1L’expérience du handicap à l’école a été marquée par une série de paradoxes et de tensions au cours des dernières décennies (Plaisance, 2009 ; Ebersold, 2010 ; Gardou, 2017). Pourquoi dit-on qu’elle varie en fonction du type de handicap, des contextes socio-culturels nationaux et du fait de l’ignorance collective ? Comment les pratiques effectives mises en place par les écoles, les familles et d’autres partenaires peuvent-elles faire évoluer les objectifs d’intégration scolaire et d’inclusion sociale ? Quelles dispositions prendre et quelles formes d’accompagnement des acteurs impliqués prévoir ?

2Les articles réunis dans ce dossier proposent d’examiner les pratiques des enseignants, des acteurs et des professionnels dans huit systèmes éducatifs socioculturels répartis sur quatre continents : la Bulgarie, le Canada, la République démocratique du Congo, l’Italie, la France, le Japon, le Mexique et la Zambie. Le choix de ces contextes a été guidé par la volonté d’étudier les liens et les tensions entre les orientations socio-politiques nationales et les pratiques sur le terrain, en milieu scolaire, afin de contribuer à la mise à jour des connaissances sur l’évolution des soutiens effectifs offerts aux élèves vivant avec un handicap. Notre examen porte ainsi aussi bien sur des pays moins nantis (Bulgarie, Mexique, Congo et Zambie) d’un point de vue économique que sur des pays nantis (France, Italie, Canada, Japon). Les services qui y sont offerts aux élèves ne sont ni financés ni organisés de la même manière ; d’où notre préoccupation de comprendre le décalage existant entre discours, législations et réalisations effectives sur le terrain.

3Trois défis semblent émerger d’emblée. Le premier défi concerne les aspects linguistiques, langage et vocabulaire. Le premier défi concerne les controverses liées au concept de handicap, perçu par certains comme discriminatoire. Ils estiment que toute personne a des besoins particuliers et que les institutions devraient y répondre en fonction de leur mission. Sans contredire ce constat, d’autres considèrent que le terme de handicap est utilisé dans le langage courant pour désigner des personnes dont certaines caractéristiques d’ordre physique, cognitif ou psychologique sont des freins importants pour certains aspects de la vie sociale et demandent, au sein des institutions éducatives, des adaptations importantes et des compétences particulières de la part des enseignants et du personnel éducatif. Cette controverse a l’avantage d’insister sur la nécessité d’accorder son attention à tout besoin particulier, ce qui rejoint l’importance accordée actuellement au concept d’éducation inclusive. Quant au deuxième défi, il renvoie à la pluralité des programmes d’intervention en milieu scolaire. Des directives particulières doivent permettre à l’élève d’évoluer parmi ses pairs, pour préparer son avenir et acquérir les outils favorisant le développement de l’estime de soi.

4Le troisième défi concerne les engagements relatifs à la planification des tâches, des activités, des actions intégratrices ou de l’inclusion scolaire. Ces engagements sont souvent prometteurs dans les pays nantis ; l’offre des services éducatifs y est aussi diversifiée.

5Enfin, le quatrième défi renvoie aux relations entre l’école, les familles et les communautés. Dans le contexte des situations de handicap, les parents sont considérés comme une source d’expertise incontournable en vue de soutenir l’inclusion. Ils jouent un rôle de premier plan dans le processus d’adaptation ou de réadaptation.

6Dans le cheminement socio-historique des services éducatifs, deux instruments sont souvent cités par les auteurs et jouent un très grand rôle dans l’autonomisation des élèves : la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant (1989) et la Déclaration de l’Unesco à Salamanque sur les besoins éducatifs spéciaux (1994). Le premier instrument affirme le droit à la survie, au développement, à la protection et à la participation sociale. Il rassemble les valeurs fondamentales valables dans le monde entier. Il rappelle comment se comporter envers les enfants, au-delà de leurs différences sociales, culturelles, ethniques ou religieuses. Il aide à considérer les enfants comme des personnalités autonomes dotées du droit d’exprimer leur opinion personnelle. Le second instrument apparaît depuis plusieurs années comme un guide de référence pour les gouvernements, les organisations internationales, les organismes nationaux d’assistance, les organisations non gouvernementales, etc. Il a permis de mobiliser des connaissances en matière de principes, de politiques et de pratiques éducatives, en faveur de l’inclusion des élèves présentant des besoins éducatifs spéciaux, y compris des personnes handicapées. Un paradoxe universel s’impose à ce niveau : plus les années passent, plus se multiplient des mesures d’aide qui contribuent à réduire les obstacles et incapacités. Pourtant, la plupart des auteurs affichent un sentiment d’insatisfaction, devant un maigre bilan en matière de transformation des situations sur le terrain.

