2Institutionnaliser une culture collaborative de l’enseignement et de l’apprentissage est essentiel à la réussite scolaire des élèves (Ronfeldt et al., 2015). Dever et Lash (2013) ont comparé les coopérations interdisciplinaires et par matière dans des établissements secondaires américains ; ils ont constaté que le premier type de coopération n’engendrait ni création ni partage de dispositions spécifiques sur les cours, et consistait en des échanges sur les comportements sociaux des élèves plutôt que sur leurs apprentissages. Les coopérations spécifiques à une matière, en revanche, permettent d’élaborer des projets communs et de s’entraider afin d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage dans une matière. On observe des tendances similaires dans les écoles suédoises, où la collégialité concerne principalement la vie sociale des élèves à l’école et non l’amélioration de leur apprentissage par l’enseignement. Face à l’importance de mettre en place une culture collaborative à l’école pour favoriser l’enseignement et l’apprentissage, ces différentes tendances collaboratives permettent de nuancer la réalité de la PPC dans les écoles. Cependant, les recherches sur la PPC et ses conditions restent rares. L’objectif de cet article est de partager certaines de nos conclusions, issues de deux études portant sur la PPC et ses conditions de mise en œuvre dans le contexte suédois.

Matériaux et méthode

4Les deux enquêtes menées dans le cadre de la première étude ont porté sur des établissements de l’enseignement obligatoire et de l’enseignement secondaire. Elles se sont fondées sur un échantillon stratifié, au sein duquel 2 285 enseignants (46 % de l’échantillon) ont répondu à l’enquête auprès des enseignants et 2 094 chefs d’établissement (52,5 % de l’échantillon) ont répondu à celle auprès des chefs d’établissement. Les deux enquêtes comprenaient des éléments pertinents pour analyser les conditions de mise en œuvre de la PP et de la PPC par les enseignants. Dans cet article, nous présentons les résultats de la comparaison des perceptions des enseignants et des chefs d’établissement sur les éléments suivants :

• le principe organisateur de base des coopérations entre enseignants ;

• le temps disponible pour la PP ;

• le temps prévu pour la PPC ;

• l’utilisation de modèles fondés sur la recherche pour développer l’enseignement et l’apprentissage.

5Outre la comparaison des éléments communs aux deux enquêtes, nous procéderons également à des comparaisons au sein de l’enquête auprès des enseignants. Dans cette enquête, nous avons élaboré un indicateur composite pour mesurer différents aspects de la PPC afin de comparer les enseignants ayant déclaré disposer de plus de temps pour la PPC avec ceux ayant indiqué disposer de moins de temps ou d’un temps modéré s’agissant de différents aspects de la PCC. Les aspects suivants seront abordés :

• soutien organisationnel et pédagogique ;

• temps disponible pour la PP ;

• temps disponible pour la réflexion sur la PP ;

• utilisation de modèles fondés sur la recherche pour développer l’enseignement et l’apprentissage ;

• analyse des résultats des élèves pour développer les tâches et les exercices d’enseignement.

7Les mathématiques, en tant que discipline, sont organisées selon ce que Young et Muller (2016) décrivent comme une structure de savoir hiérarchique, dans laquelle le savoir se fonde sur des systèmes cohérents de concepts mathématiques interconnectés, tandis que l’histoire est organisée selon une structure de savoir horizontale, au sein de laquelle il est possible d’adopter des perspectives et des opinions différentes au cours du processus d’acquisition des connaissances. Maton (2014) ajoute un niveau supplémentaire, en affirmant qu’il existe également une structure de « détenteurs de savoir » (knowers), qui décrit les relations sociales entre les membres d’une discipline. Si l’histoire, en tant que discipline, se caractérise par une structure de savoir horizontale, sa structure de détenteurs de savoir est plus hiérarchique, ses membres partageant un même « regard cultivé » (cultivated gaze). En histoire, en effet, il est important d’intérioriser une certaine manière d’être, d’être « cultivé » au sens de la discipline. En mathématiques, la structure de détenteurs de savoir est horizontale, favorisant un regard technique ou « formé ». L’accent est mis sur la façon de créer des connaissances fiables, valides et reproductibles, par la maîtrise de différents outils techniques. Notre modèle de recherche nous a permis d’explorer de quelles façons ces différentes structures sont susceptibles d’influer la PPC en mathématiques et en histoire. Avant d’aborder nos résultats sur ce thème, commençons par examiner ce que l’on observe lorsqu’on compare les perceptions des enseignants et des chefs d’établissement sur les conditions de la PP et de la PPC dans les deux enquêtes.

