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Actualité internationale
Le point sur l’actualité internationale en éducation

Pisa et la pensée créative

Bernadette Plumelle
p. 20-23

Texte intégral

  • 1  OECD. (2024). Pisa 2022 Results: Creative Minds, Creative Schools (Volume iii). Éditions de l’OCDE (...)

1Pour la première fois, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) a intégré la pensée créative comme nouveau champ d’évaluation dans son cycle 2022. Le rapport1, publié en juin 2024, définit la pensée créative comme

  • 2« Creative thinking is defined as students’ ability to engage productively in the generation, eval (...)

la capacité des élèves à s’engager de manière productive dans l’élaboration, l’évaluation et l’amélioration d’idées qui peuvent déboucher sur des solutions originales et efficaces, des avancées dans le domaine des connaissances et des expressions percutantes de l’imagination2.

2Pour les concepteurs de l’enquête, la pensée créative se concentre spécifiquement sur les processus cognitifs qui sont nécessaires au travail créatif : la curiosité, l’ouverture d’esprit, l’imagination et la persévérance.

3Les élèves, âgés de 15 ans, ont répondu à des tests d’expression écrite et visuelle ainsi qu’à des résolutions de problèmes scientifiques et sociaux. Pour déterminer leurs performances, les concepteurs de l’enquête ont évalué leur capacité à produire des idées originales et diversifiées, à évaluer et à améliorer celles des autres dans le cadre de tâches créatives.

Les résultats par pays

4Globalement, les données du Pisa montrent que la moitié des élèves peuvent atteindre de très bons résultats dans les épreuves de pensée créative, sans exceller dans les domaines académiques. Cependant, un niveau minimal en mathématiques, en sciences et en compréhension écrite facilite le développement de la pensée créative et l’on observe une corrélation positive entre la performance créative et les résultats dans les autres matières scolaires du Pisa.

5Les systèmes éducatifs les plus performants en pensée créative sont en grande majorité ceux qui obtiennent les meilleurs résultats dans les matières académiques évaluées par Pisa (mathématiques, compréhension de l’écrit et culture scientifique).

  • 3  Sur les 81 pays et économies qui ont participé à Pisa 2022 ; 58 pays et 6 économies (par exemple, (...)

6Sur la soixantaine de pays3 qui ont participé à l’évaluation, Singapour a obtenu les meilleurs résultats (41 points sur 60). Les autres pays qui ont obtenu des résultats supérieurs à la moyenne des pays de l’OCDE sont, par ordre de performance, la Corée, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Estonie, la Finlande, le Danemark, la Lettonie, la Belgique, la Pologne et le Portugal. La France obtient un score moyen de 32,4 points, équivalent à la moyenne des pays de l’OCDE participants (32,7 points) et se trouve à un niveau comparable à celui de l’Espagne, de la République tchèque, de l’Allemagne et des Pays-Bas.

7À l’échelle internationale, certains pays d’Amérique latine (Chili, Costa Rica, Salvador, Mexique, Uruguay) ont présenté un niveau de créativité de leurs élèves relativement élevé, bien supérieur à leurs performances académiques.

8Les résultats aux tests des élèves ont aussi été analysés au regard du sexe et du profil socio-économique. Comme dans les autres matières évaluées par Pisa, les filles surpassent les garçons et se montrent plus créatives dans tous les domaines. Les auteurs du rapport avancent quatre raisons ; elles possèdent de meilleures compétences socio-émotionnelles, ont une vision plus positive des arts et de la créativité, croient dans leur capacité à faire un travail créatif et, enfin, ont un degré de motivation plus grand à l’égard du test du Pisa.

  • 4  Il existe un écart de 11,2 points entre les élèves favorisés et défavorisés en France, contre 9,5  (...)

9Sans surprise, les élèves favorisés sur le plan socio-économique obtiennent de meilleurs résultats. Cependant, le poids du statut socio-économique sur les performances est plus faible pour la pensée créative que pour les autres compétences4. La réussite aux tests dépend également de la nature de l’épreuve. Les exercices d’expression visuelle sont d’accès plus facile pour les élèves enquêtés que les exercices d’expression écrite, les tâches de résolution de problèmes ou celles qui impliquent davantage de prise d’initiatives. Certains pays affichent à la fois de bons résultats en pensée créative et des écarts relativement faibles entre les élèves favorisés et défavorisés comme en Lettonie, en Australie, au Canada, en Corée, au Danemark ou en Estonie.

