Navigation – Plan du site

AccueilNuméros91Dossier - Les syndicats d’enseign...Syndicalisme enseignant et gouver...

Dossier - Les syndicats d’enseignants au xxie siècle

Syndicalisme enseignant et gouvernance du système éducatif : le cas du SNTE au Mexique

Teacher unions and governance of the education system in Mexico: the case of the SNTE
Sindicalismo docente y gobernanza del sistema educativo in Mexico: el caso del SNTE
Patricia Vázquez del Mercado et Gustavo A. Hernández López
Traduction de Philippe Rabaté
p. 101-110

Résumés

Cet article revient sur l’histoire du système éducatif mexicain et de la création d’un syndicat unique de travailleurs au service de l’éducation, qui garantit les droits des enseignants et les différentes missions éducatives qu’ils remplissent. Il présente également la structure et la fonction de ce syndicat en tant que défenseur des droits des travailleurs et entité qui veille sur l’école publique, orientations qui lui ont permis de développer de manière considérable son niveau d’influence jusqu’à peser sur la vie politique du pays. Au Mexique, pays fédéral composé de trente-deux États, la gouvernance de l’éducation requiert des efforts de compréhension, de négociation et de permanence des structures afin de construire collectivement un programme éducatif pertinent.

Haut de page

Notes de la rédaction

Article traduit de l’espagnol par Philippe Rabaté.

Texte intégral

1Le présent article étudie le rôle du syndicalisme enseignant dans les programmes d’enseignement et les politiques éducatives du Mexique. Il offre un aperçu de l’histoire de la création du système éducatif ainsi que de l’apparition, au fil des années, d’un syndicat unique de travailleurs au service de l’éducation, qui garantit les droits des enseignants et les différentes missions éducatives qu’ils remplissent.

2Ce texte étudie également la structure et la fonction du syndicat comme défenseur des droits des travailleurs et entité qui veille sur l’école publique, fonctions qui lui ont permis de développer de manière considérable son niveau d’influence jusqu’à peser sur la vie politique du pays. Nous arguons que, dans le programme éducatif du Mexique au niveau fédéral comme au niveau régional, la gouvernance de l’éducation requiert des efforts de compréhension, de négociation et de permanence des structures indispensables afin de construire collectivement une politique éducative valable.

Brève histoire de l’éducation au Mexique

3Afin de comprendre le rôle particulier joué par les syndicats enseignants au Mexique, il est nécessaire d’examiner la structure du système éducatif mexicain et son évolution historique.

4Avant toute chose, rappelons que le Mexique est un territoire immensément hétérogène et complexe, et qui doit relever des défis considérables sur le plan social, économique, politique, climatique et, bien sûr, éducatif. Son histoire s’est forgée au cours de siècles de construction culturelle, politique et sociale et de luttes ; aussi, pour parler d’éducation, est-il indispensable de se remémorer les étapes historiques les plus critiques d’un pays aux origines indigènes, dont la population connaît des inégalités considérables, et qui a connu de multiples luttes de pouvoir internes.

5Bien que l’histoire du système éducatif remonte à la seconde moitié du xixe siècle, c’est dans la deuxième décennie du xxe siècle, au terme de la révolution mexicaine qui avait débuté en 1910, que sont intégrés dans l’article 3 de la Constitution de 1917 les droits sociaux et, parmi eux, l’éducation. L’État mexicain commence à développer des normes communes pour le bon fonctionnement des institutions éducatives publiques, et rend l’éducation primaire gratuite pour l’ensemble de la population.

6Le premier secrétaire pour l’éducation, José Vasconcelos, chargé de diriger en 1921 le secrétariat à l’éducation publique du Mexique tout juste créé, s’assigne l’objectif de faire parvenir l’instruction publique à la majeure partie du territoire mexicain, ce qui va représenter un effort titanesque, notamment budgétaire.

7Le besoin urgent de construire des infrastructures scolaires dans tout le pays et l’impérieuse obligation de recruter ou de former des personnels d’enseignement, dans un pays où 70 % de la population âgée de plus de 10 ans est analphabète1, vont être les priorités absolues de son action.