Résultats

8Les résultats de nos enquêtes ont montré que les enseignants et les chefs d’établissement s’accordaient sur le principe organisateur de base de la coopération enseignante. Les enseignants des différentes matières s’organisent en fonction de la classe d’âge des élèves dans l’enseignement obligatoire et des programmes dans les établissements du secondaire supérieur. Seuls 7 % des enseignants et 6 % des chefs d’établissement considéraient que le principe organisateur de base était la coopération entre enseignants d’une même matière. Lorsqu’on leur demande si le temps alloué à la PP est suffisant, les enseignants et les chefs d’établissement n’ont pas le même avis. Tandis que 25 % des enseignants ont indiqué disposer de suffisamment de temps, 80 % des chefs d’établissement ont déclaré que les enseignants disposaient d’assez de temps. La même tendance s’observe lorsqu’on compare leurs réponses à la question de savoir s’il existe un temps de PPC programmé chaque semaine dans leur établissement : 80 % des chefs d’établissement affirment que c’est le cas, contre seulement un tiers des enseignants. Par ailleurs, des études ont montré qu’utiliser des modèles fondés sur la recherche peut apporter une valeur ajoutée aux efforts déployés pour mettre en œuvre efficacement la PP afin de favoriser l’enseignement et l’apprentissage (Hattie et Zierer, 2018). Nous avons donc demandé si ce type de modèles était utilisé pour développer l’enseignement. Dans l’enquête auprès des chefs d’établissement, plus de la moitié des répondants (51 %) ont indiqué que les enseignants utilisaient « souvent » ou « très souvent » ce type de modèles – ce qui s’accorde assez mal avec les réponses données par les enseignants. Plus de sept enseignants sur dix (71 %) ont déclaré ne « jamais » utiliser de tels modèles ou seulement « quelques fois au cours du semestre ». En somme, et d’après les données issues de nos enquêtes, certains aspects cruciaux de la PP, de la PPC ou de leurs conditions de mise en œuvre étaient considérés très différemment par les enseignants et par les chefs d’établissement suédois.

9Si l’on s’intéresse maintenant à l’indicateur composite du temps relatif consacré à la PPC dans l’enquête auprès des enseignants, on observe également des résultats intéressants, qui peuvent venir compléter le tableau brossé ci-dessus. Les enseignants ayant le sentiment de disposer d’un temps de PPC plus important – de manière significative – estiment également recevoir plus de soutien organisationnel et pédagogique de la part de la direction de l’établissement que ceux des groupes ayant le sentiment de ne disposer que d’un temps de PPC modéré ou faible. La même tendance cohérente s’observe s’agissant du temps de réflexion consacré à l’enseignement et à l’apprentissage lors de la PP. Ainsi, près de 64 % des enseignants estimant disposer de plus de temps de PPC ont indiqué pouvoir réfléchir aux méthodes adaptées à l’atteinte des objectifs des cours « quelques fois » ou « plusieurs fois par semaine », contre 42,5 % dans le groupe estimant disposer d’un temps de PPC modéré et 32,1 % dans le groupe déclarant disposer de moins de temps. Ces différences sont significatives. Des écarts similaires sont observables, s’agissant du recours à des modèles fondés sur la recherche ou à l’analyse des résultats des élèves pour développer l’enseignement et l’apprentissage, mais à partir d’un niveau de référence plus bas. S’agissant de l’utilisation de modèles, seuls 16 % des enseignants du groupe estimant disposer de plus de temps de PPC y ont recours « quelques fois » ou « plusieurs fois par semaine » ; ce chiffre chute à 6,5 % dans le groupe des enseignants estimant disposer d’un temps modéré et à 4,9 % dans le groupe estimant disposer de moins de temps. La même tendance s’observe pour ce qui est de l’analyse des résultats des élèves, mais à partir d’un niveau encore plus bas (6,7 % contre 2,1 et 1,3 %). Considérés dans leur ensemble, ces résultats indiquent que s’engager dans différents aspects cruciaux de la PPC pour élaborer les plans d’enseignement et d’apprentissage mais aussi les mesures de soutien aux résultats des élèves semble avoir des retombées positives.

