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Actualité internationale
Le point sur l’actualité internationale en éducation

L’inspection en Angleterre : les méthodes de l’Ofsted remises en cause

Maroussia Raveaud
p. 16-19

Texte intégral

1Le 3 septembre 2024, la presse anglaise faisait la une sur l’Office for Standards in Education (Ofsted), organisme d’inspection des établissements scolaires : ce jour-là étaient rendus publics les résultats d’une consultation publique à son sujet et le rapport d’enquête de Dame Christine Gilbert, ancienne inspectrice en chef de l’organisme. L’Ofsted s’est trouvé sous les projecteurs à la suite d’un drame qui s’était produit l’année précédente : le suicide d’une directrice d’école primaire après la rétrogradation de son établissement, jusqu’alors jugé « excellent » à « insuffisant », soit du meilleur au pire des statuts existants.

  • 1  Voir Singh, J. (1995). L’inspection des établissements en Angleterre. Revue internationale d’éduca (...)

2Créé en 1992, l’Ofsted1 est une agence gouvernementale non ministérielle qui a pour mission d’inspecter les écoles primaires et secondaires et a aussi en charge les crèches, les services à la petite enfance, les gardes à domicile, la formation des enseignants et les services de protection sociale de l’enfance. Son autorité couvre l’Angleterre seule, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ayant leurs propres systèmes d’inspection.

  • 2  Entre 2016 et 2019, 314 écoles primaires ont été ainsi contraintes de passer sous la tutelle d’un (...)

3L’Ofsted est né sous le gouvernement Thatcher, dans un contexte de mise en concurrence des établissements et de choix parental. La publication des résultats et le palmarès des écoles sont désormais au cœur d’une logique de quasi-marché en éducation, en Angleterre. Au fil des ans, l’Ofsted a acquis le pouvoir de sanctionner les écoles jugées défaillantes par des mesures pouvant aller jusqu’au renvoi du chef d’établissement ou d’enseignants, la suspension du conseil d’administration, voire la fermeture de l’école si les résultats ne s’améliorent pas, comme c’est arrivé au collège Frank Montgomery en 2007, ou, plus récemment encore, le passage contraint sous la tutelle d’un conglomérat d’établissements2. La décision est publique (naming and shaming) et, étant amplement relayée dans les médias, s’apparente à une dénonciation.

  • 3  Jusqu’en 2012, cette catégorie s’intitulait satisfactory (acceptable).

4Initialement, tous les établissements étaient inspectés pendant une semaine tous les six ans. En 2005 le processus a été allégé : le préavis a été réduit de deux mois à deux jours et l’inspection raccourcie à deux ou trois jours tous les trois ans. De 2012 à 2020, les établissements les mieux évalués étaient dispensés de nouvelle inspection, à moins que des inquiétudes spécifiques ne surgissent. C’est ainsi que 3 400 établissements n’ont pas connu d’inspection approfondie pendant au moins dix ans. Mais la mesure la plus controversée date de 2005 : outre un rapport écrit portant sur un large éventail de facteurs, l’inspection donnait lieu à un jugement final réduit à un seul mot : outstanding (excellent), good (bon), requires improvement (doit s’améliorer3), inadequate (insuffisant).

5On peut difficilement sous-estimer l’impact de cette évaluation. Devant les écoles jugées « excellentes », de grands panneaux accrochés aux grilles proclament fièrement leurs résultats. Hors des murs de l’école, les agences immobilières s’en saisissent comme outil marketing pour promouvoir un quartier. Une évaluation lapidaire et la pression induite par les inspections sont souvent mentionnées par les personnels démissionnaires comme cause de stress et de burn-out. Mais c’est le suicide de la directrice Ruth Perry qui a placé l’Ofsted à la une des journaux, lançant un débat sur les méthodes des inspecteurs, parfois perçus comme étant intimidants, et sur le bien-fondé des jugements en un seul mot. La famille de Ruth Perry, soutenue par les syndicats, la profession enseignante et les équipes de direction, a lancé une campagne pour réformer l’inspectorat des écoles et abolir des jugements considérés comme « réducteurs », « profondément nuisibles » et « inhumains ». Après des revers, ils ont obtenu gain de cause et le jugement unique a été aboli en septembre 2024.