8Durant les années 1930 et 1940, toujours avec le dessein de toucher la plus grande partie du territoire d’un pays très diversifié, on constate que la croissance du système éducatif suppose de relever également le défi de la gestion du personnel éducatif. Pour accroître l’efficacité des interventions de l’État dans le jeune système éducatif, il paraît indispensable de faire émerger une organisation plus structurée capable de mobiliser les volontés et défendre les intérêts des travailleurs. En 1943, le gouvernement mexicain promeut ainsi l’unification des groupes d’enseignants, ce qui donne naissance à l’une des structures syndicales les plus importantes de toute l’Amérique latine : le Syndicat national des travailleurs de l’éducation, le SNTE.

  • 2  Dans cet article, est appelé « provincial » le niveau des trente-deux États qui composent la Répub (...)

9Bien que la naissance du SNTE en tant que syndicat hégémonique pour les enseignants date des années 1940, la constitution des enseignants comme groupe cohérent ayant engagé une relation avec le gouvernement remonte à la seconde moitié du xixe siècle. Durant cette période, avec l’augmentation du nombre de services éducatifs, l’enseignement commence à être reconnu comme une véritable profession ; toutefois, son financement cesse d’être soutenu économiquement par des particuliers pour relever des gouvernements municipaux ou provinciaux, ainsi que du gouvernement fédéral2. Durant le porfiriato, période qui désigne le gouvernement de Porfirio Díaz entre 1877 et 1880 puis de 1884 à 1911, la centralisation du système éducatif s’intensifie. Au cours de ces années, l’enseignement – et la formation pour y accéder – cessent de relever d’une profession libre pour devenir un métier d’État (Salgado, 1993).

10Avec le triomphe de la révolution mexicaine et la promulgation d’une nouvelle Constitution qui reconnaît le droit à la gratuité de l’éducation primaire publique, des réflexions sur les liens entre les groupes enseignants et l’État apparaissent avec d’autant plus de vivacité que le gouvernement réalise d’importants efforts afin de centraliser l’administration des services éducatifs et le paiement des salaires. Cependant, la hausse du service d’enseignement, les conditions sociales précaires et l’instabilité du paiement des professeurs vont être des facteurs unifiant les intérêts de la corporation des enseignants, qui dépendent désormais pleinement de l’État, devenu employeur et patron, ce qui donne lieu à des demandes précises.

11C’est ainsi que, face aux incertitudes liées au paiement de leurs salaires, les enseignants de la ville de Mexico lancent en 1919 la première grande grève enseignante, rapidement réprimée par le gouvernement. Cette tentative est considérée comme l’une des premières tentatives de faire valoir les droits des enseignants. Au cours des années suivantes, conscients de la répression qu’ils ont subie et constatant l’absence d’amélioration de leurs conditions de travail, les groupes de professeurs s’engagent dans des partis politiques pour trouver une réponse à leurs problèmes et pour parvenir à une représentation effective dans les groupes de pouvoir.

12Réciproquement, afin de recruter des adhérents et d’obtenir ainsi des appuis précieux dans une conjoncture marquée par une forte instabilité gouvernementale, les groupes d’enseignants commencent, au cours des années 1920, à être la cible des intérêts politiques, ce qui les pousse dans deux directions opposées : soit vers le renforcement de leur corporation auprès de l’État, soit vers la lutte pour prendre leurs distances par rapport à l’État et obtenir une plus grande autonomie.

  • 3  Le Parti national révolutionnaire est l’ancêtre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), cré (...)

13Devant ce choix et dans le dessein d’édifier un État-nation qui poserait les fondements d’un nouveau régime apte à concrétiser les demandes sociales de la révolution, les gouvernements de l’ère postrévolutionnaire vont accélérer la formation de groupes de travailleurs qui accompliraient la fonction que leur assigneraient le président en exercice et le Parti national révolutionnaire3. Cette impulsion, sous couvert de défendre les droits des travailleurs, est en réalité un moyen de les contrôler. C’est sous la présidence de Lázaro Cárdenas del Río (1934-1940) qu’est lancée cette politique de formation des grandes confédérations, en perfectionnant un corporatisme syndical parrainé par l’État. Tous les secteurs sociaux sont regroupés en corporations de travailleurs réunies dans une organisation syndicale unique et nationale, dirigée par des hommes fidèles au président – tous, à l’exception des enseignants.

14Sous la présidence de Manuel Ávila Camacho, au milieu du xxe siècle, une unification est tentée face à la résistance de centaines de syndicats, fédérations et confédérations d’enseignants, ce qui aura pour conséquence la naissance, le 30 décembre 1943, du Syndicat national des travailleurs de l’éducation, résultat de l’intégration de différents groupements d’enseignants et autres travailleurs du système éducatif.