10Les données du Pisa 2022 mettent en évidence une association positive entre la confiance dans le potentiel créatif et la performance en pensée créative. Les élèves défavorisés ont en moyenne moins tendance à avoir confiance dans leur capacité à développer leur créativité, à l’exception de deux pays, la Corée et l’Italie.

Le point de vue des élèves

11Dans leur très grande majorité (83 %), les élèves interrogés font preuve d’une grande curiosité et d’une ouverture d’esprit. Ils indiquent aimer apprendre de nouvelles choses – cette proportion s’élevant même à plus de 90 % des élèves en Colombie, en France, au Mexique, en Italie, au Pérou, au Panama et au Portugal. Cependant, les élèves sont nombreux à penser que la créativité est un talent inné qui ne peut être développé par l’éducation, la formation ou l’expérience. Selon leurs réponses, l’école n’est pas le lieu idéal pour exprimer sa créativité et ils n’apprécient pas forcément les travaux créatifs proposés à l’école. Seul un élève sur deux déclare aimer apprendre de nouvelles choses à l’école.

12Les pédagogies favorables à la créativité des élèves sont relativement répandues dans les pays d’Amérique latine, et sont moins courantes en Europe. Dans les pays de l’OCDE, 63 % des élèves en moyenne considèrent que leur enseignant valorise leur créativité, les encourage à proposer des réponses originales et leur donne l’occasion d’exprimer leurs idées à l’école – c’est 50,8 % pour les élèves français.

La pensée créative dans les programmes d’enseignement

13Ces dernières décennies, de nombreux pays ont intégré la pensée créative dans les programmes d’enseignement ; seuls quelques pays ont choisi de placer la pensée créative au cœur de leurs réformes. L’Australie, dans sa réforme des programmes de 2010, a élaboré un « continuum d’apprentissage de la pensée créative et critique », avec des étapes de progression selon différents niveaux de compétences. Dans certaines provinces du Canada, des normes de performance créative ont été intégrées de façon transversale aux contenus pédagogiques des différentes matières du programme.

14En Corée, l’un des principaux objectifs de la réforme du programme scolaire national en 2009 était d’« élever une personne créative ». Le nombre de matières obligatoires a été réduit et des « activités créatives d’apprentissage par l’expérience » ont été mises en place dans l’enseignement primaire et secondaire. Ce sont des unités dans lesquelles les enseignants et les élèves peuvent choisir un sujet à étudier de la manière qu’ils souhaitent. En 2016, un semestre sans examen a été introduit dans toutes les écoles intermédiaires pour permettre des projets créatifs et diminuer la pression des examens. Le Danemark a réduit le nombre de matières obligatoires pour éviter une surcharge des programmes. Enfin, en Irlande, 75 % des écoles proposaient en 2022 aux élèves une « année de transition » entre les cycles du secondaire inférieur et du secondaire supérieur, sans la pression des examens, pour leur permettre de se concentrer sur leur développement personnel, social et professionnel.

15D’autres pays intègrent des modules interdisciplinaires dédiés aux compétences créatives qui permettent d’articuler les enseignements autour de problèmes concrets et contextualisés. En Finlande, le programme d’enseignement impose aux établissements de proposer au moins un module de ce type chaque année. À Singapour, les élèves du secondaire peuvent choisir de suivre des modules interdisciplinaires dans lesquels on leur demande de concevoir des projets concrets dans des secteurs de la société et de l’économie. En Nouvelle-Zélande, l’initiative « Créatifs à l’école » offre des financements aux établissements pour qu’ils nouent des partenariats avec des professionnels créatifs et proposent à leurs élèves de participer à des projets visant à développer leur créativité et leur capacité à collaborer. Plus récemment, la Norvège a introduit en 2020 un nouveau programme d’enseignement qui reconnaît le lien entre le travail créatif et l’apprentissage dans toutes les matières.

16Très peu de pays ont envisagé des modes d’évaluation pour les activités créatives de leurs élèves. L’État de Victoria, en Australie, fait figure d’exception à cet égard : depuis 2016, des évaluations annuelles de la pensée critique et créative ont été menées dans une sélection d’établissements pour déterminer le niveau de réalisation des objectifs en éducation de l’État, dont l’un vise à ce que 25 % ou plus des élèves de dixième année aient acquis un très bon niveau de créativité et d’esprit critique. Selon les auteurs du rapport, l’évaluation des activités créatives valorise aux yeux des professionnels de l’éducation, des parents et des élèves ce nouveau domaine de compétences.