6Dans un premier temps, l’Ofsted a refusé d’accepter une quelconque part de responsabilité dans le décès de la directrice, défendant ses principes et méthodes. Mais à la suite d’un changement de direction en janvier 2024, le nouvel inspecteur en chef a reconnu que l’Ofsted aurait pu « montrer bien plus d’empathie » dans ses évaluations, et a annoncé la suspension de toutes les inspections jusqu’à ce que l’intégralité du personnel soit formé à la prise en compte de la santé mentale des enseignants et des directeurs d’établissement.

7Une consultation publique conduite par l’Ofsted, publiée le 3 septembre 2024, a recueilli vingt mille réponses, dont quatre mille d’enfants. En ressort la dénonciation d’une « culture de la peur » et de jugements qui ne reflètent pas des réalités complexes et nuancées, en particulier les contextes locaux et sociaux dans lesquels se situent les établissements. Seule une minorité des personnes interrogées (13 %) pensent que les appréciations « excellent » et « bon » reflètent la qualité globale des établissements, faisant écho à des travaux de recherche montrant que la satisfaction des parents et les résultats n’étaient pas significativement meilleurs dans les établissements jugés « bons » que dans ceux considérés comme « insuffisants » (Bokhove et al., 2023). De la consultation ressort un plaidoyer pour une prise en compte non seulement des résultats scolaires, mais d’autres facteurs tels que les progrès accomplis et le développement de l’individu sous toutes ses facettes. Les personnes interrogées appellent à une mise en évidence de la progression d’élèves issus des milieux les plus désavantagés et de ceux qui ont des besoins spécifiques ou sont porteurs de handicap. Les conséquences indésirables des inspections sont dénoncées, notamment l’exclusion temporaire ou permanente d’élèves susceptibles de faire chuter les résultats des établissements, et il est demandé que le degré d’inclusion des établissements figure dans les rapports d’inspection. La consultation appelle à des processus d’inspection plus constructifs et collaboratifs, dans une logique de conseil et d’aide aux établissements plutôt que de démarche punitive.

8Les mesures annoncées le 3 septembre mettent fin au jugement en un mot. Désormais la grille à quatre niveaux sera appliquée à un ensemble de critères dont, au minimum, les quatre catégories suivantes : qualité de l’éducation ; comportement et attitude des élèves ; développement personnel ; gestion et leadership. L’inspection peut également porter sur d’autres domaines, comme l’accueil préscolaire ou les matières techniques. La publication du rapport d’inspection peut être suspendue pendant trois mois si des inquiétudes concernent la protection de l’enfance surgissent dans un établissement par ailleurs satisfaisant – comme ce fut le cas dans l’école de Ruth Perry – pour lui laisser le temps de mettre en œuvre les mesures nécessaires. D’autres changements tarderont à voir le jour. Une consultation en 2025 doit conduire à de nouvelles mesures pour rendre compte de l’inclusion et de la façon dont les établissements répondent aux besoins des élèves les plus vulnérables et désavantagés.

9Parallèlement à la consultation publique menée par l’Ofsted, son inspectrice en chef de 2006 à 2011, Dame Christine Gilbert, a mené une enquête indépendante. Elle dénonce la réaction défensive initiale de l’institution face au décès de Ruth Perry. Dans un contexte où le budget de l’Ofsted a été réduit de 29 % en termes réels sur quinze ans, elle souligne que les efforts pour rendre les inspections plus « humaines » ont été sapés par les contraintes budgétaires et par la pression sur les rendements, le volume d’inspections menées ayant fini par devenir prioritaire sur leur qualité. Elle plaide pour une meilleure formation des inspecteurs, notamment en matière de santé mentale, et note le manque de processus de feedback et de supervision des inspecteurs au sein de l’institution.

