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Dossier - L’expérience du handicap à l’école

Les besoins éducatifs particuliers dans l’enseignement professionnel en France

Special needs students in vocational education in France
Alumnos con necesidades especiales en formación profesional en Francia
Mélissa Arneton et Line Numa-Bocage
p. 71-79

Résumés

La situation des élèves à besoins éducatifs particuliers dans le cadre de l’école inclusive à la française reste une question sociale vive. Cet article se centre sur leur scolarisation dans le cadre de l’enseignement professionnel. Il présente la façon dont des enseignants intervenant en formation professionnelle ou en enseignement professionnel adapté se saisissent des moyens institutionnels mis en place pour tenir compte des besoins particuliers des élèves. Les exemples sont issus des pratiques des autrices en tant que formatrices de formateurs. La discussion porte sur l’intérêt heuristique d’analyser les situations de handicap sous l’angle de la diversité des publics scolaires, afin d’accompagner les transformations des pratiques professionnelles.

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Texte intégral

1La situation des élèves à besoins éducatifs particuliers dans l’école inclusive à la française reste une question sociale vive, notamment dans le cadre des pratiques enseignantes en classe. Avec l’adoption d’une loi nationale pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (loi votée le 11 février 2005, décrets d’application publiés en 2011 et 2012), puis la ratification de la Convention internationale des droits des personnes handicapées1 en 2007, le paradigme concernant le handicap promu par les institutions scolaires françaises, qu’il s’agisse du ministère de l’éducation nationale ou de la direction de l’enseignement agricole relevant du ministère de l’agriculture, s’inscrit dans une approche sociale du handicap. Cette approche officielle considère que c’est aux institutions, aux établissements scolaires et aux équipes éducatives (personnels enseignants, conseillers principaux d’éducation, infirmiers ou assistants sociaux scolaires, aides humaines en classe, etc.) de lever les entraves limitant l’accès et la participation à la vie scolaire et aux apprentissages des élèves présentant un fonctionnement physiologique, cognitif, neurologique, psychique, linguistique ou social atypique. Ainsi, les notions de besoins particuliers et de situation de handicap sont liées de manière pratique dans les différentes procédures existantes pour qu’un élève bénéficie d’aménagements afin de favoriser ses apprentissages.

  • 2  La formation professionnelle peut se traduire en anglais par vocational education and training ou (...)
  • 3  Ce dispositif accueille des élèves évalués par l’école comme étant en grande difficulté scolaire à (...)

2Les travaux sur cette question s’intéressent à l’accès aux formations supérieures ou à la formation des enseignants universitaires (Toubhans, 2022). Les informations concernant les élèves en situation de handicap scolarisés dans des filières professionnelles sont moins nombreuses. Pourtant, de plus en plus d’élèves ayant une reconnaissance administrative d’une situation de handicap sont scolarisés dans une filière ou une section relevant de la formation professionnelle2. Le second degré en France concerne à la fois les collèges et les lycées. Les collèges concernent tous les élèves de la neuvième année à la douzième année de scolarisation obligatoire tandis que la poursuite d’études en lycée (général, technologique ou professionnel) dépend ensuite des choix d’orientation des élèves. Au collège, les élèves peuvent suivre des enseignements professionnels adaptés dans le cadre d’une section spécifique connue sous le terme de Segpa3 (section d’enseignement général et professionnel adapté). En tenant compte des populations scolaires de référence en 2021 (DEPP, 2022), le pourcentage moyen observé dans le second degré d’élèves ayant une notification administrative de handicap, quelle que soit la filière, est de 2,51 %. En filière professionnelle, 21,40 % des élèves de Segpa et 3,53 % des élèves de lycée professionnel (LP) sont concernés.