10Les résultats présentés ci-dessus montrent que, même s’ils étaient d’accord sur ce qui constitue le principe organisateur de base de la coopération entre enseignants à l’école (à savoir, au sein des différentes matières), cela ne signifie pas que les enseignants et les chefs d’établissement s’accordent sur les conditions de mise en œuvre de la PP ou sur les conditions de la coopération en matière de PP. Au contraire, ils ont des points de vue très différents sur les aspects liés à la vie interne des établissements, et leurs avis diffèrent considérablement s’agissant des modèles pédagogiques et didactiques à utiliser pour les activités de PP. Dès lors, si l’on constitue un cas d’étude dans lequel les enseignants d’une même matière disposent d’un temps récurrent et programmé pour la PPC, comment vont-ils l’occuper ? Quelles conclusions pourront être tirées de l’analyse des différentes façons d’organiser et de soutenir la PPC dans les établissements ? Nous nous intéresserons maintenant aux résultats de notre étude portant sur les activités de PPC au sein des équipes de mathématiques et d’histoire d’un établissement secondaire supérieur en Suède, en commençant par présenter les résultats sur la base du modèle de Tyler modifié.

Comparer la PPC dans les équipes d’histoire et de mathématiques dans un établissement secondaire supérieur

11Dans ce cas d’étude, les équipes enseignantes de mathématiques et d’histoire de l’établissement ont bénéficié d’un temps programmé, chaque semaine, pour planifier et préparer collectivement les cours. Les résultats présentés ci-dessous sont basés sur quinze réunions de l’équipe d’histoire et neuf réunions de l’équipe de mathématiques ayant eu lieu à l’automne 2019. En utilisant le modèle de Tyler pour coder différents thèmes de PP, nous avons pu observer des différences et des similitudes, s’agissant de l’orientation thématique des travaux. Tandis que, dans l’équipe d’histoire, le temps de PP était axé en priorité sur ce qu’il faut enseigner, en termes d’objectifs généraux et spécifiques (52 % du temps), presque aucune discussion n’a eu lieu à ce sujet dans l’équipe de mathématiques (5 % du temps). Cette dernière s’intéresse en revanche beaucoup plus aux aspects formatifs de l’enseignement (28 % du temps), contrairement aux enseignants d’histoire qui n’ont évoqué ces aspects que pour 3 % du temps. Le temps consacré au choix des activités (14 % du temps en histoire et13 % en mathématiques) et à leur séquençage (6 % du temps en histoire, 7 % en mathématiques) était du même ordre dans les deux groupes. Nous aborderons plus loin les différences que l’on peut induire entre ces deux groupes, en lien avec les différentes structures de savoir et de détenteurs de savoir de ces matières, qui pourraient selon nous en être à l’origine. Nous nous intéresserons en particulier aux différences ayant trait à la définition des objectifs généraux et spécifiques et au travail sur les évaluations formatives.

12Ainsi, l’un des thèmes d’enseignement programmé par les enseignants d’histoire, « Le temps des révolutions » (abordant les révolutions industrielle, américaine et française), a donné lieu à d’intenses débats au sein de l’équipe afin de déterminer pourquoi les révolutions devaient être enseignées et ce qui devait être enseigné plus spécifiquement. La structure de savoir horizontale de l’histoire en tant que discipline, où différentes possibilités sont proposées pour expliquer cette époque, était perceptible dans les discussions entre les enseignants. Sur quelle révolution mettre l’accent, et pourquoi ? L’enseignant d’histoire A (EHA) a lancé le débat suivant lors de la discussion, illustrant le dilemme didactique à l’œuvre, qui a rapidement été repris par les enseignants B (EHB) et C (EHC) :

