1Certains systèmes éducatifs d’Amérique latine ont enregistré des progrès en matière de qualité des enseignements au cours de la dernière décennie, notamment au Chili où, ces dernières années, les gouvernements successifs ont introduit plusieurs réformes visant à améliorer les conditions de travail et la formation des enseignants ainsi que la qualité du système éducatif.

2En 1981, un système de financement des écoles a été introduit, qui a eu pour effet de libéraliser le système scolaire. À la suite à cette réforme, le système scolaire a été structuré de telle sorte qu’il existe aujourd’hui trois types d’écoles : les écoles publiques municipales, les écoles privées subventionnées et les écoles privées non subventionnées. Cette séparation, apparemment administrative, a conduit à des niveaux élevés de ségrégation socio-économique et à créer des différences récurrentes dans les résultats aux tests standardisés nationaux et internationaux. Malgré les efforts déployés au cours des deux dernières décennies, les résultats ne semblent pas aller dans la bonne direction.

3En ce qui concerne l’enseignement des mathématiques, même s’il existe un consensus international sur l’importance de leur intégration dans les programmes scolaires, en raison de leur impact sur le développement des compétences cognitives et procédurales au cours de cette étape, un grand nombre d’enfants, de jeunes et même d’adultes font état de difficultés dans leur apprentissage, n’attribuant aux mathématiques qu’un rôle abstrait, sans lien avec la vie quotidienne.

4Dans ce contexte, l’un des problèmes les plus complexes auxquels est confronté l’enseignement des mathématiques au Chili tient à l’approche de l’enseignement. Ces dernières années, le système éducatif se préoccupe davantage du développement de compétences que de l’enseignement de connaissances.

5Ce changement a eu un impact sur l’évaluation de l’apprentissage et, plus profondément, sur l’organisation du programme national et, par conséquent, sur les aspects qui guident le travail de l’enseignant en classe.

6L’objectif de cet article est par conséquent de proposer une réflexion sur l’enseignement des mathématiques au Chili. La première section offre un aperçu synthétique du contexte, en fournissant des informations sur les lignes directrices et les orientations du programme national. La deuxième section passe en revue la réalité quotidienne dans les salles de classe, du point de vue de l’approche pédagogique et de la formation initiale des enseignants. Nous commentons, pour finir, les diverses réalités et perspectives éducatives qui émergent dans un pays présentant d’importantes caractéristiques d’inégalités sociales, tel que le Chili.

Lignes directrices et orientations du programme national de mathématiques

7L’enseignement des mathématiques au Chili est régi par le programme national, qui établit le contenu et les objectifs d’apprentissage pour chaque niveau d’enseignement. Compte tenu de l’importance des connaissances mathématiques pour la vie des gens, les plans et les programmes d’études en mathématiques visent à développer chez les enfants et les jeunes des compétences mathématiques fondamentales, telles que le raisonnement logique, la pensée critique et la résolution de problèmes.

8Bien que ces plans et programmes d’études considèrent que le développement des compétences mathématiques est à la base de l’approche curriculaire, qui comprend la recherche d’explications de l’environnement basées sur l’utilisation des mathématiques, dans la pratique, une certaine tradition s’est développée dans la manière d’articuler le contenu des mathématiques. Cette forme d’enseignement, qui s’est enracinée dans le système éducatif, réduit l’enseignement des mathématiques à un travail algorithmique, ce qui est préjudiciable à l’obtention de meilleurs résultats d’apprentissage, en particulier dans l’enseignement public où, malgré les efforts, de grandes lacunes persistent, notamment parce que les élèves peinent à comprendre les mathématiques et leur utilisation dans la société (Filippi-Peredo et Aravena-Díaz, 2021).

9En effet, la recherche montre que, parmi les obstacles qui entravent l’apprentissage des élèves, figure le fait que les connaissances mathématiques sont construites sur des bases faibles, générant peu d’expérience significative chez les élèves, ce qui ne les aide pas à être mieux disposés à l’égard de cet apprentissage. De plus, lors de l’enseignement d’un contenu mathématique spécifique, de nombreux élèves n’identifient pas ce qu’ils apprennent, avec quels objectifs, ni comment ce contenu est intégré à d’autres domaines (Minte Münzenmayer et al., 2020).

