1L’enseignement des mathématiques est un terrain complexe et disputé en Inde. Dans le contexte postcolonial qui est celui du pays, la façon dont les enfants font l’expérience des mathématiques à l’école varie considérablement. Si la quasi-totalité des enfants ont désormais accès à l’enseignement primaire, leur accès aux mathématiques demeure inégal. Ceux qui appartiennent aux communautés marginalisées (notamment du fait de leur genre, de leur caste, de leur religion, etc.) se trouvent exclus de l’enseignement général, en particulier celui des mathématiques, et l’exclusion systémique est endémique dans l’ensemble du système scolaire indien. Ainsi, au-delà de l’éducation obligatoire et gratuite jusqu’à 13 ans, on observe une faible présence et un important taux d’abandon des élèves marginalisés souvent en raison de leur « échec » en mathématiques. Cela a en outre un impact sur les parcours d’études dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques car très peu de jeunes issus des groupes marginalisés poursuivent des études en mathématiques ou en sciences dans l’enseignement supérieur (ces filières étant dominées par les membres privilégiés de la caste dominante).

2Pour replacer la question de l’exclusion de l’enseignement des mathématiques en contexte, nous avons tenté de circonscrire les principaux discours qui dominent le champ de l’enseignement des mathématiques en Inde, au niveau du primaire. En étudiant les principaux cadres curriculaires nationaux, nous avons mis en évidence trois grands axes de débat : tout d’abord, le discours en faveur de l’adoption d’une perspective de justice sociale pour la conception et la mise en œuvre du curriculum de mathématiques ; en second lieu, la vision du nationalisme hindou sur le curriculum de mathématiques ; enfin, le discours international sur la crise de l’apprentissage dans l’enseignement des mathématiques. Si ces trois discours concurrents ont des racines historiques, ils continuent d’influencer la pensée contemporaine sur l’enseignement des mathématiques. Certes, il s’agit de débats importants, qui influencent « quelles » mathématiques, avec quels contenus, sont enseignées à l’école. Il nous semble cependant nécessaire d’examiner le rôle des enseignants et des pratiques pédagogiques dans ces débats, afin de comprendre « comment » les mathématiques sont enseignées. Cela est d’autant plus crucial si l’on entend créer des expériences mathématiques porteuses de sens pour ceux qui sont historiquement marginalisés de l’enseignement des mathématiques à l’école en Inde.

Principaux débats autour de l’enseignement des mathématiques : les cadres curriculaires nationaux depuis 1975

3En Inde, l’expérience coloniale a fortement influencé la façon dont le curriculum national est élaboré. Le système éducatif moderne (qui perdure sous certaines formes de nos jours) est né de la mise en place d’un système éducatif colonial (Sarangapani, 2014). Au cours de la période coloniale, l’enseignement formel des systèmes de connaissances britanniques est venu se substituer aux systèmes d’enseignement autochtones des mathématiques. En 1835, ont été introduits dans le pays des manuels scolaires britanniques centrés sur la transmission de savoirs mathématiques eurocentrés.

4Après l’indépendance, plutôt que d’élaborer un curriculum de mathématiques alternatif, les curriculums/manuels d’État (souvent considérés comme interchangeables) ont continué de définir quelles mathématiques étaient enseignées à l’école. En 1961, le Conseil national pour la recherche et la formation en éducation (National Council for Educational Research and Training, NCERT) a été créé en tant qu’organisme indépendant du gouvernement et chargé d’élaborer à la fois les cadres curriculaires nationaux et les manuels scolaires. Le NCERT a développé cinq cadres curriculaires (1975, 1988, 2000, 2005, 2023) depuis sa création (tableau 1). Ceux-ci sont conçus par des comités indépendants composés d’experts (la plupart du temps rassemblés en fonction de leur tendance politique et du discours politique ambiant), qui se réunissent pour définir les finalités, objectifs et supports des curriculums. Ces cadres nationaux sont essentiels en ce qu’ils fournissent également des orientations pour établir les curriculums décentralisés au niveau des États, les manuels nationaux et étatiques, ainsi que les programmes de formation des enseignants. Le tableau 1 présente les finalités de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques définies dans ces différents cadres, en se concentrant sur le primaire, et met en évidence les discours spécifiques qui y prévalent. Nous analyserons dans ce qui suit certaines de ces conceptions, qui ont influencé les cadres curriculaires nationaux au fil des ans.