15Si la constitution d’un syndicat enseignant a permis de concilier les intérêts de différents groupes, il est clair qu’il n’existait pas de véritable consensus pour la formation d’une seule organisation, si bien que nombre de représentations d’enseignants, en désaccord, vont maintenir une distance vis-à-vis du syndicat national. Au fil des années, ces résistances vont constituer la branche la plus radicale de la représentation enseignante au sein de la SNTE, qui prendra le nom de Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE) en 1979.

Le SNTE : structure, fonctions et influence sur les politiques éducatives

16Le SNTE représente 1 624 000 personnes qui travaillent, toutes fonctions confondues, au sein des institutions publiques à tous les niveaux du système éducatif mexicain. Par conséquent, les enseignants, le personnel de direction, d’inspection, d’administration et d’intendance, ainsi que les enseignants à la retraite qui ont choisi de maintenir leur affiliation à la SNTE, jouissent d’une représentation syndicale aux différents niveaux de l’organisation et dans le système éducatif lui-même. Pour obtenir cette représentation et être considéré comme membre du syndicat, chacun doit cotiser à hauteur de 1 % de son salaire (SNTE, 2022). Le territoire est d’une extrême importance, lorsque l’on parle du SNTE au Mexique. Comme on l’a dit, la création du système éducatif et la reconnaissance de la fonction enseignante comme une profession d’État, afin de mener à bien le développement des politiques éducatives, avaient eu pour conséquence la nécessité de mobiliser de manière efficace et organisée la base des travailleurs de l’éducation. Ce préalable fut bien compris et assimilé par le syndicat qui, au fil de ses décennies d’existence, a considérablement amélioré une organisation qui lui permet d’être représenté depuis l’école jusqu’aux bureaux des secrétariats à l’éducation des différentes provinces et même au niveau fédéral.

  • 4  Le Centre de travail est composé de l’ensemble des travailleurs syndiqués relevant d’une même équi (...)
  • 5  La réforme éducative de 2013 est actée par la Loi générale du service professionnel enseignant, qu (...)
  • 6  Il s’agissait d’espaces reconnus par le droit du travail, qui concédait aux syndicats de travaille (...)

17Cette couverture lui permet d’être présent dans la vie quotidienne et dans la prise de décision de chaque espace du système éducatif. Les unités basiques de représentation du SNTE sont les établissements scolaires et les centres de travail4 ; dans chacun d’eux, le représentant syndical et le comité qui l’accompagne sont élus par le personnel qui y travaille. Dans les écoles, le représentant syndical est le porte-parole des intérêts des groupes d’enseignants et autres personnels face aux instances dirigeantes scolaires ; celles-ci, jusqu’en 20135, étaient désignées par le biais d’une participation du SNTE aux sessions de négociation entre les autorités syndicales et éducatives, connues sous le nom de commissions mixtes d’avancement6.

18Avant 2013, l’avancement ou la nomination d’un enseignant à un poste de direction en éducation basique et moyenne supérieure dépendait d’une négociation entre autorités syndicales et éducatives. L’enseignant était tenu, entre autres, d’être affilié au SNTE, d’avoir une certaine ancienneté dans l’enseignement public, être bien noté par les représentants syndicaux comme par l’autorité scolaire dont il dépendait.

19Les centres de travail incluent des centres de formation enseignante, les espaces de l’éducation spécialisée, les centres d’éducation physique et les zones d’inspection des différents niveaux éducatifs. Chaque espace où il existe du personnel affilié au SNTE et auquel est reconnu le statut de centre de travail est susceptible d’être représenté syndicalement, y compris les bureaux centraux et décentralisés des secrétariats à l’éducation au niveau provincial ou fédéral. Les structures intermédiaires qui rassemblent les travailleurs des établissements scolaires ou des centres de travail appartenant à des zones scolaires pour chaque niveau éducatif s’appellent des délégations. Les différentes délégations constituent les sections syndicales, qui peuvent elles-mêmes être constituées au niveau local ou au niveau provincial, exception faite de la ville de Mexico qui compte six sections syndicales et de l’État de Mexico où elles sont organisées sur le plan géographique. Un secrétariat de section, à la tête de chaque section syndicale, est élu pour quatre ans afin de représenter les intérêts du syndicat face à l’autorité locale ou provinciale.