7Les articles réunis dans ce dossier permettent d’envisager des situations culturelles et sociales variables, où l’élève handicapé peut évoluer en demandant moins de moyens de soutien, où l’élève peut bénéficier de nouvelles mesures d’accueil en classe ordinaire, où la scolarisation de l’élève handicapé peut faciliter sa préparation à mieux vivre ensemble avec ses pairs au sein de sa communauté, etc. Les questions soulevées peuvent être explorées selon les quatre thématiques suivantes : sens et représentations du handicap dans la société ; leviers et dispositifs de soutien ; culture scolaire et pratiques effectives ; perspectives du développement professionnel.

Sens et représentations du handicap

8Les articles venant du Japon et de la France semblent particulièrement pertinents lorsqu’il s’agit de traiter du sens et de proposer les définitions et principes relatifs aux situations de handicap (Fougeyrollas, 2010).

9Concernant l’expérience du Japon, Aoi Nakayama rappelle le contexte d’émergence des pratiques spécialisées à l’école. Elle mentionne ainsi l’adoption par son pays de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et souligne les efforts du comité ministériel japonais qui a préconisé la mise en place d’un système éducatif inclusif au Japon. Désormais, les enfants en situation de handicap peuvent choisir entre un enseignement en classes ordinaires, en classes ordinaires associées à des classes spécialisées, en classes spécialisées ou dans des établissements spécialisés, en fonction de leurs besoins et de leurs souhaits. Or, le nombre d’enfants inscrits dans les classes et les établissements spécialisés ne cesse de croître. Les perceptions et représentations du handicap ainsi mises en évidence aident à comprendre les ajustements apportés au sein de la société japonaise. Elles révèlent aussi la façon dont le monde de l’enseignement résiste aux pressions dues aux besoins éducatifs particuliers de quelques élèves.

10Le texte consacré à la France porte sur la classe d’enseignement professionnel et traduit les mêmes préoccupations. Ses autrices, Mélissa Arneton et Line Numa-Bocage, décrivent la situation des élèves dans le cadre de l’école inclusive française. Elles soulèvent une question sociale vive, particulièrement dans le cadre de l’enseignement professionnel, en montrant comment des enseignants se saisissent des moyens institutionnels mis en place pour accompagner des besoins particuliers de leurs élèves. En s’appuyant sur des exemples issus des pratiques sur le terrain, elles insistent sur les responsabilités des enseignants et des formateurs en général, pour tenir compte de l’hétérogénéité des élèves. « Le travail éducatif et didactique auprès des élèves présentant un handicap commence par le fait de croire en l’éducabilité de l’élève. Il faudrait croire que l’élève est éducable, et accepter de courir le risque et le défi de contribuer à l’évolution de son humanité de manière positive », rappelle également la contribution italienne.

11Ces deux articles permettent de mieux entrevoir le cheminement, côte à côte, de deux visions sur le terrain : la vision « défectologique » et la vision écologique du handicap (Ebersold, 2010).

12La première est en effet prégnante dans l’espace francophone. Elle est liée à l’accroissement des demandes de services pour les personnes « handicapées » ; tandis que la seconde s’est le plus imposée dans le monde, au cours des dernières décennies, en intégrant les connaissances actuelles sur les interactions de la personne avec les autres et avec les environnements, et en prenant en compte les réalités fonctionnelles et organisationnelles.

13Ces deux études de cas sur le Japon et la France mettent bien en évidence des tensions liées aux ambiguïtés récurrentes entre la vision d’un monde normal et celle d’un monde anormal (Nirje, 1969 ; Wolfsenberger, 1998 ; Ebersold, 2010). Ces tensions forcent à prendre en compte la nouvelle définition sociale du handicap et les perspectives qui s’ouvrent dans les services scolaires, ainsi que les conditions favorables à la réussite pour tous (Mainardi, 2021).

