1Cet article se propose d’apporter des informations synthétiques sur certains des principaux facteurs affectant la réalité éducative au Honduras. L’éducation y traverse une crise structurelle, multidimensionnelle et extrêmement complexe, liée à des facteurs internes au système éducatif ainsi qu’à des facteurs externes, nationaux et internationaux.
- 1 Les données présentées dans cet article proviennent de nombreuses sources : INE (Instituto Naciona (...)
2Située sur deux façades maritimes en Amérique centrale, la République du Honduras partage ses frontières avec le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua. La population compte 9,5 millions d’habitants, dont 56,2 % d’urbains et 43,8 % de ruraux ; 43,5 % de la population ont moins de 20 ans ; 26 % sont âgés de 12 à 30 ans et ne sont ni étudiants ni travailleurs.
- 2 L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités de salaires (de reven (...)
3En matière économique, le pays a enregistré une croissance de 12,5 % en 2021 par rapport à 2020 grâce à plusieurs secteurs : industrie manufacturière, construction, commerce, hôtellerie et restauration, mais aussi intermédiation financière, assurances et fonds de pension. Mais 70,6 % des personnes qui travaillent sont sous-employées et en 2020, le chômage avait atteint un niveau record, avec une baisse dans le secteur primaire de 28,8 %, de 3,2 % dans le secteur secondaire et de 10,3 % dans le secteur tertiaire. L’indice de Gini2 est de 0,52, ce qui fait du Honduras l’un des pays occidentaux les plus inégalitaires. Le revenu urbain y est deux fois supérieur au revenu rural ; 73,6 % de la population est pauvre et 53,7 % vit dans l’extrême pauvreté. De 2014 à 2020, plus de 18 244 enfants et adolescents honduriens sont arrivés non accompagnés aux États-Unis. En 2017, 30 % des élèves âgés de 12 à 15 ans envisageaient d’émigrer.
4En matière environnementale, selon un rapport récent, le Honduras est très vulnérable aux effets du changement climatique, les enfants, les jeunes, les femmes, les personnes âgées, les communautés autochtones et afro-honduriennes étant les plus touchés.
5Enfin, le pays se classe au 23e rang des 180 pays évalués par Transparency International (plus le rang est faible, plus la corruption est importante). En 2014, la corruption était estimée à 10 % du PIB ; ce chiffre a augmenté à 12,5 % du PIB en 2018.
6En ce qui concerne le niveau d’éducation du chef de famille : 19 % ont suivi des études secondaires, 56 % des études primaires, et 7 % sont inscrits dans l’enseignement supérieur ; 15 % sont sans éducation (données INE, 2019). Les principaux facteurs d’abandon scolaire sont la pauvreté et la violence. L’analphabétisme numérique touche 27 % de la population. Seuls 5 % des pauvres ont internet à domicile (Acevedo et al., 2020) ; 60 % des enseignants disposent d’un ordinateur dans les zones urbaines et 49 % dans les zones rurales.
7Le taux net de scolarisation dans le système formel est en recul à tous les niveaux. Avant la pandémie, il avait chuté de 39 % entre le deuxième (couverture de 85 %) et le troisième cycle (couverture de 46 %) de l’éducation de base. Le retard le plus important concerne l’enseignement secondaire. Il faudrait quatre décennies pour que le Honduras et le Guatemala atteignent la moyenne des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, comme l’indique le rapport du CONARE 2020.
8En ce qui concerne l’accès à l’éducation, 7 % des élèves les plus pauvres ne terminent pas la première année de l’éducation de base et seuls deux élèves sur dix entrant en première année obtiennent leur diplôme de fin de secondaire (bachillerato). Des défis importants se posent en matière d’équité : d’après les données que nous avons rassemblées, 900 000 enfants n’étaient pas scolarisés dans le système éducatif national avant la pandémie, un chiffre qui a atteint 1,2 million en 2021.
Graphique 1. Taux de scolarisation dans le système éducatif national du Honduras
* Pour l’enseignement supérieur, il s’agit du taux brut, pour 2017 et 2019 sur la base des données de l’INE : Projections de population 2013-2030 et inscriptions.
Source : élaboré par les auteurs à partir des sources suivantes : Plan sectoriel d’éducation 2014-2023, ministère de l’éducation 2019, 2020 ; UNAH, 2019.