20Au niveau fédéral, on trouve enfin le Congrès national éducatif, chargé de délibérer sur des thèmes éducatifs précis, à côté du Congrès national, lui-même composé du président du SNTE, élu pour un mandat de six ans, d’un secrétariat technique, d’un comité exécutif national, des présidents des comités nationaux de vigilance, de transparence, de reddition de comptes et des élections, ainsi que des secrétaires généraux des comités exécutifs de sections et des conseillers élus directement par les sections.

21Pour remplir ses fonctions, la structure syndicale se déploie dans tout le pays, depuis l’école jusqu’au niveau fédéral, comme une organisation unique qui défend les droits du travail, sociaux, économiques et professionnels de ses membres en créant une identité autour du SNTE conçue comme une entité qui protège les travailleurs au service de l’éducation à l’aide de « l’unité du syndicat ».

  • 7  Le terme espagnol normalista renvoie à des élèves d’écoles normales comparables à celles qui exist (...)

22Le syndicat agit dans deux directions principales : défendre les droits du travail et renforcer le système éducatif national en s’appuyant sur l’article 3 de la Constitution du Mexique. À cette fin, le SNTE exerce son influence dans les écoles à travers ses représentants et dans les systèmes éducatifs de chaque province par le biais des sections, en négociant et en exerçant un pouvoir administratif et politique sur les différents niveaux éducatifs (basique et moyen supérieur) et sur celui des élèves-enseignants7.

  • 8  Une pratique fréquemment constatée était la vente de ces postes, qui pouvaient également faire l’o (...)

23Bien que des efforts importants aient été réalisés en ce qui concerne la transparence et la reddition de comptes en matière de postes d’enseignants, le SNTE joue un rôle important au cours des sessions de négociations pour accorder des postes dans des processus qui ne sont normalement menés à bien que par la seule concertation avec l’autorité éducative fédérale. Rares sont les occasions où les gouvernements provinciaux participent à ces négociations. La réforme éducative de 2013 visait à faire en sorte que les postes éducatifs – d’enseignants mais aussi administratifs pour tous les niveaux éducatifs et relevant de l’État – soient attribués sur concours et sur évaluations. Ce sujet a été l’objet de nombreuses enquêtes et d’abondantes discussions. Les postes sont accordées pour un temps limité à des personnes, mais ils appartiennent à l’État8.

24Le SNTE, s’il remplit sa mission de veiller attentivement aux droits acquis par les travailleurs de l’éducation, joue, après soixante-dix-huit années d’existence, un rôle absolument fondamental dans le système éducatif, grâce à ses capacités de mobilisation sur tout le territoire de négociation, et son importance considérable au fil des périodes et gouvernements successifs. Les postes ont donné lieu à des négociations où l’on a tenté d’atteindre un équilibre entre les exigences syndicales et la demande éducative. Toutefois, c’est bien le SNTE et ses différentes expressions syndicales qui sont le mieux implantés sur le terrain.

La participation du syndicalisme enseignant à la vie politique

25Avec sa capacité de mobilisation de plus d’un million et demi d’enseignants et la possibilité de toucher plus de 37 millions d’élèves et leurs familles, le SNTE est un acteur déterminant dans plusieurs élections : municipales, pour les postes de gouverneur, législatives locales et nationales ainsi que pour la présidence de la République. Le syndicat le sait et l’assume. Grâce à sa structure et à son implantation sur tout le territoire national, il possède une capacité de mobilisation qui lui a valu des dividendes et l’obtention de positions clés dans les administrations éducatives des différentes provinces comme au niveau fédéral.

26Ce sujet a donné lieu à des recherches depuis au moins deux décennies. La relation du SNTE avec les différents partis politiques a notamment été questionnée. Quelle que soit l’instance administrative considérée, au niveau fédéral et parfois même provincial, le SNTE se montre actif dans la prise de décision non seulement comme représentant syndical mais également comme autorité éducative.

  • 9  Jesús Saravia y Ordoñez a dirigé la section 51 du SNTE, a été député fédéral du PRI et conseiller (...)

27Toutefois, sa présence dans la vie publique, son engagement dans les processus électoraux lui ont ouvert des espaces politiques, au point que les candidatures de certains de ses membres à des fonctions de représentation populaire ont parfois été couronnées de succès, comme l’a indiqué Jesús Saravia y Ordoñez9, dirigeant syndical du SNTE dans un article du journal La Jornada en 2005 :

Après 1972, nous avions neuf députés fédéraux et à présent quinze députés fédéraux, des sénateurs de la République, des gouverneurs de province ainsi qu’une participation au cabinet du président de la République ; des députés locaux, des présidents et conseillers municipaux (Navarro, 2005).