14L’ignorance collective mentionnée dans ces articles contribue à aggraver une situation déjà désavantageuse, dans la mesure où nombre d’élèves laissés-pour-compte risquent de ne pas bénéficier d’un entourage stimulant intégrant leurs pairs.

Leviers et dispositifs de soutien

15La question des leviers et dispositifs de soutien est au centre de la contribution de Joachim Mukau Ebwel (Congo), qui porte sur la méthode Teacch. Ce sigle renvoie à une expression de langue anglaise : « Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children ». Il s’agit d’une méthode d’intervention éducative adaptée aux réalités des enfants autistes. Développée aux États-Unis dès 1966 par Éric Schopler, la méthode Teacch donne à ces enfants la possibilité d’apprendre dans un cadre d’éducation structuré. Elle vise le développement de l’autonomie de chaque enfant. Elle cible la mesure des capacités et des déficits, en travaillant sur l’évaluation des habiletés de l’enfant, en milieu scolaire comme en milieu familial. Elle promeut une approche individualisée et oriente l’enseignant vers l’identification des forces à exploiter au cours d’une prise en charge professionnelle. En s’y intéressant, Joachim Mukau Ebwel accorde une attention particulière aux préoccupations explicites des enseignants, des éducateurs spécialisés, des directeurs d’établissement et des familles. L’appropriation de la méthode Teacch est un défi majeur pour les enseignants et les parents, qui doivent inventer leurs propres stratégies en s’inspirant des techniques préconisées dans cette méthode, afin de permettre aux enfants autistes d’apprendre de nouveaux comportements. L’auteur montre comment les enseignants spécialisés, les enfants eux-mêmes et leurs parents en tirent des bénéfices, en surmontant des difficultés liées à sa mise en œuvre en classe et dans les familles.

16Allant dans le même sens, Rosly Angrand, Jean Gabin Ntebutse, Elyse Proulx-Cullen et Céline Yon présentent la façon dont l’univers du handicap se transforme au Canada, en particulier pour l’élève présentant une déficience auditive. C’est le passage d’une phase de ségrégation à une période de plus grande participation sociale. Ces auteurs et autrices mettent l’accent sur les valeurs et conventions sociales adoptées, les contraintes normatives, les modèles éducatifs, ainsi que sur différentes approches d’intégration en milieu scolaire. En prenant appui sur le modèle dominant du développement humain et du processus de production des handicaps, les auteurs et autrices ont également rappelé l’importance de la réalisation des habitudes de vie. Or celles-ci résultent de l’interaction entre les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles) et les facteurs environnementaux (les aspects facilitateurs et les obstacles). C’est dans la réalisation des « habitudes de vie » qu’apparaissent les possibilités de « participation sociale ». Les facteurs environnementaux touchent à la dynamique de plusieurs secteurs de la société et du milieu de vie de l’élève. Tout ce qui est dans son environnement direct ou indirect a une influence, positive ou non, sur la suite de son parcours scolaire.

17Sur ce chemin de l’école inclusive, la contribution d’Anelia Garbacheva et Christina Fidosieva, qui porte sur la transformation des pratiques scolaires en faveur des personnes déficientes intellectuelles et autistes en Bulgarie, est éclairante. Depuis le début des années 1990, ce pays a mis en place une politique d’inclusion conduite à un rythme accéléré. Selon les autrices, tous les élèves sont concernés par ces réformes, indépendamment de leurs différences ou handicaps. Toutefois, la mise en œuvre de tels changements demeure un défi au quotidien. Les services organisés sur le terrain doivent être soumis à des ajustements continus pour mieux apprécier les progrès accomplis par les élèves. Dans ce contexte, l’accès aux outils et ressources favorise des résultats variés, des parcours à succès, ainsi qu’une accumulation des preuves de réussite. Un tel accès permet aussi d’exploiter des approches positives d’intervention, d’identifier les comportements adaptatifs chez la personne et d’aider à améliorer la qualité de vie au quotidien.

18Certains outils permettent de suivre les progrès réalisés dans les écoles en Bulgarie. D’autres aident plutôt à revisiter des concepts, politiques, structures et pratiques, dans le but de réduire le fossé entre la volonté et les actions chez la plupart des enseignants. Ces derniers ont tendance à se dépasser pour adopter de nouvelles stratégies d’accueil, en mettant l’accent sur le respect des différences.