Tableau 1. Finalités des mathématiques et rôle du matériel pédagogique dans les cadres curriculaires nationaux (1975, 1988, 2000, 2005, 2023)

* Le stade fondamental concerne les enfants âgés de 3 à 8 ans, le stade préparatoire ceux âgés de 8 à 11 ans (NdT).

Un curriculum décolonial axé sur la justice

5Dans la période qui a suivi l’indépendance, l’un des principaux objectifs du curriculum national était de soutenir la formation d’une identité nationale en tant que nation nouvellement indépendante. En raison de l’importance accordée à l’industrialisation de la nouvelle nation juste après l’indépendance, la priorité fut donnée aux matières scientifiques et technologiques. Si les savoirs mathématiques étaient considérés comme pertinents pour bâtir une société industrielle et technologique, les mathématiques en tant que discipline étaient davantage considérées comme une matière complémentaire/de soutien pour les sciences et les technologies (et non comme une priorité en tant que telle). Ainsi, les cadres curriculaires de 1975 et de 1988 affirment clairement l’importance des mathématiques, en lien avec les sciences et les technologies (tableau 1). Progressivement, les cadres curriculaires ont commencé à explorer l’importance et la valeur des mathématiques, notamment en examinant leur pertinence pour la vie des élèves. À cet égard, le cadre curriculaire de 2000 marque une évolution en affirmant l’importance des mathématiques dans la vie quotidienne des élèves et celui de 2005 introduit un net changement d’orientation des mathématiques scolaires vers la mathématisation, au-delà des objectifs plus étroits du calcul.

7Les efforts pour réformer le curriculum de mathématiques n’ont véritablement débuté que dans les années 1990. L’une des idées centrales était alors de « contextualiser » le curriculum (à l’instar de ce qui avait été fait dans l’enseignement des sciences). Ainsi, l’idée de départ de Numeracy counts!, un ouvrage sur la culture mathématique des adultes, était d’étudier la façon dont les adultes intègrent les savoirs mathématiques dans leur vie et leur travail (Rampal et al., 1998). Un aspect déterminant de ces efforts était d’étudier conjointement la pédagogie (comment enseigner) et le curriculum (ce qu’il faut apprendre). En contexte postcolonial, ces efforts de contextualisation peuvent être considérés comme une tentative visant à « décoloniser » le curriculum de mathématiques eurocentré et colonial hérité, dans une perspective de justice.

8Ces discours ont trouvé un écho dans les manuels et les curriculums nationaux via le cadre de référence de 2005, élaboré par un comité composé des universitaires militants qui avaient mené les initiatives précédemment mentionnées en faveur d’une plus grande justice sociale dans l’enseignement des mathématiques. L’un des principes directeurs du cadre de référence de 2005 pour l’enseignement des mathématiques était de relier les mathématiques scolaires à la vie et aux discours des enfants. Si le précédent cadre de référence, en 2000, mentionnait l’usage des mathématiques dans la vie des élèves, cela se limitait à la notion de transfert et d’application des mathématiques scolaires dans leur vie : « Les mathématiques contribuent aux processus de prise de décision via leur application à des situations réelles, qu’elles soient familières ou non. » De son côté, le cadre de référence de 2005 envisage les liens entre les mathématiques scolaires et la vie des élèves à travers le prisme de la pédagogie critique et des ethnomathématiques. Ainsi, en mobilisant une approche critique (la totalité de la sous-section 2.4.5 est consacrée à l’explication de la « pédagogie critique »), ce cadre de référence mentionne explicitement les enjeux de pouvoir et les discriminations systémiques qui affectent l’enseignement des mathématiques à l’école. Il évoque également le lien entre genre et mathématiques. Il affirme qu’il est nécessaire de mettre au premier plan les considérations d’ordre social dans la conception des programmes, pour permettre aux enfants de remettre en question les stéréotypes idéologiques sur le genre et l’absence de mathématiciennes dans les manuels. En outre, dans la perspective des ethnomathématiques, établir des liens entre les mathématiques et la vie des élèves implique également de mettre en avant les « mathématiques que les gens utilisent ». Et le cadre de référence de poursuivre :

Il existe ce que l’on peut appeler des « algorithmes populaires » qui permettent non seulement d’effectuer des opérations de calcul mental, mais également de mesurer, d’estimer, de comprendre les formes et l’esthétique. La reconnaissance de la richesse de ces méthodes peut venir enrichir la perception des mathématiques qu’ont les enfants.