3La question de l’accueil et de l’accompagnement d’un public en situation de handicap de plus en plus nombreux dans les filières professionnelles se pose de manière renforcée, et ce d’autant plus que l’inclusion en formation professionnelle est un thème peu traité en France. Or l’obligation de scolarisation ou de formation de 3 à 18 ans, adoptée en France en 2020, pose de manière renforcée la question de la prise en compte des spécificités des jeunes dans le cadre de formations au monde professionnel. La problématique traitée dans cet article concerne l’accessibilité aux situations d’enseignement-apprentissage dans les filières d’enseignement professionnel, en tenant compte de la diversité des formations des enseignants intervenant dans ces filières. Sur un mode de note de synthèse, l’article dresse un bref panorama de l’enseignement professionnel en France pour les élèves présentant des besoins particuliers. Nous mobilisons pour ce faire des écrits professionnels d’enseignants en poste accompagnés en formation complémentaire (mémoires professionnels et de recherche). Partir de ce type de corpus permet, à la manière d’études de cas, de prendre en compte les questionnements des professionnels et les réponses qu’ils et elles apportent dans l’accompagnement d’élèves suivant un enseignement professionnel et présentant (ou désignés comme ayant) des besoins particuliers.

  • 4  Tout comme d’autres mémoires de formation, le corpus à la base des illustrations est consultable a (...)

4Dans un premier temps, des éléments de contexte sur les modalités de scolarisation individuelle et collective en enseignements professionnels seront présentés ; il s’agit des moyens dont l’État se dote pour accompagner les élèves. Dans un second temps, nous analyserons la façon dont les enseignants se saisissent des moyens institutionnels pour accompagner les élèves. À partir d’écrits en formation4, les voix d’acteurs enseignants intervenant en formation professionnelle ou en enseignement professionnel adapté quand ils et elles interviennent auprès d’élèves à besoins éducatifs particuliers seront mobilisées. Ils seront précédés de la mention « e.g. » dans les références du texte ; une situation sera plus particulièrement décrite. La discussion revient sur l’apport heuristique d’une perspective d’hyper-diversité des situations de handicap en milieu scolaire, pour mieux comprendre et accompagner les transformations des pratiques professionnelles en tenant compte de l’altérité des élèves.

L’enseignement professionnel en France : les pratiques institutionnelles d’inclusion

5En France, trois ministères délivrent des diplômes professionnels aux jeunes et aux adultes : l’éducation nationale, l’agriculture et le ministère du travail. D’autres dispositifs de formation assurés en partenariat avec des structures associatives ou dans le cadre de partenariats public-privé existent, comme les centres de formation d’apprentis (CFA) ou l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes. L’ensemble des formations professionnelles et professionnalisantes sont ouvertes à tous, y compris aux personnes en situation de handicap. Des structures médico-sociales spécialisées auprès des publics en situation de handicap proposent en outre de l’accompagnement ou des services d’aide par le travail. Les éléments présentés ici renvoient à la formation professionnelle initiale des jeunes de 14 à 18 ans.

  • 5  Cette dernière est délivrée par une instance décentralisée à l’échelon territorial.

6Lorsque l’élève a une reconnaissance administrative de handicap5, selon les plans personnalisés de scolarisation élaborés conjointement par l’équipe pédagogique, la famille et les intervenants médico-sociaux, il peut être dans l’une des situations suivantes :

  • en inclusion individuelle dans la classe de référence d’âge ou de niveau scolaire : dans ce cas, l’élève et les enseignants peuvent être accompagnés par un enseignant spécialisé, un auxiliaire de vie scolaire (AVS), un accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) ou un service d’accompagnement médico-social spécifique ; selon le type de handicap, l’inclusion individuelle dans la classe de référence peut être la situation la plus courante ;

  • scolarisé au sein de l’établissement dans un dispositif collectif Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) : l’élève bénéficie d’un emploi du temps aménagé, et un enseignant spécialisé propose des activités de renforcement à des groupes d’élèves sur des plages horaires spécifiques ;

  • scolarisé en établissement spécialisé (classes internes à l’établissement comme dans le cadre des instituts de jeunes sourds ou d’établissements régionaux d’enseignement adapté relevant de l’enseignement secondaire professionnel spécialisé) ; cette forme de scolarisation est plutôt destinée à des élèves rencontrant des difficultés importantes ou avec des troubles associés.