19En définitive, les textes qui insistent sur l’amélioration des leviers de changement en faveur de l’inclusion (Congo, Canada, Bulgarie) prônent plutôt des actions concertées, afin de mieux affronter les effets des limitations fonctionnelles et d’encourager les mesures de soutien appropriées. Celles-ci incluent des ajustements pédagogiques, des outils d’assistance technologique, des modifications dans l’accessibilité physique des établissements, ainsi que des stratégies d’accompagnement personnalisé. Ces contributions témoignent d’une volonté de rupture entre les valeurs anciennes et les valeurs actuelles. Alors que les valeurs traditionnelles ou conservatrices sont encore axées sur l’individualisme, l’indépendance et la compétitivité, la culture inclusive voulue pour faire face aux situations de handicap met plutôt l’accent sur la communauté, la collaboration et la communication. Les initiatives encouragées placent les élèves et leurs enseignants dans une situation de rupture par rapport aux cas de discrimination. L’itinéraire de chaque élève est plutôt présenté comme ouvert à une expérience de développement humain applicable à tous, ainsi qu’à plus d’interaction entre la personne et son environnement, avec davantage de possibilités d’une pleine participation sociale.

Cultures scolaires et pratiques effectives

20La troisième thématique abordée dans ce dossier couvre les aspects de l’interculturalité et de l’interdisciplinarité. Dans son article centré sur le Mexique, Dalia Peña Islas rappelle que la population indigène souffre de situations de handicap qui méritent une attention particulière, compte tenu du contexte dans lequel elle vit. Malgré la clarté du cadre législatif, la situation au sein des écoles indigènes est soumise à de nombreuses tensions. Les services d’éducation spéciale sont rares dans les régions rurales, par manque de ressources. De leur côté, Robert Serpell et Dabie Nabuzoka évoquent des difficultés semblables dans les écoles de Zambie. Ils décrivent les cadres institutionnels et les pratiques pédagogiques et mettent en évidence les caractéristiques culturelles actuellement en place pour les enfants ayant des besoins éducatifs particuliers dans un pays africain. Comme au Mexique et dans d’autres cultures africaines, en Zambie ou au Congo, les populations locales ont une conception spécifique de la santé et du handicap. Elles sont influencées par leur culture, leurs liens au monde du surnaturel, leurs tabous et leurs connotations du monde ancestral. Mais dans ces espaces, le handicap peut également faire l’objet d’une valorisation positive. Du fait de certaines caractéristiques, les personnes handicapées sont considérées comme des créations divines, dotées de sagesse, connaissances et bénédictions.

21Les auteurs montrent comment répondre aux besoins et aspirations d’enfants différents, ainsi qu’à ceux de leurs familles. En Zambie, trois approches stratégiques ont été identifiées : l’éducation spécialisée des enfants à besoins particuliers assurée par des professionnels qualifiés dans le domaine des incapacités fonctionnelles ; l’inclusion sociale des élèves à besoins éducatifs particuliers au sein de l’école ordinaire ; le soutien au développement de ces élèves avec l’appui de la communauté.

22C’est aussi dans ce sens que l’on peut découvrir les réalisations de l’Italie, avec l’article d’Anna Pileri et Roberto Dainese qui traite du parcours historique et culturel, de l’intégration et de l’inclusion des élèves avec handicap. Comme le rappellent ces auteurs, l’Italie a été un pays pionnier dans l’abandon des classes différenciées pour les élèves à besoins particuliers. Elle s’est distinguée très tôt, concernant la question des enseignants de soutien, ainsi que celle de la gestion inclusive du groupe-classe. Malgré cet élan précurseur en matière d’éducation spécialisée, l’esprit d’innovation est cependant régulièrement menacé par les représentations collectives et les stéréotypes, lorsqu’il s’agit d’intervenir auprès d’élèves présentant des handicaps complexes. Les auteurs déplorent aussi le manque de personnel spécialisé et la précarité des conditions de travail des enseignants spécialisés. Ils déplorent la difficulté à offrir une réponse éducative pertinente aux élèves, surtout ceux présentant des situations de handicap. Des initiatives ont été prises en matière de formation initiale et continue des enseignants.

