Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents / Jean-Philippe Decka, Le courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents, Seuil, 2022, 192 p.
Jean-Philippe Decka, Le courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable, Payot, 2022, 237 p.
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1La littérature traitant du dérèglement climatique, de la biodiversité ou encore de la finitude des ressources fossiles est abondante, reflétant des approches différentes, souvent divergentes, parfois antagonistes. Si l’on ajoute à cela les informations distillées par les réseaux sociaux, il est difficile de construire une opinion objective, d’autant qu’est forte la tentation d’adhérer à des théories minimisant, voire niant l’importance du sujet.
2L’ouvrage de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle a l’originalité de viser à outiller les adultes en vue d’un dialogue avec les jeunes générations sur le sujet ô combien anxiogène de l’effondrement.
3Parents et grands-parents peuvent être témoins de l’éco-anxiété de leurs enfants et petits-enfants, et sont démunis face à celle-ci, par méconnaissance des phénomènes sous-jacents, mais également par ignorance des réponses objectives qu’ils pourraient apporter, permettant de rassurer sans minimiser le problème. C’est pourquoi les auteurs, ingénieurs agronomes et docteur en biologie pour l’un d’eux, se proposent de fournir les outils aux lecteurs qui peineraient à trier le vrai du faux, voire à lire et à comprendre les articles scientifiques et publications, telle celle du GIEC. C’est là un incontestable intérêt de l’ouvrage, d’autant que cela est fait de façon simple, compréhensible, les auteurs ayant choisi d’organiser leur propos sous la forme d’un dialogue avec trois personnes de sensibilités différentes.
4Le premier échange se fait avec une jeune fille de 13 ans à qui l’interlocuteur précise qu’il est normal d’avoir peur face à la situation, qu’il serait d’ailleurs anormal de ne pas s’inquiéter, mais qu’il s’agit d’affronter cette peur en agissant. Non pas seul, mais collectivement, après avoir créé des liens avec l’entourage, ce qui doit permettre d’imaginer « une autre histoire, d’autres sens à nos vies » avec plus de sérénité. Avec cette jeune personne, le dialogue est organisé de façon structurée, proposant successivement :
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de lister, autant que possible, ce qui mène au constat que nous courons à la catastrophe – l’interlocuteur en profite pour apporter des éléments de compréhension des phénomènes climatiques et rappeler que nos comportements n’ont pas une incidence sur le seul réchauffement climatique qui est au centre de l’actualité ;
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d’identifier des causes puis des solutions possibles, sans nier la complexe intrication des divers facteurs ;
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de réfléchir aux choix qui pourraient être faits, aux actions mises en œuvre, prenant en compte les multiples contraintes, dont celle de l’acceptabilité.
5Le second propos s’adresse à un étudiant de 22 ans, militant écologiste « révolté ». Il y a naturellement une prise de hauteur par rapport au précédent échange, initiant en particulier une réflexion sur l’action publique, l’État et la place du capitalisme. Trois actions complémentaires, vecteurs de progrès, sont alors identifiées : la lutte, la construction d’alternatives, et le changement de conscience, celui-ci englobant le « temps profond », c’est-à-dire une prise de recul, l’entraide et le vivre ensemble. Si le propos demeure très général, il a cependant le mérite de montrer que l’on peut réorienter des propos de révolte vers une réflexion structurée, constructive et non belliqueuse, par des apports de connaissance et des mises en perspective, des confrontations.
6Le troisième propos, quant à lui, s’adresse à des « aînés » que l’auteur pousse à « prendre leurs responsabilités » alors que ceux-ci préfèrent s’en remettre à des spécialistes et ne voient pas quel pourrait être leur impact, étant donné leur âge. Il les amène à déconstruire leurs idées préconçues, à comprendre la nécessité de traiter des sujets de fond et à remettre en question notre manière de vivre. Le propos n’est pas dénué d’intérêt mais on peut regretter qu’il ne soit pas proposé de tisser un lien entre ces personnes et leurs petits-enfants, pour lesquels les grands-parents sont un point d’ancrage.
7Tout autre est le propos de Jean-Philippe Decka, qui aborde le délicat sujet de la réorientation professionnelle et de l’entrée dans la vie active, à notre époque où les écosystèmes sont bouleversés, conséquence de l’activité humaine. Il restreint certes son champ d’analyse aux diplômés des grandes écoles (dont il est issu), mais le justifie par le fait indéniable que ce sont ces diplômés qui deviendront, ou sont déjà, les « décideurs » des politiques et des choix sociétaux.
8Quelles sont les raisons qui poussent un nombre croissant d’entre eux à « sauter le pas », et ce au détriment de leur statut social et d’une sécurité financière ? Selon l’auteur, qui s’appuie sur les résultats d’une enquête qu’il a menée ainsi que sur de nombreux entretiens, il y a une réelle prise de conscience du danger que nous courons, mais les freins au changement sont nombreux, tout particulièrement le renoncement au confort, aux voyages et aux biens de consommation, le jugement des autres ou encore la pression idéologique. Son analyse se structure en trois parties : les aspirations au changement, les freins faisant obstacle à celui-ci et enfin des façons de s’en libérer.
9Le déclencheur d’une remise en question viendrait de ce qu’une partie croissante des élites ne se satisferait plus des « voies toutes tracées » du fait, d’une part, d’un ennui dans la position occupée en l’attente longue d’un poste plus épanouissant, d’autre part, de l’absence de sens des activités professionnelles menées. Et c’est ce manque de sens qui est le moteur premier d’une renonciation professionnelle, très souvent associée à une prise de conscience écologique. Pour surmonter les freins identifiés, l’auteur propose trois étapes : le deuil, la réappropriation de son temps et le renoncement. Il s’agit d’un travail sur soi visant à poser un regard distancié et à s’affranchir de l’opinion commune, préalable nécessaire à un changement en profondeur.
10Si les deux ouvrages ne visent pas les mêmes publics, ils ambitionnent cependant tous deux de favoriser, d’initier, d’accompagner une évolution vers un monde durable, et ont le mérite d’être accessibles et non militants, ce qui ne leur donne que plus de poids.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Jacques Baton, « Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents / Jean-Philippe Decka, Le courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 92 | 2023, 44-45.
Référence électronique
Jean-Jacques Baton, « Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents / Jean-Philippe Decka, Le courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 92 | avril 2023, mis en ligne le 01 avril 2023, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/13670 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.13670
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