28Depuis sa création et jusqu’en 2000, les destinées politiques du SNTE ont été liées à celles du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), parti au pouvoir. Mais l’arrivée du Parti d’action nationale (PAN) à la présidence de la République a signifié une rupture avec soixante-dix ans d’hégémonie politique du PRI et donné au syndicat la possibilité d’assumer une nouvelle autonomie et un rôle nouveau dans la vie politique du pays.

29Sous la présidence de Vicente Fox, premier président d’opposition à parvenir au pouvoir au Mexique, le SNTE, loin de se voir affaibli, a au contraire renforcé ses positions grâce à l’action de sa dirigeante nationale, Elba Esther Gordillo. Ainsi, alors qu’elle était députée fédérale du PRI et secrétaire générale du comité exécutif national de ce parti entre 2002 et 2005, elle a accepté de signer (en 2002) l’Accord pour la qualité de l’éducation (ACE), par lequel le syndicat s’engageait, entre autres, à soumettre au concours les postes d’enseignants, de directeurs et d’inspecteurs.

  • 10  Andrés Manuel López Obrador, président élu en 2018 pour un mandat de six ans (NdT).

30Il est inutile de préciser que cet accord n’a pas été pleinement appliqué. Toutefois, sous les auspices du gouvernement alors en place et avec l’appui de la base enseignante, Elba Esther Gordillo a fondé en 2005 le Parti nouvelle alliance, bras politique du SNTE, constatant l’impossibilité de s’emparer de la présidence du PRI. Dès lors, le SNTE n’a pas seulement été une force de mobilisation électorale supplémentaire, mais il a occupé son propre espace dans la vie publique en tant que formation politique. Ainsi, durant les élections présidentielles de 2006, n’ayant pu s’entendre avec l’opposition conduite par le candidat de la coalition Primero los Pobres (« les pauvres d’abord ») – actuellement président du Mexique10 – le Parti nouvelle alliance a soutenu le candidat du PAN à la présidence de la République (Armenta, 2011).

  • 11  Elba Esther Gordillo a été arrêtée sur des accusations de corruption par les autorités mexicaines (...)
  • 12  Il avait succédé à Elba Esther Gordillo à la présidence du SNTE.

31Le soutien accordé au gagnant de la course à la présidence de la République lui a non seulement valu de disposer de la représentativité nécessaire pour maintenir son statut national, mais lui a aussi permis de gagner des sièges au congrès fédéral et au secrétariat à l’éducation publique, tout particulièrement au sous-secrétariat à l’éducation de base. Au cours des deux dernières présidences, le retour du PRI au gouvernement durant la période 2012-2018, puis l’arrivée au pouvoir du parti appelé Mouvement de régénération nationale (Morena) pour la période 2018-2024, ont eu pour conséquence l’emprisonnement d’Elba Esther Gordillo11 durant la présidence de Enrique Peña Nieto, et la démission du professeur Juan Díaz de la Torre12, à la suite de l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador. La présence dans la vie politique du SNTE à travers le Parti nouvelle alliance a diminué, au point qu’il a perdu son assise électorale nationale.

32Toutefois, doté d’une nouvelle direction depuis 2018, le SNTE s’est réorganisé, notamment dans ses relations avec le pouvoir politique, ce qui lui permet de continuer de remplir ses missions syndicales de défense collective des travailleurs.

33Il s’agit là d’un exemple aussi facile à exposer que complexe à analyser. En effet, les critiques à l’égard du SNTE et les interrogations qui entourent le rôle qu’il joue dans les gouvernements provinciaux et lors des élections nationales ont suscité méfiances et dénonciations.

La gouvernance éducative et le rôle des gouvernements provinciaux

  • 13  Dans cet article, la gouvernance est entendue comme le mécanisme équilibré de relations et d’inter (...)

34À la différence du CNTE et d’autres organisations d’enseignants qui sont apparues dans l’éducation basique, moyenne supérieure et supérieure, le SNTE, du fait de sa capacité à représenter l’ensemble des travailleurs au niveau national, joue un rôle déterminant dans la gouvernabilité et la gouvernance13 des systèmes éducatifs mexicain aussi bien sur le plan micro que macro. Ne pas le reconnaître nous conduirait à concevoir, de manière illusoire, un système éducatif sans contrepouvoirs, défis ni affrontements.