EHA : Il y a là une caractéristique importante, la pensée des Lumières, ces philosophes, c’est un fondement important. En même temps, j’ai écrit ceci, il est au moins aussi important de connaître le contexte et les conditions s’agissant de la Grande-Bretagne ; il existait une réserve de main-d’œuvre, de nouveaux désirs et besoins, l’envie de tester et de développer de nouvelles choses, et de voir ce que cela pourrait apporter en termes de nouveaux capitaux… que disait Weber à ce sujet ?
EHB : L’éthique protestante.
EHA : Oui, et luthérienne…
EHC : Leur éthique du travail… Mais pour en revenir à… Vraiment, tout cela est très intéressant, mais je n’irais probablement pas jusque-là.

13Si les objectifs et les contenus ne manquent pas pour aborder le thème de la révolution, comme l’illustre cette séquence de conversation de PP, il n’existe que peu de principes pour s’accorder plus étroitement sur ce qu’il faut enseigner. L’enseignant d’histoire A propose les Lumières comme sous-thème, mais considère la révolution industrielle, née en Grande-Bretagne et associée à l’éthique protestante du travail, comme tout aussi importante, tandis que l’enseignant d’histoire C n’envisage pas d’aller dans cette voie, compte tenu de ses propres idées sur les objectifs généraux du thème et sur la manière de les décliner dans des sous-thèmes liés aux révolutions. À travers ces désaccords et ces considérations indécises, on peut déduire une certaine structure de savoir de l’histoire en tant que discipline : il s’agit d’une structure horizontale, où différentes explications peuvent rendre compte, par exemple, des révolutions américaine et française. Ainsi, des conversations complexes ont lieu lors de la planification des thèmes d’enseignement, car celle-ci repose sur des questions complexes liées à la structure de savoir de la discipline. De telles conversations sur les objectifs généraux et spécifiques de ce qu’il convient d’enseigner n’ont pas eu lieu dans le groupe d’enseignants de mathématiques, suggérant une relation différente à la discipline des mathématiques, se fondant sur une structure de savoir différente, de type hiérarchique – comme l’illustre cette conversation entre les enseignants de maths A (EMA), B (EMB) et C (EMC) :

EMA : Est-ce que ça relève des maths 2 ? Les tirages et ce genre de choses ?
EMB : Non, il s’agit de distributions normales, etc.
EMC : Hum…
EMA : Il s’agit de statistiques, pas de probabilité…
EMB : Je pense qu’il s’agit plutôt de comprendre de ce que signifie mener une enquête, les sources d’erreurs, et tout ça…
EMA : Et la variance.
EMC : Hum…
EMB : D’accord, on va vérifier, je dois confondre un peu les maths 2 et 3.

14Bien qu’il y ait des désaccords sur ce qu’il faut enseigner, ces désaccords concernent le cours dont il est question, plutôt que les contenus que les élèves sont censés apprendre. « Est-ce le contenu des maths 2 ou 3 ? » Une fois la question tranchée, ce qui ne semble pas avoir été difficile, l’accord sur le contenu émerge naturellement. S’il s’agit bien des maths 2, aucune discussion supplémentaire n’est nécessaire, contrairement aux négociations à l’œuvre dans l’équipe d’histoire concernant le temps des révolutions. La nécessité d’apprendre les probabilités ou les sources d’erreur en tant qu’objectif d’apprentissage est un fait acquis, qui n’a pas besoin d’être discuté. Ces objectifs d’apprentissage sont fermement ancrés dans la structure hiérarchique de savoir des mathématiques en tant que discipline, ce qui est perceptible dans les conversations entre les enseignants – ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas affaire à un savoir de type complexe, à la fois complexe à enseigner et à acquérir.