10En outre, l’examen des interactions en cours de mathématiques au Chili montre que la plupart des enseignants se concentrent sur la présentation uniforme puis l’apprentissage par cœur des cours, et que la résolution de problèmes ne prédomine guère (Preiss et al., 2011). Cela s’éloigne des directives du ministère de l’éducation, qui définissent les lignes directrices en mathématiques aux différents niveaux dans des bases curriculaires. Pour l’enseignement en maternelle, l’accent est mis sur une approche globale et centrée sur l’enfant, tandis que de la première à la sixième année de l’enseignement de base, la matière devrait être enseignée en utilisant la stratégie COPISI (Concret-pictural-symbolique), qui favorise l’apprentissage à partir d’expériences basées sur le concret, l’image et le symbole. Ensuite, entre la septième année de l’enseignement de base et la deuxième année de l’enseignement secondaire, l’accent est mis sur la stratégie de « l’apprentissage par la pratique », à travers des expériences qui permettent à l’élève de découvrir les relations mathématiques exprimées à partir du symbolique, pour terminer le parcours scolaire en troisième et quatrième années avec un processus qui vise à permettre aux élèves d’approfondir et de développer leur raisonnement et leur pensée mathématique, afin de résoudre les problèmes qui se poseront dans leur formation future ou dans le monde du travail.

Approche pédagogique et pratique en classe

12Un aspect essentiel de l’introduction des lignes directrices du programme scolaire dans les classes est la présence de professionnels formés dans ce domaine, tant au niveau du cycle d’enseignement initial qu’aux niveaux suivants. La formation initiale des enseignants est donc une question pertinente, en raison de ses implications pour les classes et les élèves, et des preuves substantielles ont déjà été recueillies sur l’importance de cette étape dans le programme scolaire.

13Plusieurs études relatives à la formation des éducateurs de la petite enfance montrent que ces derniers ont un degré élevé d’ignorance quant au type de stratégie à utiliser, à la manière d’organiser l’espace éducatif et au type de compétence à stimuler. De même, Morales Saavedra, Quilaqueo Rapimán et Uribe Sepúlveda (2010) signalent le manque d’intentionnalité éducative avec lequel les éducateurs d’enfants de moins de trois ans mettent en œuvre le processus pédagogique.

14En conformité avec ce qui précède, la plupart des programmes d’éducation de base pour la formation des enseignants de mathématiques offrent très peu de cours spécifiques dans cette discipline et en didactique, en plus d’une très faible couverture des contenus des bases curriculaires de l’enseignement scolaire, ce qui a nécessairement un impact direct sur la future pratique pédagogique de ces enseignants. Dans le groupe des futurs enseignants de mathématiques au niveau de l’éducation de base, l’étude de Mizala, Martínez et Martínez (2015) rapporte que l’anxiété à l’égard des mathématiques peut influencer les attentes des enseignants stagiaires à l’égard de leurs élèves, ce qui peut affecter leur capacité à développer des classes d’apprentissage inclusives.

15Dans le même esprit, la préparation des formateurs d’enseignants dans des matières disciplinaires et en didactique ainsi que la durée et les stratégies des formations dispensées au sein des institutions de formation conditionnent la préparation disciplinaire et la construction des identités professionnelles des futurs enseignants, tout comme le cadre institutionnel et la participation des futurs enseignants à la formation et aux pratiques professionnelles dans différents contextes.

16Cela est directement lié à la conception de l’élève qu’ont les enseignants. On sait qu’ils planifient leurs activités d’enseignement en ayant à l’esprit un élève idéalisé, doté de capacités mathématiques innées, essentiellement rationnel et régulant son comportement. Sur la base de ce postulat, ils transfèrent ce qu’ils vivent dans leur propre processus éducatif, ce qui influence tous les aspects de l’enseignement et de l’apprentissage. Cette pensée limitée à un seul type d’élève peut conduire à des expériences qui ne correspondent pas aux caractéristiques des élèves, ce qui favorise les émotions négatives, une mauvaise compréhension du vocabulaire spécifique du domaine et, par conséquent, de faibles performances associées à la discipline.