École et changement de paradigme

23Dans chacun des pays cités, l’école est soumise à un changement de paradigme. Elle est appelée à examiner ses stratégies pour l’adaptation à l’enfant, pour le réaménagement des structures, pour la transformation des pratiques existantes face à de la vulnérabilité des personnes. Ainsi, l’article mexicain cite un rapport de l’Organisation mondiale de la santé qui indique que « les personnes handicapées font face à des carences sanitaires, à de faibles résultats académiques, à une moindre participation économique et à des taux de pauvreté plus élevés que les personnes qui ne sont pas en situation de handicap ».

24Il est nécessaire de mieux comprendre les mécanismes de rejet ou d’exclusion, ainsi que ses conséquences en milieu scolaire. Les inquiétudes exprimées par les enseignants sont souvent liées à leurs propres sentiments d’incapacité par rapport à leur mission d’accueillir les élèves dans de bonnes conditions, grâce à des pratiques adaptées. C’est particulièrement le cas de l’article mexicain, qui montre que beaucoup d’enfants se voient privés d’une manière précoce d’un accès aux écoles publiques ou privées de leur quartier. Et « l’on ne connaît pas exactement le nombre de personnes indigènes en situation de handicap scolarisées dans les systèmes éducatifs formels » au Mexique.

25Dans certains pays d’Afrique, plus d’un enfant sur cinq, âgé de 3 à 4 ans et vivant avec des troubles fonctionnels (simples ou multiples), ne fréquente pas l’école. Dans ces conditions, même si un tel enfant pouvait entrer à l’école, il aurait moins de chance de progresser au même rythme que ses camarades et il serait plus susceptible d’abandonner l’école.

26Dans l’espace scolaire, l’enseignant est appelé à mettre en place une organisation pédagogique qui tient compte des acquis de ses élèves, de leurs différents styles cognitifs et de leurs champs d’intérêt, de façon à offrir à tous les conditions les plus favorables pour apprendre. Ainsi, selon l’article italien, les enseignants affirment qu’ils ont considérablement modifié leurs opinions et croyances concernant les élèves avec handicap, qu’ils voient ces élèves comme des personnes à part entière au-delà de l’étiquette ou du handicap, qu’ils déploient leurs efforts pour élaborer, puis partager les recommandations d’un « plan éducatif individualisé ».

27Pour leur part, les élèves doivent constater que tous les professionnels du milieu scolaire demeurent attentifs à leur progression et travaillent auprès d’eux de manière convergente. La réalité quotidienne de chaque élève est étroitement liée au soutien qui lui est fourni et aux adaptations apportées par les membres de son environnement. L’arrimage complet et harmonieux entre les besoins de la personne handicapée et les mesures de soutien qui lui sont destinées va en effet grandement influencer sa qualité de vie. Pour une accessibilité et une participation entière de la personne à sa communauté, l’incidence d’un tel réseau d’entraide doit être bénéfique non seulement pour la personne, mais également pour les membres de sa famille (Terrisse, Kalubi et Larivée, 2007 ; Larivée, Kalubi et Terrisse, 2006). Dans le cas italien, les enseignants déclarent qu’ils ont appris à saisir la valeur de la famille, à ne pas considérer les parents comme envahisseurs, à profiter de leur contribution, sans autre forme de préjugé.

28La présence des apprenants handicapés à l’école ordinaire demeure salutaire pour tous. Elle garantit l’expression de leur voix et l’enrichissement de l’expérience sociale collective. Elle aide à maintenir la pression commune dans la lutte quotidienne contre des exclusions et discriminations. Elle appelle la mise en place des « interventions pédagogiques » spécifiques afin de « promouvoir la réussite scolaire et le bien-être » pour tous, dans une perspective didactique inclusive qui implique la participation, la citoyenneté active, l’apprentissage par des stratégies coopératives, etc.

Perspectives de développement professionnel

29Tous les articles ici réunis permettent de souligner la transformation du sort des personnes handicapées, de retracer les différentes voies de réussite et d’orienter le choix des comportements adaptatifs pertinents.