Nécessité de développer la pensée créative

17Dans l’avant-propos du rapport, Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences à l’OCDE, écrit :

  • 5  Extrait de l’avant-propos d’Andreas Schleicher (p. 7). Dans OCDE (2024), Résultats du Pisa 2022. L (...)

Dès la naissance, les enfants ont une créativité débordante, ils veulent apprendre, désapprendre et réapprendre sans cesse, mais l’école valorise davantage la conformité et récompense les élèves qui se plient aux normes de pensée de l’époque plutôt que de les remettre en question5.

18Il oppose à cette conformité de l’éducation le monde du xxie siècle, rendu particulièrement complexe par l’évolution des technologies numériques et par l’ampleur des défis écologiques, sociaux et économiques auquel il est confronté. Pour l’OCDE, les emplois de demain exigeront une grande capacité d’innovation et de créativité. En s’intéressant à la pensée créative, elle veut s’assurer que les systèmes éducatifs préparent les jeunes à être compétitifs et performants dans des environnements techniques et en mutation.

19La confiance en ses capacités créatives, l’ouverture d’esprit et la curiosité sont considérées comme des qualités nécessaires à encourager chez les élèves pour qu’ils s’investissent dans un travail créatif. Comme on l’a vu précédemment, les systèmes éducatifs sont plus ou moins propices à l’expression créative des élèves. Le rôle des enseignants et des établissements est déterminant dans la perception qu’ont les élèves de leurs capacités créatives. Ainsi, les élèves dont les enseignants valorisent la créativité ont 27 % plus de chances de proposer des façons originales d’améliorer les idées des autres. Dans leurs déclarations, les responsables politiques considèrent que « le développement de la créativité des élèves » est un objectif formellement intégré au programme de formation initiale des enseignants, mais l’importance accordée au développement de la créativité des élèves y est très variable. Les enseignants ont besoin d’une formation poussée pour relier les pratiques qui favorisent la créativité aux autres éléments du programme scolaire, trouver les ressources pédagogiques qui illustrent les façons d’enseigner, d’apprendre et de progresser en pensée créative.

20L’enquête Pisa cherche à promouvoir une éducation qui donne une meilleure place au développement de la part créative de chaque élève. Selon l’OCDE, les compétences en matière de pensée créative peuvent être enseignées et les enseignants peuvent libérer la créativité des élèves. Il en donne pour preuve la réussite des pays qui ont mené des réformes en ce sens. Cependant, des critiques ont été émises concernant l’intégration de ce nouveau champ d’évaluation. Elles soulignent la difficulté d’évaluer objectivement une compétence aussi complexe et subjective dans le cadre d’un test standardisé. Elles signalent le risque de standardisation et d’uniformisation de la créativité sans tenir compte de spécificités culturelles et redoutent une pression accrue sur des systèmes éducatifs déjà engagés dans une course au palmarès.

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Notes

1  OECD. (2024). Pisa 2022 Results: Creative Minds, Creative Schools (Volume iii). Éditions de l’OCDE. https://doi.org/10.1787/765ee8c2-en

2« Creative thinking is defined as students’ ability to engage productively in the generation, evaluation and improvement of ideas that can result in original and effective solutions, advances in knowledge and impactful expressions of imagination » (ibid. p. 42).

3  Sur les 81 pays et économies qui ont participé à Pisa 2022 ; 58 pays et 6 économies (par exemple, l’Autorité palestinienne, Hong Kong, des régions ukrainiennes…) ont mis en œuvre le test de pensée créative.

4  Il existe un écart de 11,2 points entre les élèves favorisés et défavorisés en France, contre 9,5 points en moyenne dans l’OCDE.

5  Extrait de l’avant-propos d’Andreas Schleicher (p. 7). Dans OCDE (2024), Résultats du Pisa 2022. La pensée créative en milieu scolaire (Volume III, version abrégée). Éditions de l’OCDE. https://doi.org/10.1787/b04a0009-fr

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Pour citer cet article

Référence papier

Bernadette Plumelle, « Pisa et la pensée créative »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 97 | 2024, 20-23.

Référence électronique

Bernadette Plumelle, « Pisa et la pensée créative »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 97 | décembre 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ries/15887 ; DOI : https://doi.org/10.4000/139bp

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Auteur

Bernadette Plumelle

Bernadette Plumelle est ingénieure de recherche honoraire (documentation). Elle est membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : bernadette.plumelle[at]hotmail.fr

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