9En termes de pertinence, les diagnostics révèlent des lacunes en matière d’adéquation de l’offre éducative aux priorités de développement du pays et du monde du travail. Plusieurs organismes et institutions signalent la nécessité de promouvoir la formation technique professionnelle (le Conseil hondurien des entreprises privées, l’Université nationale autonome du Honduras (UNAH), l’Agence des États-Unis pour le développement international), qui est encore très limitée et peu valorisée socialement.
- 3 Respectivement, première et troisième étude régionale comparative et explicative, menée en 1997 et (...)
10En matière de qualité, les évaluations 2014-2017 des classes 1 à 9 en espagnol (lecture) et en mathématiques portant sur des échantillons nationaux montrent que 60 % des élèves évalués sont classés dans les catégories « doit s’améliorer » et « insatisfaisant », et que la tendance à tous les niveaux d’apprentissage n’a quasiment pas variée depuis 2014. Dans les tests internationaux, les résultats des élèves honduriens pour les facteurs liés à l’apprentissage (étude PERCE et étude TERCE3) étaient inférieurs à la moyenne régionale en espagnol et en mathématiques pour la 3e et la 6e année. Les principaux défis sont les suivants : l’insuffisance des moyens électroniques pour le télé-enseignement, le peu de compétences en matière de stratégies d’enseignement innovantes et d’évaluation, et le manque de matériel pédagogique pour un processus éducatif de qualité (Elvir, 2021).
11La loi fondamentale sur l’éducation prévoit la création de la Commission nationale d’évaluation de l’éducation (Comisión Nacional de Evaluación Educativa, CONEVAL), une initiative qui ne s’est pas encore concrétisée. Le système hondurien d’accréditation et d’évaluation de l’enseignement supérieur (Sistema Hondureño de Acreditación y Evaluación de la Educación Superior, SHACES) a été créé et se met actuellement en ordre de marche.
12Selon l’Unesco, l’innovation éducative peut être définie comme suit :
[C’est] un acte délibéré et planifié de résolution de problèmes, qui vise à atteindre une qualité supérieure dans l’apprentissage des élèves, en dépassant le paradigme traditionnel. Elle implique de transcender les connaissances académiques et de passer de l’apprentissage passif des élèves à une conception où l’apprentissage est une interaction et se construit entre tous. (Unesco, 2016)
13La pandémie de Covid-19 a eu pour conséquence d’accroître la demande d’innovations éducatives afin de faire face à la fermeture des dispositifs d’enseignement en présentiel dans quasiment tous les pays du monde ; au Honduras, le Centre d’étude pour la démocratie (CESPAD, 2020) indique que, en particulier, l’insuffisance des revenus économiques des familles et le manque d’accès aux outils numériques ont limité l’accès à cette stratégie, ainsi que son déploiement.
14Le schéma 1 synthétise les différents niveaux et cycles d’enseignement en fonction de l’âge des élèves :
15En 2003, le Programme national de base (Currículo Nacional Básico) a été approuvé. Il établit, pour chaque niveau d’enseignement (à l’exception du niveau supérieur), les aptitudes, compétences, capacités et attitudes que les élèves doivent développer. Il est composé de différents domaines curriculaires. Les axes transversaux, qui représentent les composantes attitudinales qui guident l’apprentissage, sont : identité, travail et démocratie participative. Les normes qui définissent ce que les élèves sont censés apprendre à chaque niveau sont directement liées aux domaines curriculaires.
Schéma 1. Programme national de base : niveaux, âges, cycles
Source : ministère de l’Éducation, Currículo Nacional Básico [programme national de base] (2004).
16La gouvernance du système éducatif hondurien est en partie établie dans l’article 157 de la Constitution de la République, qui précise que l’enseignement scolaire formel est organisé, dirigé, financé et contrôlé par le ministère de l’éducation. Pour l’enseignement supérieur, l’article 159 prévoit que :
le ministère de l’éducation et l’Université nationale autonome du Honduras, sans préjudice de leurs compétences respectives, adopteront les mesures nécessaires pour que les programmes généraux de l’éducation nationale soient intégrés dans un système cohérent, afin que les apprenants puissent répondre de manière adéquate aux exigences de l’enseignement supérieur.
17L’article 160 dispose que l’Université nationale autonome du Honduras est indépendante de l’État, dotée d’une personnalité juridique et de la prérogative exclusive d’organiser, de piloter et de développer l’enseignement supérieur et professionnel au Honduras.