9Ainsi, la légitimation et la validation de formes de mathématiques alternatives (« fonds de connaissance ») dont les élèves font l’expérience dans leur vie en dehors de l’école ont également trouvé leur place dans le curriculum, aux côtés de l’examen critique des relations entre les mathématiques scolaires et les structures sociales plus vastes. Le cadre de référence de 2005, influencé par le travail d’universitaires militant dans le domaine de l’enseignement des sciences et des mathématiques depuis les années 1970, a ainsi inauguré toute une série de questionnements en matière de justice sociale et d’équité en proposant de lier l’enseignement des mathématiques à l’école et la vie des élèves, dans une perspective critique des relations de pouvoir et des privilèges.

L’hindouisation du curriculum

11De surcroît, ce discours contribue à homogénéiser la conception des mathématiques indiennes anciennes (comme étant hindoues, védiques, brahmaniques) au lieu d’explorer les diverses pratiques sociales qui ont existé dans les différentes régions du pays. Babu (2012) a compilé différentes formes de pratiques historiques indigènes – englobant les mathématiques utilisées dans le travail comme dans la vie sociale (sous la forme d’énigmes populaires) –, venant appuyer une vision plus hétérogène des mathématiques anciennes en Inde. Ainsi, plutôt que de mettre l’accent sur une pratique mathématique propre aux élites au sein de la communauté indienne (passée), les pratiques mathématiques quotidiennes de diverses communautés marginalisées sont également reconnues. Il s’agit là d’une conceptualisation particulièrement utile du « passé mathématique ancien » de l’Inde, qui remet en cause et déconstruit les discours ou stéréotypes élitistes sur des traditions mathématiques (par exemple, l’idée que les membres de la caste dominante seraient intrinsèquement « bons » en maths). En reconnaissant l’existence de traditions mathématiques populaires diverses et marginalisées, les « fonds de connaissances » des communautés marginalisées sont reconnus au lieu d’être considérés comme déficients. Comme le souligne Subramanian (2021), les discours homogènes, tel celui portant sur les mathématiques védiques, non seulement homogénéisent (de manière inexacte) l’histoire diverse des mathématiques, mais marginalisent activement les minorités religieuses et de caste. Ainsi, alors que ces efforts peuvent sembler relever, en apparence, d’une tentative décoloniale, ils reproduisent dans les faits des hiérarchies sociales localisées. Le cadre de référence de 2005 est né du rejet du précédent cadre curriculaire de 2000, considéré comme promouvant l’agenda nationaliste hindou. Mais, depuis mai 2014, le parti nationaliste hindou de droite est de nouveau au pouvoir – celui-là même qui avait initié les réformes curriculaires de 2000 –, ce qui ne manquera pas d’avoir de graves répercussions sur les idéaux de justice sociale et de pédagogie critique qui étaient au cœur du cadre de référence de 2005. Ainsi, la reconnaissance, sans aucune distance critique, des « mathématiques indiennes du passé » se retrouve dans le cadre de référence de 2023 et il reste à voir comment cela se répercutera sur la manière dont les mathématiques sont perçues et enseignées dans les écoles. Dans l’ensemble, la proposition visant à « indianiser » ou à « indigéniser » les mathématiques n’est pas un projet neutre et doit être envisagée sous l’angle non seulement des hiérarchies coloniales mondiales, mais également des hiérarchies sociales locales.