7Ces trois modalités de scolarisation existent aussi bien au collège qu’au lycée professionnel, quel que soit le ministère dont relève le lycée professionnel (ministère de l’éducation nationale ou ministère de l’agriculture). Pour les CFA relevant d’établissements publics à caractère économique (chambre des métiers, chambre de l’artisanat et du commerce…), des aménagements comparables sont en cours de déploiement. Au collège, en plus de ces trois modalités de scolarisation et de formation, les élèves en grande difficulté scolaire avec ou sans notification d’un handicap peuvent suivre des enseignements généraux et professionnels adaptés (Egpa). Ces enseignements professionnalisants débutent le plus fréquemment à partir de la classe de 4e, correspondant à la troisième année du second degré (soit la onzième année de scolarisation obligatoire). Dans certains établissements, des Egpa sont proposés aux élèves dès leur entrée dans le second degré, afin de leur proposer des renforcements dans les matières générales et de les initier à leurs applications dans des contextes professionnalisants.

8Les stages étant un élément central dans la formation professionnelle, ils sont nécessaires pour valider les diplômes poursuivis. L’accessibilité des lieux de stage est pour l’instant un facteur de risque : un non-accès de même qu’une absence d’autonomie pour se rendre sur le lieu peuvent remettre en cause le projet d’orientation de l’élève (cas 1).

Cas 1 : accéder de manière autonome au monde professionnel

9Un chef d’entreprise qui accueille en stages des élèves de Segpa et de LP indique que prendre un apprenti est un engagement (e.g. Germain, 2019). Il utilise les stages courts en Segpa et la période d’essai dans le cadre des contrats d’apprentissage pour identifier les jeunes motivés pour s’investir dans la durée.

En général, ça se dégrade dans les cinq ou six derniers mois du contrat […] dès qu’ils ont 16-17 ans, un peu d’argent, un scooter… ils évoluent différemment et surtout différemment de nos préoccupations d’entrepreneurs.

10Lors de son choix d’un apprenti, les critères importants sont « la proximité […]. Il faut qu’ils soient proches du dépôt car nous partons très tôt le matin, vers 6 heures et rentrons tard parfois » ; « la ponctualité des jeunes » ; « la maîtrise par le jeune de compétences professionnelles d’ordre social ».

11Les équipes enseignantes, en tant qu’interlocutrices de première intention des lieux de stage, des élèves et de leurs familles, doivent prêter une attention particulière aux conditions d’accueil et d’accompagnement. Dans la majorité des cas, pour les stages courts de douze à vingt-deux semaines, l’accessibilité passe par des concertations des équipes éducatives et des familles avec les partenaires professionnels et les organismes financeurs. Selon les structures éducatives, en plus des enseignants, des professionnels peuvent intervenir afin d’aider à la préparation en amont des conditions d’accueil des stagiaires, tant en termes d’aménagements logistiques ou ergonomiques du poste de travail qu’au niveau des relations de travail. La mission de référent handicap peut être assurée par un travailleur social, un personnel de santé ou un conseiller d’éducation au sein de l’établissement scolaire. Il peut aussi s’agir d’un professionnel spécialisé d’une structure partenaire (mairie, conseil départemental, conseil régional…). Dans le cadre de stages de longue durée ou de l’apprentissage, l’apprenant sera considéré comme un travailleur. Pour les jeunes en situation de handicap ayant une notification administrative en tant que travailleur handicapé, les structures d’accueil pourront solliciter des fonds institutionnels, mis en place de manière réglementaire, afin de procéder à des aménagements. En sus des établissements de formation, des structures associatives développent des offres complémentaires, comme le dispositif d’apprentissage accompagné proposé par exemple par l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (LADAPT). Le développement de réseaux de coopération et de partenariats public-milieu associatif est l’un des leviers pour identifier les conditions préalables au stage et permettre aux élèves de mettre en pratique et développer leurs compétences. Pour les jeunes en situation de handicap ayant une notification administrative de handicap, il y a nécessité de penser la collaboration entre la famille, les professionnels du monde enseignant et les professionnels des structures médico-sociales dans la construction par les jeunes de projets professionnels réalistes et réalisables.

12Ce bref panorama montre la complexité des parcours des élèves à besoins éducatifs particuliers pour apprendre. À cette diversité des aménagements scolaires possibles, comme pour les élèves ordinaires, il convient d’ajouter la dimension de préparation d’un projet professionnel pour le jeune prenant en compte ses centres d’intérêt et sa motivation. Nous nous interrogeons sur la complexité des enseignements dans ces conditions. Dans quelle mesure la formation des enseignants peut-elle être un levier pour faire face à cette double spécificité du public scolaire accompagné ? Comment les enseignants des lycées professionnels ou des enseignements professionnalisants accueillent-ils, accompagnent-ils et prennent-ils en compte la diversité des besoins des élèves dans leurs pratiques de classe ?