15Ce que nous avons constaté, grâce à notre étude basée sur le modèle de Tyler, c’est que les différences observées lors des échanges pour la planification des objectifs généraux et spécifiques de l’enseignement des révolutions dans le groupe d’histoire et des probabilités et des statistiques dans le groupe de mathématiques pouvaient s’expliquer par les différentes structures de savoir de leurs disciplines-mères. Dans une structure de savoir horizontale, il n’existe pas de principe organisateur propre à la discipline pour guider le choix des révolutions à enseigner pour traiter le thème en question, ni pour définir les objectifs d’apprentissage des élèves. Ces choix doivent être discutés en profondeur avant d’être approuvés. Du fait de la structure de savoir hiérarchique des mathématiques, aucune discussion supplémentaire n’a été nécessaire pour identifier le plan d’action commun pour la PPC dans le groupe de mathématiques. La question était réglée par avance par la nature de la discipline sur laquelle reposent les mathématiques en tant que matière scolaire. Cependant, le groupe de mathématiques a eu des discussions beaucoup plus poussées que celui d’histoire s’agissant des évaluations formatives, suggérant une différence dans les structures de détenteurs de savoir.

16En histoire, en effet, les échanges ont laissé entrevoir une structure de détenteurs de savoir hiérarchique. Les enseignants semblaient s’accorder sur ce que signifie adopter un regard historique : les élèves doivent comprendre les causes des événements historiques d’une certaine manière, afin d’en saisir la complexité. Dans l’équipe de mathématiques, lors de la discussion sur les évaluations formatives, un enseignant a proposé un nouveau modèle, intitulé same surface different depth (SSDD), afin d’enseigner aux élèves la résolution de problèmes en mathématiques. Au lieu d’utiliser le même outil mathématique pour résoudre toutes les tâches d’une unité, on se concentre sur un petit nombre de tâches (same surface) en utilisant différents outils mathématiques pour les résoudre (different depth). L’enseignant A (EMA) a présenté ce modèle en détail :

EMA : Sous chaque carré, ici, on a quatre domaines mathématiques différents, et l’idée c’est de travailler avec ça en début de cours. On salue les élèves, on les accueille et ensuite on projette ça au tableau – évidemment, il faut créer une habitude pour que les élèvent travaillent avec le modèle SSDD. Si vous le souhaitez, vous pouvez distribuer la même chose sur papier. Ensuite, ils travaillent individuellement ou par deux, ou comme vous voulez, à ces tâches pendant environ cinq minutes, en fonction du degré de difficulté de la tâche. […] Habituellement, ce que je fais, c’est guider les élèves pour chaque tâche. Mais selon Craig Barton (le fondateur du modèle SSDD), c’est une perte de temps car de nombreux élèves vont résoudre leurs difficultés par eux-mêmes et il y a des moyens plus efficaces de travailler sur cette base. Donc, quand les cinq minutes se sont écoulées, on montre les solutions aux élèves et on leur dit de comparer leurs réponses aux résultats ; si elles sont fausses, ils doivent réfléchir aux raisons de leurs erreurs.

17Cette explication illustre la structure horizontale des détenteurs de savoir dans le groupe de mathématiques : des postures différentes sont adoptées pour enseigner la résolution de problèmes mais aussi s’agissant de la manière d’enseigner et d’apprendre. Dans le groupe d’histoire, en revanche, un accord préalable semblait exister sur le fait que, pour comprendre les événements historiques, il est nécessaire de disposer d’un certain regard cultivé – afin d’aborder l’histoire en tant qu’historien instruit. Les différences en termes d’orientation du travail collaboratif et de temps relatif consacré aux différents aspects de la PCC selon le modèle de Tyler – les différences dans la façon d’aborder les objectifs et les évaluations formatives notamment – peuvent s’expliquer par les différentes structures de savoir et de détenteurs de savoir des disciplines dont relèvent l’histoire et les mathématiques en tant que matières scolaires. En nous appuyant également sur les résultats des enquêtes mentionnées précédemment, nous terminerons cet article par une discussion des conditions de soutien à la PPC en présentant certaines caractéristiques clés de ce que nous appelons le développement scolaire axé sur la didactique des matières.

