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Actualité internationale
Le point sur l’actualité internationale en éducation

Efficacité et enjeux de la réforme de la gratuité de l’enseignement primaire en République démocratique du Congo

Jonathan Enguta Mwenzi et Reagan Ngonzo Kitumba
p. 19-23

Texte intégral

1La République démocratique du Congo (RDC) s’est engagée, depuis 2019, à rendre effective la gratuité de l’enseignement primaire sur toute l’étendue du territoire national. Cette réforme trouve son fondement dans l’article 43 de la Constitution de 2006, qui impose à l’État de prendre en charge les frais de scolarité de l’éducation de base dans les établissements publics. Ces frais ont été initialement introduits dans les années 1980 pour couvrir les salaires des enseignants et les coûts de fonctionnement des écoles, à la suite d’une réduction drastique du financement public de l’éducation et de grèves successives des enseignants.

2Ainsi, cette prise en charge par l’État a donné lieu à la suppression de la prime de motivation payée par les parents pour permettre aux écoles de bien fonctionner. Cette réforme n’est pas sans conséquence sur le système éducatif congolais.

Efficacité quantitative de la réforme de la gratuité

3Sous l’angle quantitatif, la réforme de la gratuité semble être efficace, car elle a impacté positivement le taux de scolarisation, en permettant à quatre millions d’enfants de regagner l’école (Enguta, 2020). Selon les statistiques officielles, on est en effet passé de 41 739 à 64 788 écoles publiques, soit une augmentation de 55 %, grâce à cette politique de gratuité. Plusieurs écoles privées ont été fermées en raison du déplacement des enfants vers les écoles publiques et certaines ont signé des conventions avec l’État pour leur transformation en écoles publiques (https://www.eduquepsp.education/​v1).

  • 1  En septembre 2022, le dollar américain était à quasi-parité avec l’euro (NdlR).

4En ce qui concerne l’enveloppe mensuelle des salaires des enseignants, on est passé de 70 154 552 544 francs congolais (équivalent à 35 077 276 dollars1) à 205 740 718 434 francs congolais (102 870 359 dollars), soit 193 % de croissance. Pour les enseignants du niveau primaire, une prime de gratuité a été ajoutée à l’enveloppe salariale. Ils sont ainsi passés de 168 728 francs congolais (84,40 dollars) à 411 577 francs congolais (205,80 dollars).

  • 2  Les écoles de prestige sont des écoles officielles ou conventionnées de grande renommée ou de réfé (...)

5Les efforts ont été fournis aussi au niveau des frais de fonctionnement mensuel des écoles publiques, qui sont passés de 45 000 francs congolais (22,50 dollars) à 200 000 francs congolais (100 dollars) pour les écoles d’une à onze classes, de 45 000 à 420 190 francs congolais (210,10 dollars) pour les écoles de douze à dix-huit classes, de 45 000 à 620 190 francs congolais (310 dollars) pour les écoles d’au moins dix-neuf classes et, enfin, de 45 000 à 2 450 000 francs congolais (1 225 dollars) pour les écoles de prestige2.

6Cette réforme a permis aux parents d’économiser au moins 200 dollars par enfant. Ce gain peut être plus important pour les parents qui scolarisent leurs enfants dans les écoles prestigieuses, où les frais scolaires avoisinent 500 dollars.

  • 3  Une Église indépendante africaine chrétienne de type prophétique, fondée en 1921 (NdlR).

7Signalons que le système éducatif congolais regroupe deux types d’écoles, publiques et privées. Dans les écoles publiques, on trouve les écoles officielles et conventionnées. Les écoles officielles sont gérées par l’État, alors que celles qui sont conventionnées sont gérées par les congrégations religieuses signataires d’une convention avec l’État (Église catholique, Église protestante, communauté islamique, Église kimbanguiste3, Communauté armée du salut et communauté La Fraternité) (Enguta, 2020). Les écoles privées ne bénéficient pas de subvention de l’État (frais de fonctionnement) et ne sont pas concernées par la gratuité car toutes les charges financières reviennent aux parents.

Efficacité qualitative de la réforme de la gratuité de l’enseignement primaire

8Sous l’angle qualitatif, la réforme de la gratuité a créé une sursaturation des salles de classe. On dénombre dans la plupart des écoles publiques de Kinshasa, par exemple, plus d’une soixantaine d’élèves par classe, un ratio qui dépasse la norme de l’Unesco de vingt élèves par classe. Avec ce surpeuplement, certains élèves n’ont pas de sièges et sont obligés de s’asseoir par terre. Cette observation a été faite dans la plupart des écoles publiques lors de la première année de la gratuité, car les autorités des écoles étaient obligées d’inscrire les élèves sans tenir compte de leurs capacités d’accueil, en raison des pressions politiques. Les enquêtes de terrain dans les écoles publiques de Kinshasa révèlent que ce surpeuplement des classes affecte en outre la motivation des enseignants, et par ricochet, la qualité de l’enseignement dispensé.