10L’Ofsted a accepté dix des quatorze recommandations du rapport. Malgré les réformes annoncées et en cours, quatre syndicats d’enseignants et de directeurs critiquent une réforme interne à l’Ofsted, affirmant que le changement ne peut pas venir de l’intérieur d’une institution dont les méthodes sont « traumatisantes » pour les directeurs d’établissement (Fazackerley, 2024).

11Le manque de moyens dont pâtit l’Ofsted frappe également de plein fouet les établissements scolaires à tous les niveaux. Avant la pandémie de Covid-19, les dépenses éducatives par élève avaient chuté de 9 % en termes réels pendant les dix années suivant l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2010, soit les coupes budgétaires les plus significatives depuis quarante ans. La Covid a conduit à la fermeture des écoles en mars 2020, et la majorité des élèves n’y sont retournés qu’à la rentrée suivante, en septembre. Les élèves qui entrent dans l’enseignement secondaire depuis quatre ans ont connu une interruption de leur scolarité de presque six mois. Cette cohorte, dont la socialisation a été très perturbée, connaît des taux d’exclusions inégalés, avec un accroissement des exclusions temporaires de 80 % entre 2018-2019 et 2021-2022, soit un taux de 9,33 %. Les exclusions frappent de façon disproportionnée les élèves des milieux sociaux défavorisés, ceux issus de l’immigration et ayant des besoins spécifiques. De nombreux enseignants estiment que les comportements des élèves traduisent des besoins scolaires, sociaux et de santé mentale que l’école n’arrive pas à prendre en charge.

12Qu’il s’agisse de l’Ofsted, ou du système éducatif anglais dans son ensemble, l’enjeu est de taille car les besoins et la détresse des élèves et des personnels sont sans précédent, alors même que les coupes budgétaires ont entamé les moyens humains et financiers nécessaires pour y faire face.

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Bibliographie

Bokhove, C., Jerrim, J. et Sims, S. (2023). How useful are Ofsted inspection judgements for informing secondary school choice? Journal of School Choice, 17(1), 35-61. https://doi.org/10.1080/15582159.2023.2169813

Fazackerley, A. (22 septembre 2024). Ofsted cannot be allowed to reform itself, say teachers’ unions, The Observer. https://dgxy.link/SrXUO, consulté le 20 novembre 2024.

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Notes

1  Voir Singh, J. (1995). L’inspection des établissements en Angleterre. Revue internationale d’éducation de Sèvres, 8, 83-95. https://journals.openedition.org/ries/3540

2  Entre 2016 et 2019, 314 écoles primaires ont été ainsi contraintes de passer sous la tutelle d’un Academy Trust indiquait le Guardian : « More than 300 English primary schools forced to become academies » (11 juillet 2019). En 2023, 27 % des academies avaient été contraintes d’adopter ce statut à la suite d’un jugement « insuffisant » de l’Ofsted.

3  Jusqu’en 2012, cette catégorie s’intitulait satisfactory (acceptable).

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Pour citer cet article

Référence papier

Maroussia Raveaud, « L’inspection en Angleterre : les méthodes de l’Ofsted remises en cause »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 16-19.

Référence électronique

Maroussia Raveaud, « L’inspection en Angleterre : les méthodes de l’Ofsted remises en cause »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/15869 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139bo

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Auteur

Maroussia Raveaud

Maroussia Raveaud s’intéresse à la socialisation et à la citoyenneté à l’école, privilégiant l’entrée comparative et les approches ethnographiques. Elle a été membre associé à l’Observatoire sociologique du changement (OSC) – CNRS/Sciences Po et à l’université de Bristol (Angleterre), et enseignante-chercheuse à l’université du Maine. Actuellement elle travaille avec des familles vulnérables dans un cadre associatif et explore l’impact du contexte social, économique et familial sur le développement des enfants. Elle est membre associé du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : mraveaud[at]univ-lemans.fr

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