Développement international et enseignement des mathématiques

12Le discours international sur la « crise de l’apprentissage » a également exercé une influence considérable sur les politiques indiennes en matière d’enseignement des mathématiques. L’Inde, considérée comme un pays du Sud à revenu intermédiaire inférieur, bénéficie d’une attention internationale qui insiste sur la nécessité de l’enseignement des mathématiques dans une perspective de capital humain. Ainsi, la « crise de l’apprentissage », dont il a largement été question lors de la décennie passée, souligne les faibles niveaux de littératie et de numératie de la majorité des enfants scolarisés en Inde (à l’instar d’autres pays du Sud). Cela a été mis en évidence par des enquêtes à grande échelle sur la numératie, tel le rapport annuel sur l’état de l’éducation en Inde (Annual Status of Education Report, ASER), qui a invariablement révélé, au cours des dix dernières années, qu’un grand nombre d’enfants scolarisés ne possèdent pas les compétences arithmétiques « de base ». Le dernier rapport ASER montre ainsi qu’en Inde, seuls 26 % des élèves de troisième année (âgés de 7 à 8 ans) sont capables d’effectuer une soustraction de base (ASER, 2023). Par ailleurs, les objectifs de développement durable mettent également l’accent sur la numératie et les évaluations internationales, telles que Pisa et Timss, exercent une pression supplémentaire sur l’Inde pour qu’elle se concentre davantage sur les inégalités de « résultats » (plutôt que sur les processus à l’origine de ces inégalités).

13Ce discours est souvent lié à un débat plus vaste sur l’offre éducative en Inde, qui oppose écoles privées et écoles publiques d’État. La faiblesse des résultats d’apprentissage dans les écoles publiques d’État est utilisée à la fois pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils améliorent leur offre scolaire, mais également pour soutenir les systèmes d’enseignement privés. Ces débats négligent cependant trop souvent la nature profondément complexe et ségréguée du système scolaire indien actuel. Historiquement, seules les élites avaient accès aux établissements privés, mais la prolifération d’« écoles privées à bas coût » fait qu’il existe désormais une large gamme de choix en matière de scolarisation, qui va des établissements pratiquant des frais de scolarité exorbitants à ceux appliquant des frais modérés voire minimes. Cette situation a entraîné une ségrégation des établissements scolaires (souvent selon la caste, la religion ou la classe sociale), qui accueillent désormais les enfants en fonction de leur capacité à payer. Par ailleurs, le fait que ce soient les élèves les plus pauvres et les plus marginalisés qui fréquentent les écoles publiques d’État, gratuites, exacerbe d’autant plus le processus d’exclusion. Dès lors, s’il est clairement établi que les résultats en mathématiques sont faibles dans les écoles publiques indiennes, il convient d’examiner cette situation dans le contexte de la marginalisation socio-historique des enfants issus des communautés minoritaires. Il existe ainsi une discrimination systémique à l’encontre des castes marginalisées au sein des écoles (quel que soit le type d’établissement), qui continue d’exclure les enfants des cours de mathématiques ordinaires.

14Ce discours a également eu un impact sur les cadres curriculaires nationaux, à travers la tendance à fixer des niveaux de compétences et d’apprentissages à chaque étape de la scolarité. Ainsi, le cadre de référence de 2000 insiste fortement sur les niveaux minimums d’apprentissage à atteindre et celui de 2023 introduit le concept de « littératie et numératie fondamentales ». À travers ces concepts, l’objectif est d’établir des critères à l’aune desquels les « résultats » peuvent être mesurés. Par exemple, le principal défi identifié dans le cadre de référence de 2023 est « la grande proportion d’élèves dans les premières années d’enseignement qui ne parviennent pas à acquérir les bases de la littératie et de la numératie », ce qui a été utilisé pour justifier l’accent mis sur l’acquisition de « la littératie et la numératie fondamentales » jusqu’à l’âge de 13 ans. Il est également important de souligner que l’accent mis sur l’âge/les étapes d’apprentissage dans le cadre curriculaire de 2023 s’inspire fortement d’une vision béhavioriste de l’enfant et de son développement. Ainsi, le cadre de référence de 2023 considère que le « stade fondamental » (de 3 à 8 ans) est le plus important, du point de vue du développement de l’enfant. Comme le souligne Sarangapani (2014), le béhaviorisme exerce une influence sur l’élaboration des politiques publiques indiennes depuis les années 1980 (via la taxonomie de Bloom) et son influence sur les politiques éducatives demeure considérable. D’un autre côté, cette approche insiste moins sur le rôle des programmes ou des manuels (tout comme le cadre curriculaire de 2005, qui adoptait une approche plus sociale des enfants et de l’apprentissage). Ainsi, le cadre curriculaire de 2023 constitue très clairement une réponse au discours sur la crise de l’apprentissage et s’efforce de mettre en place des mécanismes pour obtenir de meilleurs « résultats » en mathématiques. Mais, si les résultats sont des indicateurs importants des inégalités, l’importance excessive qui leur est accordée détourne souvent l’attention des questions éducatives systémiques plus vastes et contribue à l’émergence de discours de plus en plus individualisés (centrés sur les déficits des apprenants).