9Du reste, l’évolution de la motivation des enseignants à la suite de la réforme de la gratuité de l’enseignement est très mitigée. Deux profils peuvent être dégagés.

10Le premier est celui des enseignants des écoles périphériques, qui ont vu leur rémunération être sensiblement améliorée. En effet, la prime de motivation que percevaient ces enseignants avant la gratuité n’était pas significative à cause de la paupérisation des milieux d’implantation de ces écoles. Le salaire réajusté après la gratuité est bien meilleur que le salaire et la prime de motivation d’avant la gratuité. Ces enseignants sont très majoritaires dans les écoles de l’intérieur du pays et des communes périphériques de Kinshasa, telles que Kisenso, Kimbanseke, Makala, Selembao…

11Le second profil est celui des enseignants des écoles prestigieuses, dont la plupart sont gérées par les différentes confessions. Dans certaines de ces écoles, la prime de motivation avant la gratuité de l’enseignement avoisinait 500 dollars. Cette prime, couplée au salaire mensuel de 84,40 dollars, permettait à ces enseignants de bien couvrir leurs fins de mois. Le salaire réajusté (205,80 dollars) après la gratuité sans prime de motivation est donc pour eux synonyme d’une perte de pouvoir d’achat. C’est pourquoi il y a eu beaucoup de grèves dans ces écoles, la première année de l’application de la réforme de la gratuité. Il s’agit dans la plupart des cas d’écoles conventionnées catholiques et protestantes ainsi que d’écoles officielles de niveau 1, qui font partie des écoles prestigieuses.

12Les enquêtes de terrain ont pu établir le constat d’un faible engagement au travail des enseignants de ces écoles. Les observations sur le terrain lors de la première année de la gratuité ont aussi fait état d’une réduction des matières enseignées par jour. Au lieu de donner les six leçons prévues, bon nombre d’enseignants de ces écoles se contentaient d’en enseigner trois. C’est dans ce contexte que Mokonzi (2012) attirait déjà l’attention des autorités éducatives sur le fait qu’une application précipitée et non planifiée de la gratuité serait, ni plus ni moins, un ennemi redoutable de la qualité de l’enseignement. Cependant, les statistiques officielles indiquent que les écoles prestigieuses où les effets de la gratuité de l’enseignement semblent être mitigés ne représentent pas plus de 20 % des écoles nationales.

Enjeux de la gratuité de l’enseignement primaire

13La réussite de la réforme de la gratuité de l’enseignement primaire est déterminée par deux enjeux majeurs, qui sont financiers et pédagogiques.

Enjeux financiers

  • 4  Enseignants en fonction depuis plusieurs années mais qui ne perçoivent pas le salaire.
  • 5  Cette situation est due au fait que, depuis plusieurs années, les nouveaux enseignants congolais n (...)

14Plusieurs efforts ont été fournis par le gouvernement en place pour répondre tant soit peu aux contraintes budgétaires liées à la gratuité de l’enseignement primaire. À ce sujet, le budget alloué au secteur de l’éducation est passé de 11,6 % en 2017 à 21,8 % du budget national en 2021. Outre ce budget, la RDC a reçu un financement de 800 millions de dollars en faveur du Projet pour l’équité et le renforcement du système éducatif (PERSE). Le premier enjeu financier de cette réforme se rapporte aussi au paiement des salaires des nouveaux enseignants et des enseignants non payés4. Bien que 69 000 nouveaux enseignants aient pu percevoir leur salaire en juillet 2022, conformément aux accords de Bibwa signés à Mbuela Lodge entre le gouvernement et les syndicats, il reste beaucoup de nouveaux enseignants non éligibles à la paie, et qui sont encore en attente de leur inscription sur la liste de paie5.

15En dépit de tous ces efforts, la rémunération des enseignants congolais demeure précaire et modique, si on la compare à celle des enseignants des pays limitrophes (Gabon : 700 dollars, Congo-Brazza : 400 dollars, Angola : 800 dollars). Elle mérite d’être revalorisée.