Le double enjeu de la formation professionnelle des élèves à besoins particuliers pour les enseignants

13Les savoir-faire métiers des enseignants dépendent non seulement de leur parcours, de leur formation en tant qu’enseignants mais aussi de manière plus générale de leurs représentations du monde professionnel au-delà des murs de l’école (e.g. Germain, 2019). Dans le cadre de l’élaboration des projets d’avenir, en plus des conseils de première intention du professeur principal de la classe, chaque élève peut être accompagné par des professionnels de l’orientation. Par exemple, chaque bassin scolaire a une équipe de psychologues de l’éducation nationale qui propose aux classes de 4e et de 3e des actions d’orientation, à la demande des enseignants ou sur sollicitation des familles, pour aider les jeunes à identifier leurs centres d’intérêt professionnels. Malgré tout, cette expertise est peu mobilisée par les équipes éducatives en Segpa (e.g. Bigache, 2019). Il faut noter un moindre recours à un accompagnement par des professionnels de l’orientation des élèves en situation de handicap et de leurs familles ainsi que des professionnels du handicap par rapport aux élèves sans besoin particulier (Joselin et al., 2020). Cette faible mobilisation de professionnels éducatifs de l’orientation peut être liée à une méconnaissance des acteurs du handicap. Il peut également s’agir d’une forme d’accommodement raisonnable, en considérant d’abord la poursuite d’étude pour laquelle une scolarisation collective est possible, avant de considérer le domaine professionnel qui intéresse l’élève (Midelet, 2019).

14L’accompagnement à la construction d’un projet professionnel pour les jeunes en situation de handicap scolarisés en LP ou en Segpa va nécessiter, de la part des professionnels, des compétences dans chacun des deux champs. Or, comme les mémoires de formation complémentaire d’enseignants en Ulis, en LP ou en Segpa le pointent, en fonction de leurs formations et de leurs parcours professionnels, les enseignants n’ont pas les mêmes compétences sur les différents thèmes (e.g. Bigache, 2019 ; e.g. Goulaouic, 2022 ; e.g. Griffon, 2020). Certains professionnels seront plus à l’aise pour aider à trouver des lieux de stage en fonction de compétences professionnelles particulières, d’autres pour accompagner la rédaction ou la présentation de l’élève dans différents espaces et d’autres encore pour proposer des adaptations pédagogiques. Plusieurs éléments de formation et de certification professionnelles se juxtaposent pour les professionnels.

15Pour intervenir en lycée professionnel ou en enseignement professionnalisant, les enseignants peuvent relever de statuts et de formations différents. Les enseignants de matières professionnelles (professeurs de lycée professionnel) ont généralement eu une vie professionnelle dans le domaine qu’ils vont ensuite enseigner, tandis que les enseignants de matières générales du second degré sont d’abord des pédagogues voire des didacticiens de certains contenus scolaires (français, mathématiques, histoire-géographie…). S’ils sont enseignants de matières générales en filière professionnelle, ils sont détenteurs d’un concours spécifique (concours d’accès au corps des professeurs de lycée professionnel pour l’éducation nationale, et concours de professeur certifié de l’enseignement agricole pour le ministère de l’agriculture). Ils contextualisent généralement les contenus didactiques par rapport aux orientations professionnelles des publics scolaires accueillis. Les enseignants de matières générales en filières générales ou technologiques sont généralement détenteurs d’une certification pour le collège ou d’une agrégation pour le lycée. Enfin, des enseignants du premier degré peuvent être détachés dans le second degré auprès des sections accueillant des élèves en grande difficulté scolaire afin de proposer des activités de remédiation ou de renforcement des compétences scolaires de cycle 2 en maîtrise de la langue ou en mathématiques par exemple. Leur formation initiale est alors plus tournée vers les enfants âgés de 3 à 12 ans que vers l’accompagnement de pré-adolescents ou de jeunes adultes.