Discussion

18Dans les études sur le développement scolaire, l’accent est souvent mis sur l’identification de problèmes dont il est possible de tirer des enseignements pour les établissements scolaires. En abordant le développement scolaire à partir de l’idée que l’enseignement et l’apprentissage pendant les cours, ainsi que la planification et l’évaluation de ces derniers, sont complexes par défaut, les problèmes ne sont qu’un élément de cette complexité, tout comme l’identification des moyens efficaces pour les résoudre. Le besoin de coopération entre enseignants existe dans les deux cas, pas seulement dans le premier. Peut-être, si la coopération était construite à partir d’une approche de la complexité, pourrait-elle reposer sur une base plus solide et plus pérenne que dans l’approche consistant à recourir à la coopération uniquement lorsque des problèmes surviennent. Nous aimerions également souligner qu’il serait constructif de se concentrer davantage sur les coopérations collégiales pour faire de nouvelles choses plutôt que pour apprendre de nouvelles choses. Dans la littérature scientifique, la notion d’« apprentissage collégial » (Timperley et al., 2009) est couramment invoquée et devient parfois une fin en soi, au risque de laisser de côté les chances de succès des élèves. Certes, les enseignants et les chefs d’établissement peuvent apprendre des choses intéressantes sur les problèmes qui se posent dans les écoles, mais la façon dont ces problèmes affectent véritablement l’apprentissage des élèves et leurs résultats scolaires n’est pas toujours prise en compte. Dans notre approche, un apprentissage entre pairs a également lieu, mais en tant que produit dérivé de la planification et de la préparation collégiale des cours visant à déterminer la façon d’enseigner aux élèves les connaissances complexes qu’ils doivent acquérir pour faire face à un monde complexe – à faire donc. Puisque les cours, la plupart du temps monodisciplinaires, plus rarement interdisciplinaires, s’appuient sur la connaissance spécialisée de matières scolaires, la PPC a tout intérêt à être soutenue de la sorte. Nous avons induit des différences structurelles entre ces savoirs spécialisés grâce à notre analyse comparée de la PCC dans les équipes d’histoire et de mathématiques, suggérant que l’organisation des connaissances à l’école n’est pas arbitraire. Elle repose sur des manières systématiques et critiques de s’interroger sur la façon dont le monde est constitué, les raisons qui l’expliquent et les conséquences que cette connaissance peut avoir. Dans ce cadre, une approche en termes de développement scolaire axé sur la didactique des matières pourrait représenter un complément utile pour aborder les objectifs du développement scolaire sur des bases plus génériques.

19En Suède, nos enquêtes ont montré que la coopération entre enseignants dans les établissements s’organise habituellement au sein des différentes matières, dans une perspective centrée sur l’élève, mais il semble également courant de porter l’attention sur des caractéristiques communes de type plus conditionnel, en s’éloignant de l’activité d’enseignement et d’apprentissage principale. C’est sans doute pour cela que les perceptions des enseignants et des chefs d’établissements sur les conditions de la PP et de la PPC diffèrent de manière si frappante dans nos données. Lorsque les enseignants abordent la PP, ils réfléchissent à ce que signifie prendre en charge la question complexe de l’enseignement des élèves pour que ceux-ci réussissent dans leurs matières. Les chefs d’établissement, quant à eux, abordent le « même » objet depuis une position différente, en engageant des coopérations autour des caractéristiques génériques du développement scolaire. Notre approche du développement scolaire axée sur la didactique des matières est également un appel à accorder davantage de temps et de place aux coopérations au sein des équipes disciplinaires. Nous pensons que cette approche pourrait donner une chance au travail collaboratif des différentes équipes disciplinaires de véritablement planifier et évaluer l’entreprise complexe qui consiste à enseigner aux élèves afin qu’ils réussissent à l’école. Par cette approche, il serait également possible de se concentrer davantage sur la complexité, plutôt que sur des problèmes généraux, et sur les actions des enseignants, en tant que fin, plutôt que sur leurs apprentissages. Finalement, dans la perspective des prochaines générations d’enseignants, cette approche pourrait également concourir à la formation des élèves enseignants en accordant une place plus grande à l’enseignement de la PPC et ses conditions de mise en œuvre, mais aussi par la pratique de la PPC en contexte didactique dans le cadre de leurs activités d’apprentissage.