35C’est dans les écoles et les centres de travail que la politique éducative nationale prend forme. C’est dans ce cadre, jour après jour, que se noue le dialogue et que se négocie la mise en œuvre des différentes tâches éducatives : conditions et règles de travail, fonctions au sein de l’organigramme, commissions, nominations, changements d’équipe, etc., ce qui implique une prise de décision immédiate. C’est à ce niveau que les décisions prises à un niveau micro deviennent des aires d’opportunité pour ceux qui aspirent à s’élever dans la pyramide de la structure syndicale et à devenir les prochains dirigeants syndicaux, car ils peuvent démontrer leurs capacités.

36Les autorités provinciales et régionales tentent d’équilibrer les pressions, le pouvoir et les besoins d’un syndicat qui jouit d’une autorité que n’ont pas nécessairement les enseignants sur le terrain. Les autorités éducatives se succèdent, mais le SNTE et ses différentes expressions sont toujours présentes à tous les échelons, ce qui leur donne un avantage considérable en matière de connaissance du terrain.

37D’autre part, le SNTE et ses factions dissidentes sont des acteurs qui usent de stratégies différentes dans les négociations. Le SNTE a su s’adapter aux circonstances politiques, quand cela était nécessaire, pour ne pas mettre en péril la continuité de sa direction, en soutenant les réformes et en négociant des concessions qui lui étaient favorables. La CNTE, quant à elle, formation syndicale enseignante plus radicale, a fait pression sur les gouvernements, à l’échelle provinciale et fédérale, ainsi que sur la direction nationale du SNTE, exprimant son désaccord face aux réformes en cours. Le SNTE et la CNTE sont les deux visages du syndicalisme enseignant mexicain. Avec des méthodes différentes, ils remplissent chacun leur mission d’influencer la gouvernance des systèmes éducatifs en fonction des intérêts qu’ils représentent.

  • 14  Il s’agit d’accords souscrits entre les autorités éducatives et les autorités syndicales, dérivés (...)

38Il convient ici de préciser que les autorités régionales ou locales concluent également des accords spécifiques, parallèlement aux négociations nationales. La gouvernance des systèmes éducatifs locaux est faite au niveau local en tenant compte des pressions, accords et compromis politiques et syndicaux de rigueur dans ce cadre. Nous en prenons pour exemple les accords14 négociés par les sections syndicales au niveau local avec les autorités concernant des jours de congé, ainsi que des prestations ou des bénéfices concédés dans le cadre de négociations spécifiques et d’opérations politiques.

39À de nombreuses reprises, l’absence ou la faiblesse des cadres institutionnels, conséquence des pressions politiques qui sévissent dans un pays comme le Mexique, ont donné lieu à des dénonciations du rôle du SNTE dans les élections ou dans l’éducation mexicaine. S’il est indéniable que, pour la construction d’un programme éducatif national, de grands accords politiques sont indispensables, il n’en demeure pas moins que les gouvernements locaux ont été affaiblis, voire absents, des débats concernant les accords nationaux.

40Le cahier de doléances du SNTE, unique représentant du collectif des travailleurs éducatifs auprès de l’autorité fédérale, se nourrit des demandes et sollicitations des sections syndicales locales ou régionales. Mais il est très rare que les besoins, pressions et engagements des gouvernements locaux soient intégrés dans le programme éducatif national, surtout par les autorités éducatives et/ou les politiques fédérales.

41Si la définition de la politique éducative exige la participation de tous les acteurs, le binôme syndicat et autorité éducative reste d’une très grande complexité au Mexique.

42On peut observer que, de manière constante, la politique éducative nationale doit se construire en résolvant les tensions qui surgissent entre la réponse aux demandes locales et le cadre national institutionnel contraignant.

Considérations finales

43Le système éducatif mexicain est hétérogène, complexe, divers. La plupart du temps, il est étudié et analysé comme s’il s’agissait d’un seul système alors que l’on doit le comprendre comme trente-deux sous-systèmes différents, soit autant d’entités que celles qui constituent le territoire national.

44Les besoins, les réalités et les défis sont divers, aussi bien au niveau national que provincial, régional ou local. Bien que les efforts pour développer des directives générales émanant du secrétariat fédéral à l’éducation publique, que ce soit par mandat constitutionnel ou par l’élaboration de programmes, aient été importants, le défi de la mise en place des politiques ne saurait se réduire à la justesse de la conception d’une réforme ou au professionnalisme des personnes qui prennent des décisions, mais implique de comprendre que la gouvernabilité et la gouvernance du système dépendent de façon décisive de la relation et de la construction avec le syndicat qui représente tous les enseignants, le SNTE.