30Au-delà des défis adaptatifs et des contraintes normatives, certains textes (Italie, Mexique, Bulgarie, Zambie) abordent aussi la nécessité d’apporter des ajustements à la formation des enseignants pour favoriser l’expertise en matière de plan d’inclusion, de références normatives, d’organisation scolaire, de critères d’allocation des ressources de soutien, etc. Dans tous les cas, la formation permet de renforcer l’idée de l’importance de la présence d’un élève handicapé parmi les pairs de son âge, dans le contexte scolaire évidemment, pour permettre le développement maximal de ses capacités, de ses compétences et du potentiel de chacun (Italie, Bulgarie, Canada, France). À l’issue de leur formation, les enseignants ont le sentiment d’avoir gagné plus de confiance dans leurs propres compétences relatives à l’enseignement inclusif, malgré les « particularités des contextes scolaires ».

31La formation enrichit les enseignants et les sensibilise aux possibilités d’action inédites. Elle les aide à briser l’isolement de leurs élèves en situation de handicap, voire à limiter les effets de l’indifférence. Les situations de handicap peuvent être abordées aussi en soulignant la diversité des publics scolaires, afin d’accompagner les transformations des pratiques professionnelles.

32D’une façon globale, il faudrait agir non seulement pour transformer des mentalités, mais surtout pour mettre en évidence de nouvelles façons de nommer les habitudes de vie, voire décortiquer les conditions d’épanouissement de la personne qui vit avec des incapacités.

33Enfin, les idées exposées dans les différents articles de ce dossier sont complétées par un entretien et une riche bibliographie.

34Sandra Boisseau, pour l’ONG Fédération internationale Humanité & Inclusion, permet d’éclairer différentes zones d’ombre concernant les trajectoires des projets d’éducation inclusive. Elle montre comment le combat pour faire progresser le droit à l’éducation pour tous passe par l’engagement des enseignants et parents de différentes régions du monde. Elle fournit des détails supplémentaires concernant les outils et stratégies d’intervention, les freins et obstacles d’ordre socio-culturel, l’impact des projets sur les enfants et les familles, la formation des enseignants, voire l’apport de la recherche. L’experte s’appuie sur l’expérience du handicap dans les projets menés par Humanité & Inclusion pour soutenir les personnes handicapées et promouvoir l’éducation inclusive, dans vingt-six pays. Il s’agit surtout de faire progresser le droit à l’éducation pour tous les enfants. Ainsi, l’école, c’est « d’abord une amélioration en termes de bien-être, de confiance en soi – pour ceux qui sont accompagnés ». Par ailleurs, cet organisme aide chaque enfant à participer pleinement à la vie de l’école, dans la perspective d’une éducation intégrée à la communauté :

Nous travaillons par exemple sur des réponses spécifiques vis-à-vis d’enfants qui ont des déficiences sensorielles modérées à sévères, ou de ceux qui présentent une déficience intellectuelle… Les handicaps sont multiples et divers mais l’objectif de socialisation est pour nous une priorité.

35Ces éléments complètent ainsi les analyses proposées dans les études de cas précédentes. Ils mettent notamment en évidence les perspectives de développement professionnel des enseignants en fonction des besoins éducatifs particuliers car les possibilités offertes aux élèves handicapés d’apprendre avec leurs pairs, dans le cadre le plus normal possible, exigent des compétences évolutives.

36Différents leviers de changement sont à exploiter pour enrichir les activités de sensibilisation, de mobilisation et d’implication, aussi bien à l’école, en famille que dans la communauté. Le personnel éducatif doit être préparé, car la volonté seule ne suffit pas. Pour être adéquat et professionnel, l’accueil d’un élève handicapé nécessite un travail d’accompagnement et d’outillage, afin de créer des conditions favorables à une implication positive. Le travail à faire est sans nul doute basé sur la formation et le développement professionnel. Pour Humanité & Inclusion, la formation des enseignants est au cœur du développement professionnel souhaité. Pour cela, il est nécessaire d’accompagner les ministères de l’éducation des pays d’intervention, afin de créer et de développer ensemble des outils et modules de formation destinés à l’éducation inclusive, tels que des dispositifs ou projets de tutorat-mentorat entre enseignants, entre agents plus expérimentés et enseignants généralistes ou novices. Les stratégies d’accompagnement déployées à cet égard ont permis de susciter des solidarités inédites, de partager des expertises et de lancer des courants innovants pour le développement professionnel en éducation inclusive.