16Lorsqu’ils accompagnent des jeunes en situation de handicap, les enseignants de l’enseignement professionnalisant ou professionnel doivent également mobiliser des connaissances, se former ou travailler dans le cadre de collaborations avec des spécialistes des besoins particuliers ou du handicap. Concernant la formation aux pratiques scolaires inclusives, les enseignants de l’éducation nationale en poste souhaitant renforcer leurs compétences peuvent choisir de préparer un certificat complémentaire qui est adossé à des contenus de spécialisation dans le cadre du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI) ou de préparer le diplôme de directeur d’établissement d’éducation adaptée et spécialisée (DDEAS). Ces formations sont choisies majoritairement par des enseignants du premier degré, la certification leur permettant ensuite d’intervenir dans le second degré, notamment dans le cadre du DDEAS. Les titulaires de ce diplôme occupent des fonctions d’encadrement, de conseil et d’expertise concernant l’inclusion scolaire dans les collèges. Depuis 2015, différentes mesures émanant du ministère français de l’éducation nationale sont venues modifier la formation initiale et continue des acteurs éducatifs, avec notamment la possibilité pour les professeurs de lycée professionnel de suivre une formation CAPPEI et, depuis 2019-2020, la possibilité de concourir aux fonctions de DDEAS. Concernant l’enseignement agricole, outre une collaboration institutionnelle avec l’éducation nationale, l’école nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole propose des formations ainsi qu’un accompagnement aux équipes éducatives dans le cadre de recherches-actions.

17Dans le cadre d’une scolarisation collective en Ulis ou en Segpa, des enseignants spécialisés sont présents dans l’établissement de formation. Ils peuvent ainsi co-intervenir avec les professeurs de lycée professionnel sur des temps en atelier ou proposer des activités afin de renforcer l’acquisition d’un vocabulaire professionnel adapté (e.g. Goulaouic, 2022), de préparer les élèves à des entretiens ou à se présenter pour obtenir un stage (e.g. Germain, 2019). L’élaboration de projets pédagogiques transversaux autour d’une thématique comme l’informatique (e.g. Griffon, 2020) ou la visite du lycée professionnel voisin (e.g. Bigache, 2019) sont également des occasions de mobiliser les savoirs dans des matières générales, en proposant un cadre nécessitant des élèves qu’ils construisent et ancrent leurs actions dans une temporalité et un contexte particuliers. De manière complémentaire, notamment lors de scolarisations individuelles, des professionnels du secteur médico-social ou de la santé peuvent intervenir sur le temps scolaire, dans le cadre du projet personnalisé de scolarisation d’un élève. Des collaborations institutionnelles peuvent également permettre aux enseignants de développer des pratiques inclusives ou de solliciter des partenaires. Ces exemples invitent à considérer dans la pratique l’accessibilité et l’inclusion des formations et leurs liens avec des aménagements raisonnables des projets. L’un des premiers éléments qui peut à la fois être un facteur de risque, quand elle est insuffisante, et un facteur de protection pour accompagner les jeunes à besoins éducatifs particuliers entre 14 et 18 ans concerne la formation des enseignants.

18Dans ce cadre, développer leurs compétences de manière réflexive en leur permettant d’envisager tout autant les possibilités de co-intervention, de collaborations ou de travail en réseau peut être un facteur de protection pour les élèves. Une attention particulière, en ce qui concerne la formation des enseignants, pourrait être portée non seulement au fait d’amener les professionnels à envisager le handicap ou les besoins particuliers comme des éléments pouvant influencer ce que les jeunes souhaitent faire, mais aussi et surtout de les sensibiliser aux effets de ces désignations sur ce que les jeunes pensent que la société attend d’eux. En développant leurs compétences et en échangeant autour de leurs pratiques, les professionnels sont amenés à réinterroger les désignations scolaires et leurs impacts sur les parcours ou les décrochages scolaires (e.g. Griffon, 2020).

