois qu’ils ont quitté l’école pour rentrer à la maison, ces élèves qui sont souvent démotivés en classe laissent éclater leur joie de se retrouver sans la surveillance des enseignants et commencent presque aussitôt à former des groupes informels de discussion et à débattre de sujets qui les intéressent. Comme ces enfants passent ensemble une grande partie de leur temps libre après l’école, ils ont l’occasion d’expérimenter et de s’enseigner mutuellement. Certains s’engagent même dans de véritables projets partagés, comme l’organisation d’équipes de quartier, le petit commerce, etc. Tous ces éléments montrent que leur potentiel de collaboration est intact, mais reste non valorisé par les systèmes éducatifs formels. De notre point de vue, continuer à baser l’apprentissage sur l’idée de dépasser les autres dans un réseau accueillant des élèves que le système a convaincus qu’ils sont les moins performants est préjudiciable à leur épanouissement et à leur développement !

Quelques précautions à prendre en contexte africain

15Il convient de noter que toutes les initiatives se réclamant de l’apprentissage collaboratif n’adhèrent pas nécessairement à ses principes de base. En effet, il ne suffit pas de mettre les élèves ensemble et de leur demander de trouver une solution à un problème pour espérer avoir pratiqué l’apprentissage collaboratif. Il a été observé que même lorsque l’enseignant divise les élèves en groupes et leur demande de collaborer, le travail de certains groupes continue à être animé d’un esprit de compétition et de rivalité. Ce constat a poussé certaines organisations éducatives, dont la plateforme éducative ERIC, à définir un ensemble de critères permettant d’identifier un apprentissage collaboratif digne de ce nom. Ses experts suggèrent notamment que l’enseignant doit d’abord définir clairement et en accord avec ses élèves les objectifs et les effets attendus de la collaboration. De plus, il doit s’assurer que les apprenants adhèrent à tous à ces objectifs et perçoivent clairement la plus-value du partage par rapport au travail isolé. C’est à cette dernière condition que chaque apprenant acceptera de fournir volontairement les efforts attendus de lui pour atteindre un objectif partagé. D’autres organisations, comme le Washington Center for Improving the Quality of Undergraduate Education, suggèrent qu’en répartissant les élèves dans différents groupes de travail, l’enseignant doit veiller à minimiser les différences intergroupes afin que, quelle que soit son équipe, l’élève ne se sente pas lésé et perçoive qu’il a des chances égales d’apprendre.

16En bref, un enseignant souhaitant mettre en œuvre un réel apprentissage collaboratif devrait s’employer à faire des groupes d’élèves habituels de véritables équipes travaillant en collaboration (Oakley et al., 2004). En nous inspirant de la définition du concept de coopération par Deutsch (1949), nous dirons qu’une véritable équipe d’élèves apprenant ensemble remplit trois conditions essentielles :

  • ils se perçoivent comme poursuivant un même objectif qui est utile à tous et à chacun d’entre eux ;

  • ils se sentent motivés pour atteindre ensemble cet objectif partagé ;

  • chacun fournit volontairement les efforts attendus de lui pour y parvenir.

17Mais comme une grande partie des enseignants n’ont pas été formés au modèle collaboratif de l’apprentissage, le nombre de ceux qui y recourent « naturellement » et surtout croient en ses potentialités reste encore marginal. Sa mise en route nécessite donc un changement de paradigme. La formation de base et de professionnalisation au métier d’enseignant devrait valoriser davantage les compétences sociales de coopération, d’entraide et de soutien mutuel entre les élèves de même qu’entre les élèves et les enseignants. En outre, son institutionnalisation nécessiterait des efforts conjoints des concepteurs des politiques d’éducation et des curriculums, des inspecteurs, des directeurs d’école et des enseignants. Nous pensons que si les réticences de ces experts sont surmontées et que ce modèle reçoit leur soutien, l’apprentissage collaboratif s’adaptera mieux en contexte africain où beaucoup d’enfants, en particulier ceux issus de milieux sociaux défavorisés qui fréquentent le réseau d’éducation de base pour tous, partagent encore des sphères importantes de vie sociale qui sont autant d’opportunités pouvant faciliter l’ancrage de la nouvelle approche à l’école.

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18Dans cet article, nous avons tenté de montrer que l’enseignement simultané animé par l’esprit de compétition incite chaque apprenant pris isolement à chercher à atteindre seul, et pour son propre compte, un objectif qu’il sait être poursuivi par les autres élèves. L’effet pervers le plus destructeur d’un tel système est qu’il motive les élèves à surpasser les autres plutôt qu’à savourer réellement le plaisir d’apprendre et de partager avec les autres élèves les nouvelles connaissances acquises. D’où les rivalités fréquentes, le désir de dominer et de triompher sur les autres que l’on observe fréquemment dans des situations de classe. En effet, les élèves habitués à la compétition pour les meilleures notes sont moins enclins à l’écoute active des arguments proposés par les pairs dans les travaux en groupe et encore moins à leur valorisation une fois que le problème sur lequel ils travaillaient est résolu. Par suite, beaucoup d’entre eux entrent dans la vie professionnelle avec un esprit borné qui les pousse souvent à travailler isolément ou à se focaliser uniquement sur ce que leur demande la hiérarchie. Selon nous, le modèle classique prive les apprenants de l’opportunité de développer des compétences de collaboration, de coopération, d’entraide et de soutien mutuel qui leur seraient pourtant très utiles dans la vie adulte. Ce type d’apprentissage est en phase avec la nature de l’enfant en situation d’apprentissage, car il lui permet d’exploiter de nouvelles choses, de les expérimenter et surtout de partager ses acquis avec les pairs, comme les font encore les enfants issus des communautés qui ont réussi à conserver leur mode d’éducation traditionnelle. Nous pensons que le modèle collaboratif d’apprentissage est plus en phase avec la culture humaine et s’avère plus universel. Ce que nous avons été reste conservé par ces sociétés qualifiées de « primitives », qui ont pourtant réussi à conserver un patrimoine éducatif partagé.

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Bibliographie

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SMITH B. L. et MACGREGOR J. T. (1992). What Is Collaborative Learning? Washington : Washington Center for Improving the Quality of Undergraduate Education.

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Notes

1 Voir M. Kamuzinzi, « De la “communauté classe” aux systèmes “globalisés” : l’évolution des systèmes éducatifs africains », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 79, 2018, p. 79-87. En ligne : doi.org/10.4000/ries.7061 (NdlR).

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Pour citer cet article

Référence papier

Masengesho Kamuzinzi, « L’apprentissage collaboratif en Afrique : le cas du Rwanda »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 90 | 2022, 107-115.

Référence électronique

Masengesho Kamuzinzi, « L’apprentissage collaboratif en Afrique : le cas du Rwanda »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 90 | septembre 2022, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 22 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ries/12924 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.12924

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Auteur

Masengesho Kamuzinzi

Masengesho Kamuzinzi est docteur de l’Université catholique de Louvain (Belgique) et professeur des universités, université du Rwanda (département de gouvernance et d’administration publique). Il coordonne les enseignements des cours de politiques publiques, théories des organisations et méthodologie de recherche en sciences sociales. Sur le plan de la recherche, il s’intéresse actuellement aux modèles de mise en œuvre des politiques publiques produits en contexte africain et à la contextualisation en Afrique des modèles développés en Occident. Courriel : kamuzinzi[at]yahoo.fr

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