37Enfin, la bibliographie analytique et sélective proposée par Hélène Beaucher met en évidence plusieurs questions et réponses. Celles-ci renvoient soit aux défis de la participation scolaire de nombreux élèves en situation de handicap, soit aux obstacles et nouveaux facteurs d’inaccessibilité hérités du contexte de Covid-19, ou encore aux récits des jeunes sur le handicap, etc. Grâce aux orientations nationales et internationales, la documentation proposée aidera le lecteur à comprendre davantage les freins et résistances aux changements, ainsi que les possibilités d’accélération des voies de réussite en faveur de l’inclusion.

38Par ailleurs, les réponses apportées dans cet article documentaire mettent aussi en évidence certains aspects du développement professionnel. En l’occurrence, un ouvrage décrit les engagements en faveur de l’éducation de l’enfant en situation de handicap en Inde, où, à la suite d’une augmentation de la scolarisation d’enfants traditionnellement exclus du système d’éducation formelle, ont été déployés des efforts pour améliorer le système de développement des compétences, aider le personnel à mieux assumer ses responsabilités, réduire la part d’inquiétudes et d’anxiété et enfin offrir un meilleur soutien à chaque élève. C’est bien grâce aux efforts de développement professionnel que l’on peut améliorer l’expertise permettant de valoriser le potentiel de tout apprenant.

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39En définitive, ce dossier montre que le chemin à parcourir pour rendre positive l’expérience de scolarisation des enfants et des jeunes handicapés est semé d’embûches multiples. Le fossé entre les dispositifs législatifs, les moyens financiers et les actions concrètes sur le terrain est grand et peut démobiliser les acteurs de l’intégration. De surcroît, des malentendus surgissent souvent entre les intervenants en fonction de leurs perceptions, représentations et besoins. Enfin, il convient de noter que toutes les sociétés contemporaines, riches ou pauvres, sont confrontées au dilemme de la protection et de l’accompagnement des plus fragiles à l’école et en dehors de l’école. L’éducation pour tous comme bien commun devrait faire partie des politiques éducatives contemporaines (Tawil et Locatelli, 2015).

40Les auteurs et autrices de ce dossier s’emploient à expliquer les changements survenus au cours des dernières années dans leurs pays. Ils présentent les leviers de changement en matière d’intégration d’enfants, de jeunes et d’adultes handicapés à l’école ou dans les structures de formation. Ils montrent comment les situations de handicap (d’ordre organique ou fonctionnel) couvrent plusieurs catégories de déficiences, visibles ou non. Chaque déficience entraîne des limitations fonctionnelles qui empêchent l’enfant d’accomplir certaines actions (limitation de mobilité, limites au niveau des mouvements volontaires, etc.) ou nuisent à son développement, à son adaptation et à ses apprentissages. Les environnements dans lesquels vit l’élève doivent être pris en compte, car ils aident à exposer les capacités et déficiences qui lui sont propres, concernant ses habitudes de vie, ses activités sociales. Le degré de réalisation des « habitudes de vie » détermine la gravité ou non des situations de handicap. Or aucune personne n’est handicapée en permanence, ni tout le temps, ni en tout lieu. Seul le contexte permet de faire émerger les limitations et le handicap. Les élèves en situation de handicap ont donc besoin de soutien (aménagement des lieux physiques, techniques adaptées en motricité, accompagnements personnalisés) (Tawil et Locatelli, 2015). Autrement dit, c’est l’environnement socio-éducatif qui rend possible ou non la réalisation du plein potentiel de chaque enfant.

41Les tensions entre les différents acteurs impliqués dans l’accueil et la scolarisation des enfants handicapés à l’école méritent aussi une grande attention. Néanmoins, il faut être conscient que les tensions sont inévitables. Par exemple, le réflexe protecteur des parents peut les amener à séparer leur enfant handicapé de son environnement, voire à l’isoler à domicile. Les appels pour des partenariats solides avec les parents restent souvent au niveau du discours théorique (Bacquelé et Fournier, 2022). Une peur réciproque sous-tend les relations parents-enseignants : celle de ne pouvoir donner l’image d’un bon parent, tout comme la préoccupation de ne pas être un bon enseignant réussissant sa mission d’éducation.