45L’équilibre des forces et du pouvoir entre les sections syndicales et les autorités éducatives est un sujet à examiner de toute urgence pour la construction d’un programme éducatif national et provincial. Il est en effet notoire que les actions politiques des enseignants influent sur la conception et le développement du programme éducatif mexicain, et qu’une bonne gouvernance éducative passe nécessairement par la reconnaissance du rôle joué par le SNTE, lorsqu’il s’agit de trouver des accords, de concevoir des politiques éducatives sensées, réalistes et crédibles.

46Le programme éducatif national a besoin des gouvernements locaux, de même que les politiques éducatives ont besoin du syndicalisme enseignant. Le Mexique a besoin que les acteurs essentiels dans ce cadre trouvent des points de convergence, reconnaissent le passé, nouent des accords politiques, enseignants et éducatifs pour le bien du pays. Il y faut bien plus que de la volonté politique : il faut comprendre, comme on a pu l’observer pendant des années, que les autorités éducatives sont en constant renouvellement du fait de la vie démocratique du pays et, avec elles, les projets éducatifs et leurs programmes. Cependant, jusqu’à présent, dans le champ de l’éducation, ce qui se maintient est l’autorité syndicale qui n’est pas forcément une affaire de personne mais bien plus de représentation de l’identité enseignante dans le syndicat.

47Dans les faits, le SNTE, comme syndicat officiel ou dissident, dans son rôle de représentant officiel des enseignants ou comme autorité éducative à chaque échelon, que ce soit afin de défendre les droits des travailleurs ou pour interroger et proposer des lignes éducatives nationales, depuis les écoles jusqu’aux secrétariats à l’éducation, est présent dans tous les aspects de la vie du système éducatif mexicain.

48La gouvernance en éducation doit prendre pour point de départ la reconnaissance des acteurs, de leurs intérêts et de leurs alliances. Sur cette base, et en reconnaissant les besoins des gouvernements provinciaux, il sera davantage possible de construire une politique éducative au Mexique et, à plus long terme, au niveau local.

Haut de page

Bibliographie

ARMENTA A. M. (2011). « El SNTE y Nueva Alianza: del control político del magisterio a la cohabitación pragmática electoral ». El Cotidiano, no 168, p. 95-107.

INE [INSTITUTO NACIONAL ELECTORAL] (2022). Partidos políticos locales. https://bit.ly/3Omyfzt

NAVARRO L. H. (2005). « SNTE, PRI y política ». La Jornada, 13 septembre. https://bit.ly/3tzpp85

PRI (2022). Dirigencias Nacionales. Partido Revolucionario Institucional. https://bit.ly/3ghcEMj

SALGADO A. A. (1993). Historia de una profesión: maestros de educación primaria en México 1887-1993. El Colegio de México.

SIL [SISTEMA DE INFORMACIÓN LEGISLATIVA] (2022). Perfil del legislador ⁄ Actividad legislativa. Sistema de información legislativa. https://bit.ly/3Gp9vEF

SNTE (2022). Estatuto. Sindicato Nacional de Trabajadores al Servicio de la Educación. https://bit.ly/3giaqMv

Haut de page

Notes

1  Voir INEGI, 2022 : https://www.inegi.org.mx

2  Dans cet article, est appelé « provincial » le niveau des trente-deux États qui composent la République fédérale mexicaine. Chaque État dispose d’un secrétariat à l’éducation (NdT).

3  Le Parti national révolutionnaire est l’ancêtre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), créé par Plutarco Elías Calles au terme de sa présidence. Ce parti a gouverné le Mexique de 1929 à 2000.

4  Le Centre de travail est composé de l’ensemble des travailleurs syndiqués relevant d’une même équipe de niveau post-primaire ou groupes assimilés, zone scolaire, unité administrative, académique ou de services, inférieur au minimum requis pour constituer une délégation syndicale (SNTE, 2022).