16Le second enjeu financier est lié à la revalorisation des frais de fonctionnement des écoles publiques. En effet, bien que ces frais aient été majorés, cela ne permet pas à plusieurs d’entre elles de bien faire face à leurs dépenses quotidiennes. À titre d’exemple, les 100 dollars prévus pour les écoles primaires d’une à onze classes, qui sont majoritaires dans le système éducatif congolais, ne permettent pas à ces écoles de bien prendre en charge toutes leurs dépenses de fonctionnement. Ainsi, il s’avère important de continuer à augmenter la part du budget alloué à l’éducation, afin qu’elle réponde aux aspirations des enseignants.

Enjeux pédagogiques

17La sursaturation des écoles primaires publiques consécutive à la gratuité exige la construction de nouvelles écoles, afin d’adapter l’offre de formation à la demande scolaire. Il est de plus nécessaire de réhabiliter les écoles publiques délabrées et de les équiper en mobilier et manuels scolaires. Les efforts de convention avec les écoles privées pour leur transformation en écoles publiques, déjà fournis, doivent être poursuivis afin de résoudre, dans un laps de temps raisonnable, le problème de l’adéquation entre l’offre et la demande de l’enseignement primaire. Ces efforts doivent être accompagnés d’une mise à niveau des enseignants sur les méthodes d’enseignement de grands groupes et/ou sur la gestion des classes pléthoriques, afin de renforcer leur efficacité au travail.

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18La réforme de la gratuité de l’enseignement primaire en RDC est une réforme à encourager, en raison des facilités qu’elle accorde aux différents acteurs de l’éducation nationale (élèves, parents et État). En ouvrant les portes de l’école à tous les élèves du pays sans discrimination, elle permet à la puissance publique d’éradiquer l’analphabétisme et de contribuer à l’équité dans l’enseignement fondamental. Cependant, sa réussite parfaite exige que l’État alloue un budget conséquent au secteur éducatif et mette en place des mécanismes de renforcement des capacités des enseignants.

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Bibliographie

ENGUTA MWENZI J. (2020). « Le système éducatif de la République démocratique du Congo et ses principaux défis ». Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 88, p. 23-29.

Ministère de l’enseignement primaire, secondaire et technique, RDC. https://www.eduquepsp.education/v1 [consulté le 10 août 2022].

MOKONZI BAMBANOTA G. (2012). Gratuité et qualité de l’enseignement primaire en République démocratique du Congo. En ligne : www.researchgate.net/publication/268149328

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Notes

1  En septembre 2022, le dollar américain était à quasi-parité avec l’euro (NdlR).

2  Les écoles de prestige sont des écoles officielles ou conventionnées de grande renommée ou de référence en matière de qualité de la formation dispensée. Elles réalisent de bonnes performances aux évaluations nationales et occupent les premières positions dans le classement des meilleures écoles du pays.

3  Une Église indépendante africaine chrétienne de type prophétique, fondée en 1921 (NdlR).

4  Enseignants en fonction depuis plusieurs années mais qui ne perçoivent pas le salaire.

5  Cette situation est due au fait que, depuis plusieurs années, les nouveaux enseignants congolais n’étaient pas directement enregistrés sur les listes de paie à cause des difficultés économiques du pays. Par conséquent, le nombre de nouveaux enseignants à payer a augmenté de façon considérable. Pour résoudre ce problème, le service de paie a identifié tous les enseignants non payés en fonction de leur ancienneté. La priorité est, dans ce cas, accordée aux plus anciens enseignants.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jonathan Enguta Mwenzi et Reagan Ngonzo Kitumba, « Efficacité et enjeux de la réforme de la gratuité de l’enseignement primaire en République démocratique du Congo »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 91 | 2022, 19-23.

Référence électronique

Jonathan Enguta Mwenzi et Reagan Ngonzo Kitumba, « Efficacité et enjeux de la réforme de la gratuité de l’enseignement primaire en République démocratique du Congo »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 91 | décembre 2022, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 06 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/13164 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.13164

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Auteurs

Jonathan Enguta Mwenzi

Jonathan Enguta Mwenzi est professeur associé à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Kinshasa, en République démocratique du Congo. Ses recherches et publications portent sur l’évaluation de l’efficacité du système éducatif congolais, la pédagogie universitaire et la psychopédagogie de la créativité. Courriel : psyjonathanenguta[at]gmail.com

Reagan Ngonzo Kitumba

Reagan Ngonzo Kitumba est professeur associé à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Kinshasa, en République démocratique du Congo. Ses recherches portent sur la psychologie scolaire et la problématique de la santé sexuelle chez les élèves. Courriel : kitumbangonzo[at]gmail.com

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Droits d’auteur

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