Envisager l’hyper-diversité des situations d’enseignement-apprentissage dans une perspective inclusive

19Malgré les transformations profondes de l’enseignement professionnel menées ces dix dernières années en France, les différences de structuration et de formation des acteurs de l’enseignement professionnel agricole, des centres de formation d’apprentis (CFA) et des lycées professionnels de l’éducation nationale demeurent (Jellab, 2017) et influencent l’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers. Au-delà de la transition entre monde scolaire et monde professionnel et de l’accompagnement vers l’âge adulte de jeunes entre 14 et 18 ans, l’approche sociale du handicap et des besoins particuliers nécessite une transformation en profondeur des représentations sociales d’un projet professionnel réaliste et réalisable pour un jeune.

  • 6  En 2021, la proportion d’élèves ayant une notification administrative de handicap est de 2,5 % pou (...)

20Même si, entre 2015 et 2016, différentes mesures émanant du ministère de l’éducation nationale sont venues modifier la formation initiale et continue des acteurs éducatifs, l’intégration dans les formations initiales des métiers de l’enseignement et de la formation d’un volume minimal d’heures relatives à la diversité des publics scolaires et aux besoins particuliers reste très modeste. La transformation des actions de formation continue des acteurs de l’éducation nationale en vue du développement et de la mise en œuvre d’une école inclusive se centre principalement sur l’école primaire ou sur les enseignements généraux, du collège à l’université (Ployé, 2018). Le prisme des filières d’enseignement socialement très valorisées peut minorer des situations d’enseignement et d’apprentissage statistiquement moins fréquentes, comme le sont les enseignements professionnels. Les élèves de Segpa représentent moins de 3 % des collégiens et ceux en lycée professionnel moins de 3 % des lycéens ; cependant, ces orientations scolaires accueillent proportionnellement plus d’élèves ayant une notification administrative de handicap que les filières générales6. La focalisation sur les besoins particuliers des élèves dans la construction d’un projet professionnalisant peut occulter des caractéristiques plus générales relatives à la construction des projets d’orientation identifiées dans la littérature : les effets de genre vers tel ou tel débouché professionnel, la proximité géographique du lieu de formation, ou plus généralement les représentations sociales des familles du monde professionnel.

21Bien que limités, les constats présentés ici à partir notamment de travaux d’étudiants, en se centrant sur les pratiques inclusives dans l’enseignement professionnel, invitent à considérer la multiplicité des vécus du handicap à l’école. En France, l’orientation vers les filières professionnelles reste également liée à des caractéristiques sociales et de migration. Investiguer les liens de désignation croisée entre handicap, migration et orientation scolaire serait important afin d’étudier les pratiques professionnelles dans des contextes d’hyper-diversité des publics scolaires et les enjeux de formation que soulève une acception d’un vivre-ensemble sociétal (Bauer et al., 2019). De manière plus générale, la présente contribution invite à interroger les difficultés, pour les travaux en éducation, à prendre en compte de manière systématique la complexité des relations d’enseignement-apprentissage. La didactique professionnelle mobilisée ici est une approche pour accompagner les enseignants et enseignantes dans la construction de situations d’enseignement-apprentissage avec une perspective inclusive, sans discriminer les élèves, leurs besoins ou leurs parcours.

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Bibliographie

BAUER S., BORRI-ANADON C. et LAFFRANCHINI NGOENHA M. (2019). « Les élèves issus de l’immigration sont-ils des élèves à besoins éducatifs particuliers ? ». Revue hybride de l’éducation, vol. 3, no 1, p. 17-38.

BIGACHE A. (2019). Le partenariat entre collège et lycée professionnel pour permettre une meilleure continuité du parcours scolaire des élèves de Section d’enseignement général et professionnel adapté : étude menée auprès de deux Segpa et deux lycées professionnels du Val d’Oise. Mémoire DDEAS, 45 p.

DEPP. Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (ed.) (2022). Repères et références statistiques 2022. Paris : DEPP, Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports/Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

GERMAIN S. (2019). Accompagner les élèves vers un choix d’orientation éclairé : rôle du directeur adjoint chargé de Segpa dans la construction sécurisante du projet de l’élève. Étude menée sur 3 sections d’enseignement général et professionnel adapté et sur un lycée polyvalent des Yvelines. Mémoire DDEAS, 44 p.

GOULAOUIC G. (2022). S’exprimer en professionnel. Favoriser l’appropriation du langage professionnel en Ulis lycée pro. Mémoire de master, INSHEA.