17Díaz Quero (2006) considère la pratique pédagogique comme une activité quotidienne qui se déroule dans des salles de classe ou d’autres espaces, guidée par un programme d’études et dont l’objectif est l’éducation des élèves. Dans cette pratique, certaines interactions sont conditionnées par les activités menées à l’intérieur de la salle de classe. À cet égard, certaines recherches sur les pratiques de classe ont révélé des points communs associés aux cours de mathématiques. Ainsi, les cours de mathématiques à l’école élémentaire et au collège ont tendance à être très structurés ; le temps utilisé est fortement axé sur les activités pédagogiques (Martinic, Vergara et Huepe, 2013), indépendamment de leur qualité ou du défi cognitif qu’elles présentent. Par ailleurs, il existe un certain consensus sur le fait que les cours de mathématiques sont de préférence frontaux et centrés sur l’enseignant, les élèves ayant alors tendance à poser peu de questions. Dans cette dynamique, l’enseignant passe plus de temps à utiliser le tableau noir et à écrire des définitions, des formules et des exercices mathématiques (Martinic et al., 2013) ; il utilise peu de matériel concret et a tendance à avoir peu d’occasions d’argumenter (Larraín et Freire, 2012). Larraín et Freire (2012) indiquent que le discours argumentatif est peu encouragé et que peu de temps est consacré, dans les cours de mathématiques, au raisonnement mathématique à haute voix et à la résolution de problèmes (Preiss et al., 2011).

18Tout ce qui précède explique la relation étroite entre les bons résultats obtenus dans les classes où les enseignants créent des cours avec des défis cognitifs plus importants, des opportunités d’analyser et d’appliquer de nouveaux concepts, et de développer la métacognition chez les élèves. De même, la perception des enseignants par les élèves est positive dans les classes où les professeurs sont reconnus comme concentrés sur la tâche d’enseigner plutôt que sur d’autres activités telles que faire des comptes rendus, donner des instructions ou maintenir l’ordre, ainsi que dans les classes où le travail est effectué individuellement.

Réalités de l’évaluation de l’enseignement des mathématiques au Chili

20Actuellement, le système d’évaluation ne recueille pas seulement des informations sur les acquis de l’apprentissage, mais aussi sur le contexte grâce à des questionnaires qui visent à rassembler des informations sur les enseignants, les élèves, les parents et les tuteurs, ce qui permet de contextualiser et d’analyser les résultats obtenus par les élèves dans chaque application.

22Ces écarts de performance scolaire se sont maintenus à la suite de la pandémie. En effet, dans le domaine des mathématiques, lors de la publication des résultats de l’évaluation nationale SIMCE, réalisée sur des élèves de 9 et 15 ans, première mesure post-pandémique, et en comparant leurs résultats avec l’évaluation précédente réalisée en 2018, en situation pré-pandémique, on note une baisse de 10 points pour les élèves de 9 ans, et de 12 points pour les élèves de 15 ans, ce qui est considérable.

23En ce qui concerne les différences liées au genre, les résultats en mathématiques montrent une baisse des scores des filles de 13 points par rapport à l’évaluation de 2018 pour les élèves de 9 ans ; pour les jeunes de 15 ans, l’écart atteint 7 points de différence, au profit des garçons, ce qui constitue des différences significatives dans les deux cas. Cela confirme les nombreuses preuves disponibles au Chili concernant les différences filles-garçons en faveur de ces derniers. Dans les résultats des tests nationaux et internationaux en mathématiques, il a été observé que les enseignants posent aux garçons plus de questions qui nécessitent des processus cognitifs complexes, leur font plus de commentaires et favorisent davantage leur participation qu’ils ne le font pour les filles. Ce n’est pas uniquement le fait des enseignants masculins. Del Río et al. (2016) constatent que les adultes comme les enfants entretiennent en moyenne, et plus fortement aux niveaux socio-économiques moins élevés, un stéréotype qui associe les mathématiques au genre masculin.