La nécessité de mettre en avant les pratiques pédagogiques

15Nous avons présenté brièvement les principaux débats, en ce qui concerne les politiques publiques, qui agitent le champ de l’enseignement des mathématiques en Inde et influencent ce à quoi l’enseignement des mathématiques « devrait » ressembler. Mais un aspect trop souvent négligé dans ces débats demeure les enseignants et leurs pratiques pédagogiques. Il y a toujours une hégémonie des politiques curriculaires, considérées comme un moyen de réformer l’enseignement des mathématiques, et une grande attention est accordée à la conceptualisation des curriculums, à l’élaboration des manuels ou à l’évaluation des résultats d’apprentissage. Si ces questions sont importantes, tout comme il est essentiel de comprendre les influences idéologiques sous-jacentes qui s’exercent sur les curriculums (qui évoluent souvent au même rythme que les alternances politiques), il semble nécessaire d’accorder tout au moins le même niveau d’attention aux enseignants et à leurs pratiques. L’importance excessive accordée au curriculum comme moyen de réforme tend également à considérer les enseignants comme de simples « exécutants » du changement plutôt que comme des forces agissantes. En Inde, l’enseignement continue d’être considéré comme une profession peu valorisée et une faible attention est accordée à la formation initiale et continue des enseignants.

16Alors que les enseignants prennent au quotidien des décisions leur permettant de se frayer une voie parmi les discours complexes qui entourent l’enseignement des mathématiques, on s’intéresse trop peu à la manière dont ils abordent les différents débats, programmes et concepts dans le cadre de leurs expériences pédagogiques quotidiennes. Il apparaît donc nécessaire à la fois de comprendre les pratiques actuelles des enseignants et de leur donner les moyens d’être des praticiens critiques disposant de la capacité d’action nécessaire pour répondre aux besoins localisés/contextualisés de leurs apprenants dans une perspective de justice. En particulier dans un contexte où le champ éducatif est fortement politisé et en proie à une multiplicité d’idéaux de réforme, il est fondamental de comprendre comment les enseignants exercent leur capacité d’action pour appliquer ou non ces idées. Pourtant, très peu d’études empiriques se sont penchées sur la manière dont les enseignants abordent les différents programmes, en fonction de leurs opinions, des réalités institutionnelles et de la diversité des discours en présence (Nag Chowdhuri, 2021).

17L’Inde est un vaste pays, aux réalités socioculturelles extrêmement variées, et il est absolument nécessaire de mieux comprendre la façon dont les mathématiques sont enseignées et vécues par les élèves dans les différentes configurations de classe existantes. Si l’on sait que les élèves des communautés marginalisées continuent d’être exclus des cours de mathématiques ordinaires, on ne sait presque rien de leur expérience des mathématiques à l’école ni des processus d’exclusion à l’œuvre. Comme nous l’avons vu, plusieurs discours concurrents coexistent dans le champ de l’enseignement des mathématiques (perspective de justice sociale, nationalisme hindou, résultats internationaux) et il est impératif de les interroger à travers le prisme des pratiques pédagogiques quotidiennes et de leurs liens avec la marginalité. Si l’enseignement des mathématiques en Inde entend véritablement devenir pertinent et porteur de sens pour les apprenants, il convient de mettre davantage l’accent sur les processus pédagogiques.