GRIFFON R. (2020). L’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans la lutte contre le décrochage scolaire. Mémoire de master, Université de Cergy-Pontoise.

JELLAB A. (2017). « La professionnalisation des enseignants du secondaire en France. Entre injonctions institutionnelles et approche sociologique ». Éducation et socialisation, no 46. En ligne : http://journals.openedition.org/edso/2669 (consulté le 12 octobre 2023).

JOSELIN L. et al. (2020). « Adolescents et jeunes adultes avec un handicap rare : quel parcours scolaire et de formation ? ». Dans M. F. Arentsen, F. Faberon (dir.), Regards croisés sur le handicap en contexte francophone. Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, p. 161-172.

MIDELET J. (2019). « Les dispositifs Ulis. Enjeux d’un dispositif de transition ». La Nouvelle Revue – Éducation et société inclusives, no 85, p. 71-86.

PLOYÉ A. (2018). « L’inclusion scolaire en France, un processus inachevé », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 78, p. 137-146. https://doi.org/10.4000/ries.6618

TOUBHANS M.-P. (2022). « La transition post-bac d’élèves de terminale en situation de handicap : étude par entretiens semi-directifs auprès d’élèves, de parents et de professionnel∙les d’Île-de-France ». L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 51, no 3, p. 513-542.

RACHEDI Z. et al. (2019). INCLUVET: Promoting inclusion in work-based learning by equipping vet tutors and company mentors with innovative approaches and methodologies. Rapport d’étude remis à l’agence européenne Erasmus+.

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Notes

1  Consultable sur : https://bit.ly/3LwUmUq (NdlR).

2  La formation professionnelle peut se traduire en anglais par vocational education and training ou encore par Work-Based-Learning (Rachedi et al., 2019).

3  Ce dispositif accueille des élèves évalués par l’école comme étant en grande difficulté scolaire à l’issue de l’enseignement primaire. L’accompagnement scolaire renforcé ainsi que l’acquisition de compétences et de connaissances adossées à des pratiques professionnelles vise à mobiliser les élèves en vue de l’acquisition d’un diplôme de niveau V.

4  Tout comme d’autres mémoires de formation, le corpus à la base des illustrations est consultable auprès des bibliothèques de nos établissements. documentation.inshea.fr/gediweb ; https://dumas.ccsd.cnrs.fr/MEM-UNIV-UCP/

5  Cette dernière est délivrée par une instance décentralisée à l’échelon territorial.

6  En 2021, la proportion d’élèves ayant une notification administrative de handicap est de 2,5 % pour l’ensemble du second degré ; elle est de 3,53 % en LP et de 21,40 % en Segpa (DEPP, 2022).

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Pour citer cet article

Référence papier

Mélissa Arneton et Line Numa-Bocage, « Les besoins éducatifs particuliers dans l’enseignement professionnel en France »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 92 | 2023, 71-79.

Référence électronique

Mélissa Arneton et Line Numa-Bocage, « Les besoins éducatifs particuliers dans l’enseignement professionnel en France »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 92 | avril 2023, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/13771 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.13771

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Auteurs

Mélissa Arneton

Mélissa Arneton est maître de conférences en psychologie de l’éducation et de la formation au sein de l’Institut national supérieur de formation et de recherche sur l’éducation inclusive. Membre du groupe de recherche sur le handicap, l’accessibilité et les pratiques éducatives et scolaires (GRHAPES), ses travaux portent sur les liens entre épistémologie et méthodologie scientifique en contexte de diversité. Dans une perspective de sciences en société, elle s’intéresse plus particulièrement à l’acquisition d’une démarche de praticien-chercheur chez les acteurs socio-éducatifs. Contact : melissa.arneton[at]inshea.fr

Line Numa-Bocage

Line Numa-Bocage est psychologue et professeure des universités HDR à l’université de Cergy-Pontoise. Chercheuse à titre principal au laboratoire Bonheurs, elle est également membre associée au CRIE (université de Sherbrooke) et présidente de l’Association pour la recherche sur le développement des compétences (ARDéCo). Elle s’intéresse à l’analyse des pratiques professionnelles dans le champ de la didactique professionnelle de l’enseignant et d’autres acteurs sociaux. Contact : line.numa-bocage[at]cyu.fr

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Droits d’auteur

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