5  La réforme éducative de 2013 est actée par la Loi générale du service professionnel enseignant, qui régulait l’entrée, la promotion, la permanence et la reconnaissance des enseignants en éducation basique et moyenne supérieure. Il a été instauré, entre autres, que toute nouvelle admission à un poste d’enseignant ou promotion à une charge de direction ou d’inspection en éducation basique et moyenne supérieure résulterait d’un concours. Cette loi, qui permettait de supprimer les négociations mixtes entre autorités syndicales et éducatives pour les nominations à des postes de direction, a été abrogée en 2019.

6  Il s’agissait d’espaces reconnus par le droit du travail, qui concédait aux syndicats de travailleurs au service de l’État une représentation dans ces sessions de négociation pour la désignation à des postes et pour les promotions.

7  Le terme espagnol normalista renvoie à des élèves d’écoles normales comparables à celles qui existaient sous la IIIe République en France, et qui ont une importance considérable dans les zones rurales (NdT).

8  Une pratique fréquemment constatée était la vente de ces postes, qui pouvaient également faire l’objet d’une transmission héréditaire (NdT).

9  Jesús Saravia y Ordoñez a dirigé la section 51 du SNTE, a été député fédéral du PRI et conseiller politique et financier de l’ex-dirigeante nationale du SNTE, Elba Esther Gordillo.

10  Andrés Manuel López Obrador, président élu en 2018 pour un mandat de six ans (NdT).

11  Elba Esther Gordillo a été arrêtée sur des accusations de corruption par les autorités mexicaines le 26 février 2013.

12  Il avait succédé à Elba Esther Gordillo à la présidence du SNTE.

13  Dans cet article, la gouvernance est entendue comme le mécanisme équilibré de relations et d’interactions entre les différents acteurs qui constituent le système éducatif, au niveau fédéral et/ou provincial ou régional. Tous ceux qui y prennent part – enseignants, élèves, équipes de direction ou administratives, secrétaires d’État ou ministres, organisations de la société civile, entrepreneurs, partis politiques, programmes gouvernementaux, médias – ont un rôle et exercent une influence sur le système éducatif, quel que soit l’échelon.

14  Il s’agit d’accords souscrits entre les autorités éducatives et les autorités syndicales, dérivés des négociations mixtes.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Patricia Vázquez del Mercado et Gustavo A. Hernández López, « Syndicalisme enseignant et gouvernance du système éducatif : le cas du SNTE au Mexique »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 91 | 2022, 101-110.

Référence électronique

Patricia Vázquez del Mercado et Gustavo A. Hernández López, « Syndicalisme enseignant et gouvernance du système éducatif : le cas du SNTE au Mexique »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 91 | décembre 2022, mis en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 15 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/13417 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.13417

Haut de page

Auteurs

Patricia Vázquez del Mercado

Patricia Vázquez del Mercado est titulaire d’une licence en éducation de l’Universidad Panamericana (UP), d’un diplôme en politique publique pour le développement social au Mexique du Centro de Investigación y Docencia Económicas (CIDE), d’une spécialisation en gouvernance mondiale de l’Institut allemand de développement (DIE), d’un master en politique publique comparée de la Faculté latino-américaine des sciences sociales (FLACSO) et d’un master en politique éducative internationale de la Harvard Graduate School of Education. Elle a été membre du conseil d’administration de l’Institut national d’évaluation de l’éducation (INEE), au Mexique, et secrétaire de l’éducation publique de l’État de Puebla de 2015 à 2018. Elle a en outre occupé diverses fonctions dans des organisations internationales et dans la société civile pendant vingt ans, dans les domaines de l’éducation, de l’autonomisation des femmes, des écarts sociaux et de la pauvreté. Courriel : patricia_vazquezh[at]yahoo.com

Gustavo A. Hernández López

Gustavo A. Hernández López est docteur en éducation de l’Universidad Popular Autónoma de Puebla, au Mexique. Au niveau national, il a été directeur de zone au sein du conseil d’administration de l’Institut national d’évaluation de l’éducation, et directeur de zone au sein du sous-secrétariat de l’enseignement secondaire supérieur. Au secrétariat de l’éducation publique de l’État de Puebla, il a dirigé l’unité de développement de l’enseignement professionnel et coordonné le service d’enseignement professionnel. Il a été sous-secrétaire de l’enseignement obligatoire, responsable des programmes fédéraux et coordinateur des programmes à destination des populations à risque. Actuellement professeur à l’Instituto de Profesionalización del Magisterio Poblano, il collabore, avec le sous-secrétariat fédéral à l’enseignement secondaire supérieur, à la conception de la réglementation du système de carrière des enseignants du secondaire supérieur.

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search