Hugues Draelants et Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation
Hugues Draelants et Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation, De Boeck Supérieur, collection « Pratiques pédagogiques », 2022, 250 p.
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Mots-clés :
sociologie de l’éducationKeywords:
sociology of educationPalabras claves:
sociología de la educaciónTexte intégral
1Préfacé par Agnès van Zanten, cet ouvrage pourrait être considéré, un peu vite, comme un énième manuel de sociologie. Il n’en est rien, l’ouvrage se voulant innovant tant dans la forme, que dans le public visé, « les (futurs) enseignants ou professionnels de l’éducation ». Les coordinateurs Hugues Draelants et Branka Cattonar, de l’Université catholique de Louvain, partent du constat que la sociologie n’est en effet « pas fort présente dans la formation des enseignants ». C’est pourquoi ce manuel vise à convaincre tous les praticiens de la nécessité de questionner et de documenter leurs pratiques à la lumière de la sociologie, pour une meilleure connaissance de ce qui se joue à l’école, et autour. La démarche vise avant tout à encourager chez les enseignants une réflexivité propre à nourrir leur agentivité, et partant, leur développement professionnel, au service d’un fonctionnement amélioré de l’école et de la réussite des élèves.
2L’ouvrage privilégie la focale des inégalités devant l’école pour traiter en douze chapitres les grandes thématiques de la sociologie de l’éducation : les pratiques éducatives des familles et les rapports sociaux différenciés face à l’école, les élèves et leur rapport aux savoirs et à l’autorité, les trajectoires scolaires improbables, les rapports garçons-filles à l’école et les inégalités de genre, la scolarisation des élèves d’origine immigrée et les inégalités ethno-raciales à l’école, les effets du contexte de scolarisation, l’école comme lieu de vie et instance socialisatrice, le travail enseignant au quotidien, les contenus d’enseignement et pratiques pédagogiques, les évolutions du métier en lien avec les politiques éducatives. De courts extraits de la littérature scientifique sont choisis pour nourrir la curiosité et permettre d’aller plus loin. Le propos couvre tous les niveaux de l’enseignement obligatoire et s’intéresse tant à l’enseignement général qu’à l’enseignement technique ou professionnel.
3Mais le caractère innovant de cet ouvrage réside sans doute dans la place qu’il accorde, à la fin de chaque chapitre, à un « dossier-débat » présentant des éclairages complémentaires, contradictoires, ou même inconciliables, sur une même question. C’est là aussi tout l’intérêt de cette démarche sociologique didactisée en direction des enseignants et acteurs de l’éducation : donner à entrevoir, pour une discipline mal connue et parfois décriée, des espaces de controverses indispensables à la vitalité et à la fécondité de la science établie ou en train de se faire.
4Chaque chapitre se termine en outre par une rubrique « à retenir », ainsi qu’une rubrique « à expérimenter, à méditer », qui propose citations, concepts clés, implications de ce qui a pu être explicité. Recommandations aussi pour l’exercice pratique des métiers d’éducation, face à tel ou tel public, dans telle ou telle situation.
5Une quinzaine de références bibliographiques académiques classiques viennent s’assortir de références plus originales et éclectiques, pour convaincre le lecteur, s’il était besoin, qu’en sociologie, il est permis, aussi, d’être omnivore.
6Toutes ces manières originales de « mettre la sociologie en manuel » ne cèdent en rien à la rigueur de la démarche de médiation scientifique entreprise ici. Bien au contraire, elles parviennent à rendre accessibles et opérationnels des savoirs sociologiques afin d’aider le lecteur à s’orienter avec discernement dans des résultats de recherche qui ne font pas nécessairement consensus et qui, dans les débats ou controverses, renvoient parfois à des conceptions philosophiques ou politiques totalement différentes.
7La démarche d’Hugues Draelants et de Branka Cattonar vient nous apporter la preuve que les recherches sur l’éducation, pour l’éducation, et par l’éducation, en sociologie tout particulièrement, sont fondamentales pour comprendre l’école, éclairer les politiques éducatives et accompagner l’émancipation des acteurs. Et ce dans une recherche continuelle de plus de sens et d’efficacité au service d’une plus grande justice sociale.
8L’un des grands mérites de cet ouvrage est également de rappeler aux sociologues que les « connaissances […] produites leur échappent ». Les relations restent difficiles entre la sociologie et la pratique pédagogique. Il en va de même pour les politiques éducatives et la recherche. Si les coordinateurs rappellent avec humilité que la méconnaissance et l’ignorance des inégalités peuvent être salutaires pour prévenir, chez les élèves ou étudiants les plus modestes, une autocensure, ils ajoutent qu’en revanche la croyance en la possibilité de réussir est essentielle, tout comme la confiance en soi, tout comme la compréhension très précoce par les élèves les plus démunis face à l’école qu’un effort plus grand sera peut-être nécessaire par rapport aux héritiers. On peut y voir une forme d’injustice redoublée, certes, mais qui assumée et transformée, leur permettra de déjouer des statistiques trop souvent écrasantes. Réciproquement, la responsabilité essentielle qui est celle d’une école véritablement démocratique est rappelée : faire le chemin nécessaire vers les élèves et les familles les plus éloignés, pour que ces réussites ne soient plus des « exceptions consolantes », comme le rappelle le beau livre autobiographique de Jean-Paul Delahaye.
9Ce manuel est décidément une entreprise généreuse autant qu’audacieuse, dont on saluera la lucidité et l’optimisme tempéré. Il entend apporter la démonstration que la sociologie peut être mobilisée dans la pratique du métier comme un savoir encapacitant, et non paralysant, et pour lutter contre certaines formes de mélancolie ou de désespoir institutionnels. Bref, un ouvrage qui tient de l’art savant, du vade-mecum tout autant que du viatique, pour un exercice du métier d’enseignant pleinement réflexif et clairvoyant.
10À l’heure où la question de la médiation scientifique se pose avec acuité et alors même qu’il n’existe pas vraiment de didactique de la sociologie, on saluera le remarquable talent de passeurs d’Hugues Draelants et de Branka Cattonar, et leur art de mettre le lecteur en appétit pour de nouvelles nourritures sociologiques.
Pour citer cet article
Référence papier
Brigitte Darchy-Koechlin, « Hugues Draelants et Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 91 | 2022, 37-39.
Référence électronique
Brigitte Darchy-Koechlin, « Hugues Draelants et Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 91 | décembre 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/13264 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.13264
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