24Les lacunes observées en matière d’apprentissage lors des évaluations postpandémiques sont le fait d’une longue période d’absence de cours en présentiel et de manque de travail sur les objectifs prioritaires du ministère de l’éducation. C’est pourquoi, en 2023, le ministère de l’éducation a mis en place une politique visant à s’adresser aux écoles de manière transversale. Cette « Stratégie de réactivation en mathématiques » s’est concrétisée par un « Plan de réactivation éducative », basé sur trois piliers fondamentaux : des ressources pédagogiques en accès universel et gratuit, un soutien prioritaire aux équipes de direction et aux enseignants, ainsi que la formation et le développement professionnel des enseignants. Ce plan a été mis en œuvre pour tous les niveaux d’enseignement, de la maternelle à la quatrième année de l’enseignement secondaire, afin de renforcer les apprentissages des élèves et de soutenir le travail de priorisation des programmes scolaires 2023-2025, dans le cadre d’une réactivation globale de l’apprentissage comme outil de gestion du travail pédagogique en classe. Il s’agit de remédier aux baisses d’apprentissage engendrées par les approches pédagogiques utilisées pendant la période pandémique.

Perspectives d’avenir

25Chaque pays a sa propre réalité éducative, qui résulte de facteurs culturels, sociaux, démographiques, éducatifs et autres, si bien qu’il est difficile de comparer un pays à un autre sans commencer par aborder ces aspects. Si l’on observe les réformes éducatives similaires menées ailleurs en Amérique latine, le cas chilien diffère, en raison de l’absence d’entreprises, du rôle important des réseaux politiques et des accords et négociations avec le syndicat d’enseignants.

26Pour notre part, nous considérons que la connaissance de la mise en œuvre des politiques éducatives et des résultats des travaux de recherche sur le processus d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques peut contribuer à renouveler le regard porté sur ces aspects.

27De ce qui précède, il apparaît clairement que le rôle de l’enseignant conditionne le développement des compétences et de l’apprentissage des élèves, et que la qualité du personnel enseignant a un effet significatif sur les résultats de l’apprentissage. Un rôle actif favorisera un climat de classe approprié, des interactions de qualité et impliquera constamment les élèves, dans un climat de confiance, dans un processus d’apprentissage contextualisé qui leur permettra d’ancrer des concepts, des problèmes et des compétences déjà rencontrés, et d’en découvrir de nouveaux.

28D’autre part, les informations générales sur l’apprentissage des connaissances mathématiques mettent en évidence un manque de solidité au sein du corps enseignant : de nombreux professeurs de mathématiques n’ont qu’une faible formation en didactique des mathématiques, ce qui les empêche d’aborder l’enseignement des mathématiques comme une progression ayant du sens pour les élèves.

29Il est intéressant de noter que nombre des problèmes mis en évidence ou perçus dans le contexte chilien, avec leurs nuances, font écho aux questions qui, selon l’étude internationale de Bakker et al. (2021), constituent de futurs sujets de recherche sur l’enseignement des mathématiques. Parmi ces derniers, figurent les approches pédagogiques, les objectifs de l’enseignement des mathématiques, la relation de l’enseignement des mathématiques avec d’autres pratiques (la vie privée, la formation continue et le travail), le développement professionnel des enseignants, les considérations sur l’enseignement et l’apprentissage (ce que les élèves doivent apprendre et comment, comment l’évaluer, la technologie…). D’autres thèmes de recherche pourraient être davantage explorés, comme ceux consacrés à l’équité, à la diversité et à l’inclusion, considérées non seulement comme des objectifs sociaux et éducatifs, mais aussi comme pertinentes pour refonder les approches, travailler à une évaluation plus juste et aider les élèves à comprendre les mathématiques, à gagner en confiance et à développer intérêt et plaisir dans leurs apprentissages.