Vivre, enseigner, apprendre à l’université en temps de guerre en Ukraine
Texte intégral
1La guerre entre la Russie et l’Ukraine a éclaté le 24 février 2022 à 5 heures du matin. Depuis plusieurs mois, de nombreuses discussions avaient lieu au sujet de l’entraînement des troupes russes le long de la frontière avec l’Ukraine, mais la plupart des gens ne croyaient pas à une invasion à grande échelle. L’université elle-même, les professeurs et les étudiants vivaient leur vie habituelle. L’Université pédagogique nationale H.S. Skovoroda, qui assure la formation initiale des enseignants, est située à Kharkiv, une ville de plus d’un million d’habitants à trente kilomètres de la frontière russe. Les habitants de Kharkiv ont été les premiers à entendre les explosions, les bombardements, à voir les premières victimes et des habitations détruites. La vie a changé pour toujours. Les professeurs et les étudiants vivant près de la frontière ont commencé à évacuer et, en deux semaines, les deux tiers des habitants de la ville ont quitté la ville.
2Cependant, certains professeurs d’université, dont nous-mêmes, ont décidé de rester à Kharkiv pour aider les personnes âgées, les malades et les militaires. Pendant toute la guerre, nous avons vu ce qui s’y passait. Kharkiv ne s’est pas rendue au printemps 2022. Il y avait donc un grand espoir que nous continuerions à vivre et à nous battre pour notre pays, notre ville et notre université.
3À partir du 1er avril, l’apprentissage en ligne a commencé pour les étudiants, conformément à l’arrêté du ministère de l’éducation et des sciences et à l’ordre du recteur de l’université. Au cours des premières semaines, les cours ressemblaient à des séances de thérapie psychologique, les professeurs écoutant et rassurant les étudiants, les aidant ainsi à faire face au stress de la guerre. Ensuite, les cours se sont poursuivis comme d’habitude, car la pandémie avait appris à chacun à travailler en ligne, en utilisant Zoom, Meet et Google Classroom. L’apprentissage en ligne des étudiants s’est fait via la plateforme Moodle, qui contenait tout le matériel pédagogique des deux années de pandémie précédentes, ainsi que les devoirs et les tests. L’évaluation des étudiants s’est également faite via Moodle.
4Apprendre pendant la guerre est un défi pour tout étudiant et professeur. Certains étudiants, lorsqu’ils ont appris que les universités reprenaient les cours, n’y étaient pas préparés émotionnellement. Au début de l’évacuation, leurs pensées étaient uniquement concentrées sur le déménagement et sur les besoins fondamentaux, tels que trouver un logement, des finances et acquérir les biens nécessaires. Si la plupart des étudiants se sont installés dans leur nouvelle vie et leurs nouvelles études, les fréquentes sirènes des raids aériens ont perturbé les apprentissages car ils devaient se rendre dans des abris ou se cacher dans les toilettes.
5Les étudiants qui étaient plus en sécurité dans l’ouest de l’Ukraine et à l’étranger, en Pologne, en Allemagne, en Autriche et en République tchèque, suivaient des cours en ligne. S’ils ne pouvaient pas participer à un apprentissage en ligne synchrone, ils effectuaient des tâches de manière asynchrone, en les envoyant par courriel. Ils ont fait tout leur possible pour poursuivre leur apprentissage.
6Certains étudiants étaient partis à l’Académie de Poméranie de Slupsk, en Pologne, dans le cadre d’un programme d’échange semestriel, cinq heures seulement avant l’invasion russe. Les deux premières semaines à l’étranger ont été les plus difficiles psychologiquement. S’engager dans un travail à distance au sein du Conseil de la jeunesse les a aidés à se rétablir, en aidant les mères ukrainiennes à nourrir leurs enfants, en recherchant auprès de partenaires étrangers une aide humanitaire pour la ville de Kharkiv et le soutien nécessaire à l’Ukraine.
7Leurs études, leur travail bénévole et la création d’une école en ligne pour les écoliers ukrainiens, que les étudiants ont mise en place pour les enfants réfugiés en Pologne qui voulaient poursuivre leurs études à distance, ont fait mûrir les étudiants. Le programme qu’ils ont proposé permet aux écoliers ukrainiens d’étudier des matières du programme ukrainien à travers des cours populaires, de s’engager dans une éducation non formelle interactive et de participer à des clubs de conversation utilisant la langue ukrainienne.
8Alors que le 6 juillet 2022, l’un des bâtiments de l’université a été détruit par un bombardement, l’apprentissage en ligne n’a pas cessé à l’Université pédagogique nationale HS. Skovoroda de Kharkiv. Le comité d’admission a poursuivi son travail en ligne et hors ligne auprès des étudiants dans d’autres bâtiments universitaires.
9Plus de mille éducateurs (enseignants dans les écoles, professeurs d’université, étudiants) servent dans les rangs des forces armées ukrainiennes, selon les données du ministère de l’éducation et des sciences de l’Ukraine. La plupart des étudiants sont entrés à l’université pendant la pandémie, pensant qu’il s’agissait de la pire situation, mais ils se sont rendu compte que la guerre est bien plus effrayante.
10Lorsque la guerre prendra fin, nous serons tous confrontés à un chemin difficile pour reconstruire le pays. La reconstruction des villes et des infrastructures sera notre nouvel objectif et notre rêve à long terme dans l’après-guerre. L’Ukraine se relèvera.
Pour citer cet article
Référence papier
Ilona Kostikova et Yuliia Bozhko, « Vivre, enseigner, apprendre à l’université en temps de guerre en Ukraine », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 93 | 2023, 30-31.
Référence électronique
Ilona Kostikova et Yuliia Bozhko, « Vivre, enseigner, apprendre à l’université en temps de guerre en Ukraine », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 93 | septembre 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/ries/14049 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.14049
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