18La Loi fondamentale sur l’éducation (LFE), adoptée en février 2012, prévoyait la mise en œuvre de vingt-deux dispositions réglementaires, approuvées entre 2014 et 2015. Mais les réformes attendues n’ont toujours pas été menées à bien.
19En 2018, le ministère de l’éducation a approuvé le « Chemin critique vers la décentralisation » (Ruta Crítica hacia la Descentralización), élaboré avec la participation des différents niveaux administratifs (central, départemental et municipal), avec le soutien de la coopération allemande (GIZ). En 2019, une étude sur la gouvernance de l’éducation au niveau décentralisé a mis en évidence certains progrès dans le processus de décentralisation et les principaux défis auxquels il est encore confronté.
20Le secteur de l’enseignement supérieur fait l’objet d’une loi spécifique, approuvée par le Congrès national en septembre 1989. L’article 160 de cette loi établit que l’organisation, la gestion et le développement de l’enseignement supérieur relèvent de la responsabilité de l’UNAH par le biais des organes suivants : le conseil universitaire ; le conseil de l’enseignement supérieur (CES), présidé par le recteur de l’UNAH et composé de six représentants de l’UNAH, de trois représentants des universités publiques et d’un nombre équivalent de représentants des universités privées ; le conseil consultatif technique, composé des vingt et une universités (six publiques et quinze privées) ; et la direction de l’enseignement supérieur. Les normes académiques pour l’enseignement supérieur ont été approuvées par le Conseil de l’enseignement supérieur en novembre 1992.
21Enfin, le Conseil national de l’éducation (CSE), placé sous l’autorité du président de la République, est l’organe suprême pour l’élaboration des politiques publiques éducatives. Il est chargé de promouvoir l’articulation systémique de tous les niveaux d’enseignement.
22Au fil du temps, le pays a tenté d’introduire différents changements dans le système éducatif national, du niveau pré-élémentaire à l’enseignement supérieur. Les principales réformes en cours sont présentées dans les développements qui suivent.
23Dès 1906, l’enseignement préscolaire (educación preescolar) est réglementé et le premier établissement de ce niveau est fondé en 1907. À partir des années 1950, le premier programme d’études pour les « jardins d’enfants » est formellement organisé. En 1973, la filière de formation des enseignants du préscolaire est créée au sein de ce qui est désormais l’Universidad Pedagógica Nacional Francisco Morazán (UPNFM) – soit le centre universitaire national de formation des enseignants, pour tous les niveaux d’enseignement. Le passage du préscolaire au pré-élémentaire (educación prebásica) se poursuit de nos jours. Si des écoles officielles existent à ce niveau, le pays est encore loin d’avoir généralisé au moins une année d’enseignement pré-élémentaire obligatoire. Les quelques progrès accomplis sur ce point se sont concentrés sur le développement de programmes d’études, de matériel éducatif, de guides et d’outils pédagogiques destinés aux enseignants du système formel et aux éducateurs communautaires du système non formel.
24Actuellement, deux modèles d’établissements d’enseignement coexistent à ce niveau : le modèle d’école primaire en six ans, qui est en déclin, et le modèle en neuf ans, qui a été introduit au Honduras en 1996, conformément à la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous de Jontiem (1990), qui prévoit de passer de l’école primaire à une éducation de base en trois cycles pour accroître le taux de scolarisation. Cette transition a été plutôt lente : il reste encore environ 14 000 écoles primaires à convertir en établissements d’éducation de base et le programme du troisième cycle (pour les 7e, 8e et 9e années) est toujours en attente.
25La première loi générale sur l’éducation, promulguée en 1830, a servi de base à l’universalisation de l’enseignement primaire, public, laïc et obligatoire. À cette fin, l’État hondurien a créé, en 1877, des écoles normales afin de former les enseignants dans les différentes régions du pays. Avec le passage de l’éducation primaire à l’éducation de base, ces établissements sont en déclin, conformément à l’obligation légale de passer d’une formation des enseignants de niveau secondaire à une formation de niveau supérieur. En 2015, le CSE a accepté de formaliser ce processus de transition, encore inabouti à ce jour.
- 4 Avant la réforme de l’éducation de base, le secondaire était composé du cycle commun de culture gé (...)
26En 1882, le Code de l’instruction publique est publié et le système éducatif est structuré pour la première fois en trois niveaux : enseignement primaire, enseignement secondaire et niveau professionnel. En 1959, sont créés, au niveau du secondaire, le cycle commun de culture générale et le cycle « diversifié » (sanctionné par un baccalauréat4), le premier étant en phase de déclin avec la mise en œuvre du troisième cycle de l’éducation de base. La réforme en cours a abouti à l’organisation de deux baccalauréats : l’un, scientifique-humaniste, prépare les élèves au monde universitaire, et l’autre, professionnel-technique, oriente professionnellement les élèves vers le monde du travail et le monde universitaire.
27En décembre 2004, le Congrès national a approuvé la nouvelle loi organique de l’UNAH, encourageant un processus de réforme structurelle de l’université, sur tous les plans : académique, juridique, administratif, politique, organisationnel et éthique. Il s’agissait de répondre aux attentes des différents secteurs de la société hondurienne et de la communauté universitaire afin de faire face à la crise profonde que traversait l’UNAH.
28Pour promouvoir la réforme et mettre en œuvre la nouvelle loi organique, le Congrès national a organisé une Commission de transition (2005-2008) qui, guidée par le Plan général de réforme intégrale de l’UNAH 2005-2025, a rédigé les nouveaux règlements institutionnels, mis en place une nouvelle gouvernance universitaire (recteur, vice-recteurs, doyens, directeurs de centres régionaux sélectionnés par des concours publics et non par des processus électoraux), introduit des changements et des innovations académiques substantiels, ainsi que la transparence et la viabilité financière, entre autres. Près de vingt ans après le début de la réforme, celle-ci se poursuit comme un processus permanent, dont l’un des principaux résultats est le positionnement de l’UNAH dans les classements internationaux (QS et Scimago, par exemple) en tant qu’université ayant les meilleures qualité et production scientifiques ainsi que le plus grand prestige académique au Honduras, et comme l’une des dix meilleures universités d’Amérique centrale. Grâce notamment à des normes académiques pionnières pour la région, elle a progressivement regagné sa légitimité à administrer le secteur de l’enseignement supérieur dans le pays ; en outre, le Plan stratégique pour le développement de l’enseignement supérieur 2014-2023 a été élaboré et mis en œuvre en concertation avec l’ensemble des universités publiques et privées.
29Ce plan a permis quelques progrès, malgré la lenteur de sa mise en œuvre et la faiblesse du budget alloué à son exécution. Une consultation menée en 2021 auprès des établissements d’enseignement supérieur a montré que ce plan stratégique demeure pertinent à condition de donner la priorité à cinq axes :
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augmenter le taux d’inscription pour atteindre la moyenne latino-américaine, en respectant l’équité démographique, régionale et ethnique et en accordant une attention particulière aux populations vulnérables ;
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promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie pour le personnel de direction et d’enseignement des établissements d’enseignement supérieur ;
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élargir et diversifier l’offre académique au niveau des premier et troisième cycles, dans les filières principalement tournées vers le développement des sciences et des technologies ;
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accroître l’offre académique au niveau du troisième cycle (spécialisations, masters et doctorats) ;
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promouvoir le renforcement, le développement et l’utilisation pédagogique des TIC, afin d’accroître l’accès aux opportunités d’apprentissage, d’améliorer les apprentissages et la qualité de l’enseignement par des innovations didactiques et la réduction de la fracture numérique, et afin de favoriser l’équité dans l’enseignement supérieur.
30D’autres réformes sont également en cours, notamment à travers l’élaboration de politiques publiques pour le développement professionnel des enseignants, d’une part, et, d’autre part, pour l’enseignement et la formation techniques et professionnels, comprenant un cadre national de certifications. Déjà approuvées par le CSE, elles attendent d’être publiées officiellement pour être mises en œuvre.
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- 5 Date de l’investiture de Mme Xiomara Castro, devenue la première présidente du Honduras (NdT).
31Le 27 janvier 2022, un nouveau cycle politique a débuté au Honduras5. Les diagnostics et analyses de la situation de l’éducation et du système éducatif national ne manquent pas, fondés sur les données probantes accumulées au fil des ans. Les citoyens honduriens attendent du nouveau gouvernement qu’il élabore et mette en œuvre de manière prioritaire des politiques publiques éducatives de grande envergure sur le long terme, et qu’il favorise la gestion participative des stratégies et des programmes visant à sortir le pays de la crise éducative profonde et complexe qu’il traverse.